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CHAPITRE III

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Table des matières

Proclamation de l’Empereur. — Le colonel de Cambriels et les habitants de Brescia. — Les Bonaparte. — Napoléon à Ilam. — Son caractère, ses aspirations. — La perte d’un aigle. — Enfance du prince Louis. — Le cachot du Capucin. — L’évasion. — Mes relations avec Badinguet. — Napoléon III à Milan. — Entrée triomphale. — Physiomonie de l’Empereur. — Le baron Larrey à Solferino. — Le commandant Ragon et le 5me corps. — Comment les Italiens comprennent une guerre d’indépendance. — Revirement de l’Angleterre. — Aimables procédés des Lombards.

Le 3 juillet, nous trouvâmes la proclamation suivante affichée en français et en italien sur tous les murs de Milan:

«SOLDATS,

«Les bases de la paix sont établies avec l’empereur d’Autriche.

«Le but principal de la guerre est accompli. Pour la première fois, l’Italie devient une nation, une confédération de tous les États d’Italie sous la présidence d’honneur du Saint-Père.

«Elle réunira en un seul corps les membres de la même famille.

«La Vénétie demeure, il est vrai, sous le sceptre de l’Autriche, mais ce sera une province italienne, qui fera partie de la confédération; la réunion de la Lombardie au Piémont crée de ce côté-ci des Alpes une puissance importante, qui lui devra son indépendance.

«Les gouvernements restés en dehors du mouvement ou réintégrés dans leurs domaines comprendront la nécessité de salutaires réformes.

«Une amnistie générale fera disparaître toutes les traces de désordes civils.

«L’Italie, maîtresse désormais de son sort, n’aura plus qu’à s’accuser elle-même, si elle ne marche pas progressivement dans la voie de la liberté.

«Vous, soldats, vous allez retourner prochainement en France.

«La patrie reconnaissante accueillera avec joie, les soldats qui ont élevé si haut la gloire de nos armes.

«A Montebello, Palestro, Turbigo, Magenta, Melegnano Solferino, ils ont, en deux mois, affranchi le Piémont, la Lombardie et ne se sont arrêtés, que parce que le but de cette guerre n’était pas de prendre des proportions qui ne correspondaient plus aux intérêts que la France avait dans cette guerre formidable. Partez donc fiers de vos succès, fiers des résultats obtenus.

«Fiers surtout d’être les fils privilégiés de cette France qui sera toujours la grande nation et qui aura toujours un cœur pour s’emparer des nobles causes, et des hommes comme vous pour les défendre.

«Du quartier impérial de Valeggio, le 12 juillet 1859.»

NAPOLÉON.

Ces paroles n’étaient que la confirmation des événements que nous connaissions déjà.

Si elles ne furent pas comprises par les Italiens, elles le furent par les soldats de Magenta et de Solferino. Ils s’aperçurent qu’ils venaient de verser leur sang pour un peuple ignorant la gratitude, et que le sentiment de l’indépendance et de la liberté ne poussait point aux armes.

Nos troupes, qui avaient combattu vaillamment, accueillirent, sans regrets, l’espoir du retour dans la patrie. On avait pu voir, non sans indignation, les habitants de Brescia remplacer notre drapeau par le drapeau ennemi, sur un faux bruit d’un retour offensif; puis, tournant comme des girouettes, obéir aux insinuations frappantes du colonel de Cambriels, les obligeant à coups de canne à l’arborer de nouveau.

La joie des régiments qui avaient marché à l’ennemi ne fut pas partagée par la division d’Hugues; elle regrettait de ne s’être pas trouvée, au moins une fois, à la moisson des lauriers coupés.

J’ai raconté les détails de notre entrevue avec Sa Majesté Victor-Emmanuel; je veux oublier cette journée par respect pour la royauté, ne penser qu’au brillant courage du souverain et, sans parallèle, parler de l’empereur des Français que nous allions recevoir.

Pourquoi le cacher? J’aime l’Empereur!...

Bien qu’élevé sous d’autres horizons politiques, par ma nature de soldat je m’attache à ce nom de Bonaparte, pour son côté glorieux.

Il s’est imposé à l’histoire par de merveilleux triomphes.

