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II
LE PRINCE ET LA PRINCESSE

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Table des matières

Il était à peine cinq heures, quand la voiture s’arrêta devant le no20bis de la rue Mosnier. Le soleil s’était levé tout à fait, dans de larges échancrures de pourpre, mais il n’y avait encore dans les rues que l’on avait traversées que quelques balayeurs soulevant autour d’eux des tourbillons de poussière, dont les grains menus dansaient dans les premiers rayons du matin.

Des voitures de laitier traversaient la place de l’Europe avec un bruit assourdissant de ferblanterie. Des colonnes de fumée blanche montaient des locomotives chauffant sur les rails de la gare. Des maisons commençaient à s’animer, des volets à s’entre-bâiller, les vitres s’allumant, criblées de pointes d’or.

Paris s’éveillait, avec ce murmure lointain fait de tous les bruits d’un monde qui reprend son activité et sa vie, et qui est comme son bâillement.

Néanmoins, dans la rue Mosnier, tout dormait encore. Habitée en grande partie par des locataires des deux sexes qui ont coutume de faire du jour la nuit et vice versa, la rue Mosnier est une des rues paresseuses de Paris. Ses persiennes et ses portes s’ouvrent tard. Aussi l’inconnue et ses deux acolytes purent-ils entrer dans la maison sans avoir été vus. On avait jeté un louis au cocher pour l’inviter à s’éloigner sans détourner les yeux. Il ne s’était pas fait prier, et son cheval était parti ventre à terre, avec un bruit étourdissant de caisse creuse et de ferrures mal attachées.

La femme habitait au premier un appartement luxueux, assourdi de tapis et de tentures, dans lequel les agents ne pénétraient qu’avec une sorte de réserve respectueuse.

A peine fut-elle entrée que l’inconnue rejeta loin d’elle avec une cynique insouciance les vêtements dont elle s’était enveloppée, sans prondre garde aux deux hommes qui la regardaient. Elle leur lança sur les bras les blouses et les foulards qu’ils lui avaient prêtés, puis elle leur ouvrit une porte donnant sur un salon et les pria de l’attendre un instant.

Elle se dirigea vers son lit et tira vivement un cordon de sonnette. L’air vif du matin l’avait ranimée; elle était redevenue maîtresse d’elle-même, mais une colère froide l’avait envahie. Les narines roses de son nez frémissaient de fureur, et ses yeux lançaient des lueurs fulgurantes comme des yeux de chat. Elle avait des tressaillements soudains et de grands frissons qui la secouaient tout entière.

Sans prendre la peine de se vêtir, elle ouvrit sa fenêtre et jeta violemment les persiennes le long de la muraille avec un claquement bruyant. La lumière entra à flots dans la chambre. L’inconnue alla aussitôt à son armoire à glace et se regarda. Un rugissement de douleur s’échappa de ses lèvres. L’absence de cheveux la défigurait complètement et elle était marquée au sein d’une tache hideuse pour toute la vie. Il n’y aurait pas de pâte, pas d’onguent pour faire disparaître cette lettre infâme. La malheureuse resta quelques minutes plongée dans la contemplation muette des ravages faits à sa beauté, les traits contractés par l’horreur et méditant d’atroces projets de vengeance, quand une porte s’ouvrit doucement.

Une petite femme à cheveux blonds ébouriffés, les yeux encore gros de sommeil, entra avec précaution.

En voyant devant elle cette femme nue, sorte de statue animée, qu’elle ne reconnut pas tout d’abord, elle poussa un cri de surprise et d’effroi.

–C’est moi, Marichette, dit l’inconnue; approche-toi et regarde!

–Madame!. C’est madame! s’écria la soubrette épouvantée. Et qui a mis madame?. Des cheveux si beaux! Des cheveux devant lesquels on se serait mis à genoux. Mon Dieu! mon Dieu!. C’est lui?. ajouta-t-elle, interrogeant sa maîtresse du regard.

–C’est lui! gronda sourdement l’inconnue.

–J’avais bien conseillé à madame de se tenir sur ses gardes, reprit la servante. Il fallait s’attendre à tout de la part de cet homme.

–Eh! qui pouvait prévoir une infamie pareille?. Sa vengeance a été terrible, mais la mienne sera plus épouvantable encore, je te le jure! Le misérable! Comme il m’a avilie et dégradée! Il n’a épargné aucune partie de mon corps. Sa colère a tout atteint et tout souillé!.

