Читать книгу Essai sur la fabrique de l'indigo - Joseph-François Charpentier de Cossigny - Страница 3

AVANT-PROPOS.

Оглавление

Table des matières

LA pluspart des artistes s’attachent à suivre fidellement leur méthode pratique, lors-même qu’elle n’est fondée que sur une routine aveugle, sans chercher à connoître la théorie de leur art. Le plus grand mérite, selon eux, consiste dans l’exactitude des procédés qu’ils ont appris, dont ils ne peuvent point rendre raison, ou qu’ils expliquent d’une manière peu satisfaisante,&quelquefois contraire aux principes de la saine phisique. Il s’est établi parmi eux un préjugé qui s’oppose en général aux progrès des arts: C’est qu’ils sont parvenus au plus haut point de perfection, qu’elle est par conséquent une chimère dont sere-paissent des spéculateurs&des gens à illusion, enfin que la pratique est infiniment supérieure à la théorie,&doit en tenir lieu. Cependant ne pourroit-on pas dire avec raison que la première est la main qui exécute,&que la seconde est l’œil qui la conduit.

LORSQUE la pratique d’un art conduit toujours à des résultats certains&fructueux, il y auroit de la témérité peut-être à chercher un point de perfection dans une méthode nouvelle d’opérer: Dans le cas contraire, on peut sans crainte de reproches, se livrer à des expériences guidées par une théorie sûre ou vraisemblable, soit pour simplifier les procédés de la fabrique, soit pour fixer l’incertitude des règles de la pratique, soit pour obtenir des produits plus abondants ou plus précieux, sans augmenter la dépense des manipulations. La voie des expériences est donc celle qu’on doit tenter, Comme le champ en est vaste, on se perdroit dans des recherches infinies, laborieuses,&la pluspart stériles, si on n’étoit pas guidé dans leur choix par des principes. Malgré ce secours, celles qui restent à faire ne laissent pas que d’être très-nombreuses: elles demandent la plus grande exactitude dans les procédés, beaucoup d’attention pour en saisir les résultats, des connoissances pour en pénétrer les causes, de la justesse dans les comparaisons qu’on peut faire&dans les conséquences qu’on en déduit; Enfin Il faut les répéter plusieurs fois,&les varier de plusieurs manières, afin d’en constater les effets.

JE me suis pas dissimulé la difficulté de mon entreprise. Combattre des préjugés invétérés, attaquer des erreurs accrédités, donner un système nouveau, montrer une route inconnue ; que de raisons pour élever contre cet ouvrage la voix de l’habitude & celle de la critique : le zèle & les succès peuvent seuls me justifier. J’en appelle donc à l’expérience. Guidée par l’interêt particulier, elle doit déterminer un jour les artistes à abandonner une routine aveugle, incertaine, peu fructueuse ; elle doit les engager à suivre une méthode qui procure des produits plus abondants, plus assurés, plus précieux ; & dont les principes faciles à saisir sont appuyés sur ceux de la chimie.

C’est un sujet d’étonnement sans doute que depuis plus de deux siècles que les Européens fabriquent de l’indigo dans leurs colonies, cet art qu’ils tiennent des Asiatiques&dont les élémens paroissent assès simples, n’ait pas été perfectionné. Je pourrois expliquer les causes d’un fait qui paroîtra extraordinaire à toutes les personnes qui ne connoissent pas la marche routinière des hommes en général Je m’en tiendrai à fournir dans le cours de ce mémoire les preuves de ce que j’avance.

Ce n’est pas que je me flatte d’avoir atteint le dernier point de perfection: Je sens trop tout ce qui me manque du côté des lumières&même de l’expérience, pour oser former une pareille prétention; mais j’espère décrire une méthode plus claire que celle qu’on a suivie jusqu’à présent, plus facile à saisir, plus sûre dans ses effets&plus fructueuse dans ses résultats; J’espère ouvrir un chemin qui pourra conduire à de nouvelles découvertes.