Avide de renommée, ambitieux, présomptueux peut-être, Napoléon Ier a voulu gravir les sommets les plus élevés de la gloire. Cette pensée a été l’aiguillon persistant, impérieux qui a rendu sa vie de conquérant digne des temps héroïques.

Il a promené une armée de géants autour du monde. Nul ne peut lui refuser l’auréole du génie, le courage du lion. Comme une sorte de météore qui étonne et bouleverse, il a peut-être été le fléau de Dieu. Mais quelle épopée!...

Je trouve au moins une ressemblance entre l’oncle et le neveu: tous deux nous ont délivrés de la république, une première fois sanglante, la seconde ridicule. A défaut de la Restauration désirée jadis, mais aujourd’hui impossible, nous avons à notre tète un nom célèbre dans les fastes militaires.

Napoléon III n’a pas le physique du soldat, mais il a au suprême degré la bonté qui captive.

Cette physionomie sans regard, qui tout à coup s’éclaire, m’intéresse.

Énigme vivante, il est l’homme des chimères, poursuivant éternellement un rêve; on le pressent sans l’analyser. Tel je l’avais jugé lorsqu’il fut enfermé au fort de Ham, après la double tentative de Strasbourg et de Boulogne en 1840.

J’étais alors capitaine adjudant-major au 17me de ligne, et mon bataillon gardait le vieux donjon de la Somme, si extraordinaire par son élévation qui mesure trente-trois mètres. C’était bien la prison d’État rêvée, par son aspect renfrogné, rébarbatif. Du reste, elle n’en était pas à son coup d’essai; Louis-Philippe y avait envoyé les ministres de Charles X en 1830.

Je voyais passer sur le préau ce visage de sphinx, sans me douter des hautes destinées réservées à ce prince aventureux qui avait si ferme confiance en son étoile. Extraordinairement fataliste, il semblait avoir adopté la devise des Orientaux:

«Ce qui doit arriver arrivera.»

Très superstitieux, suivant la pente naturelle de son esprit, il avait été désagréablement impressionné par un fait bizarre, qu’il contait volontiers et qui fut, disait-il, un présage de nos échecs.

Napoléon III possédait un aigle apprivoisé, superbe d’envergure.

En débarquant à Boulogne, l’oiseau symbolique, par un caprice que sa fidélité semblait rendre impossible, s’était envolé, étonnant les populations de la plaine, par l’ampleur de ses ailes.

Il arriva jusqu’à Compiègne; un châtelain des environs l’aperçut, le tua, le fit empailler et mettre chez lui à une place d’honneur.

Ce ne fut que beaucoup plus tard qu’il connut la provenance de ce royal coup de fusil.

L’oisiveté est lourde, lorsqu’on porte le nom de Bonaparte. Le prince disait souvent au gouverneur que toute son ambition aurait été de servir son pays et de gagner ses grades sur le champ de bataille. Son éducation, cependant, n’avait pas été celle d’un soldat. La reine Hortense ayant perdu un enfant du croup, entourait celui-ci des soins les plus exagérés, jusqu’à faire remplir d’eau chaude les arrosoirs de son jardinet.

Les fleurs se fanaient, la fraîcheur leur étant inconnue; l’enfant s’étiolait et ces soins paraissaient déjà exagérés à son naïf bon sens. Deux choses excitaient, outre mesure, sa jeune imagination et ses désirs. Voir la France!... entendre Talma!........................................

Napoléon avait de l’esprit et l’on était surpris d’entendre sortir de ses lèvres de rêveur silencieux, un mot d’un tour léger. De ses yeux ternes, le plus souvent sans lumière, jaillissait tout à coup une expression violente ou sympathique, parfois même grivoise.

Le prisonnier de Ham se plaignait de l’absence de l’élément féminin. A ce propos, il émaillait ses conversations, avec le gouverneur, de calembours, de réparties prouvant qu’il n’était nullement insensible aux péchés mignons de la galanterie.

Sa prison même lui servait de prétexte à plaisanteries. Voici en quelle occasion:

Dans la grosse tour, dite du Connétable, qui rappelle le titre du comte de Saint-Pol, son fondateur, se trouve un obscur cachot où l’on voit un énorme bloc de pierre, seul oreiller du malheureux condamné.