Marichette ne cessait de contempler sa maîtresse avec des yeux où se lisait une indicible terreur. La lettre surtout, qui saignait au milieu de la blancheur laiteuse du sein, la faisait frémir.

–Donne-moi du linge et un peignoir, vite! s’écria enfin l’inconnue, pour couper court à ses exclamations d’effroi. Quelqu’un m’attend dans le salon!.

Marichette habilla sa maîtresse en poussant de grands soupirs indignés.

Cette dernière avait autrefois des cheveux superbes. Elle se coiffait avec ses proptes tresses et ne portait même pas de fausses nattes. Il fallut que Marichette allât dans sa chambre chercher pour sa maîtresse un front et un chignon, afin de la rendre présentable.

La malheureuse pleurait de colère et de honte. Les projets de vengeance les plus terribles se pressaient dans son cerveau.

Pendant ce temps, les deux inspecteurs attendaient dans le salon.;. Une sorte de demi-jour doux passait à travers les rayures des persiennes et les blancheurs laiteuses des rideaux de dentelles.–La pièce décelait la profusion et la richesse, une richesse désordonnée à laquelle les agents ne se trompèrent pas. Les bibelots riches étaient semés pêle-mêle sur la cheminée, les tables et les consoles. Des plantes grasses, aussi. chères que des œuvres d’art, verdoyaient dans les coins. Beaucoup d’or et de clinquant partout. Un luxe criard, mais un luxe prodigue.

La Souris Grise, avec ses petits yeux éveillés, furetait à travers tout cela.

–Elle a l’air calée, la personne, murmura-t-il.

Bec-en-Feu ne voyait rien. Il s’était laissé tomber sur un pouf et n’avait remué ni pied ni bras, comme hébété. L’image blanche de la femme nue dansait devant ses yeux dans une fantasmagorie lubrique.

Son ami n’avait même pas pris garde à ce détail, mais il lisait sur la physionomie de son collègue le sujet de ses préoccupations, et il haussait de temps en temps les épaules avec un dédain, pour sa faiblesse, très accentué.

Bec-en-Feu n’avait pas osé l’interroger sur ce qu’il comptait faire, et la Souris semblait décidé à ne donner aucune explication. Pour le moment, il inventoriait le mobilier avec une habileté de marchande à la toilette. Ce n’était pas du temps perdu. Les meubles lui avaient déjà appris que la dame chez laquelle ils se trouvaient était prodigue, capricieuse, riche depuis peu, emportée et haineuse. Elle n’était pas née en France; il y avait peu de temps même qu’elle habitait Paris, deux ou trois ans tout au plus. Elle avait été en Italie. Elle était la maîtresse d’un prince. Était-ce le prince qui l’avait punie si cruellement?.

Il fit part à voix basse à son collègue de ces différentes observations. Celui-ci se contenta de ricaner.

–Payes-tu un déj euner à chaque détail qui sera vrai? dit la Souris Grise sans se préoccuper de son rire incrédule.

–Volontiers, répondit l’autre.

–C’est entendu, et tu me nourriras au moins huit jours. Je lis mieux, moi, ajouta-t-il, dans un salon de femme, que Desbarrolles dans les lignes d’une main.

Bec-en-Feu allait répondre en se moquant de son ami comme d’habitude, quand la porte du salon s’ouvrit, et l’inconnue entra.

Elle était vêtue d’un peignoir de dentelles très élégant, et maintenant qu’elle avait, des cheveux, la beauté de sa physionomie éclatait dans toute sa splendeur. Elle était plus grande qu’elle n’avait semblé tout d’abord aux deux agents, qui ne l’avaient vue qu’en raccourci. La taille au-dessus de la moyenne, svelte et bien prise. Ses yeux noirs brillaient sous les frisures blondes de Marichette d’un éclat extraordinaire.

Bec-en-Feu avait tressailli. Il voyait l’inconnue à travers ses vêtements comme dans les visions de la nuit sur le gazon, et de la matinée, dans le clair obscur de la chambre. Il la dévorait littéralement des yeux.

La femme ouvrit les persiennes. Un rayon de soleil se précipita dans le salon, pointillant de flammes d’or les rondeurs des bronzes.

