Читать книгу La Presse Clandestine dans la Belgique Occupée - Jean Massart - Страница 9

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Vous ferez bien de faire comprendre cela aux Français et aux Anglais pour leur faire abandonner leurs illusions stupides.

En France et en Angleterre, le peuple ne sait pas cela par la suppression des journaux allemands.

Maintenant il faut que je finisse, nous espérons que vous recevrez cette lettre, et nous serions charmés de recevoir de vos nouvelles de toi et de Jeanne. Amitiés aussi de la part de mon mari.

Ta nièce: Elza.

Extrait d'une lettre privée de Mlles Y et Z.

12 février 1915.

...Nous avouons avoir été surprises de ce que, malgré la lecture de la brochure Die Wahrheit über den Krieg, que nous t'avons envoyée, tu sois tout de même d'un avis opposé au nôtre. Tu devrais cependant te souvenir de ce que, de tout temps, les qualités dominantes des Allemands ont toujours été: la sincérité et la vérité. Tu peux donc avoir une confiance absolue dans l'exposé de la brochure en question et dans le Livre Blanc allemand, et y croire. Après la fin de cette guerre, imposée à nous de façon scélérate, vous aussi, vous aurez des éclaircissements sur les points qui vous sont encore obscurs et vous reconnaîtrez la vérité.

...Nous sentons parfaitement combien le pain blanc habituel vous manquera; la dernière récolte du froment a-t-elle donc été si mauvaise chez vous? A ce point de vue nous ne manquons absolument de rien en Allemagne et l'on ne s'aperçoit pas non plus d'un renchérissement quelconque; ceci est un grand bonheur... .

Carte reçue à Bruxelles en janvier 1915.

Cher Comment allez-vous? Bien, j'espère. Mon mari va bien aussi, il a été blessé d'une balle dans la jambe, mais il est en voie de guérison. A Bruxelles tout est sans doute tranquille. En Belgique, les Anglais vous ont trahis et vendus. Ce sont de mauvais génies. C'est au roi Albert que vous devez cela. Pourquoi n'a-t-il pas laissé passer les Allemands? Léopold aurait arrangé cela autrement. N'ayez aucune crainte, les Allemands ne font de mal à personne, à moins que ce ne soit juste.

Mes amitiés chez vous.

2. Les imprimés allemands vendus en Belgique.

Plus personne au monde ne doute de la valeur documentaire des journaux d'outre-Rhin: on les sait sous la coupe de leur censure, ce qui est tout dire. Pourtant, un point qu'on ignore généralement, c'est que certaines de ces feuilles publient deux numéros différents: l'un pour le front orienta], l'autre pour le front occidental. La Libre Belgique a reproduit en fac-similé les en-têtes des deux numéros du 14 juillet 1915 (édition du soir) de Düsseldorfer General Anzeiger.

Les procédés de leur presse.

Même date, même édition (Abend-Ausgabe). Les deuxième, troisième et quatrième pages des deux numéros sont identiques. Seule, la première page diffère suivant le public auquel le journal est destiné.

Le numéro à envoyer au front de l'Ouest porte en manchette: «La Russie mûrit pour la paix». Il contient des nouvelles sur la Russie que l'autre ne reproduit pas.

Le numéro destiné au front russe porte: «Nouvelle avance allemande en Argonne».

* * *

C'est par une erreur de la poste qu'un ballot de la seconde espèce est venu s'égarer en Belgique.

(La Libre Belgique, n° 41, août 1915, p. 4.)

Nous donnons en fac-similé (pl. XIV) les deux numéros 314 du 19 juillet 1915 (édition du soir). Qu'on ne s'y trompe pas. Il s'agit bien réellement de numéros distincts (tout au moins par leur première page), et non, comme on pourrait le supposer, de numéros qui seraient simplement antidatés pour l'un des fronts. Nous avons pu nous assurer que les articles Friedenspropaganda in England et Der Bergarbeiterstreik in Wales figurant à la page 1 du numéro 314 envoyé au front russe, n'ont jamais paru dans ceux qu'on vendait en Belgique.

Les bibliothèques des gares et les aubettes sur toutes les places de Bruxelles nous offrent aussi des illustrés. Les deux plus connus sont Die Woche et Berliner Illustrirte Zeitung. Les photos reproduites sur les planches XI et XII indiquent quel genre de renseignements ils nous fournissent.

Die Woche nous montre, par exemple, les incendies allumés par l'armée allemande à Liège (pl. Xl) Nous avons appris ainsi que, le 20 août 1914, il y avait quatre cents étudiants russes, armés de fusils, qui tiraient des maisons situées en face de l'Université, alors que celle-ci était occupée par les troupes allemandes. Quelle stupidité, n'est-ce pas, de la part de ces étudiants! Il est vrai que plus tard l'Allemagne a dû officiellement reconnaître que ces quatre cents francs-tireurs avaient été inventés pour les besoins de la cause. En effet, aucun Russe ne figure sur la liste des fusillés de Liège, preuve qu'ils ne purent être le moins du monde suspectés d'avoir pris part à la simili-agression de francs-tireurs. Mieux encore: quelques jours plus tard, l'affiche suivante fut placardée en ville (nous la copions dans G. SOMVILLE, Vers Liège: le chemin du crime, août 1914, p. 272):

Six cents étudiants russes qui, jusqu'ici, ont été à la charge de la population de Liège, à laquelle ils ont fait beaucoup de difficultés, ont été arrêtés et renvoyés par moi.

Le Général-Lieutenant Gouverneur.

Si ces étudiants avaient pu être accusés d'avoir tiré contre les troupes allemandes, l'affiche l'aurait constaté en grandes lettres, et ils ne s'en seraient pas tirés avec un internement dans le camp de Münster.

Le même journal nous a appris, à nous Bruxellois, que des otages avaient été pris à Woluwe (pl. XI), une localité suburbaine d'où chaque matin les laitières viennent en ville avec leurs charrettes à chiens. Elles ne nous avaient jamais rien dit de semblable!

Si les pauvres paysans, fuyant leurs villages décimés et incendiés, ne nous avaient pas dépeint la férocité des soldats allemands, Berliner Illustrirte Zeitung, dans le tout premier numéro qui fut vendu à Bruxelles, nous aurait édifiés (pl. XII). Il nous faisait voir en effet les femmes d'un village emmenées prisonnières. Les hommes étaient-ils déjà fusillés?

Après avoir massacré plus de cinq mille de nos compatriotes et après avoir brûlé vingt-six mille maisons, sous prétexte que les Belges avaient organisé des bandes de francs-tireurs, l'Allemagne a pris soin de nous mettre sous les yeux la façon dont ses alliés austro-hongrois s'y prennent pour armer les paysans ruthènes. Berliner Illustrirte Zeitung du 16 mai 1915 publie le portrait d'un officier donnant des instructions à un paysan armé (pl. XII). Les Kulturés peuvent faire cela!

