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CHAPITRE II.

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Table des matières

Un badaud de province.—Le docteur Carlosbach, escamoteur et professeur de mystification.—Le sac au sable, le coup de l’étrier.—Je suis clerc de notaire, les minutes me paraissent bien longues.—Un petit automate.—Protestation respectueuse.—Je monte en grade dans la basoche.—Une machine de la force... d’un portier.—Les canaris acrobates.—Remontrances de Me Roger.—Mon père se décide à me laisser suivre ma vocation.

Dans le récit que je viens de faire, on n’a trouvé que des événements simples et peu dignes peut-être d’un homme qui, souvent, a passé pour un sorcier; mais patience, lecteur, encore quelques pages d’introduction à ma vie d’artiste, et bientôt ce que vous cherchez dans ce livre va se dérouler à vos yeux; vous saurez comment se fait un magicien et vous apprendrez que l’arbre où se cueille cette baguette magique qui enfantait mes prétendus prodiges, n’est autre qu’un travail opiniâtre, persévérant et longtemps arrosé de mes sueurs; bientôt aussi, en vous rendant témoin de mes travaux et de mes veilles, vous pourrez apprécier ce que coûte une réputation dans mon art mystérieux.

Au sortir du collége, je savourai d’abord toutes les joies d’une liberté dont j’avais été privé depuis tant d’années. Pouvoir aller à droite ou à gauche, parler ou se taire au gré de ses désirs, se lever tôt ou tard selon ses inspirations, n’est-ce pas pour un écolier le paradis sur terre?

J’usais largement de ces ineffables plaisirs; ainsi, le matin, quoique j’eusse conservé l’habitude de m’éveiller à cinq heures, dès que la pendule m’indiquait ce moment, autrefois si terrible, je me mettais à rire aux éclats, en accompagnant cet accès de gaité maligne d’un monologue animé, sorte de défi jeté à d’invisibles surveillants; puis, satisfait de cette petite vengeance rétroactive, je me rendormais jusqu’à l’heure du déjeuner. Après le repas, je sortais sans autre but que celui de faire ce que j’appelais une bonne flânerie.

Je fréquentais de préférence les promenades publiques, car j’avais plus de chances que partout ailleurs d’y trouver quelques distractions pour occuper mes loisirs; aussi ne se passait-il aucun événement dont je ne fusse le témoin. J’étais en un mot le badaud personnifié, la gazette vivante de ma ville natale.

La plupart de ces événements présentaient en eux-mêmes un bien faible intérêt; pourtant un jour j’assistai à une petite scène qui laissa dans mon esprit de profonds souvenirs.

Une après dînée, comme j’étais à me promener sur le mail qui borde la Loire, plongé dans les réflexions que me suggéraient la chute des feuilles et leurs tourbillons soulevés par une bise d’automne, je fus tiré de cette douce rêverie par le son éclatant d’une trompette très habilement embouchée.

Je laisse à penser si je fus le dernier à me rendre à l’appel de cette éclatante mélodie.

Quelques promeneurs, affriandés comme moi par le talent de l’artiste mélomane, vinrent également former cercle autour de lui.

C’était un grand gaillard, à l’œil vif, au teint basané, aux cheveux longs et crépus, portant le poing sur la hanche et la tête élevée. Son costume, quoique d’une composition assez burlesque, était néanmoins propre et annonçait un homme pouvant avoir, comme diraient les gens de sa profession, du foin dans ses bottes. Il portait une redingote marron, surmontée d’un petit collet de même couleur et garnie de larges brandebourgs en argent; autour de son cou, négligemment posée, s’enroulait une cravate de soie noire. Les deux extrémités en étaient réunies par une bague ornée d’un diamant qui eût pu enrichir un millionnaire, si cette pierre n’eût eu le malheur de s’appeler strass. Son pantalon noir était largement étoffé; il n’avait point de gilet, mais en revanche, un linge très blanc, sur lequel s’étalait une énorme chaîne en chrysocale, avec une collection de breloques dont le son métallique se faisait entendre à chaque mouvement du musicien.

J’eus tout le temps de faire ces observations, car mon homme ne trouvant pas sans doute son assistance assez nombreuse pour mériter l’honneur d’une séance, fit durer son prélude musical au moins un quart-d’heure; enfin le cercle s’étant insensiblement agrandi, la trompette cessa de se faire entendre.

L’artiste posa son instrument à terre, fit gravement le tour de l’assemblée, en exhortant chacun à reculer un peu; puis, s’arrêtant, il passa la main dans ses longs cheveux et sembla se recueillir dans une aspiration toute de poésie.

Peu habitué au charlatanisme de cette mise en scène de la place publique, je regardais cet homme avec une confiante admiration et me préparais à ne pas perdre un mot de ce que j’allais entendre.

—Messieurs, s’écria-t-il d’une voix assurée et sonore:

—Ecoutez-moi:

—Je ne suis point ce que je parais être. Je dirai plus, je suis ce que je parais n’être pas. Oui, Messieurs, oui, avouez-le, vous me prenez pour un de ces pauvres diables venant implorer quelque gros sous de votre générosité. Eh bien! détrompez-vous; si vous me voyez aujourd’hui sur cette place, sachez que je n’y suis descendu que pour le soulagement de l’humanité souffrante, en général, pour votre bien en particulier, comme aussi pour votre agrément.

