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AVANT-PROPOS

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«Les dieux s’esbattent de nous à la pelote et nous agitent à toutes mains. «

«Enim vero dii nos homines quasi pilas habent.»

«Les astres ont fatalement destiné l’estat de Rome pour exemplaire de ce qu’ils peuvent en ce genre.»

(MONTAIGNE.

Essais. — Livre III, ch. ix.)

Vieille de plus de trois siècles, cette formule ne pourrait-elle servir de nos jours? N’avons-nous pas vu, depuis cent ans, se produire d’étonnants changements dans la fortune de la Ville éternelle? La France n’a-t-elle pas été, dès le moyen-âge, mêlée à toutes les agitations italiennes, et les guerres, que nous avons faites ou subies dans la Péninsule, n’ont-elles pas eu sur les États de Rome un contre-coup trop certain?

Restaurateurs de la Papauté en 1849, nous l’entraînons plus tard dans notre chute.

La campagne victorieuse de 1859, en visant ostensiblement l’Autriche, atteignait déjà Rome en plein cœur et nous laissait cruellement blessés nous-mêmes. Les esprits le plus prévenus alors n’osent le nier aujourd’hui.

Ce qui peut intéresser, cependant, c’est de voir, qu’au nombre de ceux qui partaient gaiement à la conquête du Milanais, il en était, qui, ne s’abusant pas sur les suites de cette aventure, découvraient le serpent caché sous les roses, dont on chargeait leurs armes victorieuses, et, dans l’allié d’hier, devinaient l’adversaire du lendemain.

De ce nombre, fut le général comte de Bailliencourt. Arrivé trop tard pour prendre part aux foudroyantes victoires qui amenèrent la paix de Villafranca, déçu dans ses visées de gloire, sentant frémir sa main qui ne peut brandir l’épée, il ne veut pas la laisser inactive; saisissant la plume, il note ce qu’il voit, ce qu’il entend. Il n’a ni plan, ni but précis. Connaissant les Italiens pour les avoir pratiqués pendant un long séjour à Rome, il s’attache parfois à leur côté charmeur, sans oublier l’autre face de l’«Eternel Janus», et leurs plus aimables cajoleries arrivent rarement à le tromper.

Dévoué loyalement à la personne de Napoléon III, bien que né sous d’autres cieux politiques, croyant à son génie, aussi bien qu’à sa fortune, ébloui en un mot par les débuts du règne et l’éclat de la nouvelle Épopée, il se ressaisit dès qu’il envisage les suites de la guerre. Il sent le piège, il voit la faute; il crie: «Gare!» à haute voix.

Dans cette sorte de post-scriptum, défilent les anecdotes de tous temps et de tous lieux, sans autre enchaînement que la fantaisie de sa mémoire. Les unes sont sérieuses, d’autres légères; c’est un soldat et un soldat français qui parle. Il aime sa patrie, son armée, son empereur, sa garde, les griseries de la gloire, les adulations féminines, cette Italie enchantée et enchanteresse, Rome, dont le souvenir le hantera toujours; mais il s’est attaché par-dessus tout à la grande idée de la papauté souveraine et à son auguste représentant. Pie IX, seul, fait vibrer véritablement son cœur. Il craint pour lui nos victoires, sans savoir au juste sur quoi repose sa crainte. Il prévoit un lendemain à Solferino, et saura seulement plus tard que ce lendemain se nomme Castelfidardo.

Quand il croise à la frontière un jeune homme au nom sonore, il s’étonne, il s’inquiète. Celui-là aussi marche à l’Étoile! Mais il ne sait pas que cet enfant de la France va reprendre au Vatican la garde que lui-même y a montée pendant sept années, et que Charette aura l’honneur de rougir de son sang cette terre sacrée qui vient de refuser impitoyablement le sien.

Descendant d’une vieille famille, dont le nom est mêlé à l’histoire des Flandres, Jérôme-Benoît de Bailliencourt et Courcol entre à Saint-Cyr, le 19 novembre 1826, à l’âge de dix-sept ans; son caractère aventureux l’entraîne bientôt dans une échauffourée, qui compromet sa carrière et retarde son avancement. Camarade de promotion des Mac-Mahon et des Canrobert, il commande en 1852 à Rome un régiment de l’armée d’occupation.

Sur la route d’Italie, un beau jour, il fait la rencontre d’Edmond About, voyageant comme lui, mais dans un autre esprit et avec un but tout opposé.

La controverse n’altère pas les relations et cette connaissance fortuite nous vaut un portrait qui, émanant d’une plume sceptique autant que spirituelle, a certainement le mérite de l’impartialité.

Voici une page détachée de Rome contemporaine :

— «Je pourrais vous donner le portrait

«et l’histoire de mes compagnons de

«traversée; mais je n’aurais que du bien à

«vous en dire; et d’ailleurs, comme ils ne

«sont pas des hommes publics, leurs

« affaires ne vous regardent pas.

«Il en est un cependant que je me

«rappelle avec trop de plaisir, pour n’en pas

«dire quelques mots: c’est M. de Bailliencourt,

«colonel du 40me de ligne, et l’un «des hommes les plus aimables, les plus «ronds, les plus ouverts que j’aie «rencontrés en aucun pays.

«J’ai toujours aimé les soldats;

«singulier goût, dirait-on, chez un auteur qui se

«pique de philosophie. Parbleu! je sais

«comme vous que l’homme n’est pas sur

«cette terre pour tuer les autres hommes.

