Читать книгу Tête à l'envers - Jean-Louis Dubut de Laforest - Страница 6

III

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Table des matières

Quatre années s’étaient écoulées. Une charmante petite fille appelée Andrée–un nom choisi par la mère–était venue réjouir le ménage Parent.

Le notaire adorait sa femme; il cherchait toutes les occasions d’échapper au client pour monter rapidement l’escalier et la surprendre, si la porte de sa chambre était ouverte, avec un long baiser d’amour. Souvent, il était bien accueilli; mais comme parfois Rosette le repoussait, il descendait à son étude d’une façon toute gauche, et Clapier comprenait que son jeune patron commençait à ne plus être heureux.

On avait grande confiance en Me Parent; son mariage lui donnait du crédit; son caractère sérieux l’aidait à conquérir toutes les sympathies. Chaque dimanche, les paysans venaient à l’étude porteurs de sommes à placer, et ils donnaient tout pouvoir au nouveau notaire. M. Cournet avait été nommé juge de paix du canton de Saint-Cyprien, et après l’audience du jeudi, s’il trouvait le temps long, avant de rentrer à sa maison de campagne, il allait jusqu’à l’étude dire un petit bonjour aux vieux dossiers qui dormaient dans leurs cases de bois.

Les époux Parent étaient installés dans leur nouvelle habitation.

La maison de construction moderne, à la turque, avec une seule aile avançant sur le corps de logis était noyée dans l’ombre et dans la verdure. On avait eu la bonne idée de choisir un terrain où les arbres étaient tout venus, où la hêtrée du chemin était plantureuse et où sous la ramure s’étendaient des prairies immenses.

Le plan était exécuté d’après un modèle qui avait obtenu un prix à l’Exposition universelle de1855. Mais si les paysans admiraient le perron aux colonnes sculptées, s’ils restaient ébahis devant la balustrade de fer qui précédait la serre aux fleurs de toutes nuances, ils riaient entre eux de ce château qui n’était pas terminé.

–Une seule aile à une maison, c’est comme qui dirait un chien à trois pattes!.

Un ruisseau s’étendait au bas du jardin et, du côté opposé au ruisseau, une seule maison occupée par le maire de la ville, M. Loudois.

Les cèdres du Liban, les sapinettes bleues, les thuyas dorés et argentés, les massifs de rhododendrons, les yuccas aux vives arêtes, les gynériums aux panaches éclatants, toutes les plantations avaient bonne tournure et, pour se montrer, attendaient le printemps. Tout au loin, à moitié perdu dans les arbres au feuillage résistant, un kiosque composé dans le style d’une mosquée.

La vie réelle de Rosette commença quand elle se sentit bien chez elle au milieu du luxe qui l’enivrait.

Le notaire ne soufflait mot lorsque les lourdes voitures des camionneurs amenaient les meubles commandés aux premiers faiseurs de Paris. Bérias, lui, était stupéfait; quant à la Jeanneton, elle disait que Rosette avait raison; qu’il n’y avait pas de quoi s’inquiéter; que les notaires gagnaient l’argent comme ils le désiraient.

Rosette avait de si douces câlineries pour convaincre son mari quand, par hasard, il essayait de résister!

–Mais, chérie, tu as déjà une armoire à glace et une chiffonnière.

–Prosper, laisse faire ta petite femme à sa guise. Nous pouvons recevoir du monde; il ne faut pas que nos invités soient plus mal qu’à l’auberge.

Dans les premiers temps, la chambre des époux était commune; mais madame Parent avait fait observer qu’il était convenable qu’une femme eût un appartement privé. Les lectures de certains romans lui chauffaient le cerveau, et elle prenait surtout un vif plaisir aux aventures de la reine Margot, qui recevait ses amants dans tous les coins des portières, à la barbe de son époux.

On meubla une chambre pour monsieur.

Ce soir-là, madame Parent donnait à dîner à quelques personnes. Dans le grand salon faisant face à la serre, on remarquait deux tableaux dus au pinceau d’un ami de la maison M. Moulineau, qui faisait de la peinture à ses heures: l’une des toiles représentait un pèlerin en marche vers le désert: comme pendant, une assez mauvaise copie du «Naufrage de la Méduse».

