Читать книгу Sur le bûcher, ou Le sort des femmes - Jules Gondry Du Jardinet - Страница 7

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III.

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L’antre de la sybille.

Après avoir suivi pendant vingt minutes, en aval, les bords enchanteurs du Mississipi, le voyageur aperçoit au moment où il s’y attend le moins un ruisseau qui coule enserré entre deux montagnes peu élevées, mais à l’aspect sombre et lugubre. Des rochers nus s’offrent bientôt et partout à sa vue.

Cette vallée semble être le séjour du malheur.

Là se trouvait l’antre de la sybille de la Nouvelle-Orléans qui, sans avoir la notoriété de la sybille de Cumes, voyait un grand nombre de personnes recourir à sa prescience prétendue.

L’homme n’est jamais satisfait du présent; il s’efforce toujours de pressentir l’avenir, comme si les soucis de chaque jour ne l’accablaient pas assez.

Certes, si l’homme, au commencement de sa carrière, voyait par un acte de la toute-puissance divine se dérouler devant ses yeux les déboires, les soucis, les peines, les malheurs qui l’attendent presque à chaque pas dans sa carrière, il est certain que, comme le Fils de l’homme, il demanderait au Père céleste d’écarter de ses lèvres le calice de douleurs.

Et, s’il n’était pas chrétien, il maudirait le Créateur qui ne l’a tiré du néant que pour le vouer aux adversités de l’existence.

C’est à ce moment de découragement que la religion apparaît à l’homme, relève son courage et lui dit:

— La vie terrestre n’est qu’une épreuve douloureuse plus ou moins longue; le vrai bonheur ne se trouve que dans l’éternité.

Cette parole bien comprise, bien méditée est la science de l’homme; c’est la science de la douleur.

Au milieu des épreuves elle nous enseigne la consolation.

Juliette de Crèvecœur ayant perdu la foi, voyant le bonheur s’enfuir comme un mirage, s’élançait dans des aspirations vers l’inconnu comme si elle avait voulu arracher son secret à l’avenir.

Son âme était inquiète. Elle commençait à douter de la science occulte de la nécromancienne qui lui avait promis la victoire.

En ce moment la défection de Fernand lui présageait une défaite.

Ce fut donc l’œil enflammé, le regard couroucé qu’elle souleva le marteau de la porte qui défendait l’entrée de la caverne de la sybylle.

Le marteau en retombant sur une plaque métallique fabriquée à cet effet rendait, un son lugubre, qui n’était que trop en harmonie avec le sentiment des personnes qui abordaient cette sinistre demeure.

Une vieille mégère, après s’être fait quelque temps attendre, entrouvrit la porte.

Mais à peine eut-elle aperçu Juliette qu’elle s’empressa de lui livrer passage en grimaçant un sourire.

— Ta maîtresse est-elle libre, demanda Juliette d’un ton brusque et sombre?

— Serait-il arrivé quelque malheur à mademoiselle? demanda la vieille avec un air doucereux qui contrastait avec toute sa personne.

— Réponds au lieu d’interroger. Je te demande si ta maîtresse est libre.

La mégère eut un mouvement de colère. Ses yeux brillèrent d’un feu sombre qui ne tarda pas toutefois à s’éteindre.

C’est qu’elle pensa que chaque visite de Juliette était une bonne aubaine pour elle.

L’or de Juliette charmait le cerbère de la sybille.

Cependant la mégère gardait le silence, parce que sa maîtresse ne lui avait pas donné d’instruction.

— Mais réponds donc, s’écria Juliette dont la colère grandissait avec les obstacles.

La servante s’inclina et la porte du cénacle de la magicienne ne tarda pas à s’ouvrir.

Après quelques instants d’un silence que rien ne troublait dans cette caverne fantastique, une voix sépulcrale s’écria:

— Juliette de Crèvecœur, prenez garde.

Malgré son courage et son stoïcisme Juliette recula d’un pas, épouvantée.

Quel danger la menaçait donc?

Et pourquoi la sybille rendait-elle donc cette fois ses oracles sans se montrer à ses yeux?

C’est en vain que Juliette chercha la cause de cette innovation. Et cependant le motif en était bien simple et bien naturel.

La sybille se trouvant à son belvédère, lors de l’arrivée de Juliette et ayant remarqué son agitation, avait compris que quelque obstacle imprévu irritait sa riche cliente.

