Читать книгу Sur le bûcher, ou Le sort des femmes - Jules Gondry Du Jardinet - Страница 6

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II.

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Les veuves de Malabar.

Fernand resta, pendant quelque temps, si absorbé dans ses douloureuses reflexions, qu’il ne s’aperçut pas de la présence de Sara, qui s’étant empressée de répondre à l’appel de Juliette et ne la rencontrant pas chez elle, s’était décidée à l’attendre.

Sara était une jeune fille aux formes élégantes et délicates. De longs cheveux châtains se déroulaient capricieux sur son cou frêle et satiné. Son regard, à la fois doux et ferme, annonçait une âme puissante et passionnée.

Elle considéra, quelques instants, Fernand plongé dans sa douleur. La pitié s’empara bientôt de son cœur.

S’avançant vers lui, elle lui dit avec une voix sympathique.

— Vous paraissez bien affligé, monsieur de Montfort. Quel malheur vous a atteint ou vous menace?

Fernand, arraché subitement à ses tristes pensées, répondit sans trop savoir ce qu’il disait.

— Le plus grand de tous.

— Vous m’effrayez!

— Ma marraine vient de me quitter en courroux.

— Querelle de famille. Je suis rassurée. Cela n’est pas grave.

— Très-grave, hélas!

— Une tempête dans un verre d’eau.

— Cette tempête vient de bouleverser ma vie.

Ma marraine me met dans la triste alternative de choisir entre le déshonneur ou sa colère. J’ai choisi son courroux.

Pour accomplir un devoir on ne devrait pas reculer même devant la mort.

— Mourir! Cette pensée terrible me fait frémir malgré moi.... Moi aussi, j’ai appelé la mort, et maintenant je crains qu’elle n’arrive.

— Vous êtes donc réconciliée avec la vie et le bonheur?

— Il ne dépend pas de moi de vivre.

— Vous m’étonnez!

— Écoutez-moi, et puissent mes malheurs vous servir d’enseignement et vous faire prendre vos souffrances en patience.

— Je suis née dans l’Inde. Mon père était ministre du rajah de Malabar. J’étais encore enfant lorsque je perdis l’auteur de mes jours. Je le pleurai, mais j’étais loin de comprendre toute l’étendue de mon malheur.

Ma pauvre mère, elle, ne prévoyait que trop ma triste destinée.

A peine nos larmes étaient-elles séchées que la famille de mon père, sous prétexte qu’il fallait se conformer à la loi de Vichnou, qui ordonne de pourvoir les filles d’un mari, avant l’âge de huit ans, proposa de m’unir à un vieillard.

Ce fut en vain que ma mère objecta que l’on me condamnerait, par ce mariage, à une mort prochaine, puisque nous appartenons à une caste en qui revivent les vieilles traditions de l’Inde, qui exigent que la femme soit brûlée vive sur le bûcher de son époux.

Les cadeaux dont Singapoor combla les parents de mon père, qui, d’après nos lois, avaient le droit de disposer de mon avenir, furent plus puissants que les larmes et les prières de ma mère.

Je fus fiancée!

Mais selon l’usage, je restai chez ma mère, en attendant que je fusse nubile.

Ma pauvre mère me voyait grandir avec peine. Mes jeux enfantins, mes joies et l’insousiance de la jeunesse furent impuissants à calmer les soucis de ma tendre mère, qui me chérissait d’autant plus qu’elle était seule à m’aimer.

Un jour elle eut la pensée de fuire avec moi pour me soustraire au sort qui m’attendait.

Tous les préparatifs furent faits avec la plus grande discrétion.

Mais ma mère désobéissait à la divinité, à Vichnou, pour me sauver.

Vichnou nous punit.

Instruit par un serviteur que ma mère nous croyait dévoué et qui n’était qu’un espion, Singapoor empêcha notre fuite et invoqua ce projet pour me tenir directement sous sa dépendance.

Ma pauvre mère en mourut de chagrin.

Ce fut alors que j’appelai la mort.

Tandis que j’habitai l’Inde, tout autour de moi parlait en faveur de cette coutume qui enchaîne deux existences jusqu’au-delà du tombeau, et que notre caste considère avec fierté comme un privilège. Mais depuis mon séjour aux États-Unis, je suis tentée de me révolter contre cette loi que, malgré moi, j’appelle barbare.

— Qui vous empêche maintenant de vous y soustraire?

— Et Siva? Et Vichnou?

— Soyez sans crainte. Ces divinités sont aussi impuissantes à vous nuire qu’à vous être utiles.

— Qu’osez-vous dire!

— Ces fantômes n’existent que dans l’imagination des peuples de l’Inde.

— Blasphème!

Vichnou! Siva! ayez pitié de lui, il ne vous connaît pas.

— N’invoquez donc plus ces divinités imaginaires et laissez-moi vous secourir.

N’oubliez pas que Singapoor vous menace.

— Oh! Oui. Dans trois mois je serai sa femme... Et il a bien pris toutes ses précautions pour que je ne puisse lui échapper même après sa mort.

La demeure d’un consul est considérée comme pays indigène. Chez mon mari, je suis encore dans l’Inde.

— Quand il ne sera plus....

— Sa volonté lui survivra.

— Et comment?

— Tous nos serviteurs sont des fidèles observateurs de nos lois. Singapoor les a fanatisés.

Plusieurs même ont brigué l’honneur d’être brûlés vifs sur le bûcher de leur maître. Cette faveur leur a été accordée à la condition secrète mais expresse qu’ils me forceraient, au besoin, à me brûler vive avec eux.