Elle demanda de nouveau aux deux agents s’ils étaient prêts à la servir en tout et pour tout, et quand la Souris Grise eut affirmé qu’il était tout à elle moyennant une certaine somme à débattre et que Bec-en-Feu eut juré qu’il se jetterait au feu pour lui être agréable et lui était acquit corps et âme, elle leur raconta toute sa vie.

Il y avait deux ans qu’elle était à Paris.

La Souris regarda son collègue.

–Et d’un! murmura-t-il.

Elle y était venue avec le prince Venerosi.

–Et de deux! fit l’agent avec le même regard lancé à Bec-en-Feu.

Celui-ci fit un geste de mauvaise humeur. Il s’inquiétait bien de son collègue et de ses déjeuners. Il regardait l’inconnue. Le nom du prince Venerosi avait frappé l’inspecteur.

–Je le connais, ce prince, dit-il...

–Vous le connaissez? fit la femme.

–Je le connais sans le connaître, répondit l’agent. On m’avait chargé un jour de prendre discrètement des renseignements sur son compte.

–Et qu’avez-vous appris?. interrogea l’inconnue.

–Rien, ou à peu près.

–Oh! il est d’une habileté rare!.

–Il y avait donc quelque chose à apprendre? murmura la Souris Grise.

–Vous le saurez tout à l’heure, répartit l’inconnue. Laissez-moi procéder par ordre.

La femme trouvée par la Souris Grise et Bec-en-Feu avait un nom étrange, harmonieux et doux comme une note de musique. Elle s’appelait Zagfrana. Elle ne s’était jamais connue d’autre nom. Le plus loin qu’elle remontait dans son souvenir, elle se voyait, à demi nue, le corps bronzé comme une statue, assise sur les marbres blancs des palais de Naples, avec des paniers ’d’oranges sur ses genoux. Elle avait à ce moment des yeux qui lui prenaient toute la figure; ses dents blanches comme des perles étincelaient dans le brun de la peau, et une nappe épaisse de cheveux noirs frisés tombait sur ses épaules et lui servait presque de manteau.

On venait lui acheter des oranges pour la voir. et on les lui faisait manger pour admirer ses dents. Elle avait des lèvres d’un rouge ardent, vif et humide comme celui des graines de grenade.

C’était une superbe enfant. D’où venait-elle? Où avait-elle pris naissance? Elle l’ignorait. Elle avait été jetée toute enfant, sous cet azur éclatant des ciels napolitains, frissonnante et paresseuse, baignée dans les rayons chauds.

Puis elle avait grandi, et en grandissant, elle était devenue plus belle, avec une peau plus blanche et des cheveux plus longs et plus noirs, des cheveux qui avaient des reflets bleus. et que des marchands lui avaient bien souvent demandé à acheter.

Elle avait touj ours refusé. Elle tenait plus à ses cheveux qu’aux pièces d’or qu’ils lui offraient.

Elle n’avait pas aimé. Elle ignorait ce que c’était que l’amour, malgré les assiduités auprès d’elle des jeunes gens les plus riches de Naples.

Un jour seulement, son cœur s’éveilla.

Un grand garçon, bronzé comme elle, svelte et élégant, l’œil audacieux, la lèvre ornée d’une moustache fine, était venu lui acheter quelques oranges. Il l’avait regardée d’une façon singulière et s’était amusé à causer longuement avec elle. Il était bien mis. Il se disait riche et prince. Il avait vingt-trois ans.

Elle avait pris un plaisir extrême à cette causerie, , et –quand le jeune homme se fut éloigné, elle avait ressenti comme un grand chagrin dé son départ. Sans se rendre compte du mobile qui l’animait, elle désirait le revoir...

Il revint le lendemain..

C’était le soir encore, une soirée toute chargée d’orage, avec de grandes nuées de cuivre rouge au couchant. Il avait fait toute la journée une chaleur étouffante, et le soleil avait laissé sur les murs qu’il avait chauffés comme des rayonnements embrasés.

Le jeune homme paraissait tout timide et tout ému.

–Comment te nommes-tu? lui dit-il brusquement.

–Zagfrana.

–C’est un joli nom. Veux-tu m’aimer?

Eile tremblait comme une feuille en entendant .ces paroles et levait vers lui un regard épeuré.

