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PRÉFACE
ОглавлениеLorsqu’on songe à la triste condition des sourds-muets, ce qui étonne, ce n’est pas qu’il se soit rencontré des hommes assez dévoués pour prendre en main la cause de ces infortunés, c’est que ces hommes se soient trouvés en si petit nombre, et si tard. Nous ne parlons pas évidemment des anciens qui, tenant en souveraine estime la beauté et la vigueur du corps, avaient bien autre chose à faire que d’éveiller une âme, au prix de mille efforts, dans ces pauvres êtres étiolés, incomplets. Si le Romain avait pu soupçonner que l’enfant de huit jours qu’on lui présentait était sourd-muet, à coup sûr il ne l’aurait point levé de terre.
Mais après que Celui qui faisait «entendre les sourds et parler les muets», eut donné au monde une idée nouvelle de la dignité de l’homme, il semble qu’on eût dû se préoccuper de faire partager aux sourds-muets les bienfaits de la civilisation chrétienne.
Les préjugés furent en général plus forts que la voix de la religion. On continua à regarder les sourds-muets comme des êtres à part, privés d’intelligence, rebut de la société. Si Aristote, dans l’antiquité, les avait exclus de toute participation aux connaissances, saint Augustin, par un arrêt aussi rigoureux, les excluait de la connaissance de la foi. Et, au dix-huitième siècle, encore bien que, mille ans auparavant, saint Jean de Beverley, archevêque d’York, eût appris, à ce que raconte l’histoire ecclésiastique de Bède le Vénérable, à parler à un sourd-muet, bien que, beaucoup plus tard Jérôme Cardan, en Italie, dom Pedro Ponce de Léon, Jean-Paul Bonet en Espagne, Van Helmont en Hollande; Conrad Hamman, le Père Schott, Kerger, Raphaël, Lichwitz, Buchner, Baumer, en Allemagne, et d’autres eussent réussi à faire l’instruction de quelques sourds-muets, ou, du moins, exposé dans leurs ouvrages les moyens d’y réussir, il se trouva des théologiens, des philosophes, pour regretter a priori les prétentions de l’abbé de l’Epée, disant que ce qu’il poursuivait était radicalement impossible. Certes, cette fin de non-recevoir ne pouvait rien sur les faits qui étaient palpables et éclatants, elle montre du moins l’état d’un grand nombre d’esprits.
Honneur donc à ces hommes qui, dans des siècles et des pays divers surent s’élever au-dessus des préjugés de leurs contemporains et tentèrent une œuvre qu’on croyait au-dessus des forces humaines? Le nom d’un grand nombre de ces bienfaiteurs de l’humanité ne nous est point parvenu, et c’est ce qu’il importe de ne point perdre de vue chaque fois qu’on se plaint du petit nombre des instituteurs des sourds-muets, d’autres sont depuis longtemps totalement oubliés. Nous voudrions aujourd’hui réparer un de ces oublis, en faisant connaître à ceux qui l’ignorent le nom de l’abbé Ferrand.