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CHAPITRE PREMIER

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Table des matières

Napoléon à Valence. — Départ pour la guerre d’Italie. — Passage du Mont-Cenis. — Champ de bataille de Magenta. — Le général Espinasse. — Le général Giulay. — Récit de la bataille. — Héroïsme du général Regnaud de Saint-Jean-d’Angely et de la garde impériale. — Mouvement décisif du général de Mac-Mahon. — Magenta est enlevé. — Retour offensif des Autrichiens. — Succès définitif. — Le maréchal Canrobert. — Le général de Mac-Mahon est fait maréchal de France. — Le général Regnaud de Saint-Jean-d’Angely reçoit aussi le bâton de maréchal. — Entrée dans la Lombardie.

Au temps où je commandais le département de la Drôme, l’empereur Napoléon III, passant à Valence pour rejoindre l’armée d’Italie, voulut bien causer longuement avec moi, et lorsque, prenant congé, j’osai lui faire remarquer combien pouvait être brillant et désintéressé, le rôle que la Providence semblait lui destiner, il me répondit, avec un accent indéfinissable comme son caractère:

«L’homme fait ce qu’il peut, Dieu le conduit.»

Ces mots furent prononcés le 11 mai 1859.

Peut-être le souverain se rendait-il compte que la force éternelle est dominante en toutes choses et se sert des mortels, comme d’un levier humain, pour accomplir ses desseins de miséricorde ou de justice.

La réflexion, venant à la suite de ces paroles, qui me donnèrent de si grandes illusions, aurait dû faire comprendre à l’Empereur que la partie engagée se jouait aux dépens de la France. S’il avait médité l’histoire, il eût évité la faute commise par Napoléon Ier, lorsqu’il réduisit le nombre des petits États allemands, espérant se faire des alliés de ceux dont il augmentait le territoire.

Cette politique, qui n’était pas celle des rois de la vieille race, devint la cause des revers que subit la grande armée.

L’expérience de l’oncle ne servait point au neveu!...

Cette guerre sentimentale, néfaste, fut bientôt un fait accompli.

Les victoires de Magenta et de Solferino avaient suffi pour renverser la puissance autrichienne en Italie et aussi pour obtenir ce résultat malheureux: mettre à nos frontières un royaume agrandi, désormais menaçant pour notre repos. Une campagne victorieuse devenait funeste et nous donnait des voisins turbulents, dangereux.

L’Empereur désirait prouver au monde, que le génie de la guerre est un don traditionnel de famille. Comme Napoléon Ier, il voulait cueillir des lauriers dans le pays où le prestige du conquérant avait reçu sa consécration.

Enivré d’un brillant début, il voyait arriver le moment de commencer une nouvelle série d’opérations et de pénétrer dans ce fameux quadrilatère, boulevard de la puissance autrichienne.

Tous les moyens d’attaque avaient été accumulés à la hâte pour une guerre de siège par terre et par eau, car il fallait enlever: Peschiera, Mantoue, Vérone, Venise, etc. Des renforts étaient devenus nécessaires. Les vides de Solferino n’étaient pas comblés.

Allions-nous donc être appelés? Jusqu’alors le ministre de la guerre n’avait pas voulu démenbrer le corps d’armée de Lyon défendant la frontière. Notre impatience s’augmentait des nouvelles glorieuses. L’oreille tendue du côté des Alpes, nous passions de l’anxiété aux regrets.

Nos désirs devaient se réaliser.

Le samedi 2 juillet 1859, la 2me division de l’armée de Lyon, sous le commandement du général d’Hugues, reçut l’ordre de rejoindre l’armée d’Italie et de se mettre en route le dimanche 3 juillet; elle était ainsi composée:

Général de division, d’Hugues. Chef d’état-major, commandant Hazard.

Capitaine aide de camp, M. Dutheil.

Capitaine d’état-major, M. Bossens.

Officier d’ordonnance, vicomte de Cramayel.

1re brigade, général de brigade, de Bailliencourt-Courcol; officier d’ordonnance, baron de Bourgoin. 12me bataillon de chasseurs, commandant, M. de Brossard; 12me de ligne, colonel de Brauer; 22me de ligne, colonel Mattat.

2me brigade, général de brigade, Suau; officier d’ordonnance, M. Pereire. 29me de ligne, colonel de Roméjou; 50me de ligne, baron Nicolas.

