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Table des matières

Les insurrections et les constitutions. Révolution de Février. Soulèvement de Milan et de Venise .

Moins d’une année et demie après son avènement, Pie IX lui-même, qui avait donné le branle au mouvement italien, se heurtait, chez lui, dans la pratique, à des difficultés qui le rejetaient en arrière ou l’arrêtaient; et ces hésitations précipitaient le peuple impatient, dans le courant de la révolution contre laquelle semblait marcher l’Autriche. «La grande difficulté des réformes, écrivait Rossi à Guizot, c’est l’introduction de l’élément laïque dans la direction des affaires.» Les modérés eux-mêmes, en effet, sur ce point ne transigeaient pas. Sans menacer de s’allier avec les radicaux pour faire échec au parti clérical, ils n’avaient qu’à les laisser faire. Mais celui-ci trouvait alors d’autant plus d’appui dans le gouvernement autrichien, puisque tous deux avaient le même adversaire; et c’est ainsi que, dans les Etats de l’Église, sur le terrain romain particulièrement, se posait la question nationale, et se dressait devant toutes les améliorations l’obstacle de la domination étrangère autrichienne.

Guidé par Rossi, le pape essaya avec la plus grande bonne volonté de sortir de ces difficultés: Dans le motu proprio du 14 octobre, qui définissait les pouvoirs de la consulte depuis si longtemps promise, enfin accordée, il réserva, il est vrai, après la délibération de cette assemblée, la décision des affaires importantes au Sacré-Collége; mais il en excepta le budget des recettes et des dépenses, qui devait être présenté directement au souverain en conseil des ministres par le président de la consulte. Ce président dut être un cardinal; et Pie IX nomma Antonelli, cardinal qui s’était compromis sous Grégoire XVI, mais s’était rallié depuis. Cependant le droit de justice du foro ecclesiastico sur les laïques était aboli, l’administration municipale à Rome et dans les autres villes passait presque entièrement entre les mains des laïques. Après tout c’était un grand progrès. La réunion de la consulte (15 novembre) et celle du conseil municipal (24 novembre) démasquèrent l’incompatibilité.

Dès les premiers jours, malgré les efforts de l’ambassadeur français, Rossi, qu’on traitait cependant parfois d’endormeur, il y eut conflit entre l’assemblée et le pouvoir sacerdotal peu accoutumé à ren contrer en face de lui l’examen et la délibération. Pendant les quelques mois que siégèrent la consulte et le sénat romain, avec son président Corsini, ils ne parvinrent pas à faire adopter un seul de leurs projets; et les ministres laïques que le pape admit dans son conseil, dès le 18 décembre, n’eurent guère plus d’influence. Ces conflits ranimèrent, au grand détriment de la cause commune, la vieille lutte entre l’esprit laïque et l’esprit sacerdotal, l’État et l’Église, avec toutes ses passions et ses excès. Gioberti, dont le livre sur la papauté avait précédemment tenté de réconcilier l’Italie avec le Saint-Siège, chercha dans un nouveau livre, à propos des Jésuites, à détourner les rancunes et les colères de l’Italie libérale et révolutionnaire sur cet ordre célèbre, tout-puissant sous Grégoire XVI à Rome, en Italie, en Piémont et en Autriche. Le nom de Gioberti se trouva alors mis dans les manifestations populaires à Gênes, même à Rome, à côté ou à la place de celui de Pie IX. Les exaltés ne demandaient plus seulement au pape d’être le chef de la confédération italienne, mais de se mettre, comme un nouvel Alexandre III, un nouveau Jules II, à la tête du mouvement national contre l’étranger, les barbares. Au lieu d’une primatie pacifique, c’était une initiative guerrière qu’on attendait de lui.

Alarmé des proportions que prenait le mouvement qu’il ne pouvait retenir, découragé par l’accord de l’Autriche et de la France qui voulaient le maintien des traités de 1815, bien qu’elles ne fussent pas aussi unanimes sur les concessions à faire au parti libéral, plus effrayé encore par le rôle que voulait maintenant lui imposer la foule, Pie IX commençait à être plus disposé à reculer qu’à avancer. Il n’avait pas le tempérament des prédécesseurs qu’on lui proposait pour modèle, et, certes, le dix-neuvième siècle ne comportait guère dans un pape ce qu’expliquent le douzième et le seizième. C’était en effet un homme bon, doux, pieux, sensible à la gloire, susceptible d’exaltation, capable de comprendre mais non de trouver, et peu fait pour la politique et pour l’action, prompt à se laisser entraîner quand les choses semblaient faciles ou lui plaisaient, mais impossible à remuer quand un obstacle se présentait au dehors ou dans sa conscience. Il est probable que le siècle eût retourné contre lui le rôle d’un pape guerrier s’il eût été d’humeur à le prendre. Le rôle de calife des souverains et des masses italiennes ne le tentait pas. Aux premiers jours de janvier de l’année 1848 on put s’apercevoir que Pie IX n’inspirait plus aux passions, de plus en plus ardentes, la même confiance. Il habitait toujours au Quirinal et non au Vatican depuis son avènement, c’est-à-dire plutôt au palais du gouvernement temporel qu’à celui du pontife. Le peuple qui arrivait de la Piazza del popolo pour le fêter, le 5, vit le palais gardé et s’en retourna mécontent, con malhumore. Le prince Corsini vint de la part du peuple en demander la raison et peut-être raison. Le lendemain, Pie IX sortit en voiture pour donner au peuple romain une preuve de confiance, et se rendit au Corso faire sattisfazione. La foule afflua joyeuse; Cicervacchio monta avec une bannière derrière une des voitures pontificales. Ce fut le dernier jour d’entente entre le pape en proie à l’inquiétude, aux scrupules, et le peuple mécontent qui l’accusait de retomber entre les mains de quelques rétrogrades, des birboni.