Le séducteur ajouta:

–Si tu veux m’aimer, nous partirons tous les deux. Nous vivrons ensemble. Je t’épouserai, et nous serons riches.

En même temps, il faisait sonner l’or dans ses poches.

Ce n’était pas l’or qui la tentait. Qu’avait-elle besoin d’or? Mais l’œil du jeune homme, fixé sur elle, la faisait frémir tout entière.

–Et vous, dit-elle, comment vous nommez-vous?

–Le prince Venerosi.

–Où allez-vous?

–A Rome. Tu ne seras pas heureuse de voir Rome?.

Elle ne répondit pas, mais elle jeta loin d’elle sa corbeille d’oranges et se pendit à son bras. Ils partiirent.

Elle sut plus tard ce qu’était ce prince Venerosi... Il était valet de chambre chez un prince napolitain et se nommait Leporello. Il avait reçu une certaine éducation; il était doué d’une grande intelligence, mais il avait eu également en partage toutes les passions et tous les vices.

Voici comment il s’était procuré l’argent qu’il possédait. La femme du prince chez lequel il servait, une femme de quarante-cinq ans au moins, pas jolie, avait été tentée par sa beauté et le lui avait laissé voir. Il en profita pour se faire payer chèrement; puis, quand il eut une somme suffisante, il s’échappa, et comme il avait besoin d’aimer et ne voulait pas s’en aller seul, il avait emmené Zagfrana, dont la beauté l’avait séduit.

Les deux amoureux passèrent huit jours à Rome, puis ils partirent pour Monaco.

Leporello était dévoré d’ambition. Une sorcière des environs de Naples lui avait prédit qu’il serait très riche un jour, et prince comme son maître.

Il avait voulu réaliser aussitôt cet horoscope, et la fortune lui fut assez favorable pour le lui permettre. En quelques jours, il gagna au jeu près de six cent mille francs. Il avait une grande force de caractère. Il cessa de jouer et revint à Rome avec Zagfrana.

La première moitié de la prédiction était accomplie. Il était riche. Le prince chez lequel il avait été domestique avait autrefois acheté son titre. L’ayant appris, il avait fait des gorges chaudes de cette découverte avec les autres valets de la maison. Son maître avait payé son titre à prix d’or pour épouser la fille d’un banquier fort riche, qui tenait beaucoup à voir sa fille s’aristocratiser...

Leporello, affolé par la chance inespérée qu’il avait eue, n’eut plus bientôt qu’un désir: imiter son ancien maître. Pourquoi ne deviendrait-il pas prince comme lui? Il avait assez d’argent maintenant pour se passer cette fantaisie. Il marchanda et paya un titre, puis il partit pour la France, le seul pays du monde où les principautés exotiques aient encore conservé quelque prestige.

Il descendit à l’hôtel avec le nom et le titre de prince Venerosi, un nom choisi depuis longtemps dans ses rêves ambitieux. Zagfrana, la petite lazzarone, la pauvre marchande d’oranges des places napolitaines, était devenue la princesse Venerosa. Les domestiques la saluaient jusqu’à terre, et elle habitait le plus bel appartement de l’hôtel. Le prince était généreux et prodigue. On menait grand train et on faisait parler de soi. La mendiante italienne avait pris rapidement les costumes et le genre parisiens. Elle avait blanchi depuis qu’elle ne se roulait plus dans le soleil. Elle était très belle et très admirée.

Le prince, qui était un homme de précaution, avait divisé son argent en cinq parts. Il lui restait cinq cent mille francs, les premiers frais faits. C’était pour cinq ans, à cent mille francs par an.

Il ne lui fallait pas plus de cinq ans, pensait-il, avec son nom et les relations qu’il lui créerait dans ce monde de Paris si ouvert aux étrangers, pour édifier une fortune solide.

La première année passée en France fut une véritable lune de miel. Le prince adorait la princesse. ou plutôt Leporello adorait Zagfrana. La beauté de cette dernière avait été fort remarquée et les courtisans ne lui manquaient pas,–ce qui contrariait le prince, qui était extrêmement jaloux, mais elle l’aimait tant, elle se réfugiait en lui avec tant de confiance et do bonheur que ses craintes ne tardèrent pas à disparaître.

Ce fut Zagfrana qui eut bientôt, au contraire, à se plaindre de son amant.