Un capucin, dit la légende, y aurait été enfermé pendant des années si longues, que son oreille aurait eu le temps de s’incruster dans le granit et d’y laisser sa forme. Toujours est-il que la chose passe dans le pays à l’état de croyance populaire, la jeune fille qui aura mis son oreille sur la place de celle du moine, sera sûre de trouver dans l’année un mari à sa convenance. Une chanson picarde en fait foi; j’en ai oublié la moitié, ne me souvenant que de ce naïf refrain:

«Ayez figure vermeille,

«Bonne dot et soyez certain

«Que vous bénirez l’oreille,

«L’oreille du capucin».

Entre quatre murs, on ne choisit pas ses sujets. Le prince n’avait garde d’oublier cette occasion de rire et de s’informer du nombre de miracles opérés, avec mille commentaires, dont je n’ai pas pris note, on le comprendra.

Ses boutades, à ce propos, laissaient parfois son interlocuteur bouche béante et faisaient le tour de la garnison où les occasions de gaieté étaient assez rares.

Tout le monde sait que le prince Louis Bonaparte s’évada de Ham, grâce au dévouement de son trésorier M. Thélin et du Dr Conneau. Ils profitèrent de quelques réparations faites à l’intérieur de la forteresse pour gagner les maçons.

L’un d’eux, nommé Badinguet, à peu près de la même taille que le prisonnier, lui céda ses vêtements. Le prince passa sous ce déguisement, portant sur son épaule des débris de planches, qui lui cachaient la moitié du visage; puis il franchit la frontière belge et s’embarqua pour l’Amérique.

Le nom de Badinguet est resté à Napoléon comme un sobriquet familier à ses ennemis; il le savait et en plaisantait. J’avais connu le vrai Badinguet dans une circonstance puérile où ses sentiments me furent révélés.

C’était un ouvrier élevé clans le fanatisme de la légende. Son père, un vieux grognard des grenadiers de la grande armée, lui avait transmis l’ardeur de ses opinions.

Dans ma modeste chambre de capitaine, des souris vinrent troubler mon repos, trottinant,... grignotant,... agaçantes. Je fis venir un maçon pour boucher les trous par lesquels s’introduisaient les importunes; on m’amena Badinguet.

Lorsque le travail fut fait:

«— Est-ce tout.» Lui dis-je?»

«— Oui, elles sont en prison, les coquines,

«regardez... vous devez vous y connaître, vous

«qui gardez les innocents... Môssieur...»

L’ouvrier termina sa phrase en grossissant la voix, roulant de gros yeux. Je le trouvai insolent et le mis à la porte assez rudement.

Depuis cette époque, la roue de la fortune a tourné...

L’Empereur m’a témoigné en toute occasion une bonne grâce et une amabilité parfaites. A-t-il reconnu en moi son gardien d’autrefois? Bien entendu, je n’ai jamais osé faire, à ce passé lointain, une allusion qui n’est point venue de lui, et le masque impassible de son visage m’a toujours laissé dans le doute.

Les souvenirs de jeunesse ont pour tous un charme si entraînant que l’on me pardonnera de m’y être oublié.

Je reviens vite à Milan et aux préparatifs faits pour recevoir le souverain qui vient de rendre l’indépendance à la Lombardie.

Toute la population est en fête ce 14 juillet 1859. Les rues pavoisées regorgent de monde; je voudrais pouvoir donner une idée de cette foule bigarrée, bariolée, affrontant bravement les ardeurs d’un soleil de plomb.

Les femmes parées, coquettes sous l’ombrella, se pressent aux fenêtres, sur les balcons chargés à rompre; on me montre la ravissante duchesse L****..., son sourire vaudrait la Lombardie toute entière!...

Ce ne sont que guirlandes, bouquets, verdures, tous ces parfums semblent sortir d’un encensoir naturel.

On s’empresse jusque sous les pieds des chevaux au risque de se faire écraser. Mais le délire ne calcule rien, et c’est bien vraiment du délire que ces cris, ces bravos, ces applaudissements frénétiques. Nous marchons sur les fleurs, le sol en est jonché !...

Qui peut se défendre contre l’entraînement d’une pareille scène? Je ne puis y songer sans avoir les larmes aux yeux, car c’est l’armée française, mon drapeau que j’aime comme une patrie, que l’on glorifie ainsi!...