À côté du cynisme, mentionnons le ridicule. Dans ce domaine, la palme ne peut pas être raisonnablement disputée à Illustrierter Kriegskurier, un journal semi-officiel dont les seize pages ne coûtent que cinq centimes; les explications sont données en allemand, flamand et français. Un seul exemple suffira. Son numéro 3 donne trois figures représentant «L'entrée de la division de marins allemands à Anvers». A peine le journal fut-il mis en vente que tout Bruxelles éclata de rire; on allait, l'illustré en main, se poster au coin de la rue de la Loi et de la rue Royale, pour montrer aux passants que c'était là, et non à Anvers, que les photos avaient été prises.

Les échoppes allemandes vendent également des livres. Ce sont d'abord des récits de guerre, par exemple les ouvrages de F. von Zobeltitz, P. Höcker, v. Gottberg, H. Osman, W. v. Trotha, etc. Puis des livres de propagande: Die Eroberang Belgiens; Lüttich; Antwerpen, etc.

Le trait suivant montre combien ces ouvrages sont véridiques:

Un éditeur de Leipzig a publié dernièrement un ouvrage dans lequel étaient reproduites et amplifiées les grossières accusations d'atrocités dirigées contre notre pays, dès l'origine du conflit, par la presse teutonne. Un chapitre spécial de cette publication était consacré à la ville d'Anvers. On y accusait la population de s'être livrée à des sévices graves, d'avoir jeté des femmes et des enfants par les fenêtres, etc. On ajoutait même ce détail précis qu'à l'avenue De Keyser on n'avait pas relevé moins de trente cadavres allemands!

Justement émue de la publicité donnée à de tels racontars et désireuse en même temps de clouer une bonne fois les calomniateurs de la Belgique, la ville d'Anvers avait décidé d'intenter un procès, en 100.000 francs de dommages et intérêts, à l'éditeur du libelle.

Mais l'autorité allemande veillait... Avertie des intentions de la ville et craignant le retentissement que les débats d'un pareil procès, où serait prise sur le vif la bassesse des procédés chers aux calomniateurs d'outre-Rhin, ne manquerait pas d'avoir à l'étranger, elle a adressé à l'Administration communale de la métropole une lettre par laquelle elle lui interdit, pour des raisons politiques, de faire le procès.

On ne saurait reconnaître ses torts avec plus d'étourderie et d'ingénuité.

(La Libre Belgique, n° 80, d'après Le Courrier de l'Armée, n° 229, 3 août 1916.)

On vend aussi en Belgique des réponses allemandes, mais en français, à des livres que nous ne pouvons obtenir que par fraude, par exemple ceux de M. Waxweiler (voir p. 5 et 8) et de Mgr Baudrillart (voir p. 39).

La Belgique coupable.

Sous ce titre vient de paraître à Berlin, sous la signature de M. Grasshoff, une brochure en réponse à celle de M. Waxweiler, La Belgique neutre et loyale.

Puisque notre excellent gouverneur est assez aimable pour permettre qu'on mette à la disposition des Belges la réponse à M. Waxweiler, il nous semble qu'il ne serait que de stricte justice de nous permettre la lecture de l'ouvrage lui-même. Jusqu'ici, seuls quelques privilégiés ont pu se le procurer, au prix Dieu sait de quelles ruses et de quels dangers. Connaissant les sentiments de haute loyauté du gouvernement qui nous régit, nous sommes certains de voir dans quelques jours étalées côte à côte aux vitrines des libraires les deux brochures.

En attendant, nous nous demandons si ce n'a pas été pour l'auteur une bien mauvaise spéculation que de faire traduire son oeuvre en français. En effet, si ses arguments ont peut-être quelque valeur aux yeux des Allemands, nous doutons qu'ils en aient pour les Belges, qui ont vu, de leurs yeux vu, ce qui s'est passé lors de l'invasion du pays.

Habitants de Louvain, de Dinant, de Tamines, d'Aerschot et vous tous, Belges,—car qui ne compte parmi ses proches ou ses amis au moins une victime des barbares—lisez ces extraits des rapports de soldats allemands et dites-moi si, après cette lecture, vous n'êtes pas indignés et stupéfaits devant l'audace de pareils mensonges:

1° A Louvain,

«Il est faux qu'une désignation arbitraire des personnes inculpées ait réglé le sort de celles qui furent fusillées. Une rigoureuse légalité présidait au contraire aux interrogatoires. Je fus chargé de fouiller les gens pour m'assurer s'ils étaient porteurs d'armes, et j'en trouvai beaucoup dans ce cas. Je fus chargé en outre de voir si les personnes inculpées étaient des soldats belges déguisés, chose facile à constater au moyen de la plaque d'identité individuelle. Sur un grand nombre des inculpés, je trouvai la plaque d'identité militaire dans la poche ou dans le porte-monnaie. Le capitaine Albrecht, qui dirigeait l'enquête, procéda de telle sorte qu'il ordonna de fusiller les inculpés trouvés porteurs d'une arme ou d'une plaque d'identité militaire, ou ceux contre lesquels il était attesté par au moins deux témoins, soit qu'ils avaient tiré eux-mêmes sur les troupes allemandes, soit qu'ils avaient été pris dans une maison d'où l'on avait fait feu contre elles. D'après ma ferme conviction, il est absolument impossible que des gens complètement innocents aient perdu la vie ainsi.»

2° A Andenne.

«A notre arrivée dans cette localité, un signal fut donné par la cloche de l'église, à 6h 30 du soir, et au même instant les persiennes en fer de toutes les maisons s'abaissèrent; les habitants, stationnant jusque-là dans la rue, disparurent, et l'on tira sur mes troupes de tous les côtés, mais surtout des soupiraux des caves et d'ouvertures pratiquées dans les toits en enlevant des tuiles. En outre, d'un grand nombre de maisons, on versa de l'eau bouillante sur nos soldats. A la suite de ce guet-apens que la conduite de mes hommes ne justifiait en rien, un combat acharné de rues s'engagea entre eux et la population civile. La preuve qu'il s'agissait bien d'un plan concerté à l'avance, auquel prit part presque toute la population d'Andenne et de la banlieue, c'est que 100—cent—de mes hommes furent blessés rien que par les brûlures provenant de l'eau bouillante.

3° A Dinant.

«Des parents, au dire d'un bourgeois de la ville, mirent entre les mains d'enfants de dix à douze ans des revolvers pour tirer sur les troupes allemandes. Un petit garçon, arrêté, puis relâché en raison de son jeune âge, se vantait lui-même d'avoir abattu cinq Allemands.»

Sans commentaire.

Quant aux pillages, sachez qu'ils sont uniquement l'oeuvre des Belges, des Français et des Anglais surtout.

Tongrois, vous vous êtes complètement mépris; je croirais même que vous avez rêvé en croyant avoir vu votre argenterie rangée bien méthodiquement, sur les trottoirs de vos maisons, avant d'être emballée et expédiée. C'est pour vous faire faire une cure d'air très salutaire, à vous et à vos enfants, qu'on vous a fait loger à la belle étoile pendant deux nuits. Et si, à votre retour, vous avez trouvé vos maisons plus ou moins dévalisées, les soldats allemands n'y sont pour rien, prenez-vous-en aux bandes de voleurs qui pullulent en Belgique.