La nouvelle du départ fut accueillie avec enthousiasme, car la religion du drapeau est greffée dans l’âme du soldat français, si ouverte à toutes les poésies du dévouement, à toutes les énergies du courage, à ce rêve d’exaltation sauvage, mais élevé, que la guerre inspire.

La gloire a tant d’attraits!... le grade à conquérir, une croix convoitée, l’aventure possible d’une action d’éclat, toutes ces pensées montent au cœur et gagnent de proche en proche, jusqu’au soldat qui regarde dans sa giberne s’il n’y voit pas l’ombre d’une épaulette.

Pauvres petits soldats! martyrs ignorés du devoir, que de fois je vous ai admirés, marchant dispos et résolus dans le beau feu de votre jeunesse insouciante...

Le 3 juillet, au matin, nous fîmes nos adieux au maréchal de Castellane, gouverneur de Lyon; il nous exprima, les larmes aux yeux, son regret de ne pas pouvoir nous conduire à l’ennemi, et nous lut une lettre admirable, par laquelle son Excellence, dans le style le plus élevé, demandait à l’Empereur de marcher, ne fût-ce qu’à la tête d’une seule division..

Nos brigades, fractionnées en convois de quinze à dix-huit cents hommes, prirent, dans la soirée, le chemin de fer de Culoz et arrivèrent le lundi 4 juillet, à 9 heures du matin, à Saint-Jean-de-Maurienne (Piémont).

Les défilés de la Savoie qui suivent le cours de l’Isère, après Chambéry, Montmélian, Aiguebelle, sont riants et ombragés de magnifiques noyers. Puis ils revêtent un caractère sauvage, et sévère en s’enfonçant, sur les rives de l’Arche, dans la chaîne des grands monts.

Le 4 juillet, nous arrivâmes à Modane. La chaleur était accablante, un grenadier du 19me de ligne, frappé d’insolation, mourut dans la nuit.

A Saint-André, l’on montre sur la pointe d’un roc les ruines d’un château attribué aux Carthaginois. Nous visitâmes les travaux du gigantesque tunnel, il aura 12,595 mètres.

Le 5, nous sommes à Lanslebourg, nous franchissons le Mont-Cenis et arrivons à Suze, le 6.

Cette portion de la Savoie, que nous venons de traverser, est bien une terre française par la topographie des lieux, l’esprit, le langage de ses habitants, et il est à regretter que notre frontière ne soit pas reculée à ce nœud des Alpes.

Le 7 juillet, à 6 heures du matin, le chemin de fer Victor-Emmanuel emporte notre brigade vers les étapes de nos gloires militaires.

Turin, Chivasso, Santhia, Verceil, Novare nous acclament, comme les frères des vainqueurs de Magenta et Solferino; à 2 heures, nous entrons dans cette grande plaine qui a pour limite le Tessin.

Des cuisines de bivouac, des débris, des traces de campement nous rappellent que nos régiments sont partis de là pour traverser le fleuve en présence de l’armée autrichienne. Après une halte obligatoire de 2 heures (le chemin de fer n’ayant qu’une seule voie), nous franchissons à 4 heures le pont de Magenta.

A droite, un pont de bateaux gardé par nos troupes.

A gauche, une batterie française.

Le pont du chemin de fer, que la mine autrichienne n’a détruit qu’en partie, est encore assez solide, nous passons sur ses ruines.

Entre deux digues élevées, nous trouvons le Naviglio ; grâce aux exigences de l’administration lombarde du chemin de fer, nous sommes une seconde fois arrêtés pendant plus d’une heure sur le champ de bataille même de Magenta, facile à visiter, car il n’a au plus que 2 kilomètres de développement.

L’imagination est toujours avide des fortes émotions qu’excitent les grands drames, plus particulièrement chez l’homme de guerre; aussi recherchons-nous les ruines, ces vestiges qui accusent les péripéties violentes d’une lutte acharnée.

Nous sommes surpris de ne retrouver que de faibles indices, le paysan a saisi sa proie, il la croyait sans doute acquise, comme compensation aux maux qu’il avait soufferts.

Pourtant, sur le terrain où les engagements avaient eu lieu, plus spécialement meurtriers, vingt mille fusils autrichiens étaient tombés aux mains de l’armée française avec une masse d’objets d’équipement.

Dès le début de l’action, le 2me zouaves avait enlevé un drapeau à un régiment ennemi.

Ce précieux trophée fut porté à l’Empereur, par son ordre, et le drapeau du régiment décoré. Quelques débris gisaient çà et là... des lambeaux d’étoffe, des éclats de fer et d’acier.., de gros tertres recouvrent les corps de nos soldats.