Elle se hâta de gagner une grotte profonde d’où elle ne rendait ses oracles que dans les circonstances solennelles.

Quand Juliette se fut émue au cri: Prenez garde, la sybille ajouta:

— Défiez-vous de la première femme que vous aborderez en rentrant chez vous. C’est votre ennemie.

Juliette voulut en vain demander d’autres explications.

L’oracle avait parlé.

Que voulait dire la sybille?

Pour prédire l’avenir il faut le connaître. En prononçant des paroles obscures, elle répondait à l’agitation de Juliette et détournait le cours de sa colère. Les événements pouvaient justifier cette prédiction obscure.

C’est sous l’impression de ces sentiments que Juliette rentra à son hôtel.

La vue de Sara donna aussitôt un corps à la prédiction de la magicienne.

Aussi l’avons-nous vue s’avancer l’œil en feu vers Sara qu’elle menaçait.

Sara étonnée et fort embarrassée de l’irritation subite de son amie, restait immobile comme pétrifiée, lorsque Juliette tourna sa colère contre Fernand que dans son imagination elle se représentait ourdissant un complot avec Sara contre ses projets et le succès de ses meetings.

— Vous êtes encore ici, monsieur, interrogea-t-elle avec aigreur et en conversation avec mon ennemie?

Pour Juliette, la trahison de Sara était un fait accompli. La magicienne l’avait dit.

Fernand releva sa haute taille et prenant une pose noble et digne, il enveloppa Juliette d’un regard superbe.

— Depuis ma plus tendre enfance, dit-il d’un ton ému encore malgré lui, je vous aimai, je vous vénérai comme si vous eussiez été ma mère.

J’ai vécu dans l’illusion. Mon amour me donnait le courage d’accéder à tous vos caprices et de supporter parfois même vos affronts.

Après bien longtemps la désillusion a commencé peu à peu. Vous ne m’aimiez pas. Je n’étais qu’un instrument à vos projets.

Si j’en avais douté encore, votre ultimatum d’hier, répété aujourd’hui, me l’aurait prouvé surabondamment. La coupe est pleine; elle a débordé. J’étais enchaîné ; mes liens sont tombés comme par enchantement.

— Vraiment!

— Et j’ai repris ma liberté pour toujours.

— C’est sans doute ce que vous disiez à madame?...

— Je puis vous dire... Mais non, je tairai l’objet de mon entretien avec madame, car votre cœur n’est pas à la hauteur d’un vrai dévouement.

— Il s’agit bien de dévouement vraiment. Parlez donc de complot, de trahison, de perfidie.

— Madame! fit Sara avec dignité.

— Ce n’est pas à vous que je m’adresse, madame, mais puisqu’il vous plaît de vous mêler aux débats, je vous demanderai s’il est noble et digne d’abandonner une cause de dévoument et de sacrifices pour aider à l’oppression.

— C’en est trop enfin, madame.

— Et c’est chez moi que vous osez...

— Vos propos sont injurieux surtout pour le galant homme que vous insultez avec moi.

— Répétez moi alors ce qu’il vous disait.

— Non, madame, ne parlez pas, fit Fernand.

— Et pourquoi?

— Je ne lui reconnais pas le droit de nous interroger.

— Mon silence pourrait être mal interprété par un esprit prévenu, n’ayant rien à me reprocher, je parlerai.

C’est en vain que je cherche ce qui a pu susciter dans l’esprit de Juliette ses injustes soupçons. Mais je lui pardonne ces pensées accusatrices et ses attaques. Il est si cruel d’être trahi surtout par ceux qui devraient nous aimer. Je ne le sais que trop, moi, qui ne connaîtrai jamais d’autres ardeurs que celles du bûcher.

— Celles du bûcher où vous voulez sans doute faire monter les promotrices de liberté.

— Vous le voyez, madame, dit Fernand, elle ne peut même pas vous comprendre. Sous le dévouement humanitaire, cette femme cache son orgueil, son égoïsme, sa méchanceté.

Quoiqu’il arrive, madame, souvenez-vous que Fernand n’oublie jamais ses promesses.

Il salua Sara avec respect et jetta sur Juliette un long regard où se lisait plus de tristesse encore que de mépris.

— L’aurais-je accusé injustement? se demandait Juliette.

— Généreux jeune homme, se disait Sara. Mais parviendra-t-il à me sauver. O le bûcher! le bûcher!

Sur le bûcher, ou Le sort des femmes

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