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III
ОглавлениеLa guerre royale et nationale. — Custozza et Goïto .
Le contre-coup des insurrections de Milan et de Venise ressenti dans les différents foyers de l’Italie, à cette heure de passion exaltée, rendait la guerre inévitable, quoiqu’elle ne fût point préparée.
«C’est maintenant ou jamais,» s’était écrié Salvagnoli, le rédacteur de la Patrie à Florence, en apprenant l’émeute de Milan. Sous cette pression, le grand-duc publia une proclamation dans laquelle il disait: «L’heure de la complète résurrection (risorgimento) de l’Italie est arrivée; personne ne saurait lui refuser le concours qu’elle demande.» Et il laissa partir des volontaires. La population des duchés de Modène et de Parme suivait l’exemple de Milan et de Venise. Devant leurs manifestations, le duc de Modène partit; celui de Parme, en appelant à Charles-Albert, au grand- duc, au pape, promit une constitution et arbora les trois couleurs. Dès le 21 également, à Rome, une manifestation mêlée de moines, de femmes, d’enfants avait lieu à l’église d’Ara-Cœli au Capitole, et le général Durando, Piémontais qui avait servi en Espagne, devenu ministre de la guerre, commençait à organiser l’armée. «Ce jour-ci,» disait la Epoca, «la guerre à l’Autriche n’a pas été déclarée par le gouvernement, mais par le peuple;» et des volontaires partaient, commandés, équipés même par des nobles, enflammés par des moines, entre autres par le barnabite Gavazzi au cri de: «Dio lo vuole!»
Après tout, l’Europe elle-même paraissait ébranlée alors dans ses fondements: la république était à Paris, l’empereur d’Autriche et le roi de Prusse presque au pouvoir de l’émeute à Vienne et à Berlin. Les imaginations enthousiastes se représentaient déjà Pie IX comme un Alexandre III. Toutes les populations dans les villes s’armaient, à Florence, à Bologne, à Gênes, à Modène, à Parme, à Naples et en Sicile même, pour voler au secours des Lombards; les villes de Brescia, Bergame, Vicence, Padoue, s’agitaient sous les Autrichiens. La croix du Saint-Père serait-elle le drapeau de cette sainte guerre de l’indépendance? Cette guerre trouverait-elle un chef militaire, une armée organisée, une épée pour conduire à la victoire tous ces dévouements? Le 23, au soir, quand il apprit la délivrance de Milan, Charles-Albert se décida à jeter son épée dans la balance; et, le lendemain matin, 24, ses premiers bataillons passèrent le Tessin.
Charles-Albert avait-il tout récemment encore obtempéré sincèrement aux conseils de modération de l’ambassadeur d’Angleterre, Abercromby, à Turin, et même peut-être résisté aux tentations dont le comte Arese, noble lombard, et le comte Martini, réfugié, l’avaient obsédé lui et son ministère ? Le 22 encore, le ministre des affaires étrangères du Piémont donnait à l’envoyé autrichien, comte de Buol- Schauenstein, de bonnes paroles, quand la nouvelle de la délivrance de Milan arrivée le 23 motiva une réunion du conseil des ministres. Le 24, une proclamation de Charles-Albert était affichée en faveur de ses frères. «L’Italie,» disait-elle, «était en mesure de se suffire (farà da se);» les premiers ordres pour le départ étaient donnés le même jour, et le roi, après avoir dit à l’ambassadeur Abercromby qu’il ne voulait pas voir l’exemple de la France suivi à Turin, annonçait à l’ambassadeur autrichien, qui partit, sa résolution, et prenait le commandement. Le 26, la première brigade piémontaise était déjà à Milan, et Charles-Albert, lui-même à Pavie le 29. Il ne demandait rien encore ouvertement pour lui et répondait seulement aux envoyés de Modène, qu’il fallait «songer à la patrie et éviter toutes les divisions qui pouvaient rouvrir à l’étranger les portes de la patrie».
Si, deux jours plus tôt, Charles-Albert avait cru voir «l’astre qu’il attendait», la guerre eût peut-être été terminée d’un coup. Il eût été difficile à Radetzki, surpris par une armée régulière en sortant de Milan, d’opérer sa retraite promptement et en bon ordre, à travers un pays soulevé dont les bandes de volontaires commençaient déjà à apparaître, à détruire les ponts et à ouvrir les canaux. Mais, grâce à ces deux jours de retard, Radetzki, après un engagement sans importance, à Marignan, contre quelques bandes de volontaires, put traverser l’Adda en bon ordre, ramasser les garnisons de Brescia, de Crémone, repasser l’Oglio, la Chiese, et arriver le 28 sur le Mincio, au lac de Garde.
Dans un moment où l’audace était encore de mise, Théodore Lecchi, nommé général des troupes lombardes à Milan par le gouvernement provisoire, proposa au roi, dès le 26, de ressaisir l’occasion perdue. Il s’agissait de descendre le Pô, sur des pyroscapbes, avec une colonne de l’armée sarde pour s’emparer de Mantoue, ou au moins couper la retraite à Radetzki, et d’envoyer quelques régiments au secours des volontaires qui commençaient à arriver, pour menacer le Tyrol italien, tandis que le gros de l’armée marcherait sur le Mincio en ligne directe. Le roi Charles-Albert, militaire savant, ne crut point, et avec raison, que l’on pût arriver en nombre suffisant sur l’Adige avant les Autrichiens. Radetzki, en effet, suivi seulement par quelques bandes mobiles, prenait position le 30 dans le redoutable quadrilatère formé par les forteresses de Peschiera, de Vérone, de Mantoue, de Legnano, clef stratégique de la haute Italie, à portée de concentrer les garnisons de Vicence, Trévise, et de recevoir même des secours préparés par l’Autriche. Il fallait une guerre en règle.
Charles-Albert, pour affronter cette entreprise, n’avait sous la main qu’une armée de 25,000 hommes et les réserves dont il avait ordonné la levée. Cette armée, quoique assez bien exercée, n’était pas suffisamment équipée, pas très-bien pourvue d’officiers; le service de l’intendance y était à peine organisé, et elle contenait trop de nouvelles recrues. On comptait, il est vrai, que l’enthousiasme allait enfanter des miracles. A Rome., les princes s’enrôlaient, les moines donnaient de l’argent. On racontait que la princesse Christine Trivulze Belgiojoso, autrefois bannie, connue par son libéralisme dans la société parisienne, débarquait à Livourne avec un régiment napolitain; elle allait entraîner le centre de l’Italie.