M. Grasshoff ne nous dit pas comment ces voleurs ont pu rester en ville ou s'y introduire, puisque tous les habitants en avaient été chassés et que les Allemands veillaient soigneusement à ce que personne n'y entrât. Il oublie de nous expliquer ce détail. Il oublie d'ailleurs de nous parler de Tongres à propos des pillages, de Malines aussi. C'est un chapitre un peu «brossé» de son ouvrage que celui-là. Il est vrai qu'il a oublié bien des choses, entre autres de répondre à M. Waxweiler au sujet du Code de guerre de l'État-major, des commentaires de ce code, faits par des juristes allemands. Ce point forme cependant une des bases de l'argumentation de M. Waxweiler, où il prouve que les massacres et les cruautés allemandes ne sont que l'application logique des principes de ce code. Ainsi il prouve aussi que, contrairement aux excès et abus qui peuvent exceptionnellement se produire dans toute armée, les atrocités allemandes étaient commandées.

Mais, au fait, est-il bien certain que M. Grasshoff ait lu l'ouvrage de M. Waxweiler? Nous nous le demandons, tant il laisse de points importants dans l'ombre.

* * *

La Belgique coupable doit évidemment nous parler de la violation de la neutralité belge. Ici nous devons avouer que l'auteur a découvert après un an quelque chose de neuf et de réellement sensationnel. Nous savions que tous les Allemands (eux seuls bien entendu) étaient convaincus, ou feignaient de l'être, que des avions avaient survolé la Belgique et que des soldats français étaient cachés dans les forts de Liège. Eh bien! il y a plus fort que cela: 8.000 hommes, deux régiments de dragons et des batteries étaient à Bouillon et aux environs le 31 juillet. Personne ne les a vus, mais c'est comme cela, puisque deux prisonniers l'affirment; ils disent même que la population belge leur a fait un excellent accueil. Comment le témoignage de ces prisonniers a-t-il été obtenu? C'est la question que se poseront peut-être les lecteurs neutres? Ici, en Belgique, nous nous en doutons bien un peu, nous connaissons par expérience l'enquête au revolver, l'interrogatoire avec menace de mort ou après épuisement par la faim. Nous connaissons tous ces beaux expédients de la «justice boche». Autre preuve de la violation: Il parait qu'on a vu, le 26 juillet, à Bruxelles—écoutez bien—deux officiers français et un officier anglais en uniforme. Évidemment, ces messieurs ne pouvaient venir ici que pour conférer avec notre État-major. Seulement, Messieurs nos alliés avant la lettre, pourquoi êtes-vous venus en uniforme pour une mission secrète? Franchement, quelle légèreté! On voit bien que vous n'êtes pas Allemands.

Et maintenant, chers lecteurs, si vous n'êtes pas convaincus que les Français et les Anglais ont violé notre neutralité les premiers et que nous aurions dû recevoir les Allemands à bras ouverts, c'est que vous êtes des raisonneurs. Sous le régime nouveau, on apprendra à votre esprit à se faire, plus vite que cela, une conviction selon la discipline.

Avant de terminer ce chapitre, constatons encore un «oubli» de notre auteur: il ne souffle mot de l'aveu du chancelier. Cet aveu a pourtant quelque importance, quand il s'agit de discuter la question de la violation de la neutralité belge. Mais ce qu'il n'oublie pas, c'est de nous ressasser l'histoire des fameuses conventions anglo-belges. Nous ne fatiguerons pas nos lecteurs en la réfutant à nouveau.

* * *

La Belgique coupable va nous apprendre encore autre chose de neuf: Vous n'êtes pas sans avoir entendu parler de la guerre des francs-tireurs, la guerre nationale, comme l'appelle M. Grasshoff, le grand cheval de bataille des ennemis de notre pays quand il s'agit d'excuser les massacres de leur armée.

Mais ce que vous ne saviez peut-être pas, c'est que cette guerre de francs-tireurs avait été prévue et préparée par le Gouvernement, ainsi que d'ailleurs aussi la Commission d'enquête sur la violation du droit des gens, et la campagne de «calomnies» contre l'armée allemande. Peut-être même, mais M. Grasshoff n'en est pas très sûr, les conventions anglo-belges prévoyaient-elles déjà toute cette organisation défensive de la Belgique. Dans le doute cependant, l'auteur veut bien, généreusement, dégager la responsabilité de l'Angleterre dans cette affaire et la laisser tout entière au Gouvernement belge.

Il voit la preuve de ce qu'il avance dans toutes les circulaires au sujet de la garde civique. Pour lui, garde civique non active et franc-tireur ne font qu'un ou à peu près. Et pourtant, comme l'a si bien démontré M. Waxweiler, cette garde civique des campagnes eût-elle fait le coup de feu, ce qui est faux, qu'elle n'eût simplement usé que des droits que lui conféraient les conventions de La Haye.

Mais même la circulaire de M. le ministre Berryer aux administrations communales, cette circulaire qui résume si admirablement les devoirs tant envers l'autorité occupante qu'envers l'autorité légitime, est imputée à crime. Pourquoi M. Grasshoff n'admet-il pas qu'on appelle «seul légitime» le Gouvernement du Roi? Nous l'avons relue, cette circulaire, et les phrases soulignées à dessein par M. Grasshoff nous ont seulement prouvé une fois de plus le désir du Gouvernement d'observer et de faire observer la stricte légalité et de rappeler aux autorités quels étaient leurs devoirs.

Il y a encore le petit avis affiché partout et reproduit par tous les journaux pour recommander le calme aux populations. Vous vous rappelez sans doute cette phrase: «L'acte de violence commis par un seul civil serait un véritable crime que la loi punit, etc.» Or, voici ce que l'imagination de M. Grasshoff en tire:

«Le terme de un seul civil, employé dans cette proclamation, frappe déjà par la double interprétation qu'il est possible de lui donner. Ce seul civil, auquel il est défendu de tirer, fait naître facilement dans le cerveau d'un homme simple la pensée qu'il est permis de tirer si l'on se met deux ou trois.»

Péremptoire, n'est-ce pas? Ça vous la coupe, littéralement. Quant à la Commission d'enquête, il paraît, c'est toujours M. Grasshoff qui le dit, que «son invitation à rapporter des cruautés allemandes précédait la possibilité matérielle de leur exécution».

La vérité est que la Commission a été fondée le 8, et l'on sait avec quelle désinvolture, avec quelle barbarie, les lois de la guerre avaient été violées par les troupes allemandes entre le 4 et le 7 août, à la frontière.

*

* *

Il est superflu de dire que nous n'avons pu relever ici toutes les erreurs et contre-vérités contenues dans l'ouvrage de M. Grasshoff. Nous avons voulu seulement montrer de quelle valeur sont ses arguments et les témoignages qu'il invoque. Nous nous permettons, à ce propos, de lui faire remarquer—bien humblement, car nous ne sommes docteur ni en droit ni en philosophie allemande—qu'il n'est pas logique de donner tant d'importance, quand il s'agit des francs-tireurs, à des récits de neutres basés entre autres sur de simples propos entendus en tramway, alors qu'on vient de montrer, à propos des atrocités allemandes, quel fond il convient de faire sur des récits colportés de bouche en bouche. Nous lui dirons aussi qu'un Allemand est mal venu à se moquer des erreurs de détail de la presse adverse, alors qu'on sait les bourdes kolossales répandues par les journaux boches: témoin, pour n'en citer qu'une seule, l'histoire de la prise de Bruxelles après un combat acharné et une résistance désespérée de plusieurs jours!

