Читать книгу Les réfractaires - Jules 1832-1885 Vallès - Страница 10
IV
ОглавлениеComment ils finissent?
C’est l’hôpital qui en prend encore le plus grand nombre: la misère les tue l’un après l’autre, On dit qu’on ne meurt pas de faim. On se trompe. Seulement on y met le temps: dix, douze ou quinze ans, suivant la chance. Un beau jour, ils se sentent la gorge sèche, la peau brûlante; ils crachent, ils toussent, — cela ennuie les voisins, — ils vont à la Charité, en sortent, y retournent et meurent. Dans la poche de leur paletot ils laissent une pipe à moitié bourrée, un drame à moitié fini; quelque manuscrit au fond d’une malle, dans un hôtel garni, d’où ils sont partis sans payer; up bonhomme en plâtre dans l’atelier d’un camarade qui les laissait le jour près de son poële et la nuit sur son canapé. Voilà tout.
Un soir, dans une brasserie, un ami dira à travers la table: «Vous savez, un tel? il est mort. — Tiens.... pauvre diable, il était drôle. — Baptiste, une canette!»
Quelques-uns sont allés, un jour qu’ils étaient plus tristes, se tuer dans un coin, d’un coup de couteau dans le cœur ou d’une balle dans la tête.
D’autres sont revenus clopin-clopant au village, où la mort les a faits héritiers d’un coin de champ, d’une masure avec un jardin; ils vont causer avec les anciens sur le banc de pierre, à la porte du Lion d’or, et regardent passer les diligences.
Les lettrés, ceux qui arrivaient à Paris pour être ministres de l’instruction publique, ceux-là partent comme professeurs de sixième, dans un collège communal de l’Auvergne ou des Landes; ils mettent une calotte noire, portent des socques et écrivent dans le journal de la localité. — Ils finissent toujours par battre le principal.
Les inquiets, les ardents, les hommes d’action, ceux-là s’éloignent quand les cheveux blancs arrivent, sans qu’ils soient encore chefs d’une armée de volontaires, capitaines de bandits aux Batignolles, faute de mieux! Tristes d’avoir épuisé leur jeunesse dans une lutte sans témoins, contre des dangers sans grandeur, sous un ciel gris, ils s’en vont au pays du soleil et des aventures, dans les nouvelles Californies qu’on découvre, sur les côtes brûlées du Mexique, dans les pampas de la Plata, avec Santanna au Geffrard, Raousset-Boulbon ou Walker, n’importe, pourvu qu’il y ait à jouer avec la mort! — De rudes gas, ces coureurs de batailles! Donnez-moi trois cents de ces hommes, quelque chose comme un drapeau, jetez-moi sur une terre où il faille faire honneur à la France, dans les rues de Venise, si vous voulez! jetez-moi là sous la mitraille, en face des régiments, et vous verrez ce que j’en fais et des canons et des artilleurs, à la tête de mes réfractaires!
Quelques-uns regardent au ciel du fond de l’abîme, appellent Dieu à leur secours, et vont un soir frapper à la porte d’un de ces couvents où rôdent dans des linceuls blancs ces morts dont le cœur bat encore.
J’en ai vu entre deux mendiants au dépôt de Saint-Denis, entre deux gardiens dans la cour des fous, à Bicêtre!