Deux morceaux de bois en croix, arrachés aux barrières brisées de la gare, portent cette inscription, tracée d’une main inhabile ou tremblante: «M. Allavoine, capitaine, 2me régiment étranger. »

Les Autrichiens, dispersés dans la bataille, pouvaient espérer la fraternité d’une tombe commune. Ils n’eurent pas même la faveur de cette réunion et furent enterrés séparément au loin dans les champs cultivés où ils tombèrent...

Ces dépouilles trouveront peut-être le repos, grâce à leur isolement.

Nos soldats, ensevelis dans un déblai de chemin de fer, au milieu d’un sable mouvant, seront un jour certainement déplacés par une de ces combinaisons industrielles contre lesquelles toute résistance est inutile, et qui ne s’arrêtent ni devant le sentiment, ni devant le respect.

Les habitants de Magenta, d’autant plus loquaces que l’orage était passé, nous racontèrent, avec la faconde italienne, mille détails sur cette victoire. Ils nous firent remarquer l’endroit où le général Espinasse fut frappé d’une balle mortelle partie d’une fenêtre, au moment où, cherchant à forcer l’entrée d’une rue, il entraînait sa troupe par l’exemple.

Son officier d’ordonnance, M. de Froidefont, tomba aussi victime de sa valeur, percé de balles presque à ses côtés .

De toutes parts, du clocher lui-même, les projectiles pleuvaient, mais rien n’arrêta l’élan des troupes. Une autre perte non moins cruelle fut celle du général Cler. Sa vie en Afrique, comme en Crimée, n’avait été qu’une suite d’actions héroïques; nous nous sommes inclinés sur la place où il fut tué.

Journée glorieuse, mais chèrement achetée!

Comme les surprises, la guerre comporte aussi les méprises. D’une part, au milieu de notre triomphe, nous perdions une pièce de l’artillerie de la garde par la maladresse d’un adjudant, qui n’exécuta pas l’ordre de son capitaine; d’autre part, dans le feu de la bataille, quinze habitants réfugiés dans les caves étaient fusillés comme des lapins par nos soldats les prenant malheureusement pour des ennemis. Sur les lieux, nous pûmes nous rendre compte du mouvement décisif du 2me corps contre la droite autrichienne, tournant cette position formidable de Magenta, qui devait donner au général comte de Mac-Mahon une gloire immortelle, et que le général Giulay avait dû cependant choisir et étudier de longue main.

Traversant Paris quelques jours avant mon départ pour la campagne d’Italie, j’avais aperçu de tous côtés la caricature de notre adversaire, représenté comme un grotesque énorme et ridicule. J’avoue que je fus impressionné tristement par cette débauche d’esprit malsain, du reste en usage dans tous les pays. Un ennemi a toujours droit au respect, surtout lorsqu’il est vaincu. Déprécier les chefs des armées étrangères, c’est diminuer sa propre gloire! La politesse devant la mort a une double saveur!

Il n’est pas dans mes usages de raconter ce que je n’ai point vu ou entendu, ni de parler d’événements auxquels je n’ai point été mêlé. Toutefois, je ne crois pas possible de quitter ce champ de bataille sans rappeler la gloire immortelle que nos troupes y ont acquise, et en particulier cette garde impériale à laquelle je suis fier d’appartenir aujourd’hui. Nombre de notes et de récits d’amis recueillis avec soin m’en fournissent le moyen. J’ai aussi un puissant motif; saisir l’occasion qui se présente de payer une dette d’affection et de reconnaissance aux principaux héros de cette journée fameuse. Pourquoi oublier, en effet, que j’ai eu l’honneur d’entrer dans la carrière militaire aux côtés des maréchaux de Mac-Mahon et Canrobert, et que, placé depuis sous les ordres du maréchal Regnaud de Saint-Jean-d’Angely, je n’ai cessé d’éprouver les effets de sa généreuse protection et d’une confiance toute particulière. J’en suis d’autant plus fier qu’il ne les prodiguait pas.

Voici donc ce que j’appris sur cette journée du 4 juin qui restera célèbre dans notre histoire.