«L’activité, le courage et l’intelligence ont

«mille emplois plus utiles et plus élevés; je

«ne prétends pas engager de discussion là-

«dessus. Mais j’aime les soldats et c’est

«plus fort que moi. Je les aime avec leurs

«qualités et leurs défauts, leur instruction

«et leur ignorance, leur grandeur d’âme et

«leurs travers, et surtout avec cette

« éternelle jeunesse de cœur qui les distingue

«de nous. Ce qui plaît aux bonnes d’enfants,

«aux grisettes, et quelquefois aux grandes

«dames, c’est l’uniforme. Ce qui me séduit

«dans le soldat, quel que soit son grade,

«c’est un certain degré de naïveté honnête,

«une généreuse ignorance du mal, une

«demi-virginité de l’âme, qui se conserve

«sous l’uniforme jusque dans un âge assez

«avancé.

«Mon honorable compagnon de voyage

«est encore jeune; je crois qu’il est sorti

«de Saint-Cyr en même temps que M. le

«maréchal Canrobert. Et pourtant, c’est

«déjà un vieux soldat. Il aime l’armée

«comme une patrie, le régiment comme

«une famille, le drapeau comme un clocher.

«Un numéro inscrit sur les boutons

«d’une tunique lui fait battre le cœur. En

«débarquant à Cività-Vecchia, il a poussé

«un cri de joie, en reconnaissant un homme

«de son régiment. Il me raconte, en

«caressant sa moustache avec une joie attendrissante,

«qu’on viendra demain matin,

«musique en tête, lui rapporter le drapeau.

«Cet homme bien né, cet homme du

«monde, a demandé un congé d’un mois

«pour revoir sa famille, après une absence

«de plusieurs années. Il revient au régiment

«avant l’expiration de son congé : la nostalgie

«du drapeau l’avait pris.»

M. Taine a dit quelque part: «Qu’il faut

«imprimer surtout ce qui n’est pas fait

«pour l’être.»

Avons-nous eu tort de penser comme lui? Aujourd’hui que l’enthousiasme pour la nation «sœur» est bien calmé ; aujourd’hui que de toutes parts les yeux se tournent vers cette Papauté, que l’on commence à reconnaître indispensable à l’équilibre européen; au lendemain du jubilé pontifical, quand la Sedia Gestatoria est passée, une fois encore majestueuse, sur la tête des peuples et des ambassadeurs, n’est-ce pas le moment de rappeler les fautes pour l’enseignement de l’avenir?

Mais, diront quelques timorés «pourquoi revenir sur un fait accompli? Ne vaut-il pas mieux recommencer une politique nouvelle pour amener à de meilleurs sentiments, par notre platitude, le cœur ingrat de nos anciens obligés?»

Tel ne saurait être notre avis.

L’unité italienne est faite et se maintient par la force de l’unité allemande.... Soit!

Combien de temps l’empire d’Alexandre et celui de Charlemagne ont-ils donc survécu à leurs fondateurs, sans parler de l’exemple plus récent de Napoléon?

Aux grandes conquêtes l’histoire fait vite succéder les petits partages. N’y a-t-il dans le nouveau bloc aucune fissure qui ne se puisse pacifiquement élargir? Ne serait-ce pas un patriotique travail que de s’y essayer.

Les empires naissent dans la guerre, ils ne se développent que dans la paix. L’Allemagne le sent; mais l’Italie se meurt.

Le socialisme à Berlin, la question religieuse à Rome, voilà deux grosses épines, plantées au cœur de l’une et de l’autre unité.

A l’ère de résistance armée, que ses ennemis n’ont pas craint de reprocher au pontife Pie IX, succède la résistance énergique mais purement diplomatique de Léon XIII. La révolution lâche-t-elle sa proie? L’Église et la Papauté gagnent-elle une liberté, et les Nations chrétiennes ne commencent-elles pas à envisager avec inquiétude le moment où l’Italie, pressant peut-être sur les décisions d’un nouveau conclave, voudrait essayer de dicter ses lois au monde catholique.

Rome, elle-même, étouffe dans sa livrée sarde.

Rome n’a qu’une raison d’être: métropole du catholicisme, comme elle était jadis métropole du paganisme.

Rome capitale italienne! c’est un contresens historique, un étiolement, un effondrement. La prédiction de Montalembert s’accomplit; Rome bientôt ne sera plus qu’un musée cosmopolite, qui, malgré ses lois, passera pièce à pièce aux mains de l’Angleterre et de l’Amérique.

Où est sa royauté ? Que sont devenues son influence et sa domination?

Les efforts les plus intéressés ont-ils galvanisé ce cadavre, lorsque, tout récemment, au feu d’un enthousiasme factice, on a voulu ressouder la Triple Alliance, déjà menacée, paraît-il? Et, dans ce palais Doria, où l’attendait courbée la société romaine, et où il entrait moins en hôte qu’en maître, le Kaiser allemand n’aurait-il pas haussé dédaigneusement ses larges épaules, si le Sénat de Rome, rééditant un mot superbe, eût osé lui dire, comme jadis à son aïeul Fréderic Barberousse:

«Tu étais un étranger, et nous avons

«fait de toi un citoyen.»

Mais la Providence veille. Le temps n’est rien pour elle; les empires passeront; l’Église restera. Montaigne l’a dit lui-même, abdiquant enfin dans les murs de la Ville éternelle son cher scepticisme.

«Tout ce qui bransle ne tumbe pas. La

«contexture d’un si grand corps tient à plus

«d’un clou; il tient mesme par son

«antiquité : comme les vieux bâstiments

«auxquels l’aage a desrobbé le pied, sans crouste

«et sans ciment, qui pourtant vivent et se

«soubtiennent en leur propre poids.»

Feuillets militaires: Italie, 1852-1862

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