C'est dans un des récits de neutres dont nous venons de parler que nous avons trouvé ce détail,—sans importance d'ailleurs—qui nous a fait sourire: «A Nieuport, dans une villa occupée par les soldats belges, les cabinets d'aisances étaient bouchés.» Horreur!!! Eh bien! nous vous l'accordons volontiers, les soldats allemands n'auraient pas fait cela, ils ont bien trop le respect—comme leurs officiers aussi—de ce petit endroit. Ils le respectent même à ce point qu'ils n'osent pas en franchir le seuil et préfèrent réserver à cet usage la fine porcelaine, les cristaux, les couvertures, les lits et les tapis, voire même les boîtes à provisions.

*

* *

Nous ne pouvons mieux terminer cet article qu'en reproduisant quelques-unes des conclusions de l'ouvrage de M. Grasshoff:

«Deux cent trente-cinq localités, dont la position géographique est facile à trouver, ont servi de repaires aux francs-tireurs, à celles-ci s'en ajoutent quarante-six autres dont nous n'avons pas pu déterminer l'emplacement sur les cartes à notre disposition, en général à cause de l'écriture défectueuse. Le passage de l'armée allemande en Belgique a été un véritable calvaire, dont pouvait seule triompher une discipline à toute épreuve....

«Il n'existe pas dans le monde entier une seule armée qui soit en état d'user de mesures plus douces que celles dont nous avons usé. Leur exécution a sauvé la Belgique centrale et occidentale de la destruction inévitable qu'entraînent forcément les combats de rues.

«On est étonné, à la lecture des dossiers de la justice allemande dans les territoires occupés, de la prédominance du nombre des acquittements; les méfaits des habitants des territoires en question sont jugés avec la rigoureuse impartialité de la conscience allemande. ............................ «Nous voici au terme de cette étude. Détournons nos regards du passé pour envisager l'avenir. Le printemps est encore une fois de retour. Derrière le front où luttent les armées, la main nerveuse du soldat allemand dirige la charrue dans les champs de la Belgique, pour fournir du pain non à sa propre famille, mais au peuple belge, indignement trahi par son Gouvernement et voué aux horreurs de la famine par ses bons amis d'Angleterre. De toutes parts, l'assiduité allemande s'efforce de réveiller l'âme belge assoupie et de la réchauffer sous son souffie, comme elle était avant la guerre. Nous ne nous inquiétons guère des continuelles piailleries dont L'Écho belge fait retentir ses colonnes, remplies des sempiternels méfaits des Barbares. Elles ne peuvent troubler notre oeuvre. Nous portons en nous le sentiment du devoir qui, d'après Kant, constitue le seul idéal humain, la seule valeur propre de l'homme. Cette guerre à laquelle nous avons été contraints nous impose le devoir de réaliser la liberté de la patrie, la liberté du genre humain. Ce devoir, nous le remplirons!

«M. Waxweiler saura-t-il s'arracher à son repos et participer à la lourde tâche de rendre à la Belgique sa prospérité? Le jour vient où ce pauvre peuple, si mal gouverné, sortira de son ignorance, et distinguera enfin le bon grain de l'ivraie parmi ceux qui se flattent de présider à ses destinées.

«Pour l'Allemagne, il n'existe qu'une devise:

«Sit ut est aut non sit. Erit in aevum!»

Mais on reste rêveur en pensant à quel degré d'ignorance de la vérité la nation allemande est encore, pour avaler de telles bourdes.

B.A.R.F.

(La Libre Belgique, n° 46, septembre 1915, p. 2, col. 1.)

Le veuvage de la vérité.

L'autorité allemande répand à profusion dans le pays une édition française de la réponse des catholiques allemands au manifeste des catholiques français, réponse rédigée, comme l'on sait, par M. l'abbé Rosenberg et contresignée par un régiment de notabilités qui ne l'ont pas lue. Avec cette naïveté obtuse qui est au fond de leur jactance et de leur cynisme, nos maîtres se figurent, apparemment, que ce factum, destiné à tromper les étrangers, va nous tromper nous-mêmes et nous faire oublier le témoignage de notre conscience et de nos yeux. Tel un malfaiteur que l'habitude du mensonge, tournant à la démence, pousserait à endoctriner sa victime elle-même. Devant des lecteurs belges, ce triste plaidoyer n'appelle aucune espèce de réfutation. Mais, pour un bon nombre d'entre eux, ce sera un vrai soulagement d'apprendre que cette apologie diffamatoire a déjà reçu son châtiment. Un neutre, de langue allemande, M. Em. Prüm, bourgmestre de Clervaux (grand-duché de Luxembourg), l'a réfutée de maîtresse et vengeresse façon dans un petit livre intitulé Le Veuvage de la Vérité (Der Witwenstand der Wahrheit): c'est l'expression même dont un écrivain allemand s'était servi pour caractériser la facilité avec laquelle le mensonge se fait accepter aujourd'hui. Bien ou mal trouvée, cette métaphore sentimentale n'est que trop juste en ce qui concerne l'Allemagne: la vérité y est veuve et de plus reniée par ses enfants!

M. Prüm est un catholique militant. Sa courageuse brochure, destinée aux catholiques de tous les pays, s'adresse en tout premier lieu à ses compatriotes, que des liens étroits et nombreux unissaient, comme lui, au centre allemand: elle est donc écrite du même point de vue où ceux qu'elle réfute ont voulu se mettre, ce qui, dans l'espèce, est une circonstance très aggravante de leur mauvaise action. A cet égard, elle intéresse tous les Belges sans distinction d'opinion. Ils seront heureux d'y voir jusqu'à quel point MM. Rosenberg et ses cosignataires ont réussi à révolter un de leurs meilleurs amis. Quant à l'autorité allemande, elle a, nous assure-t-on, fait à M. Prüm une réponse digne d'elle et de lui: elle l'a mis en prison du chef de publicité séditieuse. «Brigadier, vous avez raison!...» Mais ce n'est pas là ce qui ressuscitera le défunt dont la vérité allemande porte le deuil!

BELGA.

(La Libre Belgique, d'après L'Écho belge, 13 mars 1916.)

Les plus perfides de ces brochures et de ces livres sont ceux qui se prétendent écrits par de bons patriotes belges, mais qui sont sans aucun doute l'oeuvre d'Allemands déguisés.

Tartuferie tudesque.

Nous avons eu le courage de lire jusqu'au bout trois petits opuscules d'un Teuton, caché sous le masque d'un philanthrope, malgré les nausées que nous donnait la lecture de ces lignes distillant le fiel et le poison. Ces compositions sont intitulées: «Lettre ouverte au peuple belge.» L'auteur, qui garde courageusement l'anonymat, prévient le lecteur qu'il se bouchera les oreilles et qu'il laissera crier. Soit, c'est son droit, tout comme les Belges qui liront ces élucubrations pourront se boucher le nez, car elles dégagent une telle infection qu'il est bon de recourir à un antiseptique après les avoir parcourues.