Le feu brûlait sans craquement ni pétillement, comme il convient à un feu de bonne compagnie. Les domestiques, tous les deux nouveaux–on en changeait souvent–plaçaient sur la table dressée des flambeaux sans style qui faisaient rayonner les cristaux et les visages des invités.

Il avait été grandement question de savoir si l’on inviterait la famille Bérias.

Rosette trancha la question:

–Mon père et ma mère seraient gênés en présence de personnes qu’ils ne connaissent pas.

Me Parent n’insista pas davantage, et Rosette fit comprendre aux Bérias que la saison était rigoureuse et que, dans leur intérêt, ils feraient bien de rester chez eux.

On était au mois de janvier. La neige tombait depuis quelques minutes, et les paillettes blanches valsant dans l’air, s’accrochaient aux glaces des hautes fenêtres, quand Lavérie, un garçon qui avait servi dans l’un des premiers hôtels de Bordeaux, vint annoncer:

–Madame est servie.

La conversation, un peu noire au début du dîner, se rajeunit au dessert.

Prosper, assis en face de sa femme, avait à sa droite madame Gavier, la femme du sous-préfet; à sa gauche, une voisine, madame Loudois. Puis venaient M. Cournet, M. Faure, le commandant Benjamin, un vieux retraité qui avait obtenu l’autorisation de porter son costume militaire en tout temps et en tous lieux. Aux côtés de Rosette, le sous-préfet de Saint-Cyprien, le maire M. Loudois, M. Victor Moulineau, peintre et poète, et enfin un grand jeune homme pâle et blond venu là, sans cérémonie, en jaquette bleue, pantalon gris foncé et mouchoir de soie au-dessus de la poche. C’était M. Georges, le fils du maire. Sa famille l’avait prié de revêtir un habillement plus sérieux: il s’était contenté de répondre qu’on ne se gênait pas chez les Parent.

Il causait beaucoup, le grand jeune homme et, tout en caressant sa fine moustache, il avait essayé plusieurs fois de croiser son regard avec celui de Rosette; mais celle-ci, tout entière à l’ordonnancement du service, avait dédaigné de sourire. M. Georges se rattrapait par une conversation animée avec la femme du sous-préfet, assez fière de se voir ainsi courtisée. Le dialogue avait lieu pardessus l’épaule du commandant, qui se baissait de temps à autre pour laisser passer des mots spirituels qu’il essayait, lui aussi, de comprendre.

–Les affaires reprennent, venait de dire M. Faure.

–Oui, dit M. Moulineau; mais nous sommes envahis par la production étrangère.

–C’est le progrès, ajouta le notaire.

–Le libre-échange, cria le sous-préfet, il n’y a que cela. Le libre-échange, c’est la grande idée du siècle. Sa Majesté l’empereur...

Le café était servi.

On passa au salon, et madame Parent fit elle-même les honneurs avec une grâce charmante.

M. Victor Moulineau débitait à chaque instant des jeux de mots, à la plus grande joie du commandant Benjamin.

Un vieillard sérieux, M. le maire de Saint-Cyprien, un géant de la taille de Prosper. Son fils disait de lui:

–Il a tout ce qu’il faut pour représenter. L’important est d’en imposer par la taille.

Dans la salle à manger, les domestiques causaient:

–Bonne maison, disait l’un des domestiques en vidant les fonds de bouteilles… Ils sont riches, mais ça n’est pas du monde chic. Tenez, quand j’étais à Bordeaux.

–Ce sont de braves gens, répondait Léonard, un malheureux jeune homme que Prosper avait ramassé dans la rue. Madame est un peu brusque, mais elle est bonne.

–Léonard, vous n’avez pas faim?

–Nous allons manger à la cuisine.

–Oui, mais ça n’empêche pas. Ces petits morceaux de nougat…

Un timbre retentit.

–Boum!. Suis-je bête, je me crois encore au restaurant.

Et, plein de gravité, le domestique se rendit à l’appel de sa maîtresse.

–Vous vous êtes fait attendre.

En homme du métier, Lavérie resta impassible.

–Préparez les tables de jeu: faites-vous aider par Léonard.

Dans le couloir les deux domestiques avaient des lambeaux de phrase:

–Cette madame Parent, elle me fait froid dans le dos quand elle me regarde. Et le père?… Tout bossu, n’est-ce pas?

–Un brave homme.

