Читать книгу Manuel de la politesse des usages du monde et du savoir-vivre - Jules Rostaing - Страница 7
LE TUTOIEMENT
ОглавлениеC'est une question très controversée que celle du tutoiement.
Un mari et une femme, appartenant au grand monde, pourront bien se tutoyer dans l'intimité, mais jamais devant une tierce personne, et encore moins en public.
Il est encore beaucoup de familles qui persistent à repousser cette circonstance atténuante de l'intimité.
Autrefois, dans la classe bourgeoise et même parmi le peuple, les enfants ne tutoyaient pas leurs parents, et certes ils ne les aimaient pas moins pour cela. Mais vinrent les Immortels principes, qui supprimèrent, avec tant d'autres choses, cette marque de respect.
Le vous échappa à la guillotine, mais non pas à la proscription. Un traité de politesse présenté à la Convention, porte en toutes lettres:
Article premier.—La politesse de la République est celle de la nature.
Article second.—Il n'y a pas de vous dans la République; tous les citoyens sont des tu, des toi.
Est-ce assez grotesque?
Le Vaudeville n'eut garde de laisser échapper cette occasion de bon rire. Nous nous rappelons avoir vu jouer, sous la Restauration, une pièce intitulée les Trois Innocents, dans laquelle un des personnages, se jetant aux pieds de sa maîtresse, lui disait avec autant d'esprit que de bonheur:
Je ne connais à vos genoux
Que toi de plus joli que vous.
Les partisans, les défenseurs du tutoiement auront beau dire. Il est tout au moins choquant d'entendre un jeune homme de vingt ans tutoyer son grand-père, vieillard de soixante-dix ou quatre-vingts ans, ou bien un oncle, une tante du même âge. L'on rencontre même aujourd'hui des gendres qui poussent l'oubli des convenances jusqu'à tutoyer leur belle-mère.
Où s'arrêtera le progrès?
La politesse entre amis est surtout nécessaire. L'on se voit tous les jours, plusieurs fois même par jour;—raison de plus pour apporter dans ces entrevues une certaine réserve de ton et de manières. Le tutoiement conduit à une grande familiarité, laquelle mène à son tour à des brouilles plus ou moins fâcheuses.
On fera donc bien de ne se point laisser aller à cette privauté de langage qui, du reste, n'est pas une preuve probante d'affection, d'une sincère et solide amitié. Mme de Sévigné n'a jamais tutoyé sa fille, et Dieu sait si elle l'aimait! «Ma fille, aimez-moi donc toujours, c'est ma vie, c'est mon âme que votre amitié...
«Je ne puis me représenter d'amitié au delà de celle que je sens pour vous; ce sont des terres inconnues...»
Que d'autres personnages célèbres, qui furent liés entre eux d'une étroite amitié, ne pourrait-on pas citer à l'appui! Et puis notons qu'il y a danger, et danger sérieux à notre époque, de trop se familiariser. Ce temps est si fertile en naufrages de toute sorte, que l'on s'y trouve exposé à de terribles avaries. Votre ami du jour peut être reconnu, le lendemain, pour un homme tout à fait indigne d'estime.
Quelques conseils pour en finir avec les amis.
Règle générale et sans exception:
Ne prêtez ni n'empruntez jamais d'argent à vos amis, si vous ne voulez pas vous exposer à de fâcheux mécomptes.
«Conduisez-vous avec votre ami, dit un sage de l'antiquité, comme si vous deviez être un jour ennemis, et avec votre ennemi, comme si plus tard vous deviez devenir amis.»
Tout attaché qu'il nous paraisse, le cœur d'un ami peut changer. Mme de Maintenon devait en avoir fait la douloureuse épreuve, lorsqu'elle a écrit ces mots: «On est souvent trompé par des amis de trente ans.»