Nous citerons deux ou trois phrases pour montrer jusqu'à quel degré peut aller la décomposition cérébrale chez certains individus, avant qu'ils ne soient inquiétés par les médecins aliénistes ou par les services sanitaires.

Il (notre Roi) devrait demander la paix avec l'Allemagne. Assez de: sang belge; maris, épouses, mères, frères, soeurs, fiancées, amis, je vous en conjure, au nom de l'humanité, demandez la paix, demandez tout au moins à pouvoir adresser au chef de ses armées une supplique pour l'obtention d'un armistice... Offrons le Congo comme rançon de notre indépendance... Qui sait si, lors de la conclusion de la paix, cette attitude ne nous vaudra pas un traitement favorable, peut-être tiendra-t-il compte (il, c'est Attila) de notre soumission, etc.

Ce passage est choisi parmi les moins veules, parmi les moins ignobles, car il y en a que nous n'osons transcrire par respect pour le lecteur.

Mais il n'y a en tout cela qu'une chose qui nous déconcerte; c'est que cet anonyme—dont la nationalité ne laisse subsister aucun doute—soit parvenu à trouver un imprimeur.

De deux choses l'une: ou l'imprimeur a été forcé de s'exécuter ou il a agi de plein gré et, en ce dernier cas, il n'y a qu'un jugement à émettre, c'est qu'il forme le «pendant» du «philanthrope».

(La Libre Belgique, n° 39, août 1915, p. 3, col. 2.)

La Libre Belgique ignorait qui avait imprimé ce factum. M. Passelecq nous l'apprend:

Parmi ces pamphlets, citons une série de trois «Lettres ouvertes au peuple belge» par «Un Philanthrope», portant comme nom d'éditeur: «Van Moer, rue Euphrasie (sic) Beernaert, Ostende». Or il n'existe pas d'imprimeur de ce nom rue Euphrosine-Beernaert, à Ostende. Les faussaires allemands avaient donc emprunté un nom belge pour donner le change au public. D'une enquête faite par le Parquet de Bruxelles, il résulte que les pamphlets en question ont eu pour imprimeur un sieur Kropp, Allemand, rue de Ruysdael, à Molenbeek-Saint-Jean (Bruxelles), qui éditait, avant la guerre, la Brüsseler Zeitung, organe allemand hebdomadaire; il est actuellement l'éditeur attitré de la Kommandantur et imprime, entre autres publications suspectes, le journal germano-flamand Gazet van Brussel.

(PASSELECQ, Pour teutoniser la Belgique, p. 41, en note. Paris, Bloud et Gay, 1916.)

Enfin, il y a encore les cartes postales illustrées. A côté de nombreuses images sentimentales (de cette sentimentalité bébête, propre à l'Allemagne), il en est qui ambitionnent d'être prises pour des documents. Elles nous montrent, par exemple, «les uhlans devant Paris» regardant la tour Eiffel 20, ou «l'assaut de la forteresse de Liège» (on sait que Liège est une ville ouverte, sans aucun rempart ni fortification). Signalons aussi la carte représentant les «combats dans les rues de Louvain», où l'on assiste à la furieuse attaque des francs-tireurs (pl. XVI). Cette carte a valu une condamnation à un magistrat bruxellois, M. Ernst.

20 [ Comment les Belges résistent..., fig. 18.]

La douloureuse aventure d'un magistrat bruxellois.

Lecteurs, amis de La Libre Belgique, écoutez, pour votre esbaudissement, cette aventure dont un de nos plus sympathiques magistrats bruxellois fut à la fois le héros et la victime. L'aventure est du reste suggestive à des titres divers; elle montre à quel régime de schlague nous soumettraient les Boches s'ils pouvaient s'en donner à coeur joie; elle montre aussi combien ils excellent dans l'art cauteleux d'inventer des préventions et de battre monnaie à l'occasion d'un délit imaginaire.

Or donc, flânant il y a quelque temps au boulevard du Nord, notre magistrat découvre à la vitrine d'une Deutsche Buchhandlung une carte postale représentant le sac de Louvain. Avec la précision (?) du document photographique, la carte montrait les civils de Louvain embusqués à tous les coins de rue et faisant traîtreusement le coup de feu sur les braves soldats allemands. Un document, à coup sûr, dont, sans doute, les Herren Professoren feront leur profit pour justifier et blanchir l'Allemagne, champion attitré des droits de l'humanité et de l'honneur guerrier. Mais, sceptique par profession et très averti des truquages de la photographie, notre magistrat se fit cette sage réflexion qu'il n'était guère vraisemblable qu'un photographe se fût trouvé là à point donné, le 25 août, et il se douta d'une supercherie. Le calcul était sage. Un examen plus attentif lui fit constater que la supercherie se sentait à plein nez et, dans son zèle évidemment intempestif pour la vérité, notre magistrat fit part de sa découverte au marchand.

Vous croyez que l'honnête commerçant s'inclina? Point: il se fâcha. Et comme le magistrat avait l'air de s'obstiner dans ses remontrances, il héla des soldats allemands de passage et fit empoigner le juge. Le juge ne fut pas trop marri de cette aventure, mais il se demanda quelle en serait la suite.

La suite fut une mise en prévention du chef de—tenez-vous bien— violation de domicile!!! avec renvoi devant le tribunal militaire!!! La prévention était bouffonne, mais les tribunaux allemands ne sont pas délicats sur ce chapitre: ils participent bien de la mentalité allemande où tout se fait par ordre, et ils condamnèrent notre juge à 300 marks d'amende.

Notre juge répondit: «Moi, payer 300 marks d'amende? Je ne les ai pas!!»

Vous ne les avez pas? C'est bien invraisemblable, opina l'autorité allemande... Et le lendemain, au petit jour, se présentait au domicile du condamné un sous-off, flanqué de quatre pandores, baïonnette au canon. Le sous-off, qui sans doute dans le civil devait être quelque chose comme expert en meubles, procéda à une évaluation rapide et eut vite son choix fait. «Enlevez-moi ce bronze, dit-il à ses hommes, cette garniture de cheminée, ce sèvres...» Ses hommes obtempérèrent avec l'aisance de professionnels du déménagement. Si bien qu'on raflait au juge à peu près dix fois la valeur de la condamnation encourue. Ce que voyant, le juge dut bien capituler. Il trouva les 300 marks et les paya.

La justice allemande était satisfaite.

Peut-être. Elle est bien capable de trouver que la capitulation du juge bruxellois a été pour elle une mauvaise affaire.

(La Libre Belgique, n° 38, août 1915, p. 2, col. 2.)

3. Les journaux prétendument belges.

A Bruxelles, tous les journaux sans exception avaient refusé le contrôle allemand. Après une quinzaine de jours se créèrent de nouveaux journaux, soumis à la censure.

Dans le début, ces feuilles ne donnaient pas les communiqués officiels des Alliés. Mais après quelques semaines, la censure leur permettait d'en reproduire quelques passages. Pas toujours cependant, nous apprend l'entrefilet suivant:

Les communiqués français.

