Читать книгу Sur le bûcher, ou Le sort des femmes - Jules Gondry Du Jardinet - Страница 9

Les illusions.

Оглавление

Quelques instants d’un profond silence succédèrent à la sortie de Fernand.

Les deux femmes étaient plongées dans leurs réflexions.

Juliette se reprochait d’avoir trop exigé. Mais elle était loin de supposer que son prestige sur Fernand était perdu pour toujours, que semblable à une montre dont un des rouages est brisé, le cœur de Fernand ne battait plus pour elle.

J’ai été imprudente, se disait-elle, j’ai blessé son amour propre.

S’il allait combattre mes projets!

Mais non, il m’aime encore. Ne suis-je pas sa marraine?

Elle se replia pendant quelques secondes sur elle-même.

Revenant bientôt à ses soupçons, elle se dit en jetant sur Sara de sombres regards accompagnés d’un geste menaçant.

— Oui, cette femme me trahit, elle dont l’innocence, la jeunesse devaient exciter partout par sa présence une tendre sympathie pour ma cause.

Cependant si je me trompais... Mais non, la sybille ne m’a-t-elle pas dit:

— La première femme que vous rencontrerez en rentrant chez vous...

Il n’y a pas à en douter. C’est bien elle, qui est mon ennemie.

Quelle disparaisse donc puisqu’elle fait obstacle à mes desseins; quelle devienne la proie de Singapoor et qu’elle périsse sur le bûcher.

Sara ne voyait pas les gestes menaçants de Juliette. Elle aussi était préoccupée.

Elle rêvait à son supplice; elle entrevoyait le bûcher et les flammes. Un peuple entier la poussait à la torture, lorsque tout à coup Fernand apparaissait en défenseur...

Juliette et Sara seraient restées longtemps encore l’une à sa colère, l’autre à son effroi que calmait l’espoir d’un secours, si une femme ne fut entrée brusquement en s’écriant:

— Victoire, mes amies, victoire.

Les nouvelles de Constantinople sont excellentes. Dans les harems et jusque dans celui du Sultan lui-même nos idées ont opéré une révolution complète, chez nos sœurs. Ces femmes, en apparence, si soumises, si obéissantes aux caprices du mari, du maître, qu’on aurait pu les prendre jusqu’ici pour des esclaves, veulent que les hommes fassent un choix...

Sa volubilité ne se serait pas si tôt arrêté si elle n’avait pas remarqué que Juliette et Sara ne l’écoutaient que d’une oreille distraite.

— Mais qu’éprouvez-vous donc? Vous ne m’écoutez pas.

— C’est que d’autres nouvelles sont loin d’être aussi favorables que celles que vous apportez, repartit Juliette.

— Nos sœurs seraient-elles en danger? Où ? Dites-le moi bien vite. Je vole à leur secours.

La femme qui parlait ainsi, nos lecteurs l’ont sans doute devinée, n’était autre que Fatime l’une des femmes de l’ambassadeur ottoman. C’était la première en rang d’ancienneté et d’honneur. Mais il n’en était pas de même en affection. Son époux lui avait donné un grand nombre de rivales. En ce moment même son animosité n’était si grande qu’à cause de la préférence que le musulman accordait à une nouvelle favorite de seize ans pour laquelle il délaissait Fatime qui avait atteint l’âge mûr.

Ce n’est pas qu’elle fut sans charme. Ses traits étaient réguliers et annonçaient qu’autrefois elle avait du être ravissante. Les années lui avaient enlevé un a un les fleurons de sa couronne. Qu’il est triste pour une femme de se survivre à elle-même lorsqu’à côté d’elle apparaissent pour combattre son influence de jeunes beautés qui lui rappellent ses charmes perdus.

La religion catholique seule sait consoler de la perte de ces attraits périssables par l’espoir d’un bonheur céleste et inaltérable.

Musulmane, Fatime voulait faire quelque action d’éclat qui la rehaussât aux yeux de son mari; elle s’efforçait surtout d’écarter loyalement les rivales qui naissaient avec les caprices du maître.