Bien fou pourtant celui qui se fierait à l’ivresse enthousiaste des peuples, pas plus d’un côté que de l’autre des Alpes.

La division d’Hugues reçoit l’ordre de s’échelonner faisant la haie sur le passage de l’Empereur.

Le 12me bataillon est établi à la gare du chemin de fer de Brescia, porte orientale, où le 13me de ligne étend ses colonnes; enfin la gauche de la division est au palais royal.

Sa Majesté arrive exactement à cinq heures.

La tenue de Napoléon, ses traits brunis par un soleil brûlant, témoignent des fatigues de la campagne. Pourtant sa santé est excellente, et de tous les personnages qui l’entourent, il paraît le moins éprouvé.

L’Empereur est accompagné du roi Victor-Emmanuel qui l’attendait à la gare du chemin de fer suivi de vingt voitures, escorté des généraux de Béville, Borgella et moi.

Il me serait difficile de peindre l’enthousiasme saisissant, indescriptible excité par la personnalité sympathique de Napoléon.

Les acclamations retentissent bruyantes, au point de faire cabrer le cheval arabe que monte l’Empereur. Celui qui en est l’objet paraît calme, et je me plais à retrouver sur sa physionomie une sorte de cachet poétique qui lui est propre.

J’ai une confiance qui s’obstine, et pourtant je suis inquiet,... je voudrais des déclarations fermes et claires, moins d’emphase dans les promesses, jamais d’ambiguïté ; plus de précision, et surtout l’oubli absolu des souvenirs du passé qui ne peuvent qu’entraver les résolutions généreuses, les aspirations élevées.

L’Empereur descendit au palais royal et occupa ces somptueux appartements décorés avec le luxe italien que l’Autriche savait si bien exploiter. Sa Majesté reçut immédiatement les généraux qui venaient de former son escorte. S’adressant au plus ancien, elle exprima le regret de nous avoir appelés aussi tard, nous promettant de penser à nous, à la première campagne.

Nous crûmes démêler dans cette physionomie, toujours si maîtresse d’elle-même, une pensée secrète qui peut se traduire ainsi:

«Ceux qui m’ont arrêté au milieu de mes victoires auront un jour à compter avec moi.»

Nous exprimâmes à l’Empereur notre admiration pour ses triomphes. Il nous répondit avec un accent de tristesse profonde:

«Mais que de pertes!... que de sang répandu!»

Je le répète, Napoléon est foncièrement bon, trop même, en certaines circonstances.

Je l’ai vu à l’œuvre, souvent obligeant des ingrats, donnant à profusion, payant les dettes de ceux qui savaient l’attendrir, circonvenir sa pitié, encourageant ainsi des défaillances morales qui m’ont toujours choqué.

Il est si facile de payer ses folies en économisant sur certains traitements.

Passons!... Il me suffit de constater que l’Empereur est doué en tout d’une grande sensibilité ; toujours maître de soi; il est difficile de deviner cette nature concentrée chez laquelle les sentiments sont d’autant plus vifs qu’ils sont moins exprimés. En tout, Napoléon a l’âme douce et sans angles, beaucoup de vague dans l’esprit; sans être perfide, il est dissimulé, comme tous les hommes ayant passé leur jeunesse dans les complots; mais la dissimulation est pour lui plutôt une nécessité de la situation qu’une forme du caractère.

L’effusion du sang, les tableaux de bataille, dans lesquels l’Empereur fut constamment en scène comme acteur ou spectateur, lui étaient souvent pénibles: A Solferino, le cheval du docteur Larrey fut grièvement blessé ; il perdait beaucoup de sang, souffrait visiblement. Sa Majesté voulut qu’on éloignât de ses yeux ce spectacle douloureux.

Je tiens ces détails et l’appréciation qui précède, du baron Larrey lui-même; je l’avais rencontré à Rome, ensuite à Valence, lors du passage de l’Empereur. Puis enfin, le 14 juillet, je fus heureux de revoir cet homme de cœur et de science, héritier d’un nom qui a conquis son illustration si noblement.

Avant la soirée, j’avais longuement causé avec le commandant Ragon, un des héros de Malakoff, aujourd’hui aide de camp du prince Napoléon. Le 5me corps, qu’on avait nommé «la cinquième roue du char de la victoire,» n’avait pas été appelé à l’honneur de combattre.