–Toujours un brave homme, mais paysan, hein?… A voir madame, on ne se douterait pas. Comme on se décrasse vite. C’est un bon hiver à passer. ça va me reposer de mes travaux. Ici, vous vous couchez en même temps que les poules.

On proposa le whist, la bouillotte, le nain-jaune, la bourre, le lansquenet, la cadrette et la manille; on s’arrêta au baccarat.

Les dames se mirent aussi de la partie.

Moulineau, qui tenait la banque, abattait huit ou neuf à chaque coup et madame Gavier, rouge de dépit, faisait claquer ses doigts, trichait au jeu, empruntait de l’argent à droite et à gauche. Le sous-préfet prenait plaisir à exciter les nerfs de sa femme:

–Blanche, tu ruines l’administration.

La soirée continua par les jeux innocents, et les petits mariages faisant dire à chacun un nom d’oiseau ou de bête que l’on mariait avec la personne sur la sellette, amusèrent énormément la société.

La conversation marchait son train à l’office, et Marguerite la cuisinière y prenait part.

–Alors, ce n’est pas loin, la Croix-du-Jarry?

–Une heure et demie à pied.

–Les vieux viennent souvent à Saint-Cyprien?

–Il paraît que non: madame a honte. murmurait Léonard.

–Écoutez, disait Marguerite: il y a presque de quoi avoir honte. C’est ennuyeux d’avoir des paysans à table. On a tort par exemple, de ne pas garder ici la petite Andrée.

–La fille à madame?

–Oui, madame n’aime pas à entendre crier, et l’enfant est chez les Bérias, depuis huit jours, avec sa bonne.

–Une princesse, quoi?.

–Lavérie, vous êtes une mauvaise langue.… Vous reviendrez de toutes ces idées.

–A Bordeaux.

–Toujours votre Bordeaux.

–Marguerite, le maire donne-t-il des pièces?

–Oh! un cancre. dix sous.

–Et le sous-préfet?

–Une misère, cinq. six sous.

–Et M. Georges?

–Avec celui-ci, ça va tout seul. Il est gentil tout plein, et si j’étais jeune.

–Et M. Faure?… le commandant?.

–Jamais rien.

–Ah!.

–Vous savez, il n’y a pas gras ici sur les pièces. Encore heureux d’attraper quelques sous… Clorinde la femme de chambre de M. Berck de Villemont, dit qu’à Paris les invités ne donnent jamais rien. Pas bêtes, les Parisiens!.

–Quelle chipie, cette vieille Loudois!.

–Ne m’en parlez pas; elle a change quatre fois de servante depuis deux mois; elle fait damner M. Georges.

–Elle est laide et vieille; sans quoi, il n’aurait rien à envier aux autres, M. le maire.

–Il paraît qu’il en a porte dans le temps.

Le bruit du piano arrivait jusqu’à la cuisine.

–Ils dansent?.

–Qui est-ce qui joue?

–Madame Gavier, une artisse…

–On reçoit souvent?

–Tous les huit jours.

–Et nos maîtres sortent quelquefois?

–Oui, on va chez le maire, chez le sous-préfet...

–Bon… à la première, nous organisons une partie avec les voisins.

–Dame! on pourrait voir à se distraire… Nous aurons Léveillé, Bernireau, Cavantou… Notre amie Marguerite fera cuire une bonne volaille… Je me charge des gâteaux… et des bouteilles…

Ces dames prirent leurs manteaux, et Rosette qui avait besoin d’air les accompagna.

Georges offrait le bras à madame Parent, qui avait insisté pour aller jusqu’à la sous-préfecture.

–Vous ne craignez pas le froid, madame?

–Mais non, monsieur.

–Votre soirée était délicieuse.

–Vous êtes trop indulgent.

–Votre toilette vous sied à ravir.

En disant cela, il la serrait de près et elle se sentait trembler.

–N’allez pas plus loin, madame Parent, dit madame Loudois. Il fait un temps affreux. La neige commence à tomber…

Rosette prit le bras de Prosper et gagna rapidement sa porte.

–Quel désordre, observa M. Parent lorsqu’il traversa la salle à manger.

–Il faut toujours que tu te plaignes de quelque chose.

–Chère femme, c’est parce que je crains que tu ne prennes trop de peine avec tes nouveaux domestiques.