Si je n’avois consulté que mon talent, je ne me serois pas hâté de donner au public un systême&une méthode sur l’art de l’indigotier; le désir d’être utile a triomphé de cette réfléxion. La culture de l’anil, si les colons des Isles de France&de Bourbon veulent s’y adonner, peut contribuer à la prospérité future de ces isles. Je fais que le peu de produit de cette plante dans les essais qu’on y a faits, a rallenti l’ardeur des colons sur cet objet; mais ils doivent considérer que les connoissances dans la fabrique leur manquoient, pour travailler avec fruit,& surtout que les espèces de leurs anils ne sont pas les mêmes&donnent moins de produit que celles qu’on cultive à St. Domingue. Je fais encore que les colons des Antilles se dégoûtent touts les jours de cette culture qui intéresse le commerce&quelques manufactures de la nation: Les accidents aux quels l’anil est sujet dans ces isles, pendant tout le tems de sa végétation, les pertes auxquelles on est exposé à raison des difficultés de la fabrique, engagent les habitants à cultiver des productions moins incertaines. Rien ne paroît plus propre à ranimer le travail des uns&des autres, qu’une méthode nouvelle qui le rend plus facile,&qui leur assûre un produit beaucoup plus considérable&plus précieux que celui qu’ils retiroient, en suivant la routine ordinaire. Ce qui doit surtout encourager les colons de l’Isle de France, c’est que les insectes qui sont en Amérique le plus grand fléau de l’anil n’ont point paru attaquer cette plante, dans aucun quartier de notre isle.

QUELQUE persuadé que je fois des avantages de la méthode que j’expose, je serois injuste envers les auteurs qui m’ont précédé&qui ont traité le même sujet, si je déprisois leurs ouvrages. Les premiers qui écrivent sur un art, atteignent rarement le point de perfection; mais on leura l’obligation d’avoir défriché un champ inculte. Je dois à leur travail le fruit de mes recherches. Quoiqu’elles m’aient conduit à un systême opposé au leur&à des pratiques différentes de celles qu’ils enseignent, je me fais un devoir de les regarder comme mes maîtres, puisqu’ils m’ont donné les premières notions d’un art que j’ignorois.

JE dois un témoignage public de ma reconnoissance à M. de Foucault Intendant des isles de France&de Bourbon. L’accueil qu’il a fait à mes essais, l’intérêt qu’il a pris à mes travaux, les avis qu’il m’a donnés sur quelques détails de la fabrique, les secours qu’il m’a procurés en tout ce qui a pu dépendre de sa bonne volonté, ont été des encouragements qui ont excité&soutenu mon zèle. J’ai trouvé les mêmes sentiments dans M. de Mellis Commissaire Général de la Marine. Je ne puis me refuser à la satisfaction de lui marquer combien j’y suis sensible.

Plan de l’ouvrage.

ON ne doit pas s’attendre à trouver ici la description de l’art de l’indigotier, tel qu’il est pratiqué&tel qu’il est enseigné par les auteurs qui en ont traité. Dès les premiers pas que j’ai faits dans la carrière, j’ai cru voir que l’art étoit susceptible de perfection, que la théorie en étoit absolument ignorée, que la pratique adoptée généralement, n’étoit qu’une routine sans principes&que les procédés connus&suivis n’avoient aucune règle. On me taxera peut-être de témérité, pour avoir conçu le projet de perfectionner un art en vigueur dans les quatre parties du monde depuis bien des siècles. Je trouverai mon excuse auprès des personnes qui connoissent par eux-mêmes tout ce dont le zèle est capable.

J’EXPOSERAI dans la première partie de cet ouvrage, la théorie de la fabrique de l’indigo, telle que je l’ai conçue, en rappellant les principes de chimie sur lesquels cet art est fondé. J’entrerai dans quelques détails qui pourront paroître inutiles ou minutieux aux personnes instruites; mon but est de me faire entendre par celles qui sont peu initiées dans les mistères de cette science, de les instruire sur toutes les pratiques de la manipulation,&de rendre compte de toutes les observations que je puis avoir faites sur le sujet que je traite: ainsi je sacrifierai la concision à la clarté&à l’exactitude; j’écris moins pour les savants que pour les artistes. Je supprimerai seulement la pluspart des expériences, dont les résultats ont été sans fruit. J’ai jugé qu’il étoit très-important de faire connoître la théorie de l’art, parcequ’elle seule peut guider l’artiste dans la marche qu’il doit suivre, s’il ne veut pas s’égarer. Ces connoissances sont nécessaires pour rendre raison des causes&des effets,&pour trouver les moyens de déterminer les effets désirés, en employant à propos les causes. Je conviens que la pratique est absolument nécessaire, pour former un artiste habile; mais il ne peut devenir tel que lorsqu’il y joint la spéculation fondée sur des principes,&le raisonnement appuyé de l’expérience,

LA première partie de cet ouvrage fera divisée en quatre chapitres. Je débuterai dans le premier, par exposer les notions générales de l’art de l’indigotier. Je développerai dans le second mes principes sur la fermentation de l’anil&dans le troisième ceux que je me suis faits sur l’effet du battage de l’extrait. Le quatrième exposera succinctement les principes de la dessication de la fécule, opération que je traiterai par la suite avec plus d’étendue.