Ce qu’il y avait de plus périlleux, c’est que, en devenant national, le mouvement atteignait déjà Naples, où régnait Ferdinand II, souverain tout dévoué à l’Autriche, et le Lombard-Vénitien, où l’archiduc d’Autriche Reynier était vice-roi. Malgré l’intensité que prenaient les sentiments d’indépendance, on accusait les Italiens de mettre plus d’appareils de fête que de sérieux dans leurs démonstrations, et de prendre des chansons et des cris de joie pour des actes héroïques. Déjà, dans l’impatience générale, le parti libéral et modéré, à Rome et ailleurs, accusait ou l’entêtement sacerdotal, ou la timidité des princes; il se tenait à l’écart, et se résignait, au besoin, à une catastrophe dont il ne serait pas le plus à plaindre. Les chefs des radicaux, révolutionnaires ardents et résolus, prenaient la place désertée par le pape et par les libéraux, et les masses les suivaient avec l’empressement qu’elles avaient d’abord témoigné au chef de l’Église et aux constitutionnels

A Rome, sans doute, à Florence ou à Turin, il eût été fort imprudent de tenter d’entraîner violemment les souverains nationaux. On eût été contre son but. Mais, dans le royaume lombard-vénitien, qui était sous la domination de l’Autriche, et dans le royaume des Deux-Siciles, où Ferdinand II gouvernait sous son influence, rien ne pouvait retenir les exaltés. La Vénétie et la Lombardie n’étaient certainement pas les plus mal administrées des provinces italiennes. Grâce à la richesse du pays, l’industrie n’y était pas trop en souffrance; grâce au gouvernement, l’instruction à tous les degrés ne faisait pas trop défaut. Mais l’aisance faisait sentir d’autant plus vivement la perte de l’indépendance, et la liberté surtout manquait à l’enseignement comme à la presse. Point de liberté municipale, peu de communications possibles avec le dehors, l’espionnage partout, les impôts lourds, et les recrues italiennes envoyées loin du pays, dans les armées du maître! Quant au royaume des Deux-Siciles, il manquait de tout, sauf d’arbitraire, de mécontents et de contrebandiers . Au moins n’y avait-on réalisé aucun progrès; combien d’éléments pour la révolution!

Elle éclata bientôt. L’étincelle partit, comme de coutume, au pied du Vésuve et de l’Etna, dans les États du souverain qui s’était le plus décidément prononcé contre les concessions. Déjà, les 1er et. 2 septembre, sur un signal donné de Naples, Reggio. et Messine avaient pris les armes. Ce mouvement prématuré ne réussit point. Reggio fut bombardée, Messine réprimée; vingt-cinq prisonniers furent fusillés et l’université de Naples fermée. Mais, depuis, les excitations se succédaient avec un caractère tous les jours plus hostile, à Livourne, à Florence et à Rome même. Enfin les provinces soumises à l’Autriche répondirent au midi, commençant par une opposition légale et de sourdes conspirations. Dans les deux assemblées centrales de Milan et de Venise, deux députés, Nazzari et Manin, présentèrent des pétitions pour l’exécution loyale de la patente autrichienne de 1815, le consentement de l’impôt, le service militaire dans le pays. Les officiers autrichiens virent le vide se faire autour d’eux dans les salons, les soldats furent hués dans les rues; on saisit quelques occasions de montrer les drapeaux de la ligue lombarde. En attendant le moment de se mesurer avec l’armée de l’Autriche, on attaqua sa régie, on s’imposa des privations volontaires. Les Italiens ne fumaient plus, ils ne mettaient plus à la loterie; ils ne fréquentaient plus le théâtre et l’on commençait à se défier, soldats et citoyens, dans les rues de Milan.