Il la suivit jusque dans sa chambre, et pendant qu’elle dénouait sa chevelure, il voulut la baiser au cou.

–Tu vois bien que tu me chiffonnes. je suis brisée de fatigue.

Il s’était assis humblement sur la causeuse, admirant les longs cheveux qui se déroulaient sur la chemisette brodée.

–Que tu es belle!

–Je t’en prie.

–Eh bien, embrasse-moi. là, sur le front.

–Sois raisonnable. Va-t’en, maintenant.

Il sortit et aussitôt elle s’enferma à double tour.

Elle dormit mal, ou plutôt elle ne dormit pas. La bougie brûla sur sa table de nuit pendant que le vent faisait trembler les carreaux et que la neige devenue pluie tombait avec un long crépitement. La tête mollement renversée sur un oreiller de dentelles, Rosette lisait un feuilleton et, après avoir tourné la page, rentrait frileusement ses mains sous la couverture. Son petit bonnet à faveurs rouge-vif lui donnait l’air d’une de ces madones qu’on voit dans les églises italiennes; et, comme les madones, son regard se détachait des choses de ce monde et montait plus haut que les peintures du plafond où des anges étendaient leurs ailes dans un nimbe d’or. Son imagination se remplissait de toutes les aventures galantes qu’elle avait lues depuis la légende de l’admirable Sapho jusqu’aux romans contemporains. Elle n’avait pas soupçonné que sa vie dût être aussi calme, et elle regrettait presque de s’être mariée.

La jeune femme se reporta alors au souvenir des années passées dans son village, lorsqu’elle s’en allait par les chemins ombreux, ignorante encore des choses qui la troublaient maintenant.

Elle se revoyait, vêtue de sa robe d’indienne, avec un grand chapeau de paille d’Italie, assise au bord d’un pré, l’œil perdu dans les hautes branches des châtaigniers, écoutant les chansons des bouviers interrompues par le roulement des grosses charrettes; elle entendait lès rires joyeux de son vieux père, lorsque la récolte menaçait de faire craquer les planchers des granges et que le vin ne pouvait tenir dans les cuves.

Maintenant, elle était femme, et c’étaient d’autres chimères qui enivraient son âme. Elle aurait bien voulu pourtant revivre les choses passées.

Un pas se fit entendre.

–C’est toi, Prosper?

–Oui; j’ai vu de la lumière dans ta chambre; il fait presque jour. tu es malade?

–Non, .. c’est fini. Veux-tu entrer?.

Elle se leva, passa son peignoir de velours bleu, chaussa ses mules et entr’ouvrit la porte.

Le bruit du peignoir jeté à terre, le frou-frou de l’édredon, avertirent Prosper qu’il pouvait pénétrer dans la chambre de sa femme. Il y entra, tout enivré de cette odeur de la femme qui se repose.

Prosper n’avait pas dormi non plus, et mille mauvaises idées avaient embrasé son cerveau. Ce n’était plus le même homme. Depuis longtemps, son bonnet de coton à double fond avait disparu; d’ordinaire, il mettait un foulard de soie. En ce moment, il se présentait les cheveux longs, la raie au milieu de la tête, en veston de flanelle blanche, après s’être regardé vingt fois dans la glace.

Il arriva tout près du lit, replaça le peignoir sur un fauteuil et alluma une bougie pour remplacer celle qui venait de s’éteindre.

–On dirait que je te fais peur? soupira Rosette en passant ses bras autour du cou de son mari.

–Tu ne me détestes plus, alors!

–Mais, mon ami.

–C’est qu’il faut que je te fasse un aveu. Tu me pardonneras? J’ai écouté à ta porte. Tu parlais avec beaucoup d’exaltation.

–Moi?. Je ne me souviens pas.

–Vois-tu, Rosette, la vie n’est pas telle qu’on la dépeint dans les livres; tous les romans sont faits à plaisir. ils mentent tous. L’existence heureuse est celle qui se passe auprès d’une femme aimée et qui vous aime toujours. d’une compagne qui a droit au respect du monde. Il faut être honnête et chasser les rêves insensés. Tout est là.

–C’est vrai, Prosper. Je lis beaucoup trop de romans; mon imagination s’égare. Tu es le meilleur des hommes et je me repentais déjà de t’avoir congédié si brusquement.