Dans cette conversation, allant du plaisant au sévère, M. Ragon me conta, avec infiniment d’esprit, les désastres de quelques hauts estomacs militaires, dont le sybaritisme ne s’accommodait point de la cuisine de la Toscane et des duchés de Parme et de Modène.

Il me donna des détails intéressants sur sa course à Vérone où il accompagnait le cousin de l’Empereur, portant la ratification des préliminaires de la paix de Villafranca.

Vérone, connue surtout par son magnifique amphithéâtre, le mieux conservé de tous ceux qui existent en ce genre, possède des fortifications considérables. La ville eût été très difficile à enlever sans un siège long et meurtrier.

Formant un des angles du fameux quadrilatère, elle n’était pas la seule place à investir.

Cette raison, comme beaucoup d’autres, contribua à déterminer la signature du traité, qui valut tant d’injures à Napoléon, de la part de ceux qu’il venait de protéger.

Étrange inconséquence des cœurs!...

L’Angleterre, dont la politique avait été jusque-là autrichienne, se retournait vers le soleil levant de l’indépendance italienne qui devenait aussitôt l’objet de ses affections.

Nos voisins d’Outre-Manche, essentiellement pratiques, dans cette nouvelle orientation, acceptaient surtout dans les idées révolutionnaires ce qui convenait au fanatisme protestant.

Nous autres Français catholiques qui venions de faire cette nation italienne, grande et forte, on nous vouait à la haine; nous étions désormais certains de ne jamais trouver d’auxiliaires dans ces voisins inconstants.

Du reste, le mouvement du 5me corps dans les duchés, aurait dû faire prévoir ce qu’il en était du patriotisme ilalien: les 100,000 hommes promis aux cadres ne s’étaient point engagés... Pourtant on eut été en droit d’attendre ce renfort, poids réel dans la balance, surtout au point de vue de l’effet moral.

La Toscane, Parme, Modène devaient fournir une armée pour applaudir l’Empereur aux rives du Mincio et, par cette manifestation triomphale, prouver leur adhésion aux principes d’indépendance que le Piémont avait soutenus dans cette guerre; 10,000 hommes, recrutés à grande peine, représentaient un chiffre dérisoire pour témoigner de l’ardeur patriotique du peuple.

Sept années de séjour à Rome et une longue étude du caractère italien m’avaient autorisé à préjuger ce que serait cette guerre. Je tiens pour une peinture exacte de la situation, cette phrase écrite avant l’entrée en campagne à Napoléon III par le duc de Gramont.

«— Que Votre Majesté veuille ne pas oublier,

«que les Italiens ne pardonneront jamais à

«l’Empereur de les obliger à se battre.»

«— Ils veulent bien de la liberté, mais au prix

«du sang et de l’argent des autres,» ajoutait un autre diplomate.

Cette pensée était partagée par le prince de la Tour-d’Auvergne, ministre à Turin; le prince, jugeant sainement les choses et voyant l’élément révolutionnaire prédominer dans ce choc formidable, a lutté plusieurs années contre le projet de la guerre.

Le 16 juillet suivant, l’ambassadeur me donna plus de détails encore sur ses appréhensions; j’y reviendrai en temps utile.

Un fait, qui me fut conté ce même jour, montrera comment se comprennent en Italie les lois de l’hospitalité.

Les prairies de la Lombardie sont entremêlées de rizières; des canaux habilement creusés amènent l’eau, entretenant la fraîcheur, produisant ainsi les magnifiques récoltes qui sont la grande richesse de ce pays.

Nos troupes, sans méfiance, établissaient parfois le campement autour de ces cours d’eau et s’éveillaient, au milieu de la nuit, leurs bagages submergés, eux-mêmes baignés dans une inondation inattendue.

On porta plainte; les paysans lombards répondirent avec force soupirs, exclamations de pitié ; levant les bras au ciel:

«— È un caso!...» s’écriaient-ils.

La chose se renouvelant, on fit établir une active surveillance.

Cette méchante plaisanterie était due aux municipalités.

Pris sur le fait, convaincus, les bons Lombards durent renoncer à cet étalage hypocrite de commisération.

Eux-mêmes avaient levé sciemment les écluses.

Feuillets militaires: Italie, 1852-1862

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