Au commencement de l’année 1848, la Péninsule était comme un terrain mouvant, secoué par une lave intérieure qui cherche à faire éruption. Les rixes déjà sanglantes se multipliaient dans les villes du Lombardo-Vénitien. Le gouvernement autrichien augmentait ses bataillons dans la Lombardie sur la demande du feld-maréchal Radetzki, et malgré les protestations affectueuses du vice-roi, pour être en mesure d’agir, à l’intérieur ou à l’extérieur, au premier prétexte, Le roi Charles-Albert, de son côté, entouré d’un certain nombre de réfugiés lombards ou d’exilés, appelait dix mille hommes de réserve sous les drapeaux. Le cabinet français formait un corps expéditionnaire aux environs de Toulon pour garantir l’influence et les principes français en Italie; des vaisseaux anglais croisaient en vue de la Sicile. L’ambassadeur français, M. Bresson, parcourait la Péninsule pour tout calmer; lord Minto, au contraire, pour tout encourager. Le 3 janvier 1848, les dragons autrichiens sabraient des groupes formés dans les rues de Milan. Quelques jours après, à Venise, au milieu d’une collision entre les soldats et le peuple, Manin et Tommaseo étaient arrêtés par la police autrichienne. Le 12, une révolte sérieuse éclata à Païenne.

Les désordres engendrés par la négligence coupable du pouvoir et les symptômes d’agitation avaient atteint dans la Sicile particulièrement des proportions énormes. Les observations de l’ambassadeur français, Bresson, des Autrichiens même, n’obtenaient rien du roi, et les feuilles qui arrivaient clandestinement de la Toscane prêchaient l’insurrection. Les manifestations, les emprisonnements se succédaient. Enfin le roi Ferdinand II promit pour le 12 janvier l’arrivée d’un nouveau lieutenant-général, le duc de Serra Capriola, chargé de faire des réformes. Le 12, personne n’avait paru. Les libéraux crurent qu’on s’était joué de leur bonne foi. Depuis plusieurs jours, le matin, en se levant, ils trouvaient affichés des appels aux armes. Ils essayaient de contenir le peuple, qui avait déjà plusieurs fois déployé dans les rues les trois couleurs italiennes, en demandant pour la Sicile la constitution de 1812, et pour Naples celle de 1821. Le 12 était justement l’anniversaire de la naissance du roi Ferdinand II, qui avait alors trente-huit ans. Dès le matin, tout Palerme était sur pied, aux balcons, dans les rues, surtout dans la grande rue de Tolède, qui part du château royal fortifié (Palazzo reale), à l’occident, non loin de la porte Montreale, et traverse toute la ville pour aboutir au nord-est à la batterie della gorita, vers le fort de Castellamare. La rue Macqueda, qui coupe en deux celle de Tolède, du sud au nord, et aboutit au grand port fermé par le môle avec le phare et sa batterie, n’était pas moins agitée. On attendait; on ne vit rien venir. A huit heures, un Boressani sur un point, un abbé, le crucifix à la main, sur un autre, crient: «Aux armes, au nom de Rosalie, patronne de Palerme!» C’était le commencement de l’émeute.

Les troupes, au nombre de six mille hommes, occupaient les principales places et surtout le palais royal. Un certain La Masa, avec le drapeau aux trois couleurs, donna le signal. Pendant la journée cependant, il n’y eut que quelques poussées de la part du peuple, et des décharges de la troupe sans importance. Dans la nuit il se forma un comité sur la place du Marché-Vieux, puis au palais Santa-Anna. On n’avait pas d’armes. Le lendemain, cependant, la population au balcon excitait le peuple dans la rue, et les cloches dans les églises sonnaient le tocsin. Les forts commencèrent à lancer des bombes sur la ville, et continuèrent le 14. Il faisait froid; la neige couvrait les montagnes environnantes. Le 15, tout languit encore. Le 16, envoyés par le cabinet napolitain qui saisissait cette occasion de sévir, le général Sauget, avec dix vaisseaux de guerre et cinq mille hommes, et le frère du roi, comte d’Aquila, débarquèrent dans le grand port, au nord de la ville, vers Quattro Venti, non loin de la porte Macqueda. Déjà plusieurs chefs du comité, sous le drapeau des consuls, fuyaient sur les vaisseaux des escadres française et anglaise en vue du port. Mais quelques hommes déterminés, ayant à leur tête La Masa, en se précipitant aux portes, empêchèrent la jonction des troupes de secours avec la garnison. La noblesse, le clergé même, offrirent alors de l’argent au comité, on eut des armes et l’insurrection se propagea bientôt dans toute l’île. Le 18, quand elle était déjà de l’autre côté du détroit, le comité d’insurrection de Palerme demandait au lieutenant-gouverneur la constitution de 1812, et, sur son refus, le peuple, non content de séparer Sauget de la garnison du palais, enlevait, les jours suivants, malgré le bombardement, après un combat acharné, toutes les approches du Palazzo reale, et bientôt le palais lui-même.