Ce n’était pas trop que l’Italie tout entière, princes et peuples, se levât comme un seul homme. Mais les souverains n’étaient point complètement d’accord avec leurs peuples, et moins encore entre eux. Charles-Albert, qui venait au secours du Lombard-Vénitien, tout en ajournant la manifestation de ses désirs, aurait voulu être sûr de ces populations qui hésitaient aussi à se donner à lui. Il avait vu avec déplaisir la république proclamée à Venise par Manin, bien que, d’après la déclaration même du gouvernement provisoire, il n’y eût rien là de définitif. Dès l’arrivée de Charles-Albert en Lombardie, il s’éleva quelques dissentiments: les Lombards étaient mécontents qu’un Piémontais, Sobrero, fût mis au ministère de la guerre; le roi voyait avec peine à l’armée lombarde l’uniforme vert aux couleurs de l’Italie. Les Italiens dans leur enthousiasme fixaient déjà aux hauts sommets du Brenner la limite de l’Italie. Charles-Albert, plus prudent, était encore fidèle à la devise de sa famille: «manger l’artichaut feuille à feuille.» Satisfait de s’assurer la ligne du Mincio, du lac de Garde et des collines du Stelvio, il ne voulait point mettre contre lui la Confédération germanique en envahissant le Tyrol; et, en respectant la Vénétie, il espérait ménager toutes les puissances. Sa diplomatie n’allait point à l’enthousiasme lombard.
Les autres souverains italiens, qui avaient peu d’avantages positifs à retirer de la guerre, partageaient bien moins encore l’entraînement de leurs peuples. Si Charles-Albert, après une guerre heureuse, fondait au nord un puissant royaume, qui unirait à Milan par les deux villes de Gênes et de Venise les deux mers Adriatique et Toscane, ne pèserait-il pas sur eux comme l’Autriche même? Rossi disait en vain: «Le mouvement national et guerrier qui emporte l’Italie est une épée; ou Pie IX prendra résolûment cette épée en main, ou la révolution la tournera contre lui.» Pie IX hésitait; les événements français l’avaient tout à coup posé en précurseur, presque en complice d’une révolution non pas seulement italienne, mais européenne. Devait-il pousser à l’ébranlement général, lui qu’on regardait comme la clef de voûte de l’ordre? Père des fidèles, pouvait-il patronner la guerre même de l’indépendance? Souverain du centre de l’Italie, était-il de son intérêt de favoriser la formation d’un royaume du nord, contre lequel d’anciens papes avaient lutté ? Il laissa, ne pouvant faire autrement, les volontaires se réunir. Il consentit à la réunion d’une armée de dix-sept mille hommes, et accepta pour la commander le Piémontais Durando, qui avait servi en Espagne.
Cette petite armée était composée de troupes régulières et de volontaires. On y voyait comme colonel Massimo d’Azeglio, qui, de peintre et poète, passé publiciste, devenait maintenant soldat. Le pape prétendait n’envoyer cette armée que jusqu’à la frontière pontificale: «Puisse le Seigneur, disait-il, faire descendre sur vous cet esprit de conseil, de force et de sagesse dont le principe est la crainte de Dieu, afin que nos yeux voient la paix régner sur cette terre d’Italie que, si dans notre charité universelle pour le monde catholique tout entier nous ne pouvons appeler la plus chère, Dieu a voulu cependant mettre le plus près de notre cœur.» Mais comment pouvait-il espérer arrêter une armée ainsi composée?
Le grand-duc de Toscane, prince autrichien, peu disposé à porter les armes contre sa maison, voyait avec crainte le roi de Sardaigne désiré à Parme et à Modène, pour remplacer les souverains de ces pays. Ce fut avec peine qu’il détacha quelques régiments de sa petite armée, et les envoya sur le Pô avec les volontaires, sous le commandement d’abord de Ferrari et ensuite de Laugier.
Le roi de Naples était certainement le moins bien disposé pour la guerre d’indépendance. Le 13 mars, il avait dû faire sortir du ministère de Serra Capriola le démocrate Salicetti, qui le voulait mener trop loin. Mais celui-ci, plus dangereux dehors que dedans, faisait maintenant de la guerre le principal motif de son opposition. Situation difficile que celle du roi! Voyant avec déplaisir la Sicile réunir, justement alors pour se séparer (15 mars), un parlement national qui allait peut-être prononcer sa déchéance, il était beaucoup plus tenté de reconquérir pour lui la Sicile, que d’aider à déposséder l’empereur d’Autriche, en faveur de la république, surtout du roi de Piémont, dont, croyait-il, un des fils convoitait la Sicile, peut-être même son propre trône. La nouvelle de l’expulsion des Autrichiens, puis l’arrivée du vétéran du libéralisme autrichien à Naples, Guillaume Pepe, le désarmèrent devant l’opposition. Le 25 mars, le prince Félix de Schwarzenberg, ambassadeur autrichien, était obligé de quitter Naples devant les manifestations hostiles. Le 3 avril, le roi formait un nouveau ministère avec l’historien Carlo Troja, en promettant de participer à la guerre, de laisser à la chambre le droit de refondre la constitution et de donner le suffrage universel. «Je suis,» disait-il, «Italien et soldat.» Ayant grand’peine à résister déjà aux républicains qui parlaient de le renverser, il autorisa même la formation d’une armée d’expédition de quinze mille hommes pour la guerre d’indépendance sous le commandement de Pepe, et le départ de sa flotte pour l’Adriatique. Mais, dans son embarras, il prétendait envoyer ses troupes aux Lombards, non au roi Charles-Albert, et l’on ne savait pas trop à quelle intention il dirigeait sa flotte dans les eaux de Venise.
L’Italie ne pouvait pas beaucoup plus compter sur l’appui énergique ou désintéressé des deux seules puissances qui ne fussent pas contraires à sa levée de boucliers. Lord Palmerston, effrayé de l’ébranlement produit par la révolution, et aussi plein de défiance contre la République française qu’il s’était montré animé de jalousie contre Louis-Philippe, faisait dire à Naples et à Turin: «Le conflit dans lequel le Piémont se jette est d’un succès douteux, et le principe au nom duquel il a commencé, non moins dangereux.»
La France républicaine, d’abord fort embarrassée chez elle, était divisée. Quelques exaltés eussent appuyé volontiers la guerre d’indépendance, mais beaucoup moins alors l’ambition de Charles-Albert. Quant au Gouvernement provisoire avec Lamartine, il commença à réunir un corps d’observation de vingt mille hommes vers les Alpes. En cas d’une défaite du Piémont, qui eût amené l’Autriche aux Alpes, ou d’une victoire de Charles-Albert qui lui permît de fonder un grand État, c’était prudence. Peut-être, après Lamartine, Bastide, ministre des affaires étrangères, se montra-t-il plus disposé à offrir son concours, en ne cachant pas d’ailleurs sa préférence dans le Lombard-Vénitien pour la forme républicaine. Mais quelques émigrés ou républicains seuls en Italie, Mazzini entre autres, désiraient, et même peu vivement, dans leurs affaires, l’intervention française. Charles-Albert n’en voulait absolument pas; roi, il repoussait l’appui d’une république. C’était sur ses bons offices ultérieurs, sinon sur son concours présent, qu’il comptait. L’enthousiasme général d’ailleurs, et un instinct trop développé par l’expérience, n’admettaient point alors dans une guerre contre l’étranger les secours de l’étranger. C’était tout au plus un dernier recours dont on ne voulait point se priver en cas de défaite . En attendant, le patriotisme avait ses illusions pardonnables, mais dangereuses. On répétait, après Charles-Albert: Italia farà da se, «l’Italie fera par elle-même». On allait même parfois plus loin: «L’Italie, s’écriaient quelques-uns de ses journaux, l’Italie n’a besoin de personne. Cette fois, elle ne demandera rien aux autres, elle donnera même beaucoup à tous.» La parole était aux faits.
