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PRÉFACE

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«Au docteur Jules Larat.»

Voyons, docteur, que dirais-tu si, demain, quelque jolie femme de Paris ou de Brives-la-Gaillarde, armée d’une foi robuste, venait frapper à la porte de ton cabinet et te tenait à peu près ce langage:

–Monsieur le docteur, je suis une honnête femme mariée à un brave homme: eh! bien, parfois, il me trotte par la tête de mauvaises idées: on me fait la cour, j’ai peur de tromper mon mari. Je viens vous demander un préservatif: J’entends rester sage.

Tout d’abord, docteur, tu regarderais fixe ment ta cliente, assise en pleine lumière ainsi qu’il convient, et tu te demanderais si tu n’as pas affaire à quelque belle en humeur de rire ou mieux encore à une échappée de la maison du Dr Blanche.

La dame continuerait ainsi:–Oh! monsieur, il m’a fallu bien du courage pour venir jusqu’à vous. J’ai voulu prier; la prière a été impuissante à me guérir. Plusieurs fois déjà, je me suis sentie glisser sur la pente fatale: ma volonté a triomphé. mais, j’ai si peu de volonté que ce n’est pas la peine d’en parler. Je vous en prie, donnez-moi quelque chose?.

Tu n’es pas un charlatan, mon ami; et sans te couvrir d’un bonnet pointu, et, sans te parer d’une longue robe semée d’étoiles, tu rédigerais, séance tenante, une bonne ordonnance où les bromures et tout l’élément médical seraient appelés à conjurer les ardeurs de ta cliente.

La dame sortirait très rassurée de la salle de consultation: elle avalerait force bromure; elle respirerait de l’éther; elle frissonnerait sous la douche; et, au bout de quelques semaines…. elle tromperait son mari: ce qu’elle ne viendrait pas te conter, bien entendu.

La raison de ceci, mon cher, c’est que l’alchimiste qui a présidé à la confection du cerveau de ta malade a omis une case importante, celle qui donne le pouvoir de ne faire que ce que l’on veut.

Elle désirait bien agir, la pauvrette: elle voulait être une femme sérieuse; et patatras.… Le bromure n’a pas produit son effet. L’amour défendu a corné, un beau matin, à ses oreilles, et elle a suivi la route de l’amour, avec des bravades de promeneuse fantaisiste.

La vie lui est apparue comme une table de baccarat. Le foyer conjugal lui assurait le point de sept,

–ce qui était gentil. La joueuse affolée n’a pas même regardé ses cartes: elle a «tiré» et voilà que le banquier l’a embaquée du plein coup. A ce jeu, elle a perdu son honneur, ce qui est plus grave et moins ennuyeux que d’y laisser sa fortune.

Une autre cliente, docteur, voulait recourir à toi: la mort est venue trop vite.

Cette nouvelle malade a vécu au village; elle a vu Paris.

Dans sa petite ville, est-ce une madame Bovary –la femme des sens–tenaillée par les désirs de la chair qui brise tout pour courir à l’assouvissement de sa passion? Non. Elle n’a qu’un désir, quitter au plus vite son trou de province. Elle n’a jamais été sérieuse en amour. Si elle parle de remords, si elle menace de se tuer, il ne faut pas la croire: elle ne sait ce qu’elle dit ou elle ment.

Jetée un beau jour en pleine capitale, dans ses métamorphoses de belle-petite ou de grande dame, est-ce une Marguerite Gautier,–la femme de cœur–avec moins de courage et moins d’exquise tendresse? Non. Si l’héroïne de Flaubert a vécu de sa passion, la dame aux Camélias s’est dévouée jusqu’à en mourir.

La malade, elle, ne s’est pas douté un seul instant de ce que pouvait être le sacrifice et elle a fait de la question d’amour une lamentable risée.

Il n’y a pas de femme tombée qui ait moins d’excuses à faire valoir; il n’y en a pas qui soit plus excusable.

Elle n’est ni la femme des sens, ni la femme de cœur.

C’est l’éternel produit d’une machine imparfaite. C’est «TÊTE A L’ENVERS» une force qui va.

Oui, c’est la faute de l’alchimiste. Les médications étaient impuissantes; il eut fallu une refonte du sujet. Tu ne voulais pas tenter l’expérience, n’est-ce pas?. Ta cliente d’intention ayant, elle aussi, considéré la vie comme un jeu de hasard, devait fatalement perdre; car,–pour les faibles, –les cartes y sont biseautées, et les faibles sont seuls à ne pas le savoir.

La vie n’est pas une gageure, mais bien une chose exacte qui exige une surveillance de toutes les heures.

Mon cher et illustre maître Alexandre Dumas qui me fait l’honneur de s’intéresser d’une manière toute particulière à ce livre me disait récemment:

«Il me souvient qu’un soir le Dr X*** et moi nous nous promenions sur le boulevard des Italiens. A un moment, le docteur chancela et me fit comprendre qu’il ne pouvait plus marcher.–Qu’avez-vous?–Une angine de poitrine; si je faisais vingt pas de plus, je tomberais raide mort.»

L’observation dupenseur est profonde:–«X*** était un homme mort s’il n’avait pas surveillé sa vie.»

S’ils lisent cette étude, les philosophes et notamment le savant Despine qui a écrit un si remarquable traité de la psychologie naturelle démêleront peut-être au milieu de ces défaillances de la paysanne, de la bourgeoise et de la grande dame comme un triple témoignage d’irresponsabilité dans l’organisation troublée de mon héroïne.

Et à cette heure, où tout le monde dit que les cerveaux se détraquent, que la névrose nous talonne et que l’humanité touche à sa fin, ce ne serait pas un mince honneur pour ce petit roman que d’avoir remis en question le problème si grave et encore non résolu du libre arbitre.

En vérité, il serait curieux pour cette fin de siècle envahie par un formidable désir d’expérimentation, de savoir si toutes les femmes qui tombent sont bien toujours maîtresses de rester debout contre vents et marée.…

Mais, je crois, docteur, que–quoi qu’il advienne–le monde ira son petit bonhomme de chemin jusqu’au jour où les lampes Jabloshkoff remplaceront définitivement le soleil et où le grand alchimiste un peu vieilli, soucieux de se rendre compte des progrès de la science humaine, appellera dans son laboratoire les Cagliostros modernes qui, bien certainement, ne livreront à la circulation que des êtres absolument parfaits.

DUBUT DE LAFOREST.

Paris, mai1882.

Tête à l'envers

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