Nos lecteurs pourraient peut-être trouver étrange que nous ne publions plus régulièrement les communiqués officiels français. La raison en est bien simple. Il n'y en a plus ou presque plus.

C'est à peine si de temps en temps le Gouvernement publie quelques lignes.

Le prétexte donné c'est que l'on ne veut pas fournir d'indication aux Allemands sur les positions des troupes alliées et cacher les mouvements de celles-ci.

(Le Bruxellois, 24 octobre 1914.)

Voici un petit relevé, fait d'après Le Temps, qui permet de vérifier cette affirmation. Ajoutons que, dans aucun des communiqués français, il n'est dit que le Gouvernement veut cacher des mouvements de troupes.

Nombre de lignes des communiqués officiels français publiés par Le Temps:

Les communiqués du 15 octobre 1914 comptent 25 lignes.

- 16 - 12 -

- 17 - 18 -

- 18 - 18 -

- 19 - 30 -

- 20 - 29 -

- 21 - 16 -

- 22 - 24 -

- 23 - 43 -

Encore plus tard, les «communiqués officiels» furent tolérés. La photographie d'un journal de Bruxelles, tel qu'il revient de la censure (pl. XV), fera voir au lecteur comment celle-ci procède. Tout commentaire serait superflu.

Malheureusement pour les Allemands, nous continuons à recevoir des journaux français non tronqués, ce qui nous met à même de rétablir le texte authentique des communiqués et de constater du même coup l'imposture des feuilles soumises. Il faut croire que le gouvernement occupant se rendit compte de l'inutilité de son élagage, car, à partir de juillet-août 1915, les communiqués alliés paraissent généralement au complet dans les journaux de Bruxelles. Bien mieux, la Kölnische Zeitung elle-même en donne le texte à peine falsifié.

Toutefois, de nombreux articles sont chaque fois retranchés par les ciseaux de la censure. Au commencement, les journaux laissaient simplement des blancs à la place des mutilations. Mais le lecteur était ainsi averti du tripotage, chose que les Allemands ne peuvent pas admettre. Aussi font-ils publier à Bruxelles, à l'usage des quotidiens bâillonnés, deux journaux dactylographiés: Le Courrier belge. dont «tous les articles ont passé par la censure», et L'Hollando-Belge (sic), qui jouit des mêmes prérogatives. Les journaux châtrés sont tenus d'y découper des emplâtres ayant la surface voulue pour cacher l'amputation.

Voici un nouvel exemple de ce qui reste d'un texte après que la censure y a sévi:

Science allemande.

Genus mendacio natum.

On n'aura jamais fini de démasquer le système de réticences et de mensonges par lesquels le Gouvernement allemand essaie d'égarer l'opinion belge. Le système se développe sans cesse et trouve parfois, hélas, de tristes complicités parmi ceux qui se disaient hier nos compatriotes. En voici un nouvel exemple. J'ai sous les yeux deux volumes jaunes imprimés rue Van-Schoor, 32, à Bruxelles, et intitulés: Histoire de la Guerre de 1914-1915, d'après les documents officiels.

Pareil titre est une promesse, un engagement d'honneur... dans les pays sans «Kultur». Mais le livre est autorisé par le Gouvernement impérial, et qui dit «censure allemande» dit «falsification». Les documents des puissances centrales sont reproduits fidèlement et au complet (nous le supposons du moins). Quant aux documents des Alliés, qu'on juge, par cet exemple choisi entre cent, ce qu'ils deviennent dans une telle publication.

Il s'agit du rapport si connu de Sir Goschen, un des documents diplomatiques les plus importants de cette guerre. Extrayons-en une partie du récit de la fameuse entrevue avec M. von Bethmann-Hollweg. Nous donnons en regard le texte authentique et la rédaction frelatée que tolère la science loyale d'outre-Rhin.

TEXTE FALSIFIÉ (Histoire de la Guerre, I, p. 206 et suiv.) Je trouvai le chancelier dans une visible agitation. Son Excellence dit que la décision de S. M. Britannique était terrible. L'Angleterre allume la guerre entre deux nations soeurs qui ne désireraient au fond que de vivre en paix. Tous nos efforts ont été vains. Ce que vous faites dépasse toute imagination; vous faites le coup de l'homme qui attaque par derrière un autre déjà aux prises avec deux agresseurs. Je protestai vigoureusement contre ses arguments. TEXTE AUTHENTIQUE Je trouvai le chancelier dans une grande agitation. Son Excellence commença une harangue qui dura vingt minutes. Il me dit que la décision de S. M. Britannique était terrible. Tout cela pour un mot neutralité, un mot auquel en temps de guerre on n'a jamais fait attention, tout cela enfin pour un chiffon de papier. L'Angleterre allume la .guerre entre deux nations soeurs qui ne désireraient au fond que de vivre en paix. Tous nos efforts ont été vains. Toute ma politique s'écroule comme un château de cartes. Ce que vous faites dépasse toute imagination; vous faites le coup de l'homme qui attaque par derrière un autre déjà aux prises avec deux agresseurs. Je laissai passer l'orage, mais je protestai vigoureusement contre son langage. M. von Jagow m'a dit, lui répliquai-je, que, pour des raisons stratégiques qui sont pour vous une question de vie ou de mort, vous deviez violer la neutralité de la Belgique. Souffrez que je vous dise, qu'au point de vue de notre honneur, le respect de cette neutralité est aussi une question de vie ou de mort. Nous devons faire respecter le traité, sinon quelle confiance aurait-on encore dans la signature de l'Angleterre? Le chancelier réplique: A quel prix devrons-nous respecter ce traité? L'Angleterre y a-t-elle pensé? Je fis remarquer à Son Excellence que la crainte d'événements même fâcheux n'est jamais une excuse pour rompre un traité. Mais Son Excellence devint si exaltée que je m'aperçus qu'il était inutile de continuer l'entretien et que nos paroles étaient de l'huile jetée sur le feu.

Le reste du récit de l'entrevue est à l'avenant, mais—et ici nous tombons dans le ridicule—l'histoire du chiffon de papier par Sir Goschen est omise, le misérable essai de réfutation de M. von Bethmann-Hollweg est reproduit in extenso, page 465 du second volume.

Et voilà comment depuis treize mois se prépare au delà du Rhin l'histoire «définitive» de la guerre. La falsification s'y organise militairement... comme tout le reste. Un document mérite-t-il plus d'égards qu'un traité?

VERAX. (La Libre Belgique, n° 49, octobre 1915, p. 2, col. 1.)

Comment les journaux «belges» acceptent-ils leur muselière? Un article de La Belgique (journal censuré de Bruxelles), reproduit et commenté par L'Echo belge de La Haye, nous renseignera:

Le nommé Ray Nyst, journaliste de métier, publie dans un quotidien imprimé au pays occupé quelques aperçus sur la censure. Il sera utile de ne pas les oublier à l'heure de la victoire. Nous ne prendrons pas la peine de discuter l'opinion de M. Ray Nyst, évidemment, mais il est bon que nos lecteurs en prennent connaissance:

«La censure! ah! voilà une grosse affaire! De loin, quel épouvantail! De près, ce n'est rien. N'avez-vous jamais eu en main de ces libelles, publiés sous le manteau, patriotards et crapuleux (sic)? De ces écrits propageant des appels provocateurs malsains (est-ce à La Libre Belgique que s'adresse M, Ray Nyst?) en opposition avec tout sentiment de droiture et qui sont la négation même de l'évolution du droit et des conférences de La Haye? Voilà quels papiers auraient à craindre la censure!