Ici, l’orateur, qu’à son accent on pouvait aisément reconnaître pour un des riverains de la Garonne, passa une seconde fois la main dans sa chevelure, releva la tête, humecta ses lèvres, et prenant un air de dignité majestueuse, il continua:

—Je vous apprendrai tout à l’heure qui je suis, et vous pourrez m’apprécier à ma juste valeur; en attendant, permettez-moi de vous présenter, pour vous distraire, un faible échantillon de mon savoir-faire.

L’artiste, après avoir régularisé le cercle de ses auditeurs, dressa devant lui une table à X, sur laquelle il déposa trois gobelets de ferblanc, si bien polis, qu’on les eût pris pour de l’argent; puis il se ceignit d’une gibecière en velours d’Utrecht rouge, dans laquelle il plongea ses mains pendant quelques instants, sans doute pour préparer les prestiges qu’il allait présenter; et la séance commença.

Dans une longue série de tours, les muscades, d’abord invisibles, parurent au bout des doigts de l’escamoteur, passèrent successivement d’un gobelet sous un autre, à travers la table, même jusque dans la poche d’un spectateur, pour sortir ensuite, à la grande joie du public, du nez d’un jeune badaud. Celui-ci prit le fait au sérieux, et il se tua à se moucher pour s’assurer qu’il ne lui restait plus de ces petites boules dans le cerveau.

L’adresse avec laquelle ces tours furent faits, la bonhomie apparente de l’opérateur dans l’exécution de ces ingénieux artifices, me produisirent la plus complète illusion.

C’était la première fois que j’assistais à un semblable spectacle: j’en fus émerveillé, stupéfait, ébahi. Cet homme pouvant produire à son gré de telles merveilles, me semblait un être surhumain; ce fut donc avec un vif regret que je lui vis mettre de côté ses gobelets et plier sa gibecière. L’assemblée paraissait également charmée; l’artiste s’en aperçut et mit à profit ces excellentes dispositions en faisant signe qu’il avait encore quelque chose à dire. Posant alors ses deux mains sur la table, comme sur l’appui d’une tribune:

—Messieurs et Dames, dit-il avec une feinte modestie et dans le but de ménager certains effets oratoires, Messieurs et Dames, j’ai été assez heureux pour vous voir prêter à mes tours d’adresse une bienveillante attention, je vous en remercie—l’escamoteur s’inclina jusqu’à terre;—et comme je tiens à vous prouver que vous n’avez point affaire à un ingrat, je veux essayer de vous rendre toute la satisfaction que vous m’avez fait éprouver.

—Daignez m’écouter un instant:

—Je vous ai promis de vous dire qui j’étais, je vais vous satisfaire—changement subit de physionomie, sentiment de haute estime de soi-même:—vous voyez en moi le célèbre docteur Carlosbach; la consonnance de mon nom vous indique assez que je suis Anglo-Francisco-Germanique, pays où l’on vient au monde avec une couronne de laurier sur la tête.

—Faire mon éloge ne serait qu’être l’interprète de la renommée aux cent bouches d’or et d’azur; je me contenterai de vous dire que j’ai un immense talent et que mon incommensurable réputation ne peut être égalée que par ma modestie. Couronné par les plus illustres sociétés savantes du monde entier, je m’incline devant leur jugement, qui proclame la supériorité de mes connaissances dans le grand art de guérir le genre humain.

Cet exorde, aussi bizarre qu’emphatique, fut débité avec une imperturbable assurance; cependant, je crus remarquer sur la figure du célèbre docteur quelques légères crispations des lèvres qui trahissaient comme une envie de rire contenue. Je ne m’y arrêtai pas, et, séduit par la faconde de l’orateur, je ne cessai de lui prêter une oreille attentive.

—Mais, Messieurs, ajouta-t-il, c’est assez vous entretenir de ma personne; il est temps que je vous parle de mes œuvres.

—Apprenez donc que je suis l’inventeur du baume Vermi-fugo-panacéti, dont l’efficacité souveraine est incontestable.

—Oui, Messieurs, oui, le ver, cet ennemi de l’espèce humaine; le ver, ce destructeur de tout ce qui porte existence; le ver, ce rongeur acharné des morts et des vivants, est enfin vaincu par ma science; une goutte, un atôme de cette précieuse liqueur suffit pour chasser à tout jamais cet affreux parasite.

—Avez-vous des vers longs, des vers plats, des vers ronds? peu m’importe la forme, je vous en délivrerai.

—Avez-vous encore le ver macaque, qui se place entre cuir et chair, le ver coquin, qui s’engendre dans la tête de l’homme, le tenia, vulgairement appelé le ver solitaire, venez à moi, sans crainte, je vous les extirperai sans douleur.