Elle ne rêvait rien moins que l’abrogation du Coran qui permet aux musulmans d’avoir plusieurs femmes.

On comprend donc qu’elle eût accepté avec enthousiasme les théories nouvelles.

Aussi frémit-elle, lorsque Juliette lui répon dit:

— Nous sommes trahies!

— Trahies! Et par qui donc?

— Fernand nous abandonne.

— Fernand! Fernand! Lui sur lequel nous comptions pour exposer avec autorité nos théories dans le meeting de ce soir!

Vous ne lui avez donc pas dit que jamais il ne lui serait donné une occasion aussi belle de s’illustrer?

— Il prétend que c’est à l’homme de commander.

— Quelle horreur!

Quand donc ces hommes comprendront-ils la supériorité de la femme! Nous joignons l’esprit à la grâce et ce n’est pas assez?

— Cela ne suffit point, répondit sentencieusement Sara, lorsque l’homme a la raison pour lui.

— Quoi! Vous aussi vous admettez que l’homme peut avoir plusieurs femmes?

— Je ne dis pas cela.

— Dites donc aussi que vous êtes charmée que le vieux Singapoor veuille enchaîner votre existence à la sienne.

Sara garda le silence.

— Vous vous taisez maintenant, continua Fatime, vous n’approuvez plus parce que vous êtes partie intéressée, parce que vous savez combien il est pénible d’être la femme d’un homme qui ne nous accorde qu’une partie ou le reste de son affection.

La vie du harem est-elle préférable au bûcher? Ne vaudrait-il pas mieux souffrir tout d’un seul coup que d’être brûlée à petit feu? d’être privée de sentiments que de les voir flétris? de n’avoir plus de cœur que de le sentir rongé par la jalousie?

— Je crois avec vous, répondit Sara avec émotion, qu’une femme suffit à un homme; qu’un cœur jeune peut seul correspondre à une affection naive et sincère. Mais croyez-moi, évitons l’exagération; ne nuisons pas à notre œuvre, en réclamant pour notre sexe la supériorité que la nature accorde à l’homme.

A nous la gràce et la beauté, à l’homme la force, le courage et le dévouement.

En prononçant ces paroles, elle pensait involontairement à Fernand qui lui avait promis de la sauver du péril qui la menaçait; de la défendre contre tous; de l’arracher au bûcher.

Le dévouement exerce un si grand prestige sur la femme, surtout lorsque le danger la menace; aussi poursuivit-elle avec enthousiasme :

Que j’aime à voir des hommes généreux se jeter tête baissée dans le péril pour accomplir la sublime mission qu’ils se sont donnée à eux-mêmes de veiller sur l’infortune.

— Comme Fernand sans doute? ricana Juliette.

— Fernand, fit Fatime avec mépris, lui qui n’a pas le courage de prendre la défense de notre cause sublime et sacrée!

Fatime allait faire pour la centième fois peut-être, l’éloge de l’œuvre de l’émancipation de la femme et rappeler les adhésions et les concours promis, lorsqu’elle fut interrompue par l’arrivée de Lord Midwell.

— Si nous lui demandions de se dévouer pour notre cause, dit-elle, en interrogeant Juliette du regard?

— Y pensez-vous? au bourreau de nos esclaves.

— Il n’aura que plus de mérite et de gloire s’il sait vaincre l’erreur, chez les autres, après s’être vaincu lui-même.

— On ne galvanise pas l’esclavage, on l’anéantit.

Lord Midwell s’avançait calme, froid, impassible comme s’il ne s’était pas agi de lui.

— Merci, mesdames, de vos bienveillantes réflexions, dit-il avec un gracieux sourire. Continuez, je vous en prie, ce sujet m’intéresse beaucoup.

— Votre flegme ne prouve pas que nos attaques ne produisent pas leurs effets, repartit Juliette.

— Ni vos attaques que vous avez raison, ma bonne sœur.

Vous vouliez-vous adresser à moi, je crois, madame, ajouta-t-il en se tournant vers Fatime. Quelle nouvelle équipée vous proposait donc Juliette?