Le roi, effrayé cette fois, à Naples, renvoya son ministre de la police del Carretto, promit une consulte, nomma un nouveau lieutenant-général en Sicile, et publia une amnistie; mais cela ne suffit plus. Le général Sauget, ralliant la garnison, fut forcé d’évacuer Palerme et eut peine à faire embarquer ses troupes poursuivies et harcelées pendant que l’insurrection faisait le tour de l’île. Le 26, il n’y eut plus au pouvoir des troupes de Ferdinand, dans toute l’île, que le château de Messine; et, le 27, à Naples, dix mille hommes descendirent dans les rues, bannières déployées, et firent retentir la façade du palais et la place du Marché des cris de: «Vive la constitution de 1821!» Le fort Saint-Elme arbora le drapeau rouge; mais la population arbora les trois couleurs. Les troupes descendirent un instant du fort Saint-Elme pour occuper les places. Mais le commandant du fort offrit sa démission quand on voulut lui donner l’ordre de bombarder la ville. Le général Statella, lui-même, conseilla au roi de céder; le lendemain, 28, un nouveau ministère composé de Serra Capriola, longtemps ambassadeur à la cour de France, Buonomi, prince de Torella, Bozzelli, écrivain et juriste distingué, et Poerio, d’une famille de martyrs patriotes, entra en fonctions; et, le 29, la constitution fut définitivement promise, et les bases du gouvernement représentatif garanties.

Le roi, en parcourant la ville, eut une ovation de la population bourgeoise, sinon des lazzaroni défiants. Avec un peu d’habileté ou de vigueur, il aurait peut-être maîtrisé le mouvement; quelques-uns ont pensé qu’il avait voulu jeter l’idée constitutionnelle comme un brandon de discorde dans les États des princes qui cherchaient à l’entraîner à des concessions. «M’hanno spinto)» aurait-il dit, «io li spingerò ». «Par cette brusque concession,» dit l’ambassadeur anglais à Turin, «le roi de Naples prépare de grandes difficultés aux souverains réformateurs, sans donner à son pays l’avantage d’institutions qui concordent avec celles du reste de l’Italie.» Les Siciliens qui avaient donné le branle à Palerme, et qui voulaient la constitution séparée de 1812, doutaient encore plus de la sincérité du roi.

L’effet de ces nouvelles arrivant coup sur coup dans toutes les villes de la Péninsule fut, en effet, prodigieux. Le roi, qui passait pour le plus absolu, avait, bon gré, mal gré, laissé loin derrière lui tous les autres princes; Les journaux, les clubs devinrent plus ardents que jamais en Toscane, à Rome et à Turin. Quand la constitution napolitaine parut, le 11 février, modelée sur la charte française de 1830, un peu, comme par ironie, avant le carnaval, ce qui fit mêler aux cris de: Vive la constitution! ceux de Vivent les masques! il n’y eut plus guère moyen de résister. Vainement la Russie, par l’organe de Nesselrode, l’Autriche par Metternich, protestèrent-elles, et Guizot lui-même, en pleine chambre des députés, disait-il, en France, le jour même de la promulgation de la constitution napolitaine: «Il faudra encore dix ans, vingt ans, avant que les peuples italiens puissent avoir une constitution.» Lord Palmerston, plus hardi que ses ambassadeurs, spécialement à Turin , poussa les autres souverains à ne pas se laisser gagner en libéralité par Ferdinand II, et l’Angleterre fut écoutée parce qu’elle répondait à l’entraînement national.

Le duc de Toscane octroya donc une constitution, le 15, par la crainte des mouvements tumultueux de Livourne agitée, ainsi que Gênes, par les Mazzinistes. Le pape, ne sachant si le gouvernement parlementaire était compatible avec sa double position de pontife et de prince, hésitait, malgré les instances du prince, Corsini et de lord Minto, qui le quitta en l’accusant de manquer d’énergie et de résolution. Une manifestation au cri de: «Plus de prêtre au ministère! » fut poussée au Quirinal jusque sous ses fenêtres. Pie IX apparut au balcon, blâma en termes émus ces demandes tumultueuses, qu’il ne pouvait ni ne voulait accorder et donna sa bénédiction au peuple encore satisfait. Mais, à Turin, les libéraux, même les plus modérés, le comte Cavour, Santa Rosa, César Balbo, le colonel Durando, rédacteurs principaux de la Revue nationale économique, se chargèrent d’aller porter au roi les vœux exprimés par les municipalités de la capitale et de Gênes en faveur d’une constitution (7 février). Prince tout militaire, aimant mieux avoir à combattre les Autrichiens qu’une opposition de tribune, Charles-Albert eût été plus disposé à satisfaire le sentiment national, à tenter de donner l’indépendance à l’Italie que des libertés constitutionnelles à son peuple; cependant, cédant à l’entraînement général, il publia, le 17, le statut fondamental qui contenait tous les principes de la constitution, et, quelques jours après, en passant une revue de son armée, il devait prendre part à la fête populaire qui célébra cet événement.