Le 6 avril, Charles-Albert, à la tête de quarante mille hommes donna l’ordre de marcher sur le Mincio, qui forme du côté de la Lombardie la ligne du quadrilatère occupé avec les mêmes forces à peu près par Radetzky. Appuyé sur Vérone et sur l’Adige, celui-ci était dans une position admirable pour la résistance, mais non sans quelque danger. Zucchi, général en chef nommé par les Vénitiens, commençait à menacer sa retraite sur la Piave, en occupant Vicence, Trévise, Padoue, etc.; Durando, qui avait concentré les troupes romaines à Bologne, le 5 avril, ne pouvait ni ne voulait plus contenir son armée. Il ordonnait que les soldats portassent la croix du Christ sur la poitrine, et, au cri de:
«Dieu le veut!» obéissant en réalité aux ordres de Charles-Albert, et avec le consentement du ministère romain, il commençait sa marche vers le Pô. Enfin, des volontaires lombards, assez mal disciplinés d’ailleurs, se rassemblaient à Brescia sous le commandement d’Allemandi pour se jeter, par le lac de Garde, dans le Tyrol italien, couper Radetzki de Trente, qui remuait déjà, et donner la main aux insurgés de la Vénétie.
Le 8, le roi Charles-Albert dirigea son aile droite sur Goïto et sa gauche sur Monzambano, situés sur la droite du Mincio. Il n’y eut qu’un petit engagement à Goïto, petit village au nord-ouest de Mantoue. Le colonel Alex. de la Marmora, à la tête de deux bataillons de bersagliers, et le colonel de deux bataillons d’infanterie de marine délogèrent une compagnie de chasseurs autrichiens qui repassa le Mincio. Le lendemain 9, l’armée piémontaise franchissait le Mincio à Goïto et plus haut à Monzambano. On s’attendait, dans le quadrilatère, à une bataille générale; mais, le 10, Radetzki jeta les troupes nécessaires dans Peschiera et dans Mantoue, se replia sur l’Adige ef abandonna à son ennemi la ligne du Mincio en envoyant quatre mille hommes à Trente pour maintenir le Tyrol par la terreur. Surveillant sévèrement le pays, faisant fusiller les déserteurs et les prisonniers, il attendait le corps de réserve autrichien qui se formait derrière lui sur l’Isonzo.
Pouvait-on, dans cette guerre de l’indépendance, mêler habilement la tactique et l’enthousiasme, employer les volontaires et les soldats réguliers? En faisant soutenir les quatre mille volontaires d’Allemandi, que l’arrivée de quelques régiments italiens déserteurs de l’Autriche rendaient plus solides, par des régiments piémontais, et en précipitant sa marche sur l’Adige, malgré les garnisons de Peschiera et de Mantoue, le roi faisait courir peut-être autant de risque à Radetzki qu’il en courait lui-même. Charles-Albert ne le voulut point. Il croyait, et c’était aussi prudence, devoir ménager la seule armée de l’Italie; en second lieu, autoriser par la présence de ses soldats l’entrée des volontaires dans le Tyrol, qui faisait partie de la Confédération germanique, c’était mettre même l’Allemagne contre lui. Il prit le temps de construire un pont solide à Goïto, établit lentement son armée sur la rive gauche du Mincio, étendit sa ligne de Mantoue à Peschiera et commença à investir cette place que dominent quelques hauteurs voisines. Radetzki put faire rejeter de Trente, par des jours d’orage, dans le Tonnal et le lac de Garde, les 19 et 20, les légions mal armées et mal disciplinées d’Allemandi.
Le 27 seulement, fortement établi sur la rive gauche du Mincio,, quoique trop étendu de Mantoue à Peschiera, Charles - Albert reprit l’offensive. Il fallait agir. Pressé par l’envoyé du pape et par celui de Naples de conclure une ligue politique, aimant mieux remettre cette affaire après la guerre, il voulait avoir la direction de celle-ci. Au point de vue militaire, c’était raisonnable; mais au point de vue politique c’était périlleux pour l’entente commune. Pie IX, en apprenant l’ordre du départ de Durando à Bologne, fit insérer dans la Gazette de Rome, le 10, ces mots: «Quand le pape veut manifester ses sentiments, il parle lui-même et ne le fait pas par la bouche d’un subalterne.» Les sentiments du patriote Pie IX commençaient à être agités par les scrupules du pontife. «Homme doux et bon prince,» dit Farini, «Pie IX était surtout prêtre et pape. Convaincu qu’il était le successeur du Christ sur la terre, et croyant que la conservation de ses États était nécessaire à l’accomplissement de sa mission, il avait cru par des réformes nécessaires pouvoir contribuer à relever son autorité et celle de la religion en les conciliant avec les progrès du temps. Mais le prêtre chez lui primait le patriote, et le pape l’emportait sur le prince.» Charles-Albert, d’autant plus décidé à agir, fit prier le pape de revenir sur cette sorte de désaveu. Les Toscans et les Modénais, enfin arrivés au nombre de huit mille, prenaient position au sud de Mantoue, à Governolo; Durando, après avoir passé le Pô, se dirigeait sur Padoue pour aller soutenir la petite armée vénitienne de Zucchi contre l’Autrichien Nugent, qui amenait l’armée de réserve autrichienne.
Ces précautions prises, Charles-Albert, le matin du 29, fit sortir ses bataillons des positions de Villa Franca et de Somma Campagna entre Peschiera et Vérone, et marcha sur la hauteur de Pastrengo qui protégeait Vérone. Le roi, sur son armée de quarante mille hommes, en mit à peu près en mouvement vingt-quatre mille. Il montra dans le combat, conduit par un de ses généraux, autant de hardiesse que de sang-froid et mit un instant l’épée à la main pour ramener un régiment. Le président du ministère, Balbo, était présent à la bataille. Après un combat de six heures, avec perte de quatre cents hommes de part et d’autre, les Autrichiens abandonnèrent la position, laissèrent Peschiera isolé, et commencèrent à découvrir, mais en partie seulement, Vérone. Radetzki ne voulait point encore de bataille.