Jusqu’alors les différents corps français et sardes avaient marché individuellement vers un point de concentration qui, dans la pensée de l’Empereur, devait se trouver proche des rives du Tessin. L’armée autrichienne, après des retards incompréhensibles (quand une invasion du Piémont aurait été si facile au début), avait enfin dessiné un mouvement en avant sur Alexandrie et Cazal; ce mouvement fut déjoué par l’habileté stratégique de Canrobert, qui, se jetant résolument entre ces deux places, fit croire aux ennemis qu’il disposait de forces plus importantes. Giulay laissa donc notre concentration se continuer et retira ses troupes sur le Tessin, ne nous opposant que de fortes têtes de colonnes sur lesquelles les alliés remportèrent successivement les brillants succès de Montebello, Palestro, Turbigo.

L’Empereur pensait-il que l’ennemi voulût lui disputer le passage du Tessin, il est permis d’en douter. On suppose même qu’il espérait entrer à Milan sans effort, prévoyant que les Autrichiens ne livreraient pas une bataille décisive, si loin de leur fameux quadrilatère, en plein pays hostile.

Il était en droit de croire que le général autrichien se contenterait de l’inquiéter dans ce terrain coupé de canaux, de rizières, de champs de maïs, de vignes entrelacées, où les pampres se rejoignent, appuyant leurs festons aux longs bras des mûriers, pour l’attendre alors de pied ferme dans les rases campagnes de la Lombardie. Là enfin les deux armées pourraient librement se déployer.

Le général de Mac-Mahon franchissant le Tessin à Turbigo devait, dit-on, se replier avec le 2me corps à la gauche du fleuve, sur les hauteurs de Magenta; Canrobert et Niel, passant le fleuve à Buffalora, occuperaient la droite et le centre.

L’Empereur, sans inquiétude, traversait lui-même, le premier, vers 2 heures, le pont du Tessin que l’ennemi avait négligé de faire entièrement sauter, et s’avançait précédé d’une simple division de la garde sous les ordres du général Regnaud de Saint-Jean-d’Angely.

Il occupait sans coup férir l’espace situé entre le fleuve et le Naviglio, où de longues chaussées traversent un terrain fort coupé. A ce moment, une fusillade nourrie, sur la gauche vers Buffalora, faisait croire à la proximité du corps de Mac-Mahon, et la brigade Mellinet, non contente d’occuper le Ponte-Nuovo di Magenta, se lançait avec une ardeur irrésistible, et peut-être même contre les désirs du général Regnaud, à l’attaque des mamelons de la rive gauche du Naviglio, ignorant que l’armée ennemie entière couvrait ces hauteurs, et que cinq mille hommes de la garde allaient s’y heurter, dès le début, à plus de 20,000 Autrichiens. Le premier choc fut terrible, bien que favorable à nos armes; toutefois, malgré des prodiges de valeur, il fallut battre en retraite et se replier sur les solides maisons situées à la tête du Pont.

Pendant ce temps, le feu a cessé sur la gauche. Mac-Mahon menacé d’être coupé, a dû suspendre son mouvement. Canrobert et Niel, arrêtés par les chaussées encombrées de convois, pataugent sur place dans les rizières, de l’autre côté du fleuve. Le général Regnaud de Saint-Jean-d’Angely, a replié la garde sur les ponts du Naviglio. Il voit qu’il va être débordé, rejeté, que l’armée sera coupée en deux tronçons; il sait que l’Empereur est derrière lui, il demande instamment des renforts. L’Empereur fait répondre qu’il n’en a pas, mais ordonne «qu’on tienne, qu’on tienne quand même.»

Les zouaves ont fait des prodiges de valeur, le général Cler est tombé glorieusement à leur tête. Tortel, son aide de camp, est frappé en annonçant la mort de son chef. Le feu plongeant des Autrichiens balaie les étroites chaussées et tranchées du chemin de fer. Mellinet a 2 chevaux tués; mais il faut garder le pont à tout prix.

Le général Regnaud le comprend, et il en fera s’il le faut son tombeau et celui de son état-major. Campé sur son cheval, immobile au milieu du Ponte-Nuovo, ayant fait derrière lui planter le drapeau, assisté du général Mellinet, des colonels Raoult, de Tanlay, Robinet, et de tous ses officiers, il tiendra jusqu’à la mort avec ses braves grenadiers. Wimpffen en fera autant à Ponte-Vecchio.

