Читать книгу Sur le bûcher, ou Le sort des femmes - Jules Gondry Du Jardinet - Страница 10

Оглавление

V.

Table des matières

Le meeting.

Juliette ouvrit une porte à deux battants et l’œil plongea dans un vaste salon transformé en salle de meeting. A la place des fauteuils et des objets d’art se trouvaient des banquettes destinées au peuple qui était convoqué à cette réunion. Ce n’était pas que les fauteuils eussent disparu. Non. Mais ils étaient rangés devant l’estrade où devaient siéger Juliette et ses amies.

La haute bourgeoisie et la noblesse de la Nouvelle-Orléans avaient été conviées à ce meeting, où «des idées nouvelles devaient

«étonner le Nouveau Monde et le saisir d’admiration.» C’étaient du moins les espérances que Juliette avait exprimées dans sa lettre d’invitation.

La salle ne tarda pas à être envahie par les badauds, qui ne font jamais défaut aux réunions publiques, par des ouvriers et des esclaves qui étaient émerveillés des grands mots d’indépendance et de liberté, par quelques bourgeois émus des idées nouvelles. Mais les classes riches et élevées de la société, qui sont toujours certaines de trouver une bonne place, parce qu’on considère leur présence comme un honneur, ces classes d’élite faisaient défaut.

Répondraient-elles à l’appel de Juliette de Crèvecœur?

Donneraient-elles par leur présence un nouveau relief aux idées nouvelles d’outre-mer?

Viendraient-elles pour protester contre ces principes subversifs de la société ?

Telles étaient les questions que Juliette et ses amies se posaient naturellement en voyant la salle envahie par la classe peu fortunée et peu instruite.

Sept heures sonnèrent. C’était le moment fixé pour l’ouverture du meeting.

Les places réservées au peuple étaient toutes occupées. Des ouvriers, des esclaves se donnaient de violents coups de poing pour pénétrer dans la salle, ou pour occuper une place meilleure.

Les premiers arrivés pressés de proche en proche par ceux qui voulaient aussi entendre, mais qui s’efforçaient en vain d’arriver dans la salle, allaient forcément envahir, soulevés par le mouvement, les places réservées, que défendaient avec hauteur les valets de Juliette de Crèvecœur, lorsqu’une seconde salle qui communiquait à la première fut ouverte. Le trop plein des spectateurs s’y précipita.

La patience n’est pas la vertu dominante des masses. Aussi, après quelques minutes d’attente, l’assemblée témoigna le désir de voir le spectacle commencer. Pour le peuple, cette réunion était un spectacle.

Cependant Juliette ne faisait pas semblant de comprendre cette impatience. Les nobles auditeurs qu’elle attendait faisaient encore entièrement défaut.

La pendule marquait sept heures et demie.

La foule qui n’avait pas cependant acheté en entrant le droit de siffler n’en manifestait pas moins son vif désir, sa volonté même de voir son spectacle.

Quelques trépignements exprimèrent, sont mécontentement.

Juliette attendit encore.

Mais bientôt le bruit augmenta et devint un véritable tumulte.

Il était sept heures trois quarts.

Désespérant de voir la noblesse arriver, Juliette, accompagnée de Fatime s’avança vers le fauteuil présidentiel.

Tous les regards se portèrent sur elles.

Des cris: chut! silence! se firent entendre dans toute la salle.

Le bruit des pieds cessa comme par enchantement. C’est que les spectateurs se haussaient pour mieux voir, comme si par cet effort général ils ne s’obstruaient pas naturellement la vue.

Fatime se placa ostensiblement à la droite de Juliette.

Juliette, après avoir promené ses regards sur la salle, aurait pu être satisfaite de la multitude qui se pressait pour l’entendre, si les bancs réservés à l’aristocratie et à la noblesse d’argent n’avaient pas été vides ou à peu près. Là se prélassaient seulement quelques personnes peu marquantes et qu’on n’y avait placées qu’à défaut d’autres. Quelques reporters de journaux se faisaient remarquer par. leur loquacité et l’aisance de leurs manières. Les journaux de la Nouvelle-Orléans ont aussi leur reporters. Ce sont les voltigeurs de la presse.

