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II

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Dans un coin de l’atelier se trouve un petit meuble d’un aspect relativement mesquin, mais assez curieux cependant pour mériter les honneurs d’une description: c’est un ancien clavecin en acajou, monté sur pieds droits, ayant les touches noires et les demi-tons blancs, et contemporain, à coup sûr, de Mozart, Beethoven ou Haydn. Je me plais à penser qu’il aura servi probablement à l’un d’entre eux pour composer quelqu’une de ses mélodies immortelles, et l’idée que le divin Mozart a pu promener ses doigts sur ces touches, dont la sonorité a disparu, me rend rêveur. C’est peut-être pousser la rêverie un peu loin; mais, que voulez-vous, l’imagination galope si vite et surtout si facilement!

J’ai placé dessus une ravissante mandoline à incrustations d’ivoire et de nacre; mais celle-ci a une origine bien authentique: Grétry l’avait donnée, comme témoignage d’estime et d’amitié, à mon bisaïeul, et elle a été depuis précieusement conservée dans la famille. L’excellent maître s’en servait volontiers comme accompagnement, et peut-être aura-t-elle contribué à composer la sérénade si populaire que Blondel chante à son roi dans Richard Cœur de Lion.

Outre ces deux instruments, qui ne figurent guère que pour la curiosité, un excellent piano (mais moderne celui-là), plusieurs violons, dont deux de Guarnerius, un alto, un violoncelle et une harpe, destinés aux amateurs délicats; puis deux guitares, un tambour de basque et un clavier chinois à l’intention des mélomanes barbares, forment une petite collection musicale qui ne manque pas de charme.

Mon bataillon de morceaux de musique (partitions pour piano, piano et chant et d’orchestre) est tellement nombreux que j’ai dû y consacrer une bibliothèque particulière. J’ai pris plaisir à orner les principales partitions de portraits, d’autographes des maîtres, de gravures représentant telle ou telle scène d’opéra, et j’ai pu ainsi concilier les goûts du musicien, du bibliophile et de l’amateur d’autographes, trois goûts qui se disputent à qui mieux mieux et que j’ai bien du mal à mettre d’accord, je vous assure.

Pour compléter le tableau, j’y ai joint différentes reliures aux armes, entre autres un superbe exemplaire de l’Eau merveilleuse, de Grisar, relié en maroquin rouge et orné du chiffre de la reine des Belges: c’est, sans nul doute, l’exemplaire de présent dont le musicien aura voulu faire hommage à la souveraine.

Dans un rayon spécial sont réunies toutes les œuvres qui ont trait à la musique ancienne: airs de danse, pavanes, menuets, country-dances, etc., ainsi que des anciennes pièces de l’Académie royale de musique. Ce sont toutes choses d’un régal aussi friand pour le bibliophile que pour le musicien, car les anciens ouvrages sur la musique deviennent de plus en plus rares, et c’est là que j’ai rangé précieusement un recueil d’airs et d’ariettes, manuscrit de paroles et musique notée entièrement de la main de Jean-Jacques Rousseau. Vous savez que le grand philosophe, bien que possédant un avoir d’environ onze cents livres de rente, résultant de ses arrangements avec les directeurs de l’Opéra et de la vente de ses livres, réalisait encore quelques bénéfices en copiant de la musique à dix sous la page. La plupart des dames de la cour s’amusaient beaucoup de cette manie et venaient souvent elles-mêmes lui apporter de l’ouvrage. On connaît sa lettre si fière et si digne à la marquise de Pompadour, qui avait voulu lui faire remettre cent louis pour des copies ne valant pas plus de douze francs; et l’altière favorite, en cette circonstance, dut s’avouer vaincue par le pauvre musicien.

Voyage à travers mon atelier

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