Le Lombard-Vénitien, dont tant d’exilés, de bannis étaient parmi les Piémontais, frémissait maintenant sous le joug en voyant dans toute la Péninsule les conquêtes de la liberté. L’archiduc Reynier, M. de Fiquelmont, son conseiller, le maréchal Radetzki, commandant des forces militaires autrichiennes à Milan, en appelèrent aux mesures extrêmes de compression. Le jugement stataire, en vertu duquel on pouvait être jugé et pendu en deux heures fut inauguré, le mardi-gras, au commencement de ce long carnaval ambrosien qui amène ordinairement tant d’étrangers à Milan. La fête fut morne, malgré les efforts de M. de Fiquelmont; si l’on dansait, c’était la sicilienne. «Soldats,» dit Radetzki, en annonçant à ses troupes la ferme volonté de l’empereur de défendre le Lombard-Vénitien, «que les insensés ne vous forcent point à déployer le drapeau de l’aigle à deux têtes; contre votre fidélité et votre valeur, les coupables efforts du fanatisme et de la rébellion se briseront comme le verre fragile contre le roc.» M. d’Azeglio répondit à ces paroles, dans ses Lutti di Lombardia, le 24 février.. «L’affranchissement de l’Italie, dit-il, dépend d’accidents extérieurs que l’esprit ne peut prévoir, mais que notre cœur pressent. Portons nos regards sur l’état même de la chrétienté, et nous demeurerons convaincus que Dieu a fixé l’heure à laquelle doivent crouler de grandes iniquités.»

Étranges coincidences, mais qui montrent d’autant plus la force du courant qui semblait alors tout entraîner! Le même jour, 24 février, l’ambassadeur anglais à Vienne écrivait à lord Palmerston que le nonce faisait savoir au prince de Metternich la résolution du pape de garantir une constitution à ses sujets. Le prince de Metternich, en revanche, répondait, à une note du 12 de lord Palmerston contre une intervention possible dans les États de l’Église et à Naples, par un persiflage de grand seigneur. A Turin, même jour, Charles-Albert passait, au milieu de la fête de la Constitution, son armée en revue. Le roi se tenait immobile, froid et pensif sur son cheval, quand une députation de Lombards exilés vint lui remettre une supplique signée des exaltés génois en faveur «des frères dans le deuil». Le rouge monta à son visage ordinairement de marbre, son cheval ressentit le mouvement nerveux de tout son corps. Le soir, en rentrant, il apprenait la révolution à la suite de laquelle s’écroulait en France un trône, à l’existence duquel se rattachaient l’équilibre européen et la modération des partis, pour faire place à la république et à l’exaltation populaire.

C’était la seconde fois, en moins d’un siècle, que le contre-coup des révolutions intérieures de la France était destiné à exercer une influence considérable sur les événements italiens. En 1789 et en 1792, la Révolution française, en effrayant les souverains, alors philosophes, qui avaient commencé dans leurs États d’heureuses réformes, avait subitement coupé court à leur bon vouloir. Ils étaient revenus sur les progrès déjà faits, au risque de mécontenter surtout l’aristocratie éclairée et la haute bourgeoisie, et, dans la lutte européenne, qui commença bientôt entre la France et les grands souverains de l’Europe, et qui devint bientôt la lutte de la liberté contre le despotisme et du nouveau régime contre l’ancien, ils avaient pris le second parti, au risque de n’être pas toujours suivis par leurs peuples. Quel allait être l’effet produit en Italie par la Révolution française de février 1848? On ne pouvait pas penser que celle-ci pût entraver, après un stade de soixante années, la marche recommencée, puisque déjà, dix-huit années auparavant, la Révolution de 1830 l’avait plutôt hâtée que retardée. Mais d’une part, la révolution française n’exposait-elle pas l’Italie à de nouveaux périls, en précipitant son impulsion, si les partis extrêmes allaient ne se plus contenter de libertés constitutionnelles, après l’exemple donné par la France? et, d’autre part, en encourageant les Italiens les plus hardis à poser, prématurément peut-être, la question de l’indépendance, ne jetterait-elle pas la Péninsule dans des complications extérieures qui ne pouvaient qu’embarrasser sa reconstitution intérieure? En tous cas, la nouvelle, si extraordinaire qu’elle parût d’abord, ne pouvait pas être mal vue de l’opinion italienne et nationale. L’opposition à la monarchie de juillet ne s’était-elle pas échauffée quelquefois, contre le roi Louis-Philippe, contre Guizot son dernier ministre, au feu italien? et les événements du 23 et du 24 février, à Paris, n’étaient-ils pas aussi un contre-coup des événements tout italiens de Palerme au mois.de janvier 1848?

La Révolution parisienne de février fut en Italie comme un vent impétueux tombant sur un brasier. Les impatients, les exaltés, poussèrent sans trop de réflexion un immense cri de joie. Les modérés accueillirent la nouvelle avec plus d’inquiétude. Ils ne croyaient point encore l’Italie prête à des éventualités qui peut-être se présenteraient tout à coup. Pouvait-il maintenant être question pour les princes de marchander les concessions? Les radicaux étaient forts de l’exemple de la France. Celle-ci était passée du gouvernement constitutionnel à la république; n’était-ce pas le moins que l’Italie fit un pas à sa suite et entrât résolûment dans le gouvernement constitutionnel? Les princes en étaient persuadés; mais contenteraient-ils avec cela les plus impatients et les plus radicaux?