On n’eut pas le loisir de s’applaudir de ce succès. Le même jour 29, Pie IX, en désaccord depuis quelque temps, avec son ministre, le cardinal Aldobrandini, sur le rôle de son armée, apprenant le passage du Pô par Durando le 25, sans avoir prévenu même ses plus intimes, dit-on, rompit tout à coup avec le rôle qu’on avait espéré lui voir jouer.
D’une part, on avait voulu par des manifestations de la place publique peser sur lui, le 27, pour l’amener à rappeler son nonce de Vienne; d’autre part, quelques représentants du parti grégorien, peut-être les ambassadeurs d’Autriche et de Russie, lui avaient fait craindre un schisme en Autriche, même en Allemagne. Invoquant la conduite de ses prédécesseurs et la sienne, au commencement de son pontificat, il dégageait donc sa responsabilité de toute participation aux derniers événements; il se refusait, comme père de tous les chrétiens, à se mêler à la guerre entreprise contre les Autrichiens, puisqu’il était dans l’impossibilité d’empêcher ses sujets d’y prendre part. Se rappelant qu’il était pontife et oubliant qu’il était souverain, il protestait que tous ses efforts «tendraient à étendre chaque jour davantage le royaume de Jésus-Christ qui est l’Église, et non à reculer les limites de la souveraineté temporelle ». Cette encyclique, témoignage certain d’une grande hésitation, sinon d’une retraite définitive, n’en était pas moins de nature à décourager les modérés et à exaspérer les exaltés. Si quelques radicaux, comme Fiorentino, traitaient déjà Pie IX de traître, des modérés, comme M. d’Azeglio, s’écriaient: «Cette encyclique est tombée au milieu de nous comme une bombe; l’armée en a été presque dissoute.» «Vous avez effacé,» s’écria le père Ventura en s’adressant aux conseillers du Saint-Père, «les plus belles pages de l’histoire ecclésiastique du dix-neuvième siècle; vous avez empêché le pontife d’accomplir sa plus magnifique mission temporelle, vous avez arraché à Pie IX la gloire de donner son nom à son siècle.»
Plus triste fut encore la prise d’Udine par l’Autrichien Nugent sur l’Italien Zucchi et sa marche sur la Piave avec trente mille hommes de réserve. Elle donnait de l’espoir à Radetzki.
Le 1er mai l’émeute, grondant pour la première fois sous le balcon du Quirinal, tenta d’enlever Pie IX aux influences qui lui avaient dicté l’allocution du 29 avril ou même de lui arracher le gouvernement. Mais Mamiani se jeta au-devant des émeutiers, en promettant un ministère libéral sans prêtres et un programme de guerre. En effet, Pie IX écrivit à l’empereur d’Autriche, le 3, pour l’engager à renoncer volontairement à une domination «qui ne pouvait être ni durable ni glorieuse». Tout en laissant la présidence du conseil au cardinal Soglia, il appela décidément un laïque (4 mai) au département des affaires étrangères. C’était Mamiani, écrivain distingué et proscrit depuis 1831, auteur d’ouvrages philosophiques mis à l’index, esprit fin, assez résolu, qui s’adjoignit des ministres laïques et prit pour sous-secrétaire d’État l’historien Farini. Pie IX allait-il laisser le gouvernement temporel en des mains laïques pour se résoudre à n’être que pontife et, comme tel, à gouverner sans régner dans ses États? Le célèbre Gioberti, après avoir traversé au milieu de triomphes toute l’Italie, arriva alors à Rome. Reçu avec transport, il recommanda la conciliation des devoirs du prince et de ceux du père des croyants. «On verrait, disait-il, les miracles de la parole achever ceux que commençait l’épée.», Le pape, effrayé déjà de se voir érigé en glorieux réformateur, en protecteur religieux d’une république italienne et universelle, le reçut avec la complaisance un peu ironique qui lui était familière . En attendant et non sans difficulté, Mamiani obtint la convocation des corps représentatifs pour le 5 juin et s’occupa d’organiser une ligue des princes italiens.
Le gouvernement resta deux mois au pouvoir de ce ministère; Pie IX, se contentant de régner, laissait les troupes faire la guerre. Le roi de Naples, entraîné par le même mouvement, autorisa Pepe à partir à la tête de seize mille hommes et promit de le faire suivre bientôt d’un autre corps de vingt-quatre mille hommes; il accrédita des chargés d’affaires auprès du pape et auprès du roi de Sardaigne pour une ligue, et convoqua l’assemblée des députés de son royaume pour le 15 mai, tout en enjoignant à Pepe, décidé peut-être à n’en rien faire, de ne pas dépasser le Pô sans ses ordres.
Le moment décisif approchait. Parme, qui chassait son duc, et Modène, qui l’avait déjà chassé, se donnaient définitivement à Charles-Albert. A Milan, le gouvernement provisoire albertiste, malgré quelques républicains qui voulaient attendre, essayait de discipliner les volontaires pour constituer une réserve et appelait la Lombardie à voter à la fin du mois (29 mai) sur ses destinées. Charles-Albert sentait le besoin de décider le vote par quelques succès avant l’arrivée du corps de réserve autrichien; les émigrés à Milan, Mazzini entre autres, quoiqu’il mît d’abord beaucoup de modération dans sa propagande, commençaient à se plaindre des circonspections et des lenteurs de cette guerre royale. Le roi résolut encore d’agir. «Les politiques et les stratégistes de café,» dit plus tard Balbo, «en lui montrant Venise délivrée, l’arrivée des volontaires de Durando et l’approche des autres, croyaient facile la délivrance de l’Italie jusqu’à l’Adriatique, la chute de l’Autriche.»
Il fallait ou battre ou tourner Radetzki, qui occupait devant la ville de Vérone une suite de collines qui lui permettaient de couvrir la ville et de rester maître du haut Adige. Charles-Albert attaqua, le 6 mai au matin, aimant mieux aller droit à l’ennemi, le petit village de Santa-Lucia situé à l’extrémité sud-ouest de cette ligne, pour couper les Autrichiens de la ville ou les y rejeter en partie. La position des Autrichiens était bonne, défendue par cinq mille hommes, et le village de difficile accès, à cause des bois d’oliviers et des jardins entourés de murs qui le rendaient aisé à défendre. Le dixième bataillon de chasseurs et un bataillon de grenadiers de l’armée italienne y firent bravement leurs preuves; le duc de Savoie, héritier présomptif du roi, Victor-Emmanuel, les menait intrépidement au feu. Après un combat de trois heures, ils s’emparèrent du cimetière et arrivèrent au centre du village. Radetzki envoya d’abord pour le reprendre des secours pris de la forteresse; ceux-ci n’ayant pas suffi, il engagea toute son infanterie disponible. Celle-ci regagna tout le terrain perdu, et, le soir, à quatre heures, Charles-Albert était obligé de donner le signal de la retraite. Il y avait cinq ou six cents morts de part et d’autre.