— Il s’agit de l’émancipation de la femme...

— Vraiment! Ce n’est pas possible. Vous vous faites tort à vous-mêmes, mesdames. Vous vous répétez. Votre esprit si merveilleux n’aurait-il rien trouvé de plus extraordinaire?

— Extraordinaire! fit Fatime.

— Cherchez et vous trouverez, dit l’Évangile.

— Vous voilà encore avec vos plaisanteries, dit Juliette. Il n’est pas généreux d’insulter à nos soucis.

— Vous souffrez, chère sœur?

Ne jouez pas l’étonnement. Vous n’ignorez point que Fernand refuse de prendre la parole au meeting de ce soir.

— Fernand refuse; c’est fort bien. Je n’attendais pas moins de lui.

— Il n’était pas digne de marcher à la tête des promoteurs d’une si noble cause, dit Fatime. Mais vous, monsieur, pensez donc à l’effet que vous produiriez, si, prenant en main la direction du mouvement qui doit régénérer la société, vous commenciez l’œuvre de l’émancipation de la femme par l’émancipation de vos esclaves.

— Et par ma ruine, ajouta lord Midwel.

— La gloire vaut mieux que le vil métal, répondit Juliette.

— Toujours mystique, ma sublime sœur.

— On vous élevera des statues! dit Fatime avec enthousiasme.

— On vous tressera des couronnes, ajouta Juliette.

— Sur mon tombeau?

— Sur votre... Mais non.

— Mais si. L’homme ne vit pas seulement de gloire, mais de pain. Si je signe moi-même l’acte qui me ruine, que me restera-t-il?

— Nouveau Washington, les peuples vous honoreront pendant votre vie et vous regretteront lorsque vous ne serez plus.

— Ou nouveau Bélisaire, j’irai de porte en porte pleurer l’ingratitude des femmes.

C’est acheter trop cher la gloire à ce prix. Permettez à lord Midwell de vivre simple, obscur, mais heureux avec ses esclaves.

— Vous renoncez à la gloire? fit Fatime avec persifflage.

— J’aime mieux le bonheur.

— Comment peut-on vivre heureux du produit de l’iniquité, de l’esclavage, la pire des plaies sociales?

— Pourquoi ferais-je des considérations? je ne suis ni avocat, ni législateur, ni philosophe.

— Mais peut-on voir, sans être ému, ces hommes, ces femmes, ces enfants privés de leur liberté ?

— Qu’y puis-je faire?

— Soumis aux caprices d’un maître, ajouta Fatime.

— Vous êtes donc aveugle ou sans cœur, dit Juliette avec violence. Ne voyez-vous pas ces maris séparés de leurs femmes? ces enfants arrachés à leurs parents et vendus à des maîtres différents qui les entraînent aux quatre coins du monde? enfin et surtout ces jeunes filles qui deviennent le jouet des turpitudes de leurs maîtres?

Quand je pense à ces souffrances, je sens le besoin d’écraser la tête de ses tyrans.

Elle accompagnait ces paroles d’un geste menaçant.

— Dans ce cas, dit lord Medwill sans s’émouvoir, je me sauve.

— Comment osez-vous me rappeler que vous aussi vous avez des esclaves? Vous devriez en rougir.

— Je ne vois pas pourquoi je devrais rougir en agissant comme mes pères, qui ont eu des esclaves.

— Les Anglais!

— Et les Français n’en eurent-ils pas?

— Ils ont reconnu leur erreur. Vous devez faire comme eux et suivre la voie du progrès.

— Mes esclaves ne me paraissent pas bien malheureux. Je ne les accable pas de travail. Je suis même convaincu que la liberté leur serait préjudiciable.

Que feraient ces hommes nés sous le joug, sans volonté propre, sans esprit d’initiative, ce moteur indispensable de l’homme libre? que deviendraient-ils si on les jetait subitement, sans expérience et sans ressources, sur l’arène du monde, où l’argent et l’astuce sont les grands mobiles?

