Читать книгу Les réfractaires - Jules 1832-1885 Vallès - Страница 3

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Je les reconnaîtrais entre mille, ces réfractaires!

Ce paletot de coupe ambitieuse, brûlé par le soleil et fripé par la pluie, ce pantalon qui fut gris-perle, cet habit à queue de morue dessalée par la misère, qui a déjà servi trois carêmes, sous lequel je l’ai vu trotter l’automne dernier par l’orage, cet hiver sous la neige! Et la chaussure! toujours étrange! des souliers de bal, des bottes de prieur, des bottines de femme, ce qu’ils trouvent! — des pantoufles, quand il y en a. Mon Dieu oui! j’en ai vu qui ont ainsi traversé la vie — en voisin — en pantoufles et en cheveux. J’ai connu des chapeaux trop larges, donnés par une grosse tête, qui ont été tenus à la main pendant des semaines, des mois, des années. J’en ai connu qu’on n’ôtait jamais parce qu’ils battaient de l’aile, et qu’il aurait fallu les prendre par le tuyau pour présenter ses civilités. Ceux qui le savaient, d’en rire, et les réfractaires aussi! Pour dissimuler leur misère, ne pas la porter comme un joug, ils la portent comme une fantaisie. Ils prennent des airs d’inspiré ou d’excentrique, de farceur ou de puritain, — Diogène ou Brutus, Escousse ou Lantara. Ils cachent sous le voile de l’originalité leurs angoisses et leur honte, dussen-t-ils donner des coups de canif dans des bottes neuves pour excuser les trous des souliers passés et des bottines à venir. Ils consentent à passer pour fous, à condition de paraître moins pauvres; ils laissent dire qu’ils déménagent, pour avoir l’air d’avoir des meubles.

Voilà l’histoire de bien des tournures étranges et de plus d’une tête à la Juif-Errant. Il y a des barbes qu’on laisse traiter de socialistes parce qu’il en coûte trois sous chaque fois pour se faire raser et que l’on soupe avec trois sous dans une chambre de réfractaire.

Entre eux, du reste, et le pauvre banal existe la différence de l’esclave au vaincu. Ils n’ont point l’air de mendiants, mais d’émigrés. Leur origine se trahit plus fièrement encore dans les rides de leur visage; j’y lis autre chose que les angoisses d’un corps qui souffre, j’y lis les douleurs de l’orgueil blessé.

Ils rient pourtant: Il le faut bien! — S’ils ne mettaient jamais de masques, s’ils n’attachaient pas de grelots à leur bonnet vert, leurs visages pâles nous feraient peur, nous ne voudrions pas frotter nos habits à leurs haillons, notre ennui tranquille à leur tristesse pleurarde et bête; leur excentricité fait passer leur misère, jette des fleurs sur leurs guenilles. Ils rient, c’est là leur courage et leur vertu; c’est souvent pour ne pas pleurer. Ces rires-là, je les connais: ils valent les larmes des crocodiles.

Les réfractaires

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