Charles-Albert, le premier, chercha à faire face à ces difficultés nouvelles; il promulgua le 4 mars sa constitution déjà préparée, et prit un nouveau ministère à la tête duquel se trouvait le comte César Balbo et des hommes comme le marquis Pareto de Gênes, aux affaires étrangères, et le comte Sclopis, jurisconsulte et économiste distingué, à la justice. Les démocrates de Gênes ne se montrèrent pas trop satisfaits. Mais l’opinion générale approuvait Charles-Albert; en appelant de nouveaux soldats sous les drapeaux, contre l’Autriche ou contre la révolution française, on ne le savait pas trop encore cependant, il rencontra la même adhésion.

Le roi de Naples, Ferdinand II, était dans une position moins simple, mais qui lui permettait davantage, peut-être, de jouer avec les difficultés, quoique ce fût bien dangereux. A Palerme, le gouvernement provisoire composé, à la suite des événements, d’hommes comme Settimo Ruggiero, ancien contre-amiral et vétéran de la liberté, et Pierre Lanza, écrivain distingué, refusait de reconnaître la constitution récente qui soumettait la Sicile à Naples, et demandait, assez imprudemment d’ailleurs, un parlement et un gouvernement séparés avec l’union personnelle seulement, sous le roi Ferdinand. Le roi de Naples consentit à une concession nouvelle à Naples; il s’engagea à nommer les pairs sur une liste de trois candidats élus, mais il obtint ainsi de son ministère de s’opposer à la séparation politique de la Sicile, et il fit même continuer par la garnison de la citadelle de Messine, encore en son pouvoir, le bombardement de la ville. Il comptait sur cette opposition des deux rives du phare pour venir à bout, à l’aide de circonstances favorables, de l’une et de l’autre.

Pie IX, lui, poussé par les événements, par les manifestations et par Rossi devenu, d’ambassadeur français, son propre conseiller, revint au contraire à ses premiers errements, avec plus de résignation cependant que d’enthousiasme. Il prit un ministère presque entièrement laïque (10 mars), et promulgua aussi, le 15 mars, une constitution appropriée à la situation particulière des États romains. Sous le nom de statut fondamental pour le gouvernement temporel de l’État de l’Église, elle créait une chambre des pairs à la nomination du pape, et une chambre des députés avec suffrage censitaire. Toute la Péninsule indépendante était constitutionnelle.

Ces constitutions modérées étaient viables, quoique un peu hâtivement élaborées. Celle même de Rome, bien qu’entravée par le pouvoir politique du collège des cardinaux, érigé au-dessus des deux autres assemblées ordinaires, pouvait peut-être aussi fonctionner avec de la bonne volonté et quelques améliorations. Beaucoup de catholiques mêmes le croyaient. Le soin de diriger les nouveaux gouvernements était confié aux hommes de la première heure, libéraux constitutionnels, vétérans de la liberté, des luttes de 1821 et 1831, écrivains éclairés pour la plupart, sur la modération desquels on pouvait compter. «Nous nous plaignions,» écrivait M. d’Azeglio, le 23 mars, «que votre gouvernement retardât le mouvement italien. Vous nous menez ventre à terre. Avec cela nous ne serons pas désarmés, j’espère. Les gouvernements ont pris soin de satisfaire l’opinion publique, les populations ont fait preuve de bon sens, de sens pratique.»

Il y avait bien, çà et là, quelques symptômes de trouble. Dans les Marches, à Turin, à Gênes, à Naples, les jésuites qui avaient dominé dans les gouvernements précédents, étaient obligés de partir sous les menaces populaires. Mais, si l’Italie nouvelle trouvait des encouragements aussi bien en France maintenant, qu’en Angleterre, elle ne pouvait cependant espérer davantage contre l’Autriche. Le manifeste du gouvernement provisoire de la République française, écrit par Lamartine, garantissait les précieuses conquêtes faites, mais rien de plus. «Si les États indépendants de la Péninsule, disait-il, étaient envahis; si l’on imposait des limites ou des obstacles à leurs transformations intérieures; si on leur contestait à main armée le droit de s’allier entre eux pour consolider la patrie italienne, la République française se croirait elle-même en droit d’armer pour protéger ces mouvements légitimes de croissance et de nationalité des peuples.» Mais la liberté des États indépendants ainsi garantie, la question du Lombard-Vénitien était réservée. «Les traités de 1815, disait encore le manifeste, n’existent plus en droit; toutefois les circonscriptions territoriales de ces traités sont un fait que la République admet comme base et comme point de départ dans ses rapports avec les autres nations». Lord Palmerston, lui-même, qui avait envoyé à Naples lord Minto, pour tâcher d’aplanir le différend entre la Sicile et le gouvernement napolitain, s’appuyait, pour maintenir l’union, sur les traités de 1815; et il répondait au ministère piémontais de César Balbo, désireux de son appui, que le principal but du gouvernement anglais, c’était le maintien de la paix en Europe. Mais c’était sur ce terrain, en Italie, que l’ardente passion réunissait, dans toutes les classes et dans toutes les provinces, les esprits et les cœurs. Serait-il possible de la maîtriser?