Prince, riche, affectant des habitudes très religieuses, se posant en défenseur du trône et de l’autel, Leporello avait fini par s’introduire dans quelques salons un peu mélangés. Il y avait fait des connaissances masculines et féminines. Il était très séduisant. Il avait conservé un peu de l’obséquiosité du valet de chambre, mais dans sa situation, cette obséquiosité n’était plus qu’une politesse affable. On lui avait offert une place d’administrateur dans une banque catholique que l’on venait de fonder. Il avait accepté avec empressement. C’était une situation. Quelques officieux lui firent entrevoir qu’il pouvait se créer une très grande position dans ce parti, mais que sa liaison irrégulière lui faisait du tort.

L’ambition était plus forte chez le prince que l’amour. Il résolut de se séparer de Zagfrana, non pas tout à fait mais du moins officiellement. Il fit part à la jeune femme, avec tous les ménagements possibles, de sa décision. Le monde exigeait certaines précautions.– Il avait besoin d’avoir un domicile à lui pour recevoir ses nouveaux amis, pour traiter ses affaires. Zagfrana ne vit dans cet éloignement que ce qui y était réellement, une déchéance pour elle, et elle en conçut un –chagrin profond. Néanmoins elle ne put vaincre la résolution du prince. Larmes et caresses laissèrent son amant insensible.

Le prince alla habiter un petit entresol de garçon place Vendôme et la jeune femme resta seule dans l’appartement somptueux de la rue Mosnier.

L’ancien Leporello l’aimait toujours pourtant, mais au bout de quelques mois, un grand refroidissement se fit dans ses relations avec sa maîtresse. Le prince se montrait très distrait, surchargé d’affaires. C’est à peine si on le voyait tous les deux jours maintenant. Zagfrana passait les heures longues de la solitude dans l’ennui et les larmes. Elle sentait bien qu’elle n’était plus aimée comme autrefois, et quand l’amour commence à diminuer, il est bien près de disparaitre.

Sur ces entrefaites, Zagfrana, qui avait toujours cru avoir été la première dans le cœur de Leporello, eut par un Italien qui lui faisait la cour des renseignements sur les antécédents de son amant. Ce dernier s’était toujours fait passer vis-à-yis d’elle pour un vrai prince. Elle n’avait jamais soupçonné qu’il l’avait trompée, et son amour s’était encore augmenté de l’admiration et du respect que faisaient naître en elle le grand nom et la. richesse de celui qui l’avait distinguée. Il avait au front une auréole de grandeur qui l’intimidait.

L’ami du prince, un certain Luigi, lui raconta tout,– ce qui refroidit singulièrement les sentiments de vénération de la jeune femme,–mais ce qui lui fit le plus de mal, ce fut d’apprendre que Leporello avait eu avant elle d’autres femmes. Il lui restait même d’un premier amour, d’un amour de jeunesse, une jeune fille qu’il élevait et qu’il adorait, prétendait son ami. Cette jeune fille devait avoir cinq ou six ans; elle avait suivi son père à Paris, et ce dernier allait la voir très souvent.

Malgré la vie commune qu’elle avait menée avec le prince, Zagfrana n’avait rien su, n’avait rien soupçonné de tout cela. Depuis qu’ils étaient ensemble, il l’avait constamment emmaillotée de mensonges, pour ainsi dire.

–Ainsi, il n’est pas prince? répétait-elle, abasourdie par ces révélations, qui éclairaient d’une triste lueur celui qu’elle aimait.

–Il est prince comme moi, dit Luigi.

–Mais pourquoi tout cela? murmurait Zagfrana... avais-je besoin qu’il fût prince pour l’aimer?.

La jeune femme ne laissa jamais soupçonner à son amant qu’elle avait reçu cette confidence, de peur de lui être désagréable et de l’éloigner d’elle, mais elle n’eut plus en lui la même foi, et elle s’inquiéta davantage de la solitude dans laquelle il s’habituait à la laisser.

C’est à partir de ce moment que les relations entre les deux amoureux commencèrent à s’aigrir. Des scènes pénibles éclatèrent dans le faux ménage, et Luigi en profita pour se montrer plus assidu et plus pressant.