Nugent, qui amenait la réserve autrichienne, fut plus heureux encore quelques jours après contre l’armée romaine et toscane, commandée par Durando et Ferrari; celle-ci, il faut le dire, plus improvisée qu’organisée, ayant dans ses rangs des moines armés de pistolets et de poignards et le fameux Caroccio du moyen âge, n’était pas très-sérieuse. Nugent, sans grandes difficultés, passa la Piave le 8, dispersa, sous Trévise révoltée, le corps indiscipliné de Ferrari le 9, et rejeta, le 20, Durando avec les débris de son armée vers Vicence, seule maintenant, révoltée aussi, entre lui et Radetzki. Charles-Albert, pour empêcher la jonction, n’avait plus espoir, même en Pepe, arrivé déjà un peu tard le 13 à Ancône. Il avisait à un autre plan, quand les événements insurrectionnels qui éclatèrent alors (15 mai), comme par une entente secrète, à Paris même contre la chambre républicaine, à Vienne contre l’empereur d’Autriche un instant obligé de quitter sa capitale, et surtout à Naples, exercèrent une influence considérable sur les opérations militaires du Nord.
Ce jour-là devait avoir lieu, à Naples, l’ouverture des chambres; toute la ville était en émoi; dans la formule du serment, le roi n’avait point fait mention du droit, conféré aux députés par le décret d’avril, d’étendre ou de modifier la constitution. L’assemblée préparatoire de la veille composée de représentants cependant généralement modérés, produits d’une élection d’ailleurs peu empressée de la part des ayants droit, avait été fort tumultueuse. Il s’agissait de s’entendre pour rétablir la formule du serment que devaient jurer le roi et le parlement, conformément aux promesses précédentes, et l’on n’était pas loin de tomber d’accord, quand, le lendemain, un certain La Cecilia, qui prétendait que les marins de la flotte française, alors dans le port, feraient cause commune, poussa aux barricades des Calabrais et des gens perdus (gente perduta), récemment venus à Naples. Des députés se jetèrent d’abord entre l’émeute et le château royal. Le roi fit appel à ses troupes, puis les retira; mais les barricades s’étendant bientôt dans toute la large rue de Tolède, qui va de la place du Palais-Royal à Capo di Monte, les troupes napolitaines et suisses vinrent se ranger devant le palais et au Largo Castello, place voisine de là. Au milieu de ces mouvements un coup de feu partit des barricades, et le combat commença vers midi. Les députés réunis au Monte Oliveto, la garde nationale, au milieu de l’émotion et des malentendus, ne savaient plus que faire. On se partageait.
Le roi, alors, prit le parti d’agir. Il envoya aux forteresses l’ordre de tirer sur la ville et à l’assemblée celui de se dissoudre. La résistance opposée par la garde civique et par l’émeute fut très-vive sur la place du Palais dont les hôtels furent pris d’assaut, et près de la barricade Saint-Ferdinand; le palais Gravina sur le Monte-Oliveto, où étaient trois cents Calabrais, fut escaladé et réduit en cendres; les Suisses, en débouchant par des rues obliques du Largo Castello sur les barricades, coupèrent en deux la rue de Tolède et emportèrent toutes les rues, non sans commettre avec les lazzaroni, qui prirent parti pour le roi, de grands excès. Le lendemain, un nouveau ministère, qui rappelait celui qui avait précédé le 3 avril, était formé et la réunion d’une nouvelle chambre ajournée. Le roi promettait, d’ailleurs, de rester fidèle à ses promesses précédentes et fit élire, en effet, le mois suivant, une nouvelle chambre. La victoire de Ferdinand était moins fâcheuse encore pour le royaume de Naples que ne le fut, pour l’Italie, l’ordre envoyé par lui à Pepe de faire rétrograder son armée et à la flotte napolitaine celui de revenir dans les eaux de Naples.
Charles-Albert, en effet, d’après un nouveau plan, venait de donner l’ordre au général Pepe (le 18) de passer le Pô et de se porter entre Radetzki et de Thurn, successeur de Nugent, déjà arrivé à Vicence. Le roi lui-même devait, en s’appuyant sur l’armée toscane de Laugier, aux environs de Mantoue, tenter une nouvelle attaque. Le 20, Pepe reçut la missive de Ferdinand. Poussé par l’enthousiasme des Bolonais, il se décida à désobéir; mais il se convainquit bientôt qu’il ne pouvait entraîner son armée. Un des officiers, ne sachant quel parti prendre, entre l’ordre de son souverain et la cause de l’indépendance, se brûla la cervelle. Le 26, la plupart des régiments napolitains, déjà arrivés à Ferrare, donnèrent l’exemple de l’abandon de la cause italienne, et Pepe ne conserva bientôt plus avec lui qu’une division d’infanterie, une de cavalerie et quelques canons, qu’il eut même beaucoup de peine à retenir, et avec lesquels il arriva à Venise.
Assuré désormais sur ses derrières, Radetzkifit venir la réserve de Thurn qui n’avait pu emporter Vicence, et résolut de prendre lui-même l’offensive.
Le 27, d’une part, on assurait à Radetzki que la cour de Vienne, alors fort empêchée entre les émeutes autrichiennes et le soulèvement de la Hongrie, était prête à céder la ligne du Mincio; d’autre part, il avait lui-même de la peine à nourrir son armée depuis l’arrivée du général de Thurn, en tout cinquante mille hommes; et la forteresse de Peschiera, bombardée parles Piémontais, commençait à faiblir. Le 27 au soir, laissant les hauteurs qui défendent Vérone au nord-ouest occupées et quatre mille hommes dans la ville, avec quarante mille hommes divisés en trois longues colonnes, il quitta Vérone et, par trois routes différentes, entre l’Adige à sa gauche et les lignes italiennes à distance de deux lieues à sa droite, il se dirigea au sud vers Mantoue. Il offrait le flanc à l’ennemi, mais sa marche était si bien conduite et les reconnaissances des Italiens si imparfaitement faites, qu’il ne fut point attaqué et entra dans la forteresse le 28 au soir. Son intention était de déboucher par Mantoue sur la rive droite du Mincio et de dégager le cours inférieur de cette rivière, gardé par les médiocres troupes de Laugier, puis d’enlever Goïto, ou, tout au moins, d’attirer Charles-Albert de ce côté, et de permettre ainsi à l’armée restée à l’entour ou au-devant de Vérone de ravitailler Peschiera, bombardée depuis le 23 et déjà à bout de vivres. Charles-Albert, conseillé par Bava inquiet, tomba dans le piège; il donna l’ordre de faire repasser aussi, le 28, une partie de ses troupes sur la rive droite du Mincio par le pont de Goïto.
