Читать книгу Isidora - Жорж Санд - Страница 18
PREMIÈRE PARTIE
CAHIER № 5. JOURNAL
Оглавление8 janvier.
Je suis retourné déjà deux fois, et j'ai réussi à n'être pas aperçu de madame Germain. C'est plus facile que je ne pensais. Il y a une petite porte de dégagement au rez-de-chaussée, donnant sur un palier qui n'est point exposé aux regards de la loge. Toute l'affaire est de me glisser là sans éveiller l'attention de personne; l'appartement est toujours en décombres, le jardin désert. La porte du mur mitoyen ne se trouve jamais fermée en dehors à l'heure où je m'y présente; je n'ai qu'à la pousser et je me trouve seul dans le jardin de ma voisine. Toujours muni d'un livre de botanique, je m'introduis dans la serre. Le jardinier et le jockey me prennent pour un lourd savant, et m'accueillent avec toutes sortes d'égards. Quand madame n'est pas là elle y arrive bientôt, et alors nous causons deux heures au moins, deux heures qui passent pour moi comme le vol d'une flèche. Cette femme est un ange! On en deviendrait passionnément épris si l'on pouvait éprouver en sa présence un autre sentiment que la vénération. Jamais âme plus pure et plus généreuse ne sortit des mains du créateur; jamais intelligence plus, droite, plus claire, plus ingénieuse et plus logique n'habita un cerveau humain. Elle a la véritable instruction: sans aucun pédantisme, elle est compétente sur tous les points. Si elle n'a pas tout lu, elle a du moins tout compris. Oh! la lumière émane d'elle, et je deviens plus sage, plus juste, je deviens véritablement meilleur en l'écoulant. J'ai le coeur si rempli, l'âme si occupée de ses enseignements, que je ne puis plus travailler; je sens que je n'ai plus rien en moi qui ne me vienne d'elle, et qu'avant de transcrire les idées qu'elle me suggère il faut que je m'en pénètre en l'écoutant encore, en rêvant à ce que j'ai déjà entendu.
Je n'ai songé à m'informer ni de sa position à l'égard du monde, ni des circonstances de sa vie privée, ni même du nom qu'elle porte; je sais seulement qu'elle s'appelle Julie, comme l'amante de Saint-Preux. Que m'importe tout le reste, tout ce qui n'est pas vraiment elle-même? J'en sais plus long sur son compte que tous ceux qui la fréquentent; je connais son âme, et je vois bien à ses discours et à ses nobles plaintes que nul autre que moi ne l'apprécie. Une telle femme n'a pas sa place dans la société présente, et il n'y en a pas d'assez élevée pour elle. Oh! du moins elle aura dans mon coeur et dans mes pensées celle qui lui convient! Depuis huit jours je me suis tellement réconcilié avec ma solitude, que je m'y suis retranché comme dans une citadelle; je ne regarde même plus la femme ignoble qui me sert, de peur de reposer ma vue sur la laideur morale et physique, et de perdre le rayon divin dont s'illumine autour de moi le monde idéal. Je voudrais ne plus entendre le son de la voix humaine, ne plus aspirer l'air vital hors des heures que je ne puis passer auprès d'elle. Oh! Julie! je me croyais philosophe, je me croyais juste, je me croyais homme, et je ne vous avais pas rencontrée!