«En présence d'un honnête imprimé qui ose se montrer, la censure allemande suit les règles de toutes les censures, nationale ou étrangère. Le gouvernement volontaire ou imposé est toujours juge de l'opportunité de laisser connaître ou non telle ou telle nouvelle d'ordre politique ou militaire. Le droit international et les conférences sont d'accord là-dessus.

Et le bon sens de même! La censure ne fait pas les journaux ni les fascicules scientifiques; la censure n'impose rien; elle biffe, supprime; elle ne modifie pas, ne corrige pas, n'ajoute rien. La censure constitue un rouage de l'ordre public auquel l'occupant est tenu de veiller, conformément aux conférences de La Haye.»

Et plus loin:

«Cette question de la censure porte, en réalité, plus loin que la lettre qui la soulève. Mon désir n'est pas de faire l'apologie de la censure. J'ai voulu montrer qu'une presse et des rédacteurs qui ont du jugement, de l'équité, de l'éducation et le maniement de la langue, conservent une indépendance suffisante sous le régime de la censure.»

«Donnez-moi une ligne de n'importe quel article, disait Machin, et je me fais fort de faire condamner son auteur!»

Voici plus de trente lignes de Ray Nyst. Elles sont suffisantes pour juger de la neutralité de celui-ci. Et juger, c'est condamner!


(L'Écho belge, 16 octobre 1915.)

Le même M. Ray Nyst a publié dans La Belgique (de Bruxelles), en septembre 1915, une série d'articles engageant les ouvriers belges à se mettre au service de l'armée allemande. On a peine à croire qu'un Belge écrive proprio motu de pareilles énormités; aussi faisons-nous à M. Ray Nyst la générosité de supposer qu'il s'est laissé forcer la main.

Nos ennemis ne se font d'ailleurs pas scrupule d'exiger l'insertion d'articles dans les journaux de tolérance. On ne peut pas douter, par exemple, que le dithyrambe à l'adresse du gouverneur militaire de Namur n'ait été imposé à L'Ami de l'Ordre, une feuille de Namur qui se vend aussi à Bruxelles.

A quoi servent en Belgique les journaux embochés.

LES HOMMAGES DE «L'AMI DE L'ORDRE» A SON EXCELLENCE VON HIRSCHBERG...


L'Ami de l'Ordre qui continue à paraître à Namur sous le contrôle de l'autorité allemande a publié il y a quelques jours l'entrefilet suivant:

«S. Exc. le baron von Hirschberg, gouverneur militaire de la position fortifiée et de la province de Namur, entre aujourd'hui dans sa soixante et unième année.

«Notre situation réciproque ne nous permet pas de formuler à l'adresse du représentant de l'autorité occupante les félicitations et les voeux de circonstance, mais nous ne croyons manquer à aucun de nos devoirs, à aucune de nos convictions, en reconnaissant qu'il a apporté, dans l'exercice des hautes fonctions qu'il remplit ici depuis plus d'un an, de la bonne volonté, du tact, de la délicatesse. Sous son gouvernement, rares ont été dans notre région les incidents sensationnels qui ont ému d'autres provinces.

«Nous souhaitons que finisse au plus tôt la situation actuelle, mais, tant qu'elle dure, nous espérons que M. le baron von Hirschberg continuera toujours dans l'avenir un régime de justice et de tolérance à notre ville et notre province qui ont tant souffert de l'horrible guerre mondiale.»

Il faut lire et relire ce morceau pour en savourer l'indicible platitude. Que de mots charmants, que d'euphémismes délicieux! Son Excellence, notre situation réciproque, hautes fonctions, bonne volonté, tact, délicatesse, incidents sensationnels, régime de justice et de tolérance, tout est vraiment touchant dans ce chef-d'oeuvre où le nom de l'Allemagne n'est même pas prononcé.

On se demande si on rêve quand on songe que le journal qui tresse ces couronnes au représentant du Kaiser paraît à Namur, à quelques pas des ruines amoncelées par les Boches, à quelques kilomètres de Dinant, d'Andenne, de Tamines, trois villes qui, à elles seules, ont vu massacrer plus d'un millier de civils inoffensifs, quand on se souvient que cette feuille doit sa fortune passée à un clergé dont une trentaine de membres ont été fusillés et plus de deux cents maltraités, au témoignage de leur évêque.

Voilà ce qu'imprime L'Ami de l'Ordre imposé comme moniteur officiel à toutes les communes des provinces si horriblement ravagées de Namur et du Luxembourg.

Reproduits dans la presse allemande, des articles comme celui-là serviront d'argument contre les malheureux du pays de Namur et contre tous les Belges. Car nous n'avons pas appris que Namur ait échappé à la nouvelle contribution mensuelle de 40 millions dont la Belgique a été frappée et nous avons d'autre part reproduit l'autre jour trois longues colonnes de condamnations infligées pour les motifs les plus futiles ou les plus patriotiques à une foule d'habitants du pays de Namur.

Tout cela n'empêche pas les rédacteurs de L'Ami de l'Ordre de proclamer que le régime sous lequel vit la province de Namur est un régime de justice et de tolérance...

Les rares journaux belges qui ont reparu sous la censure allemande ont prétendu se justifier en déclarant qu'ils étaient nécessaires pour réconforter la population et qu'ils n'écriraient jamais une ligne qui pût faire tort à la cause belge.

On voit par l'exemple de L'Ami de l'Ordre—et il y en aurait bien d'autres à citer—comment les feuilles KK se conforment à ce programme. Si elles louent tant l'autorité allemande, c'est qu'elles ont besoin de sa protection contre l'indignation populaire. Nous ne sommes pas bien sûrs qu'elles souhaitent tant que cela «que finisse au plus tôt la situation actuelle»... (Le XXe Siècle, 30 janvier 1916.)

Malgré la sévérité de la censure, des farceurs parviennent à introduire dans les journaux «belges» des articles dont les Allemands n'aperçoivent pas la signification. Voici un acrostiche qui fut glissé subrepticement dans L'Ami de l'Ordre:

La Guerre.

Ma soeur, vous souvient-il qu'aux jours de notre enfance,

En lisant les hauts faits de l'histoire de France,

Remplis d'admiration pour nos frères gaulois,

Des généraux fameux nous vantions les exploits?

En nos âmes d'enfants, les seuls noms des victoires

Prenaient un sens mystique, évocateur de gloires;

On ne rêvait qu'assauts et combats: à nos yeux

Un général vainqueur était l'égal des dieux.

Rien ne semblait ternir l'éclat de ces conquêtes;

Les batailles prenaient des allures de fêtes,

Et nous ne songions pas qu'aux hourras triomphants

Se mêlaient les sanglots des mères, des enfants.

Ah! nous la connaissons, hélas, l'horrible guerre,

Le fléau qui punit les crimes de la terre,

Le mot qui fait trembler les mères à genoux

Et qui sème le deuil et la mort parmi nous.

