Читать книгу Croquis parisiens - Joris-Karl Huysmans - Страница 9

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VI

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Un cimetière au fond; à droite, une tombe avec cette inscription: ci gît... tué en duel.–La nuit; un peu de musique en sourdine; personne. Soudain, par les portants de droite et de gauche, s’avancent lentement, suivis de leurs témoins, deux pierrots en habits noirs: l’un, grand, maigre, rappelant le type créé par Debureau, une longue tête de cheval, enfarinée, des yeux clignotants sous des paupières blanches, l’autre plus ramassé, plus boulot, le nez court, goguenard, la bouche crevant d’un trou rouge le masque blême.

L’impression produite par l’entrée de ces hommes est glaciale et grande. Le comique tiré de l’opposition de ces corps noirs et de ces visages de plâtre disparaît; la sordide chimère du théâtre n’est plus. La vie seule se dresse devant nous, pantelante et superbe.

Les pierrots lisent l’inscription de la tombe et reculent d’un pas; ils détournent en tremblant la tête, et voient un médecin en train de dérouler des bandes de toile et de préparer tranquillement sa trousse.

L’angoisse d’une figure qui se décompose passe sur leurs faces blafardes; cette maladie nerveuse, terrible, la peur les cloue, vacillants, sur place.

Campés vis à vis l’un de l’autre, les voilà qui, à la vue des épées qu’on tire des serges, s’effarent davantage encore. Le tremblement de leurs mains s’accentue, les jambes flageolent, le cou suffoque, la bouche remue, la langue bat sans salive et cherche haleine, les doigts errent et se crispent sur la cravate qu’ils doivent défaire.

Puis, la terreur grandit encore et devient si impérieuse et si atroce, que les nerfs déjà rebellés se détraquent d’un coup et s’emportent sans qu’on puisse les tenir. Une idée fixe surgit dans le cerveau bouleversé de ces hommes, prendre la fuite et ils se précipitent, culbutant tout, poursuivis et ramenés par les témoins qui les remettent, face à face, et l’épée au poing.

Alors, après une dernière révolte de la chair qui s’insurge contre le carnage qu’on attend d’elle, une énergie de bêtes acculées leur vient et ils se jettent, affolés, l’un sur l’autre, tapant et piquant au hasard, soulevés par d’incroyables bonds, inconscients, aveuglés et assourdis par l’éclat et le cliquetis du fer, tombant brusquement, à bout de forces, comme des mannequins dont le ressort casse.

Terminée en une pantalonnade excessive, en une charge désordonnée, cette cruelle étude de la machine humaine aux prises avec la peur, a fait se tordre et pouffer la salle. De l’examen attentif de ces rires, il est résulté pour moi que le public ne voyait dans cette admirable pantomime qu’une parade de funambules, destinée à rendre plus complet sans doute l’aspect de foire que prennent les Folies-Bergère, dans ces coins où elles arborent des tourniquets et des jeux de boules, des femmes à barbe et des tirs.

Pour les esprits plus réfléchis et plus actifs, la question est autre. Toute l’esthétique de l’école caricaturale Anglaise est de nouveau mise en jeu par les scénarios de ces désopilants et funèbres acrobates, les Hanlon-lees! Leur pantomime si vraie dans sa froide folie, si férocement comique dans son outrance, n’est qu’une incarnation nouvelle et charmante de la farce lugubre, de la bouffonnerie sinistre, spéciales au pays du spleen et déjà exprimées et condensées par ces merveilleux et puissants artistes: Hogarth et Rowlandson, Gillray et Cruikshank.

Croquis parisiens

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