—Et, Messieurs telle est la vertu de mon baume merveilleux, que non-seulement il délivre l’homme de cette affreuse calamité pendant sa vie, mais que son corps n’a plus rien à craindre après sa mort; prendre mon baume, c’est s’embaumer par anticipation; l’homme alors devient immortel. Ah! Messieurs, si vous connaissiez toutes les vertus de ma sublime découverte, mais, vous vous précipiteriez sur moi pour me l’arracher, en me jetant des poignées d’or; ce ne serait plus une distribution, ce serait un pillage, aussi je m’arrête.....»

L’orateur s’arrêta en effet un instant et essuya son front d’une main, tandis que de l’autre il indiquait à la foule qu’il n’avait pas fini. Déjà un grand nombre d’auditeurs cherchaient à s’approcher du savant docteur; Carlosbach sembla ne pas s’en apercevoir et reprenant la pose dramatique qu’il avait un instant quittée, il continua ainsi:

—Mais, me direz-vous, quel peut être le prix d’un tel trésor? Serons-nous jamais assez riches pour l’acquérir? Et! Messieurs, c’est ici le moment de vous faire connaître toute l’étendue de mon désintéressement.

Ce baume, pour la découverte duquel j’ai séché ma vie; ce baume, que des souverains ont acheté au prix de leur couronne, ce baume enfin que l’on ne saurait payer..... Je vous le donne.

A ces mots inattendus, la foule, frémissante d’émotion, reste un instant interdite, puis, comme s’ils eussent été sous l’impression du fluide électrique, tous les bras se lèvent suppliants et implorent la générosité du docteur.

Mais, ô surprise! ô déception! Carlosbach, ce docteur célèbre, Carlosbach, ce bienfaiteur de l’humanité, quitte soudainement son rôle de charlatan et se prend d’un rire homérique.

Ainsi que dans un changement à vue, la scène est transformée, tous les bras levés retombent en même temps; on se regarde, on s’interroge, on murmure, puis l’on s’apaise, et bientôt la contagion du rire gagnant de proche en proche, la foule éclate en chœur.

L’escamoteur s’arrête le premier et réclame le silence.

—Messieurs, dit-il alors d’un ton de parfaite convenance, ne m’en veuillez point de la petite scène que je viens de jouer; j’ai voulu par cette comédie vous prémunir contre les charlatans qui chaque jour vous trompent, ainsi que je viens de le faire moi-même. Je ne suis point docteur, mais tout simplement escamoteur, professeur de mystifications et auteur d’un recueil dans lequel vous trouverez, outre le discours que je viens de vous débiter, la description d’un grand nombre de tours d’escamotage.

—Voulez-vous connaître l’art de vous amuser en société? Pour dix sous, vous pouvez vous satisfaire.

L’escamoteur sort d’une boîte un énorme paquet de livres, fait le tour de l’assistance, et grâce à l’intérêt que son talent a su inspirer, il ne tarde pas à débiter toute sa marchandise.

La séance était terminée: je rentrai à la maison la tête pleine de tout un monde de sensations inconnues.

Comme on le pense bien, je m’étais procuré un des précieux volumes; je me hâtai d’en prendre connaissance, mais le faux docteur y continuait son système de mystification et, malgré toute ma bonne volonté, je ne pus parvenir à comprendre aucun des tours dont il semblait donner l’explication. J’eus, du reste, pour me consoler, le plaisant discours que je viens de rapporter ici.

Je m’étais promis de mettre le livre de côté et de n’y plus songer, mais les merveilles qui y étaient annoncées venaient à chaque instant se retracer à mon esprit. O Carlorsbach, disais-je dans ma modeste ambition, si j’avais ton talent, comme je me trouverais heureux! Et, plein de cette idée, je me décidai à aller prendre des leçons du savant professeur. Malheureusement cette détermination fut trop tardivement prise; lorsque je me présentai, j’appris que l’escamoteur mettant à profit les ressources de sa profession, avait, dès la veille, quitté son auberge, oubliant de payer les dépenses princières qu’il y avait faites.

L’aubergiste me donna des détails sur cette fugue, dernière mystification du professeur. Carslorsbach était arrivé chez lui avec deux malles d’inégale grandeur et lourdement chargées; sur la plus grande étaient écrits ces mots: Instruments de Physique, sur l’autre Vestiaire. Or, l’escamoteur, qui, disait-il, avait reçu de nombreuses invitations des châteaux voisins pour y donner des séances, était parti la veille, afin de satisfaire à l’un de ces engagements. On ne l’avait vu emporter avec lui qu’une de ses malles, celle aux instruments, et l’on avait supposé que l’autre restait dans la chambre et servait tout naturellement à garantir ses frais d’auberge, qu’il devait payer à son retour.

Le lendemain, l’aubergiste ne voyant pas revenir son voyageur, pensa qu’il était prudent de mettre ses effets en lieu de sûreté. Il entre donc dans la chambre de l’escamoteur; mais les deux malles avaient disparu et à leur place était un énorme sac rempli de sable sur lequel on voyait en gros caractères:

Confidences et Révélations: Comment on devient sorcier

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