Le matin du 29, Radetzki commença ses opérations contre Curtatone et Montanara, occupés par les recrues et les étudiants toscans et modénais; ces troupes improvisées firent heureusement bonne contenance et arrêtèrent les Autrichiens six heures, tant qu’elles eurent des munitions. Il y avait là des professeurs, des étudiants de Pise. Pilla, professeur de géologie, fut frappé par un boulet. Montanelli, professeur de droit, fut grièvement blessé et fait prisonnier. Radetzki paraît avoir manqué, cette fois, d’énergie ou de promptitude à marcher sur Goïto, dès que les Toscans de Laugier furent à la débandade. Charles-Albert eut en effet le temps de s’établir à Goïto et, le 30 au matin, il réunissait seize mille hommes contre Radetzki entre le Mincio et l’Oglio. Le même jour, un peu tard, à quatre heures, les trois colonnes de Radetzki s’avançaient au nord-est vers Goïto; la première à droite fut arrêtée par des batteries piémontaises disposées sur la rive opposée du Mincio, la seconde s’égara en faisant un long détour à gauche. Radetzki lui-même conduisait l’attaque du centre; il s’avançait vers Goïto, culbutait une brigade, et menaçait de couper les Piémontais, quand un jeune capitaine arrivant à cheval avec un régiment des gardes, l’épée à la main, rallia la brigade, et quoique blessé jeta son régiment à la baïonnette sur l’ennemi culbuté à son tour; c’était encore Victor-Emmanuel. Cependant le roi, à la rive du Mincio, se dressant froid et calme sur son cheval, faisait pointer les canons sur l’ennemi, qui cédait, et il ordonnait sa poursuite. Vainement Radetzki appela sa réserve. Il dut céder, se replia sous la protection des canons de Mantoue, et apprit que les Piémontais chargés du blocus de Peschiera avaient empêché les Autrichiens laissés à Vérone de se faire jour et ainsi forcé la citadelle à se rendre. Ces trois jours furent les plus honorables de la campagne pour les Italiens.
Le maréchal autrichien avait besoin de se relever. Le 29, le gouvernement provisoire de Milan, malgré les plaintes des républicains sur son insuffisance, avait obtenu des suffrages la réunion de la Lombardie au Piémont. Quelques jours après, les villes de Vicence, Padoue, etc. (3 juin), en faisaient autant. Radetzki avait de mauvaises nouvelles même de Vienne. Il prit une résolution hardie et heureuse. Le 2 juin, quittant de nouveau Mantoue et renvoyant une division à Vérone, il repassa l’Adige (le 5) par Legnano, et recula sur Vicence avec vingt-quatre mille hommes pour achever ainsi de débarrasser ses derrières et pouvoir, assuré de l’arrivée de nouveaux secours amenés par Welden, se porter de nouveau en avant. Il ne laissait sous Vérone que vingt mille hommes devant l’armée piémontaise. Charles-Albert n’osa ni attaquer la ligne laissée devant Vérone, ni se risquer au-delà de l’Adige, ayant derrière lui Mantoue et Vérone. Au lieu de cela, il se jeta assez inutilement sur le plateau de Rivoli, le 10, et s’en empara sans peine.
Le maréchal en profita. Vicence, qui avait déjà deux fois repoussé l’ennemi, était défendue par Durando, avec des troupes et une population bien disposées, mais très-mal armées, surtout en artillerie. Elles avaient voulu au Sud fortifier les monts Beriques (Berici), surtout à la Madona del Monte. Mais Radetzki s’en empara, grâce à des forces supérieures, et, dominant la ville, la menaça d’un bombardement. Il fallait capituler ou voir Vicence à sac probablement. Durando abandonna la ville avec les plus compromis, soldats, armes et bagages, et s’engagea à ne point servir avec ses troupes, pendant trois mois, contre les Autrichiens. Quand Charles-Albert (le 13) se décida à attaquer les Autrichiens de Vérone pour effectuer le passage de l’Adige et secourir Vicence, l’avant-garde de Radetzki, déjà de retour, lui apprit qu’il était trop tard. On célébra en Italie la prise du plateau de Rivoli, de glorieuse mémoire; on oublia que, maître de Vicence, s’embarrassant peu maintenant du Tyrol qu’il abandonna, et ralliant Welden, Radetzki avait sous la main soixante mille hommes.
La position était, en effet, bien changée au désavantage des Italiens. L’Autrichien Welden, arrivé avec de nouveaux renforts dans le Frioul, prenant Trévise et Padoue malgré Zucchi et ses volontaires, isolait Venise, et ne laissait plus à Pepe et au seul bataillon qu’il avait entraîné d’autre parti que de se jeter dans cette ville pour défendre la lagune, avec les fuyards napolitains ou romains. Charles-Albert était maintenant presque seul (l’armée romaine et l’armée toscane ayant été dissoutes), seul dans le quadrilatère avec Peschiera. Devant lui étaient Vérone, l’Adige, Mantoue et une armée plus nombreuse que la sienne, mieux conduite et plus disciplinée. Et, derrière lui, dans la transition entre les deux anciennes administrations et la nouvelle, le remaniement des impôts, le recrutement de nouvelles troupes avaient d’autant plus de peine à se faire, que les jalousies entre Milan, Turin, Gènes s’affichaient déjà, et que les mazzinistes et les républicains ne manquaient pas de tout blâmer, la conduite de la guerre et celle des affaires. Il ne pouvait donc plus être question pour lui de délivrer Venise où Manin, tout-puissant dans la ville et soutenu par tous ceux qui arrivaient, se servait des échecs du roi pour accuser sa bonne volonté et pousser malgré le désir de la plupart des vrais habitants à la république. Quelle résolution allait-il prendre?
A Rome, à Naples et à Florence, même embarras pour la cause italienne, qui semblait d’abord avoir fait battre tous les cœurs à l’unisson.,
Il y avait évidemment une lutte sourde dans la capitale des États de l’Église entre le ministre laïque Mamiani et le gouvernement pontifical de Pie IX. Oh n’avait pu s’entendre surtout sur la rédaction du programme à lire le 5 juin à l’ouverture de l’assemblée romaine. Le cardinal Altieri avait ouvert les chambres avec un programme où il n’était question que de réformes pacifiques. Mais Mamiani, le lendemain, avait prononcé un discours dans lequel, faisant au pape l’honneur de le reléguer, comme père des chrétiens, dans les hautes sphères de la religion, il maintenait aux mains de Charles-Albert le commandement des armées de l’État de l’Église. De là, démission offerte et acceptée, impossibilité pour le pape de trouver un autre ministère, par conséquent désordre et faiblesse. Le roi de Naples, lui, désireux maintenant de reprendre la Sicile après Naples, rappelait déjà quelques régiments napolitains d’abord prêtés à Charles-Albert; on se plaignait à Florence du peu de dévouement du ministre Ridolfi.