La diplomatie, par des échanges de notes entre lord Palmerston, la cour de Vienne et les cabinets italiens, s’efforçait encore de conjurer tout conflit qui pût amener la guerre, quand l’Europe apprit de nouveau qu’une révolution avait éclaté tout à coup, le 13 mars, à Vienne, et que le prince de Metternich, la veille encore opiniâtrément rebelle aux instances de l’ambassadeur anglais, était en fuite. Un nouveau ministère était formé ; il promettait une constitution à la monarchie autrichienne, et, par conséquent, il pouvait faire espérer à la Lombardie un traitement qui la consolât, au moins de la dépendance, par des libertés politiques intérieures. Les hautes classes lombardes, un peu effrayées par la proclamation de la république en France, tendaient à se modérer et pouvaient peut-être se trouver satisfaites; mais, le 17, la nouvelle de la révolution de Vienne arrivait à Milan, et, le 18, le peuple milanais soulevé posait la question de l’indépendance.

Le vice-roi Reynier était parti déjà pour Vérone; et, le 18, au matin, le vice-gouverneur O’Donnel, du palais du gouvernement qui se trouvait situé à l’extrémité orientale de la ville dont le dôme occupe le centre, faisait afficher que l’empereur d’Autriche, en même temps que la représentation de ses autres sujets allemands et slaves, convoquait, pour le 3 du mois de juillet suivant, l’assemblée centrale du royaume lombard-vénitien. Mais, dans la nuit, un comité formé du podestat, comte Casati, de quelques jeunes gens de bonne famille, Correnti, et d’hommes d’action, Borromeo et Cattaneo, s’était formé ; et aussitôt, dès le matin, sur des affiches qui portaient ces mots: «Il momento è venuto», les bourgeois et le peuple se répandaient comme une inondation dans les rues; les femmes de toutes classes, gentil donne et autres, étaient aux balcons, aux fenêtres, agitant les drapeaux et jetant les cocardes aux trois couleurs, surtout à la place du Dôme, dans la rue des Esclaves qui est derrière, et sur la place des Marchands; dans le vieux Milan, au Broletto, siège des autorités municipales, on distribuait des armes, on faisait des barricades.

Le podestat, comte Casati, vint pour calmer l’émotion ; on le porta vers le palais du gouverneur, qui fut envahi, et le comte O’Donnel, au pouvoir des Milanais, fut obligé de décréter l’armement de la milice et de remettre la sécurité de la ville à la municipalité. C’était le premier acte d’hostilité. Radetzki lança alors du château, à l’extrémité nord-ouest de la ville, et de quelques casernes, plusieurs bataillons pour reprendre le palais du gouverneur et donner assaut au Broletto; il les recouvra, après beaucoup de sang déjà versé ; et, le soir, se retirant au château, bâtiment massif, assez mal fortifié cependant, il se contenta d’occuper militairement les bastions, la place du Dôme et celle des Marchands, le Palais royal, la Police, l’Hôtel de ville, le Commandement, ainsi que les principales rues qui aboutissent à ces points principaux. Son but était de cerner et de diviser l’émeute. Ce fut une nuit solennelle; la pluie tombait par torrents. Le peuple milanais s’arma, éleva silencieusement ses barricades; les femmes, les enfants, entassaient les projectiles sur les toits des maisons. Le podestat Casati, partisan secret de Charles-Albert, était à sa maison de la Taverna, avec quelques nobles, quelques écrivains et des jeunes gens pleins d’ardeur; il hésitait. Mais Cernuschi, Cattaneo, Terzaghi, formés déjà en comité de guerre, organisèrent la résistance. Le 19, au matin, Radetzki fit une sommation, et menaça la ville du bombardement et du sac; on lui répondit en se jetant dans les rues au son du tocsin; et, aux cris de: vive Pie IX! le combat commença. Le premier jour, les Milanais ne cherchèrent qu’à couper les communications de l’armée. L’affaire la plus rude eut lieu sur la place de la Cathédrale, d’où un corps de Tyroliens, embusqué dans les galeries, faisait un feu plongeant et meurtrier. Les Milanais n’avaient pas encore beaucoup d’armes et manquaient de munitions. Le drapeau aux trois couleurs se trouvait arboré à la pointe du clocher du dôme. Le 20, la lutte se caractérisa.

Radetzki eut beaucoup de peine à garder ses communications avec les points occupés et les casernes très-distantes les unes des autres, à faire passer des munitions et des vivres aux corps engagés dans l’intérieur de la ville; il lui fallait faire enlever chaque barricade sous un feu meurtrier parti de toutes les fenêtres, et sous une grêle de projectiles lancés du haut des maisons. Il fut obligé d’abandonner successivement la Cathédrale et la Police; un parlementaire vint de sa part proposer le soir un armistice de quinze jours ou le bombardement. Casati et les collaborateurs qu’il s’était adjoints penchaient à accepter; les consuls étrangers protestèrent à l’avance contre le bombardement; mais le comité de guerre et les combattants, exaspérés par les cruautés de quelques Croates, refusèrent tout armistice .