LA seconde partie présentera dans le plus grand détail les préceptes de la fabrique en sept chapitres.

L E premier renfermera tout ce qui a rapport à la fermentation en quinze articles&le second tout ce qui a rapport au battage en treize articles.

JE tâcherai de rendre raison des manipulations que je conseille, afin que l’artiste puisse mieux saisir ce qu’il concevra: Il en résultera peut-être un autre avantage; C’est de mettre sur la voie des découvertes celui qui doué de plus d’intelligence que moi, auroit le talent d’aller plus loin&le bonheur de perfectionner ma méthode. Je serai souvent obligé de rappeller les principes que j’aurai établis dans la première partie. Souvent le sujet lui même m’y entraînera, pour observer les différences qui distinguent des choses qui ont des circonstances communes, ou pour rendre compte des circonstances différentes qui donnent les mêmes résultats; souvent j’aurai pour objet que le lecteur ne perde pas de vue l’application des principes aux opérations de la fabrique. J’établirai le raisonnement par les faits&ceux-ci par le raisonnement. Mon systême sur l’art de l’indigotier étant opposé à celui des auteurs qui m’ont précédé, j’ai cru devoir non seulement les combattre dans les règles qu’ils ont établies&dans les préceptes qu’ils ont donnés, mais encore fournir les preuves de ce que j’avance. J’ai jugé que ma tâche n’eut pas été remplie, si j’eusse simplement exposé les préceptes de ma méthode, sans en développer la théorie. Le manouvrier travaille machinalement, mais le véritable artiste doit connoître les principes de son art.

JE traiterai dans le troisième chapitre de la seconde partie, divisé en six articles, la question fameuse du précipitant, agitée depuis longtems par les indigotiers&reliée jusqu’à présent indécise. Je donnerai la recette de plusieurs liqueurs faciles à préparer&peu coûteuses, qui ont toutes la proprieté de précipiter la fécule, sans l’altèrer;&j’indiquerai comment on peut en assûrer l’effet. Je ferai voir que cette découvert te est réellement intéressante;&j’en détaillerai les avantages.

ELLE fournit le moyen de réparer le produit d’une cuve manquée& d’aviver un indigo de médiocre qualité, ou même altèré. Ce sera le sujet du quatrième&du cinquième chapître. Ces découvertes sont nouvelles dans la fabrique de l’indigo&paroîtront sans doute importantes à tous les indigotiers, ils apprendront des moyens simples, faciles&peu coûteux d’obtenir une fécule de la plus grande beauté&telle qu’il n’en existe point dans le commerce. Les teinturiers eux-mêmes trouveront des procédés nouveaux, pour améliorer&pour aviver un indigo médiocre, ou terne, ou noirâtre. J’emploirai deux articles à leur instruction particulière. Comme ce sujet n’est point étranger à celui que je traite, j’ai pensé qu’on me pardonneroit les détails dans lesquels je suis entré à cette occasion, en faveur du motif qui me les a dictés.

POUR suivre le plan que je me fuis prescrit, j’expliquerai physiquement l’effet des ingrédients que je conseille d’employer. Je n’assûrerai rien qui n’ait été constaté par l’expérience. Les artistes qui la répéteront, ne doivent imputer qu’à un défaut d’exactitude dans les manipulations, les résultats qui pourront différer de ceux que je promettrai.

O N fera peut-être étonné que des moyens aussi simples que ceux que j’indique, amènent des effets si heureux dans des circonstances qui paroissent différentes ou opposées. Je me suis attaché dans le cours de ce mémoire, à développer autant que je l’ai pu, les principes qui donnent l’explication de touts les phénomènes, qui se présentent dans le cours de la fabrique.

I L en est un sur lequel les auteurs qui m’ont devancé, n’ont fait aucune recherche; ils paroissent l’avoir oublié, ou méconnu; c’est l’écume très-abondante qui surnage l’extrait après le battage; souvent elle disparoît, mais elle résiste quelquefois au moyen que l’on emploie pour la dissiper; elle a été jusqu’à présent en pure perte pour les artistes. J’indique un moyen simple&facile à suivre de la réunir en fécule dans le sixième chapitre, après avoir dit dans un autre endroit, comment on peut empêcher cette écume de se former.

LE septième traite de la déssication de l’indigo en douze articles. J’expose succinctement les inconvénients des méthodes reçues sur ce point très-important de la fabrique. La plus belle fécule peut être détériorée ou même perdue par le vice de la dessication. Je propose des moyens nouveaux d’éviter touts ces inconvénients.