Un léger froncement de sourcil manifesta le mécontentement de Juliette lorsqu’elle contempla les fauteuils vides.

Mais elle dompta bientôt ses sentiments et ne pensant plus qu’au but de l’assemblée, elle s’exprima ainsi:

Mesdames et Messieurs,

Le progrès est la loi de la nature. Si l’on en doutait, notre réunion pourrait servir de témoignage. Autrefois et encore aujourd’hui, hélas! dans trop de contrées la femme est esclave.

Le Christ est venu éclairer les peuples il y a dix-huit siècles. Il a relevé la femme de l’abjection où elle se trouvait pour l’élever jusqu’à l’homme. Mais que de peuples n’ont pas entendu ou ont rejeté la voix du Christ, dont nous sommes forcés de reconnaître la sainte morale! Dans quel misérable état se trouvent nos sœurs de la Turquie, de l’Inde, du Japon et même les femmes qui gémissent à nos portes sous le joug de l’esclavage! (Applaudissements).

Mais pour que nos sœurs puissent lutter avec énergie, il faut qu’elles sachent que nous pensons à elles, que nous agissons pour elles. C’est le motif de la réunion de ce soir.

Juliette lut ensuite le programme des questions qui devaient être traitées et qui ne comportaient rien moins que tout ce qui intéressait le sort des femmes, dans les cinq parties du monde.

A peine avait-elle cessé de parler que Fatime prit la parole et dit:

— Si j’ose parler, après l’illustre orateur que vous venez d’applaudir, dit-elle, c’est que je veux attirer plus particulièrement votre attention sur le sort des femmes en Turquie, où l’homme se permet de prendre deux, trois, dix, vingt et jusqu’à cent femmes et plus. Quel est le sort de ces malheureuses!

— Cicero pro domo suâ, fit ironiquement un reporter qui n’avait pas oublié entièrement son latin.

— Le saint prêche pour sa chapelle, traduisit librement un autre reporter.

Cette interruption troubla Fatime. Néanmoins elle essaya de continuer.

— Quel est le sort de ces malheureuses qui... de ces malheureuses que...

Juliette trépignait d’impatience.

Enfin, dit Fatime, de ces malheureuses, dont vous comprenez le sort! Rien n’y est comparable.

— Excepté un orateur malheureux, exclama un reporter.

Fatime s’assit au milieu de l’hilarité générale.

Juliette voulant réparer l’échec de son amie, prit de nouveau la parole. Après quelques réflexions justes, elle fit appel au dévouement et à l’intelligence de ses auditeurs pour élaborer dans une prochaine réunion les statuts de l’œuvre de l’Émancipation de la femme dans toutes les contrées de la terre.

Comment, objecta aussitôt à voix basse Fatime que son échec n’avait pas rendue plus circonspecte, nous terminons déjà la séance?

— N’avez-vous donc pas remarqué l’absence des personnes les plus importantes de la Nouvelle-Orléans?

— Oui, mais il faut leur prouver que nous n’avons pas besoin de leur concours.

— De la prudence! Nous avons posé aujourd’ hui les bases de l’association pour l’émancipation des femmes. Cela suffit. Les reporters qui ont toujours soin de grossir les choses feront le reste.

La curiosité aidant nous amènera les personnes qui ont trouvé bon de briller aujourd’hui par leur absence.

— Vous croyez?

— J’en suis convaincue.

— Mais encore...

— Laissez moi, le public est impatient.

Juliette se leva et dit:

Mesdames et Messieurs, je vous remercie de votre bienveillant concours et j’ose espérer que vous nous le continuerez à la prochaine réunion qui aura lieu, ici, dans huit jours.

La foule s’écoula bruyante et à moitié satisfaite. On n’avait pas fait assez de bruit.

Sur le bûcher, ou Le sort des femmes

Подняться наверх