Sur l’autre rive, Canrobert, prévenu, déclare qu’il faut passer «coûte que coûte». Le général Picart réussit à secourir Wimpffen. Le maréchal passe, lui-même, à 4 heures et se jette sur la droite; Niel parvient aussi à engager Vinoy et ses têtes de colonne en avant de Buffalora. La garde tient toujours. Que Giulay ait l’idée de concentrer tous ses efforts sur ce point et l’armée, dont une moitié n’a pas passé le fleuve, est coupée, irrémissiblement compromise! Sept fois les Autrichiens attaquent les ponts, sept fois ils sont repoussés et les secours n’arrivent pas, le canon de Mac-Mahon n’a point encore tonné. Que se passe-t-il donc! Menacé, par un fort parti ennemi, d’être débordé et séparé de la division Espinasse, impatient, songeant que la partie se joue et que de sa promptitude dépend le succès, le général de Mac-Mahon s’est lancé seul à la découverte, avec son escorte; il a franchi canaux et talus, traversant les vignes, se heurtant aux lianes et aux fils de fer, chargeant les éclaireurs ennemis. Enfin il a rejoint Espinasse et soudé ses divisions. Pendant 4 lieues, il combat la colonne ennemie, la refoulant sur Magenta.

Pied à pied, il gravit les hauteurs, malgré les feux épouvantables du village. Les maisons sont emportées à la bayonnette. Espinasse, descendu de son cheval qui glissait dans le sang, tombe les reins brisés aux premières portes.

La garde est sauvée! Elle a même repris l’offensive; ne voulant pas se contenter d’une héroïque défense, elle marche en avant et contribue à la victoire. A sept heures et demie, Magenta est à nous.

L’ennemi ne voulant pas s’avouer vaincu, essaye de tourner notre droite et se faufile le long du fleuve; mais Canrobert est là. Des tirailleurs ennemis cherchant à masquer ce mouvement, le maréchal veut se rendre compte par lui-même et voir de plus près. Il se heurte aux hussards hongrois et les charge avec son escorte, sabre au clair et cheveux au vent avec l’impétuosité d’un sous-lieutenant.

C’est bien ce même Canrobert qui, dix ans plus tôt à l’attaque de Zaatcha, commandant ces zouaves qui vient de s’illustrer à Magenta, réunit une poignée d’officiers et d’hommes résolus, puis leur tint ce discours: «Poussez-moi,

«tirez-moi, jetez-moi par-dessus le fossé,

«débrouillez-vous comme vous voudrez, mais je

«veux être le premier sur la brèche!» Il y fut.

Tel il était alors, tel on le retrouve aujourd’hui. Heureusement les troupes ont vu le danger couru par le maréchal. Le colonel Bellecourt est renversé, foulé aux pieds. Le colonel de Senneville accourt et tombe aussi, victime glorieuse, mais le sacrifice n’est pas inutile, le maréchal est dégagé, la colonne ennemie arrêtée.

La victoire nous reste définitive et l’armée autrichienne, malgré une velléité de résistance, reprendra le lendemain son mouvement de retraite en attendant que nos vaillantes troupes lui portent à Solferino le coup décisif.

La circulation étant enfin rétablie, nous quittâmes non sans émotion la place qui donna son nom au comte de Mac-Mahon, consacrant ainsi le souvenir de sa vaillance. Le bâton de maréchal y fut noblement acquis par lui et aussi par l’intrépide commandant en chef de la garde qui le reçut le lendemain. On dit que ce retard provint chez l’Empereur de la crainte de mécontenter l’armée en paraissant favoriser trop sa garde, mais l’opinion publique dissipa vite ce scrupule.

Au moment où le train reprenait sa route, j’avais le cœur saisi par de graves réflexions et l’esprit étonné de trouver sur le champ de carnage la belle et riche végétation, caractère spécial de cette Lombardie que l’on se dispute avec raison depuis des siècles, car c’est bien le plus beau pays du monde.

En admirant ce spectacle enchanteur, je pensais. que les grands tumultes des peuples, les transformations des empires, les ambitions souveraines, les appétits des générations qui se poussent et se succèdent, ont peu de prise sur la grande nature qui continue son œuvre dans sa paix, sa force et sa beauté, sous l’œil du Créateur qui lui accorde la puissance d’un rajeunissement perpétuel.

Le convoi nous emportait rapide vers des destinées inconnues, traversant en triomphateur ces plaines conquises au milieu des groupes de paysans arrachés à leurs travaux par le besoin de venir nous saluer de leurs vivats.

Foule gaie, agitée, bariolée, se pressant et s’agitant sous un soleil de feu, et dont l’enthousiasme nouveau nous grisait comme un vin trop généreux.

Feuillets militaires: Italie, 1852-1862

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