APRÈS avoir suivi la fabrique de l’indigo, depuis le commencement de la manipulation jusqu’à la fin, je commence la troisième partie par décrire dans le premier chapitre plusieurs machines pour le battage. La théorie&l’expérience m’ont fait reconnoître que celles qui sont en usage pour battre l’extrait, n’étoient en général, ni les plus simples, ni les moins coûteuses dans leur construction, ni les moins pénibles dans leur exécution, ni les plus favorables à la fabrique. On ne s’est fait aucuns principes sur cette opération importante. Ceux que j’ai établis m’ont conduit à imaginer des machines nouvelles, qui se mettent facilement en jeu par les bras d’un seul homme,&qui sont plus avantageuses par l’effet qu’elles produisent, que toutes celles dont on s’est servi jusqu’à présent, pour remplir le même objet.

JE fais part dans le second chapitre de quelques observations nouvelles sur la construction d’une indigoterie, telles que l’expérience m’en a démontré la nécessité ou l’utilité. J’engage à donner aux cuves qu’on appelle trempoires&batteries, une autre forme que celle qui est en usage. On pourrait croire sans examen qu’elle est indifférente: on verra qu’elle tient à la théorie de la fermentation&du battage.

LE troisième chapitre renferme une courte description des différentes espèces d’anils que nous avons rassemblées à l’isle de France, jusqu’au moment où j’écris,&le quatrième mes idées sur la culture de ces plantes. On trouvera dans ce dernier la description d’un semoir de nouvelle invention propre à ensemencer un champ, avec toute forte de grains. La meilleure méthode de cultiver l’anil, eu égard à notre sol&à notre climat, doit être l’objet de nos recherches&le fruit d’une longue expérience; elle nous manque aujourd’hui; c’est ce qui m’avoit engagé à garder le silence sur cette matière; mais j’ai réfléchi que les colons des Isles de France&de Bourbon pourraient retirer quelque utilité de mes essais; cette considération l’a emporté sur toute autre;&j’ai pris le parti de leur proposer mes doutes, mes idées&mes vues; heureux si par mon travail, je puis contribuer à l’utilité de mes compatriotes.

JE décris succintement dans le cinquième chapitre la méthode des Indiens de la Côte Coromandel de fabriquer l’indigo: elle est plus curieuse qu’instructive. J’ai jugé qu’elle pourroit faire plaisir au plus grand nombre des lecteurs. On voit le point d’où nous sommes partis dans un art intéressant, car les indiens n’ont rien changé à la méthode qu’ils suivent, depuis un temps immémorial. Quoique nos procédés soient très-différents des leurs, on connoîtra facilement par les résultats des uns&des autres, le peu de progrès qu’a fait cet art entre les mains des Européens, depuis plus de deux siècles qu’ils l’exercent jusqu’à nos jours. L’ignorance où l’on est encore de ses principes &des procédés qui doivent en être la suite, prouve bien qu’il n’y a rien de plus facile que de fabriquer l’indigo. Je compare cet art à ces jeux qu’il suffit d’avoir vus une fois, pour être en état de faire sa partie; mais qui demandent en suite de l’expérience&de la sagacité, pour en connoître les combinaisons les plus recherchées.

ENFIN je termine ce mémoire par une récapitulation de tout l’ouvrage. Je m’arrête moins à exposer sommairement les principes que j’ai détaillés, qu’à rassembler succinctement fous le même point de vue les préceptes de ma méthode. Au reste, pour faciliter les recherches des lecteurs qui aiment à trouver les principes&les preuves à côté des préceptes, j’ai ajouté une table des chapitres avec la division de leurs articles.

C E mémoire fera suivi de deux lettres; l’une adressée à M. le Baron de Souville Chevalier de l’Ordre Royal&Militaire de St. Louis, Capitaine de Vaisseaux du Roi, de l’Académie Royale de Marine; l’autre à M. le Monnier Premier Médecin Ordinaire du Roi, Pensionnaire de l’Académie Royale des sciences de Paris.

LA première de ces lettres a pour objet de constater que la découverte d’améliorer de l’indigo, appartient à l’auteur;&de relever les erreurs répandues dans le mémoire sur l’indigo de M. Quatremere Dijonval, pièce qui a remporté le prix à l’Académie Royale des sciences de Paris, en l’année1777

LA seconde rendra compte d’un procédé par lequel on retire de l’anil une fécule verte, que j’appelle indigo-verd.

Essai sur la fabrique de l'indigo

Подняться наверх