Mais où sont les lauriers que réserve l'Histoire

A celui qui demain forcera la victoire?

Nul ne les cueillera: les lauriers sont flétris;

Seul un cyprès s'élève aux tombes de nos fils.

(L'Ami de l'Ordre, 29 novembre 1914.)

Les suites furent grotesques. Lisez l'avis affiché sur les ordres du doux baron von Hirschberg:

Avis au public.

L'Ami de l'Ordre, le seul journal qui ait reçu l'autorisation de paraître à Namur, a osé publier dans son édition du 29 novembre, à la première page et précisément à l'endroit réservé pour les communications de l'autorité allemande, un poème injurieux et outrageant pour la nation allemande.

J'exprime mon indignation, et en présence de sentiments aussi vilains que lâches, j'ordonne:

1° La publication du journal L'Ami de l'Ordre est suspendue;

2° Le numéro visé doit être détruit; quiconque sera trouvé en possession d'un exemplaire sera poursuivi;

3° Le directeur et le rédacteur sont arrêtés;

4° Des poursuites judiciaires sont introduites; les coupables subiront les peines les plus sévères, conformément aux lois martiales;

5° Il est défendu, jusqu'à une date ultérieure, de répandre et de vendre des journaux non allemands, et ceci dans toute la place fortifiée de Namur;

6° Je fais l'obligation à toute la population de Namur de me dénoncer les coupables et de porter à ma connaissance tout soupçon sérieux, qui pourrait amener l'arrestation des coupables, mettant toute une population en danger.

Baron VON HIRSCHBERG,

Lieutenant général et Gouverneur de la position fortifiée de Namur.

(Affiché à Namur le 3 décembre 1914.)

Mais, dès le 8 décembre, L'Ami de l'Ordre reçut l'autorisation de reparaître; les Allemands avaient trop grand besoin de cette feuille qui leur sert à répandre de fausses nouvelles dans le public namurois. Quand nous disons que les Allemands lui permirent de reparaître, nous faisons sans doute erreur: il faudrait dire qu'ils le forcèrent à reparaître, car c'est en effet sous la contrainte que les rédacteurs de L'Ami de l'Ordre publient leur feuille. Eux-mêmes l'ont avoué ouvertement dans les numéros du 7 octobre 1914 et du 6 novembre 1914 21. Quoi qu'il en soit, dans le numéro qui suivit la suspension, L'Ami de l'Ordre s'humilia avec toute la componction désirable.

21 [ Voir Comment les Belges résistent..., p. 313.]

Que le lecteur ne s'étonne pas de ce que les Allemands obligent les journaux à paraître. Voici, dit La Métropole, citée par La Belgique (de Rotterdam), ce qui s'est passé à Ostende:

Le 25 mai, MM. Elleboudt et Verbeeck, directeurs respectivement des journaux Le Littoral (catholique) et L'Écho d'Ostende (libéral), qui avaient été invités à faire reparaître leur journal sous la censure allemande, mais avaient énergiquement refusé, furent condamnés pour insubordination à l'autorité allemande, M. Elleboudt à trois mois et M. Verbeeck à deux mois de prison. (La Belgique [de Rotterdam], 27 juin 1916, p. 2, col. 3.)

Rien ne montre mieux la servitude où croupissent ces journaux que leurs attaques contre ceux qui se permettent de ne pas être de leur avis. Qu'il nous suffise de citer un article paru dans Le Bruxellois (journal quotidien indépendant, dit le sous-titre):

Nos patriotards.

Certain patriotard pointu répand certaines calomnies dans l'arrondissement de Dinant, contre Le Bruxellois et contre son correspondant. Ce tartufe base ses critiques simplement sur ceci: Les journaux paraissant actuellement en Belgique, sont tous vendus à l'ennemi (sic)... et je suis correspondant de ces feuilles «mensongères»... (resic).

Ce «patriote» si éclairé est-il certain de ne rien avoir sur la conscience? D'ailleurs il est seul «à penser» de cette façon; car toute la population dinantaise, depuis le début de l'occupation, est convaincue que les quelques journaux qui n'ont pas cessé de paraître, et ceux qui ont vu le jour depuis, ont rendu de grands et réels services au peuple belge, en facilitant les relations entre la population de province et les autorités, en ranimant la vie commerciale, et surtout en coupant les ailes à ces canards ridicules qui se répandaient chez nous.

Ce dresseur trop intéressé de listes noires tombe sous l'application immédiate d'un arrêté récent et mérite d'être puni. Il fera bien de ne plus l'oublier, sinon c'est nous qui le lui rappellerons.


(Le Bruxellois, 13 octobre 1915.)

L'arrêté dont il menace son contradicteur est ainsi conçu:

Arrêté concernant la répression des abus commis au préjudice des personnes germanophiles.

ART. 1.—Quiconque tente de nuire à d'autres personnes en ce qui concerne leur situation pécuniaire ou leurs ressources économiques (par exemple leur gagne-pain), en les inscrivant sur des listes noires, en les menaçant de certains préjudices ou en recourant à d'autres moyens du même genre, parce que ces personnes sont de nationalité allemande, entretiennent des relations avec les Allemands ou font preuve de sentiments germanophiles, est passible d'une peine d'emprisonnement de deux ans au plus ou d'une amende pouvant aller jusqu'à 10.000 marks. Les deux peines pourront être réunies.

Est passible de la même peine tout qui offense ou maltraite une autre personne pour une des raisons susmentionnées et tout qui, en menaçant de certains préjudices ou en recourant à d'autres procédés analogues, tente d'empêcher une autre personne de faire montre de sentiments germanophiles.

Si un des actes répréhensibles prévus aux premier et deuxième alinéas est commis en commun par plusieurs personnes qui se sont entendues à cette fin, chaque membre d'un tel groupement sera considéré comme contrevenant. Dans ce cas, le maximum de la peine pourra être porté à cinq ans d'emprisonnement.

ART. 2.—Les infractions au présent arrêté seront jugées par les tribunaux militaires.

Bruxelles, le 4 septembre 1915.

Le Gouverneur général en Belgique, Baron VON BISSING, Général-Colonel.

Citons encore deux faits qui mettent en évidence l'abjection des journaux domestiqués. A la mort du tant regretté Émile Waxweiler, les feuilles censurées relatèrent sa vie et ses occupations comme directeur de l'Institut de Sociologie et comme professeur à l'Université de Bruxelles; elles parlèrent de ses ouvrages et de ses cours d'Extension; mais de tout ce qu'il accomplit pendant la guerre, pas un mot; ses deux livres, La Belgique neutre et loyale et Le Procès de la Neutralité belge, ne sont pas même mentionnés: silence d'autant plus significatif que ces ouvrages sont parfaitement connus en Belgique; le premier y a même été réimprimé (voir p. 8).

Enfin, dernier degré de l'avilissement, Le Bruxellois publie journellement le nom et l'adresse des jeunes gens qui sont soupçonnés d'avoir passé la frontière pour aller s'enrôler dans l'armée belge.

La Presse Clandestine dans la Belgique Occupée

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