Pour ce qui est des puissances étrangères, étaient-elles animées d’un véritable intérêt pour l’Italie? Lord Palmerston, prenant auprès de l’Autriche la place que la France avait occupée avant 1848, poussait à la paix et à un arrangement . En France, l’Assemblée nationale, dans sa séance du 25 mai, avait invité la commission du pouvoir exécutif à prendre pour règle de conduite son vœu unanime d’affranchir l’Italie; mais le ministre des affaires étrangères, Bastide, était plus porté à secourir Manin que Charles-Albert. S’il offrait un secours à celui-ci, c’était en montrant ses défiances vis-à-vis de l’établissement d’une grande puissance dans le nord de l’Italie et avec le désir de voir l’unité s’y constituer sous forme fédérative. Charles-Albert refusait donc l’intervention républicaine à ces conditions, aussi bien que la médiation anglaise. Mamiani lui-même déclarait dans son discours que «la plus grande des infortunes qui pourrait arriver à la cause italienne serait la trop chaleureuse et la trop active amitié d’une grande nation»; et bientôt la France, pendant quelques jours toute à ses discordes (journées de juin), et menacée de l’anarchie, n’allait plus être à même de la lui offrir.
Le roi de Sardaigne, ne voulant ni intervention ni médiation, fit venir ses réserves, restées jusqu’alors, et bien à tort, dans le Piémont; il pressa la formation de l’armée lombarde et l’équipement des volontaires qu’il n’avait pas jusque-là fort activé. Grâce à cet effort, dans le courant du mois de juin, il avait quatre-vingt mille hommes sur le Mincio, tout en laissant encore, assez malheureusement, des garnisons à Parme, à Modène, à Bologne même. Mais Radetzki, grâce à l’arrivée d’un nouveau renfort venu du Tyrol, en avait autant; et toutes les troupes de celui-ci étaient bien équipées et disciplinées, tandis que les derniers bataillons lombards étaient assez mal instruits et armés, et déjà moins ardents qu’au commencement de la guerre.
Les encouragements de l’Italie vinrent encore, au commencement de juillet, briller comme une dernière espérance sur l’armée piémontaise. Le 6 juillet, pendant que Pepe organisait la défense de la lagune, une assemblée réunie à Venise déclara se fondre dans le Lombard-Vénitien et installa un gouvernement favorable à Charles-Albert, à la. majorité de cent vingt-sept voix contre six. Manin, sur qui avait reposé tout le pouvoir, déclara sacrifier ses préférences sur l’autel de la patrie. Le gouvernement vénitien pouvait disposer de vingt mille hommes, mais seulement pour sa défense. Quelques jours après, le parlement sicilien, trop longtemps occupé de ces luttes intestines, élut décidément roi un des fils de Charles-Albert, le duc de Gênes.
Il fallait payer par la victoire un don de joyeux avènement. Charles-Albert, à Roverbella, entre Mantoue et Vérone, le Mincio et l’Adige, augmentait tous les jours sa droite vers Mantoue, qu’il espérait forcer comme Peschiera, aux dépens même de sa gauche toujours avec le général de Sonnaz à Rivoli. Au milieu du mois de juillet, les Modénais et les Toscans, revenus vers Governolo, cherchaient à terminer l’investissement de la place sur la rive droite du Mincio. Le roi lui-même, décidé enfin à agir, et tout en donnant la main des hauteurs bien fortifiées de Villa Franca à Sonnaz, pour surveiller Santa-Lucia et Vérone, vers le 20, se mit en devoir d’achever l’investissement de Mantoue sur la rive gauche, en s’étendant presque jusqu’au Pô. Radetzki, concentré depuis quelque temps à Vérone, saisit, pour reprendre l’offensive, le moment où il vit la ligne de son adversaire plus étendue que jamais du plateau de Rivoli aux environs de Mantoue, mais très-faible vers les collines du centre, à Somma Campagna et à Sona.
Charles-Albert s’occupait déjà de constituer le gouvernement du nord quand Radetzki, le 22 juillet, malgré une pluie torrentielle, mit de nuit ses masses en mouvement, pour reprendre le cours du Mincio. Il fallait percer la ligne de l’ennemi et s’emparer des hauteurs qui commandent l’Adige et le Mincio, et qu’occupaient insuffisamment les Piémontais. Le 23, au matin, la gauche de Radetzki s’étendit légèrement au sud vers Roverbella, pour surveiller le quartier général de Charles-Albert; la droite se dirigea au nord sur Rivoli; le centre, en colonnes nombreuses et fortement soutenues, se porta par la route qui va de Vérone à Peschiera sur les collines de Sona et de Somma Campagna. Le général de Sonnaz, quicommandait ce point affaibli, n’avait que douze mille hommes, Savoyards, et Toscans, pour résister à près de quarante mille hommes. Il fit abandonner Rivoli pour que cette aile ne fût point coupée, et, cédant, après une belle résistance d’ailleurs, à ces forces supérieures, il se rabattit sur Castelnovo, et permit ainsi aux Autrichiens de s’étendre sur leur gauche jusqu’aux hauteurs de Custozza qui menaçait Roverbella. Charles-Albert, de Villa Franca, vit lui-même l’impossibilité de remédier immédiatement au vide qu’il avait laissé ; il abandonna le village de Custozza et livra le Monte Vento, qui touche au Mincio même, tandis que Sonnaz, menacé d’être coupé, repassa en reculant le Mincio avec sa division et s’établit sur la rive droite par Mozambano, dont il fit détruire le pont.
Le lendemain, dès le matin (24), le maréchal, profitant de son succès, donna l’ordre de franchir le Mincio sur deux ponts, pour s’établir à cheval sur la rivière, empêcher son adversaire de se réunir et l’attaquer avec l’avantage de cette position. Mais le roi, qui avait maintenu et concentré ses troupes à Villa Franca, sortit enfin de l’inaction et se dirigea sur les hauteurs qu’il avait abandonnées la veille, avant que Radetzki eût achevé son mouvement. Le général en chef, Bava, au centre, les princes de Savoie et de Gênes aux deux ailes, reprirent vigoureusement Custozza et Somma Campagna, après quatre heures d’engagement. L’échec de la veille était presque réparé. Le lendemain, dès le matin six heures, les Italiens recommencèrent le combat et montèrent à l’assaut de Sona et de Monte Vento pour rejeter l’ennemi dans le val du Mincio, vers Sonnaz qui avait occupé sur la rive droite les collines de Volta, parallèles à celles de Custozza. Radetzki était perdu si le mouvement réussissait; mais les Piémontais étaient arrivés presque sans vivres aux hauteurs qu’ils avaient conquises, et le maréchal, pendant la nuit, repassa avec une partie de ses troupes le Mincio et donna à Vérone l’ordre d’envoyer de là une brigade sur le flanc droit des Piémontais. Il avait l’avantage d’avoir entre l’Adige et le Mincio toutes ses troupes sous la main, tandis que Charles-Albert sur la gauche du Mincio était presque séparé du général de Sonnaz établi à Volta sur la rive droite du Mincio.