–Il faut laisser de côté les romans et reprendre ton piano: cela te distrairait.

–Je suis un peu rouillée avec la musique.

–Les dames Castel disent que tu as de très bonnes dispositions. Ce serait l’affaire de quelques gammes… mademoiselle Millaud ne refuserait pas de venir ici. et puis, tu seras bien obligée de donner des leçons à notre petite Andrée.

–J’essayerai, puisque cela te fait plaisir.

–Ton mari n’est pas méchant, Rosette; ce serait mal à toi de lui faire de la peine. Nous avons été si heureux depuis quatre années!.

–Nous le serons encore.

–Que veux-tu? Moi, j’ai toujours été courbé sur les dossiers et je ne sais pas prendre les bonnes manières.

–Je t’aime comme tu es, Prosper.

–Bien vrai?

–Tiens.

Et elle l’enlaça avec une irritation subite qui se calma tout à coup.

–Je suis encore souffrante, Prosper. Ce n’est pas de ma faute, va. Adieu, c’est le sommeil qui me gagne; adieu.

–Adieu, femme; je t’aime bien.

Il se retira à pas lents, se détournant de temps à autre pour la contempler dans son abandon. La jeune femme s’était assoupie, les bras nonchalamment renversés, la tête amoureusement inclinée, la bouche souriante: Prosper se rendit à son étude, le cœur rasséréné et plein d’ardeur au travail.

Depuis que les époux Parent habitaient leur nouvelle maison, les Bérias venaient rarement à Saint-Cyprien. François ne pouvait oublier que, certain jour de marché, sa fille Rosette l’avait tout doucement conduit à la table de la cuisine en lui disant qu’on était au dessert, qu’on avait des invités et que cela ne plairait pas à tout le monde de voir reparaître la soupe. Le paysan s’était assis avec les domestiques, et on lui avait réservé un bout de table recouvert d’une nappe.

La Jeanneton rougissait de la façon dont on traitait son homme.

–Tu es un lâche! Tu aurais dû aller en plein salon faire une scène à tous ces beaux messieurs et à toutes ces belles dames. C’est une infamie! Nous qui nous sommes arraché les morceaux de la bouche pour faire un sort à notre fille! C’est pour elle que nous avons peiné, mon homme. Le bon Dieu la punira.

Mais Rosette revint à la Croix-du-Jarry, et la colère de la mère Jeanneton s’apaisa.

L’instinct de la maternité avait eu raison des aspirations fougueuses de la jeune femme. Elle adorait sa fille, était heureuse de l’habiller elle-même et de jouer à la petite maman. Au village, elle portait des robes très simples, boutonnant haut, et les poules que la grande dame avait chassées retrouvaient l’amie d’autrefois et luttaient de battements d’ailes et de gloussements: c’était comme une revanche des caresses oubliées au moment où la joyeuse volaille prenait son essor pour s’abattre lourdement, à l’heure du repos, dans le feuillage du marronnier de la cour.

Rosette questionnait Andrée, faisait elle-même les réponses avec une voix enfantine; et, heureuse d’être débarrassée des tracas de la ville, des conversations, des corvées des visites, dans une maison blanche qui jurait avec le luxe de son appartement de Saint-Cyprien, elle ne voyait rien au delà du chant des oiseaux qu’elle excitait et des fleurs des champs dont elle faisait sa parure.

Madame Parent recevait chaque matin un mot d’amour de son mari, bien privé de son absence mais bien heureux de la savoir heureuse. Les lettres de cet honnête homme lui faisaient du bien: elle pro mettait de devenir économe, de s’occuper de l’éducation de sa fille. Il suffisait d’une invitation à un bal pour que tout ses projets d’honnête femme s’évanouissent: elle écrivit dix lettres à Paris pour son costume, inquiète de savoir qu’elles seraient les toilettes des dames, avec la pensée de briller au premier rang des danseuses.

–Notre fille se range, faisait Bérias à sa femme.

–Tu crois cela. Regarde.

Et il regardait, en effet, le vieux paysan, sa fille Rosette, qui accourait devant eux pleine de fièvre:

–Je retourne à Saint-Cyprien. Il doit y avoir un bal; si j’y manquais, ces dames seraient trop contentes.

Tête à l'envers

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