— Brûler vive!

— Oui, brûlée vive....

Mon imagination me représente sans cesse les apprêts lugubres du bûcher, les torches que l’on allume, la foule qui se presse de toutes parts pour assister au spectacle de ma mort.

Le glas funèbre fige mon sang dans mes veines en m’annonçant l’heure du supplice.

Je m’avance à pas lents vers le bûcher, en pensant aux lieux qui m’ont vue naître, aux compagnes des jeux de mon enfance, à ma mère, à la vie qui m’échappe.

Trop tôt j’arrive.

Le lugubre ordonnateur m’apparaît. Je tremble, je pleurs.

On me force à monter sur le bûcher.

Les flammes m’environnent. Je veux fuire. Mais on me repousse au milieu de la fournaise qui me dévore.

— Que c’est horrible!

Mourir au début de la vie, sans avoir porté à vos lèvres la coupe du bonheur.

— Hélas!

— Mais Singapoor n’a-t-il pas d’affection pour vous?

— Avez-vous jamais éprouvé les ardeurs du soleil au milieu des frimas de l’hiver?

— Le bourreau!

— Ne le condamnez pas; ne jugez pas un vieillard d’après les instincts généreux de la jeunesse.

— S’il ne vous aime pas, pourquoi veut-il s’unir à vous? Et s’il vous aime, pourquoi vous entraîne-t-il dans sa tombe entr’ouverte?

— Afin que je le serve dans l’autre vie.

— Quelle aberration!

— Oh! la tombe ne m’effraie pas. Mais le bûcher! Les flammes!

L’effroi contractait les traits pâlis de Sara.

Son imagination lui représentait des flammes. Elle marchait au supplice....

Elle couvrit son visage de ses deux mains pour échapper à l’horrible vision, et elle tomba affaissée dans un fauteuil.

Les rôles étaient changés. Fernand n’était plus affligé. Au récit de douleurs plus grandes que les siennes. il s’était oublié lui-même et avait pris instinctivement le rôle de consolateur.

Il considérait avec intérêt cette femme si jeune et si malheureuse.

De même que la rosée du matin fait mieux briller l’éclat de la fleure qui s’épanouit, ainsi les larmes et les chagrins de Sara faisaient mieux ressortir ses charmes et ses mérites. La douleur ne laisse de traces profondes qu’au déclin de la vie, de même que la rosée n’effeuille la rose que lorsqu’elle a atteint sa maturité.

Jusque là Fernand s’était laissé dominer par les sentiments naturels; ses arguments ne s’étaient appuyés que sur la raison. Ému par une douleur profonde, il l’avait partagée et avait cherché les moyens de l’adoucir et d’y porter remède. Mais les sentiments religieux ne tardèrent pas à lui inspirer des idées plus élevées, le généreux projet de sauver l’âme et le corps de Sara en lui enseignant la vérité religieuse, la voie de la vie céleste.

Sara, catholique, ne redouterait plus les divinités sanguinaires de l’Inde, qui l’enchaînaient à Singapoor.

— Madame, dit-il, ne vous abandonnez pas ainsi à la douleur. Dieu est tout puissant.

Sara tressaillit.

Elle se retourna vivement, en disant d’un air égaré.

— Qu’est-ce? que me voulez-vous?

Puis passant sa main sur son front et rappelant ses souvenirs.

— Ah! dit-elle, mille pardons, monsieur de Montfort. La pensée du malheur qui me menace m’avait plongée dans une prostration qui doit vous faire sourire de pitié.

— Vous vous exagerez le danger, madame.

— Hélas! l’espérance est éteinte. Qui pourrait m’arracher au supplice?

— Moi, répondit Fernand avec fermeté et avec la générosité qui le caractérisaient.

— Vous!

— Je lutterai contre vos ennemies; je lutterai contre l’Inde entière, s’il le faut. Je vous arracherai à la mort ou je périrai dans la lutte que je vais entreprendre pour vous sauver. Mes actes mieux que les vains discours prouveront qu’on peut défendre la cause des femmes asservies sans tomber dans les exagérations des meetings.

— Que ces paroles me font de bien! Depuis la mort de ma mère, je n’ai rencontré que perfidie, égoïsme ou indifférence...

Cependant abandonnez votre généreux, mais irréalisable projet.

— Jamais, dit Fernand avec force.

Madame, ajouta-t-il avec déférence, armez-moi votre chevalier et soyez certaine que je saurai comme les anciens preux vaincre vos adversaires, vous arracher au supplice et éclairer votre esprit obscurci par les ténèbres du paganisme.

Émue, attendrie par ces paroles, Sara se sentait renaître à l’espérance, qui est si fortement enracinée dans le cœur de la jeunesse.

— Ah! madame, continua Fernand, si votre esprit s’ouvrait à la vérité, si vous connaissiez les splendeurs du christianisme, si...

Il fut interrompu par une exclamation de Sara, qui reculait épouvantée.

C’est que Juliette s’avançait vers Sara, l’œil enflammé, le regard et le geste menaçant. Sa bouche s’ouvrit et la menace éclata comme la foudre.

— Enfin, dit-elle, je te découvre, traîtresse.

Sara, étonnée plus encore qu’effrayée, se demandait en vain quelle était la cause de cette grande et soudaine colère de son amie.

Elle ignorait que Juliette sortait de l’antre de la sibylle et que cette prétendue femme forte, qui reniait sa foi, ajoutait croyance aux dires d’une nécromancienne.

Quelle révélation la sibylle avait-elle faite?

Sur le bûcher, ou Le sort des femmes

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