Charles-Albert, le 25, voulait poursuivre réanmoins son avantage en enlevant aux Autrichiens Valeggio sur le Mincio, et il avait envoyé l’ordre à Sonnaz de l’attaquer de la rive droite, où il était à Volta, tandis qu’il l’attaquerait lui-même de Somma Campagna. C’était un jour d’étouffante chaleur; l’armée de Charles-Albert avait beaucoup fatigué et peu mangé. Le duc de Gênes et le général Alphonse de la Marmora pénétrèrent d’abord jusqu’à Valeggio. Mais Sonnaz n’avait point reçu l’ordre du roi; il n’agissait pas. Pendant ce temps, Radetzki, ayant réuni ses troupes, les jeta en nombre au-devant de Bava et du duc de Savoie qui descendaient de Somma Campagna. Bava ne tarda pas à s’apercevoir qu’au lieu d’attaquer l’ennemi, il allait être obligé de se défendre; il reprit ses positions après avoir déjà fatigué ses troupes. Les Autrichiens, en gravissant la montagne si disputée de Somma Campagna, perdirent quelques hommes par la chaleur; Radetzki se montra au milieu de ses régiments et parla de donner l’exemple à la tête de ses grenadiers. Bava et les deux princes, attaqués en tête et en flanc, résistèrent jusqu’au soir; mais ils furent enfin obligés d’abandonner la position même avec son village de Custozza, et de se rejeter en désordre, avec d’assez grosses pertes, à Villa Franca: c’était une défaite.
Le soir, à minuit, pendant que les Autrichiens reposaient sur le champ de bataille, Charles-Albert commença sa retraite sur la rive droite et se réunit à Goïto avec Bava, auquel il ordonna de se maintenir à Volta. Il voulait s’établir encore entre le Mincio et l’Oglio. Mais Radetzki, sans perdre de temps, fit passer le Mincio sur deux points à la fois et dirigea son centre sur Volta. Un combat affreux y eut lieu de nuit. On se disputa les maisons; on combattit d’homme à homme. Les habitants s’en mêlèrent. Les Autrichiens, restés maîtres de la place, massacrèrent tout ce qui leur tomba sous la main. C’est en ce moment que des députés siciliens venaient offrir au fils du roi une couronne. Le duc de Gênes refusa avec une juste tristesse. Radetzki ne voulut laisser à l’ennemi ni le temps de s’établir ni celui de recevoir des secours. Le duc de Savoie et le duc de Gênes, par de brillantes charges de cavalerie, dans lesquelles les Piémontais ne se montrèrent pas inférieurs aux Autrichiens, s’efforcèrent de couvrir la retraite du gros de l’armée, dont plus d’un régiment était à la débandade. Charles-Albert ne put s’arrêter ni sur l’Oglio, ni à Crémone ni sur l’Adda, pendant quatre jours de retraite et de poursuite précipitées, au milieu desquels, un peu tard, le roi envoya au gouvernement de la République française Ricci, et seulement encore pour connaître les conditions d’une intervention et stipuler pour lui la conservation du Milanais.
Le général Cavaignac, chef du pouvoir exécutif, après avoir vu repousser de précédentes offres d’intervention par Charles-Albert, demi-vainqueur, pouvait-il accepter des conditions de celui-ci vaincu? L’ambassadeur piémontais, Brignolle, nous dit Montanelli, dans ses mémoires, craignait plus qu’il ne désirait une intervention. Le général Cavaignac répondit, d’accord avec Palmerston, par un projet de médiation qui devait donner la Lombardie an Piémont . Mais déjà les Autrichiens prenaient position à Lodi, à Monza, à Pavie même; Charles-Albert rentra à Milan, le 3 août, avec une armée moitié découragée et débandée de trente mille hommes, et il y trouva un comité de guerre composé de républicains, rétabli et presque menaçant.
Lombards et Piémontais, au moment suprême, ne surent pas s’entendre. Le comité dé guerre envoyait des émissaires soulever Brescia, Bergame et la Vénétie, faisait un emprunt forcé, et barricadait les portes de Milan et les faubourgs. Mais il avait très-peu d’approvisionnements, pas beaucoup de garde civique organisée . Charles-Albert avait son parc d’artillerie au delà du Pô, et une partie seulement de ses troupes avec lui; le 4 août, son arrière-garde en retraite était attaquée presque aux portes de Milan. Les femmes et les enfants de la ville se précipitaient déjà aux murailles. Mais les provisions de guerre manquaient encore plus que les provisions de bouche. Charles-Albert ne pensa devoir risquer ni une ville de cent quatre-vingt mille âmes, ni sa dernière armée, dans cette dernière chance. Il entra en pourparlers. Radetzki accorda vingt-quatre heures pour la reddition de la ville, avec liberté de sortie pour les habitants. On délibéra. Les Piémontais et les Milanais s’accusaient mutuellement; ils faillirent en venir aux mains. Le peuple assiégea un instant Charles-Albert dans le palais Greppi aux cris de: «Mort au traître!» Bava, avec quelques régiments piémontais, le tira de ce danger, non sans peine.
Dans cette situation, Charles-Albert signa une capitulation le 6 au soir et partit dans la nuit de Milan; les troupes piémontaises évacuèrent la ville le lendemain (7), suivies d’une foule considérable de citoyens, do femmes et d’enfants, qui fuyaient les vengeances de l’Autriche; Radetzki y entra à la tête de ses troupes victorieuses au milieu d’un morne silence. Charles-Albert dut signer un armistice aux termes duquel il cédait les forteresses de Peschiera, de Rocca d’Anfo, avec le matériel de défense, et promettait de retirer de la Vénétie, de Modène et de Parme ses forces de terre et de mer. «La bannière impériale, put dire Radetzki (10 août), flotte de nouveau sur les murs de Milan; il n’y a plus un ennemi sur le sol lombard.» L’état de siège était déclaré dans toute l’étendue du territoire recouvré par l’Autriche. Parmi les bandes de volontaires qui étaient encore dans les Alpes à continuer la petite guerre, une seule, de deux mille hommes, résista bravement, mais inutilement, près du lac Majeur à Muzzarone. C’étaient les volontaires commandés par Joseph Garibaldi, qui commença ainsi sa réputation.