Le 21, l’insurrection gagna encore. La marquise de Trivulzio avec ses fils travaillait aux barricades, les combattants milanais s’étaient organisés sous des chefs. Les villages environnants commençaient à remuer pour venir au secours dès bourgeois. Radetzki perdit le palais qui fut pillé, la caserne de Francesco qui fut emportée; on commença à attaquer les bastions et les portes, entre autres la porte Ticinese, vers le midi, et la porte Tosa au nord-est, pour ouvrir les communications avec le dehors. Tous les citoyens de vingt à soixante ans vinrent s’inscrire sur les listes paroissiales; on lança des ballons dans la campagne pour requérir du secours; un armistice de trois jours, proposé par les consuls étrangers, fut encore repoussé. On arborait déjà aux balcons les trois couleurs en signe de victoire. Un envoyé de Charles-Albert vint offrir les secours de son maître. Casati, qui avait envoyé le comte Arese à Turin, voulait qu’on s’engageât immédiatement pour la réunion du Lombard-Vénitien; le comité de guerre, qui comptait quelques républicains, ne promit que sa reconnaissance et attendit d’abord l’initiative de Charles-Albert. Casati et les albertistes, Pompeo Litta, Porro, Durini, s’érigèrent néanmoins en gouvernement provisoire, commencèrent à se saisir de l’administration, des finances, et annoncèrent la réunion d’un congrès pour prononcer sur les destinées du pays.

Le 22, Radetzki était menacé à la fois par la ville et la campagne. L’hôtel du Commandement, la porte Tosa, un bastion tombèrent au pouvoir des Milanais. Les insurgés de Como, de la Suisse italienne, de Monza, s’ingéniaient à combiner avec le peuple de Milan l’attaque des bastions. Les garnisons autrichiennes qui, vers le Tessin, semblaient menacer la frontière piémontaise, commencèrent à se replier devant le soulèvement qui devenait général. A Milan, Radetzki n’avait aucune nouvelle de ce qui se passait sur le Mincio, sur l’Adige, dans les grandes places fortes qui s’y élèvent, encore moins au delà dans la Vénétie. Si Charles-Albert se décidait tout à coup à passer le Tessin, l’armée autrichienne était perdue. Radetzki résolut de garder à son maître les quinze mille hommes qu’il avait à Milan. Le soir, il entretint un feu continu et nourri de ses canons et de ses bombes du haut des bastions, et peu à peu fit rentrer ses troupes par les allées des remparts, et les concentra au château. Là, il alluma un grand feu de paille, de foin, de chariots et de bagages; et, à la lueur d’une colonne de flammes qui éclairait toute la ville, les Milanais virent le maréchal abandonner le château par la route du nord-est, et, en cinq longues colonnes, battre en retraite, avec les familles des officiers, les employés, les otages, et plusieurs régiments italiens obligés sous peine de mort de suivre le reste. Milan était libre, mais l’armée autrichienne sauvée. On assure que le vieux feld-maréchal, âgé de quatre-vingt-deux ans, ne put s’empêcher de se retourner vers la ville qu’il abandonnait, en lui disant d’un ton menaçant: «Au revoir!»

Le même jour, 22, le gouverneur autrichien Zichy abandonnait Venise avec les bataillons allemands de sa garnison. La nouvelle des événements de Vienne étant arrivée le 16, la population avait déployé les trois couleurs; tantôt applaudissant les bataillons italiens, tantôt huant les Allemands, elle commença à manifester. Le 17, déjà, elle avait demandé et obtenu du gouverneur la délivrance de Manin. Le 18, Zichy vint lire également, sur la place Saint-Marc, la promesse impériale d’une constitution; on s’apaisait. Mais, à la nouvelle de l’insurrection de Milan, le 21, Manin rassembla un comité, et le lendemain 22, le peuple répandu de nouveau dans la ville au cri de vive Saint-Marc, demanda une garde civique. Zichy avait des munitions, un arsenal; mais ses troupes n’étaient point sûres. A la suite de quelques collisions sans importance d’ailleurs, il abandonna le palais des Procuraties, sa résidence, sur la place Saint-Marc, et il laissa s’y installer la Junta civile et la garde civique. Mais, pendant ce temps, les ouvriers italiens de l’arsenal chassèrent le commandant de la marine. Le podestat, comte Correre, et quelques membres du conseil municipal. se rendirent alors auprès du comte Zichy et firent avec lui la convention en vertu de laquelle il abandonna avec les troupes italiennes la ville, les forts et le matériel, sans songer même à la flotte de guerre de Pola qui resta également à Venise. Tout s’était fait sans effusion de sang. Tandis qu’on cherchait aux Procuraties à installer un gouvernement provisoire favorable à Charles-Albert, Manin poussa sur la place Saint-Marc le cri de: vive la République vénitienne! et il fut nommé président du nouveau gouvernement.

Le succès des insurrections contre-annonçait la guerre de l’indépendance; elle éclata en effet aussitôt. Mais, sans préparation suffisante, n’était-elle pas prématurée?

Pie IX et Victor-Emmanuel: Histoire contemporaine de l'Italie (1846-1878)

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