Ils seraient bientôt en proie à la misère et demanderaient la faveur de redevenir esclaves.

— Vous oubliez que la nécessité est le stimulant des grandes âmes.

— Les grandes âmes des esclaves! Vous plaisantez sans doute.

— Le sujet est trop grave pour...

La porte s’ouvrit brusquement et une jeune fille ravissante, même sous ses habits d’esclave, fit irruption dans la salle, malgré les efforts d’un domestique qui voulait l’empêcher d’entrer, et se jeta aux genoux de Juliette en s’écriant:

— Grâce, grâce, madame.

— Qu’est-ce? Qu’avez-vous?

— Oh, madame, ayez pitié de moi.

— Que voulez-vous?

— Le misérable!

— Qui donc?

— Quand vous saurez...

— Expliquez-vous.

— Vous prendrez ma défense, n’est-ce pas madame? Vous ne souffrirez pas que je devienne la proie de cette homme.

— Mais qui êtes-vous? De qui parlez-vous?

— De l’intendant de lord Midwell, mon maître.

— Ah! Lord Midwell est votre maître? interrogea Juliette en jetant un regard significatif sur son frère, que l’esclave dans son effroi n’avait pas remarqué.

— Oh! madame, continua l’esclave, depuis deux mois cet intendant me poursuit; il m’a tendu des piéges. Ma résistance l’a irrité. Pour me réduire, il vient d’ordonner le supplice des verges,

— L’infâme! s’exclama Juliette.

— Mais j’ai pu fuir et je suis accourue vers vous, dont on dit tant de bien. Vous me défendrez, n’est-ce pas, madame?

— Certes, si vous dites la vérité. Mais si vous avez menti, je vous rendrai à lord Midwell, que voici.

Du doigt elle lui montra son frère.

L’esclave fit un mouvement convulsif, puis resta comme pétrifiée.

— Ciel! Lord Midwell.

— Vous tremblez. Confirmez - vous encore tout ce que vous avez avancé ?

— Oui, fit-elle avec effroi.

— Pourquoi tremblez-vous alors?

— Oh! madame.

— Les faits seraient-ils exagérés!

— Nullement, madame. Ce que j’ai dit est l’exacte vérité, ajouta l’esclave, qui reprenait peu à peu son assurance.

—Si vous avez dit vrai, pourquoi vous troublez-vous à la vue de votre maître?

— C’est que l’affirmation, le serment même d’un esclave ne compte pas, et que l’intendant fera encore croire à mon maître que je suis coupable et qu’il est blanc comme neige. Oh! les esclaves sont bien malheureux, madame.

— Eh bien! dit Juliette avec force en se tournant vers son frère, oserez-vous encore defendre l’esclavage?

Jugeons l’arbre par ses fruits. Sont-ils assez amers?

— Vos servantes sont-elles plus heureuses?

— Elles sont libres.

— Libres de changer de maîtres et d’esclavage.

— Ainsi vous approuvez les faits et gestes de votre intendant?

— Non pas. Il sera sévèrement puni s’il est coupable.

— Et que ferez-vous de cette esclave?

A cette question Betsy trembla.

— Ne crains rien, ma fille, lui dit Juliette. Je te prends sous ma protection.

— Et la peine que je lui inflige, dit sentencieusement lord Midwell, c’est de vous la donner et de la soumettre à vos caprices.

— Ainsi vous osez prétendre...

— Qu’il est bien difficile de mettre la morale en action.

En ce moment on vint apprendre à Juliette qu’un grand nombre de personnes étaient arrivées au meeting et qu’on réclamait sa présence.

— Déjà ! s’exclama Juliette, en jetant un coup d’œil rapide sur la pendule.

Quel temps précieux vous nous avez fait perdre, dit-elle à lord Midwell avec aigreur.

—Je me sauve. Votre colère est trop à redouter, chère sœur, fit lord Midwell en s’éloignant avec une précipitation simulée.

Sur le bûcher, ou Le sort des femmes

Подняться наверх