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PRÉFACE
ОглавлениеLe 16 Juillet 1924, occupant le sommet de la Grande Séolane pour une de mes stations géodésiques, j’y avais entraîné l’effectif complet d’une compagnie du 15e Bataillon de Chasseurs, à laquelle s’étaient joints quelques officiers des autres unités et plusieurs de leurs amis parmi lesquels Jean Coste dont j’avais fait récemment la connaissance.
Deux ans plus tard, trois des jeunes hommes qui venaient, une fois de plus, en ces heures, demander à la montagne ses joies et ses inspirations — parmi les plus grandes et les plus sûres qui peuvent embellir la vie — reposaient déjà à tout jamais dans la mort.......
Les lieutenants Barnola et de Parscau sont tombés au Maroc pour la Patrie.
Jean Coste est tombé à la Meije pour la Montagne.
Pour la Patrie, par la Montagne.
Valeureux jeunes gens, quel héroïque contrat signiez-vous donc ce jour là, par lequel vous mettiez votre point d’honneur et votre héroïque idéal à exécuter les deux termes de la belle devise dans un délai si rapproché et sur des théâtres si différents?
Le premier des trois, frappé un an avant les deux autres, aurait-il rappelé à ceux-ci d’une façon inéluctable, par de mystérieuses effluves, la promesse du magnifique sacrifice, pour que les destins des survivants se soient ainsi accomplis presque simultanément?
Une balle au front en entraînant ses hommes, un glorieux corps à corps dans une écrasante infériorité numérique, abattent nos deux officiers de chasseurs. Etendus sur le champ d’honneur, ils ont réalisé le but suprême des rêves de leur carrière de désintéressement et d’enthousiasme.
Et Jean Coste?
Pourquoi ne revendiquerai-je pas la même désignation pour le sol sur lequel il est venu s’abîmer?
N’était-il pas tout entier voué au pur culte de l’effort, du courage, du sublime, enfin de la lutte contre les faiblesses matérielles de notre misérable enveloppe charnelle?
N’a-t-il pas succombé en plein entraînement et en préparation intensive — plus ou moins explicitée, mais en tout cas suprêmement efficace — des efforts, des courages, des sublimités, des luttes qu’il faudra peut-être encore un jour exalter pour la Patrie?
Alors, tomber dans l’exercice de ce qui constitue la plus forte et la plus énergique de toutes les disciplines physiques et morales conduisant à la plus parfaite exécution des gestes qu’il faudra accomplir en foulant les terres destinées à devenir les champs d honneur de l’avenir, n’est-ce pas précisément transformer immédiatement le terrain d’exercice lui-même en champ d’honneur?
Ces vertus, cet idéal je les ai trouvés en lisant attentivement les pages auxquelles la douleur d’un excellent père m’a fait le grand honneur de me demander ces quelques lignes d’introduction.
J’y ai revécu avec joie l’ardeur juvénile intense des débuts, où l’amour de la Montagne pour elle-même, dépourvu de toute autre préoccupation —notamment de l’effet à produire — joue le rôle fondamental.
J’y ai aperçu tant de cet amour et de cette sincérité que j’ai compris et que j’ai excusé, quoique ne les ayant pas éprouvées, certaines intransigeances relatives à la qualification de l’alpiniste qui ne mériterait ce titre et ne devrait ses joies qu’à l’escalade sans guides; cependant celle-ci ne procure qu’une des multiples variétés des sensations éprouvées en montagne, souvent d’ailleurs au détriment d’autres au moins aussi profondes, qui s’évanouissent alors entièrement dans la préoccupation de la lutte physique et du salut immédiat. Et la valeur des bienfaits de l’alpinisme serait en effet très amoindrie si elle ne se capitalisait pas avant tout — plus que sur aucun théâtre offert aux yeux de l’homme — par une matérialisation de l’idéal, pour ainsi parler.
D’ailleurs, à l’origine du mouvement qui appela depuis un siècle et demi les foules de plus en plus ardentes vers les hauteurs, ne se place-t-il pas leur besoin de se retremper et de se fortifier dans l’atmosphère de la Beauté qui ne rayonne nulle part autant que dans le domaine des cimes?
Aussi bien ce culte du Beau, je l’ai senti à travers toutes les lignes de Jean Coste. Qu’il raconte joliment les heures remplies de fraîcheur des premiers contacts avec la grande nature en compagnie de ses jeunes camarades, qu’il évoque d’une façon impressionnante — aujourd’hui que nous savons sa destinée — son indifférence, j’allais dire sa dilection de la mort en montagne, c’est la religion de la Beauté qui soutient la trame de ses récits, malgré le développement de sa volonté tendue de plus en plus spécialement vers la lutte contre les dangers et vers la poursuite des difficiles victoires.
Quelle qu’eut été, s’il avait vécu, la directive finale de Jean Coste, soit vers une recherche de plus en plus spécialisée de la lutte physique, soit vers une plus large conception de l’exploitation des innombrables bénéfices récoltés en montagne dans tous les domaines intellectuels et moraux en même temps que dans toutes les disciplines de l’énergie, le désir exprimé dans une de ses lignes était sur le point de se réaliser: il allait se classer parmi les grands alpinistes, au moment où pour achever de préparer minutieusement un projet caressé depuis plusieurs années, il succombait après avoir atteint la célèbre cime par la voie habituelle qui lui paraissait insuffisante et dont il ne se servait que pour reconnaître l’itinéraire nouveau qu’il était décidé à tenter.
PAUL HELBRONNER
Paris, novembre 1926.