Depuis qu’il vivait en garçon place Vendôme, le prince était servi par deux domestiques, un cocher et un valet de chambre qu’il avait fait venir d’Italie. Ils lui étaient absolument dévoués et ne le quittaient jamais. C’étaient eux qui étaient chargés de toutes les commissions désagréables pour la princesse qu’ils haïssaient d’instinct. Cette dernière ne détestait pas moins les deux hommes, auxquels elle trouvait des figures hypocrites, un regard perfide. un sourire obséquieux et faux. Elle était persuadée qu’ils servaient d’espions à leur maître et elle en avait peur, non qu’elle trompât le prince, mais parce qu’elle redoutait toujours quelque infamie de leur part.

C’est ainsi que l’on avait présenté sous un mauvais jour à son amant les visites de Luigi. Or, Zagfrana n’aimait pas Luigi. Elle le recevait pour n’être pas constamment seule, mais elle l’avait toujours tenu à distance. Du reste, le jeune homme, qui avait remarqué les sentiments de jalousie qui envahissaient l’esprit de son ami, et qui désespérait, d’un autre côté, de triompher de la jeune femme, cessa peu à peu de venir rue Mosnier.

Zagfrana mena alors la vie désœuvrée, monotone, e toutes les femmes entretenues, à Paris. Elle passait ses soirées au théâtre, se levait tard, allait faire le tour du lac en voiture dans l’après-midi, dinait, retournait au théâtre et se couchait, pour recommencer le lendemain la même existence. C’était mortel.

Le prince subvenait largement à ses besoins de luxe et de dépense, mais il se montrait de jour en jour moins assidu.

Un profond découragement s’emparait de la jeune femme. Où étaient les promesses que son amant lui avait faites?. Elle regrettait les journées ensoleillées de son enfance, ses jeux sur les marches de marbre blanc des palais, ses promenades dans la campagne de Naples, à travers la verdure et les fleurs. Elle était heureuse alors, heureuse comme elle ne l’avait jamais été depuis. Pourquoi était-il venu l’arracher à cette vie insouciante pour la laisser seule à Paris, dans une maison sombre où elle s’ennuyait à périr?

Ce n’était pas seulement, du reste, la solitude qui lui pesait. Elle avait comme une grande crainte d’un malheur planant sur elle. S’il allait la trahir, l’abandonner tout à fait? Elle l’aimait encore, malgré tout, et une heure passée près de lui lui faisait oublier des journées et des nuits d’angoisses, mais quand elle songeait qu’il pouvait en aimer une autre, qu’il en aimait une autre déjà peut-être, tout son sang, ce sang à demi sauvage qui lui était venu, elle ne savait de quel accouplement, tressaillait dans toutes ses veines. Il y avait dans ses yeux des éclairs fauves, et elle roulait dans son cerveau, sur lequel les tresses brunes de ses cheveux frémissaient comme des serpents noirs, d’atroces désirs de vengeance.

Elle ne se laisserait pas trahir et tromper, non, comme une petite fille. Elle avait donné à cet homme toute sa vie, sur un regard, sur un signe de lui. Elle voulait avoir toute la sienne. C’était bien assez de lui avoir caché ce qu’il était, de lui avoir menti et et de lui mentir constamment. Elle lui pardonnait tout cela cependant, ses amours avant de la connaître, et ses ambitions de noblesse et de fortune depuis. Que lui importait?. Elle l’eût aimé valet; elle l’eût-aimé ruiné. Elle l’eût aimé toujours et partout. Elle s’était faite son esclave et sa chose. Elle avait subi toutes ses fantaisies sans murmurer, car elle était persuadée qu’il l’aimait toujours, mais si elle venait à apprendre qu’il ne l’aimait pas!.

Elle accentuait cette pensée d’un geste de menace qui eût fait pâlir le faux prince s’il l’avait vu.

Telles étaient les dispositions de Zagfrana, quand un jour Luigi lui fit demander de le recevoir.

Il y avait longtemps qu’elle n’avait vu le jeune homme. Il y avait du nouveau sans doute... Que venait-il lui apprendre?.. Ce nom l’avait rendue toute frissonnante. Elle sentait comme une grande douleur battant de l’aile autour d’elle, ainsi que ces oiseaux tristes qui viennent frôler les vitres des moribonds.

–Faites entrer! dit-elle néanmoins à Marichette, qui attendait sa réponse, sur le seuil du salon, impassible et correcte.

La Femme nue

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