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IV
ОглавлениеLe Ministère et l’Assassinat de Rossi. La fuite du pape. La République à Venise, à Rome et à Florence. (Août 1843, Mars 1849) .
La victoire de Radetzki à Custozza avait naturellement modifié les propositions de médiation faites à l’Autriche par lord Palmerston et Cavaignac, par l’Angleterre et la France. En stipulant encore pour le Piémont la possession de la Lombardie, elles imposaient à celle-ci une part de la dette de l’Autriche, et ne demandaient pour la Vénétie qu’un gouvernement séparé sous la souveraineté autrichienne (22 août). Il y avait loin de ces conditions à ce que les Italiens, dans un moment de fortune, avaient espéré. Les deux puissances s’efforçaient cependant d’amener Charles-Albert, et surtout l’Autriche, à y adhérer, et d’empêcher Vienne de continuer ses succès en commençant le blocus de Venise, encore indépendante au nord. Mais l’Autriche, tout en traînant les négociations en longueur pour gagner du temps, n’avait plus l’intention de rien céder. «L’Autriche, » écrivait lord Cowley à Palmerston (15 septembre), «n’est pas disposée à accepter la médiation, parce que celle-ci a pour base l’indépendance de la Lombardie. Elle n’a aucune envie, en renonçant à ses droits sur cette province, de donner l’exemple du démembrement de la monarchie.» Et, dans sa réponse à une note pressante du gouvernement français, le ministre autrichien de Wessemberg acceptait la médiation sans les bases posées, ce qui revenait à ne rien accepter.
Mais ce qui frappait peut-être encore plus la médiation d’impuissance, c’est que la victoire de Radetzki n’atteignait pas seulement en Italie la cause de l’indépendance, mais celle de la liberté. Lord Napier, ambassadeur d’Angleterre à Naples, écrivait à son gouvernement, le 14 août, ces paroles qui pouvaient s’appliquer aux autres États de la Péninsule: «La nouvelle des défaites de Charles-Albert n’a pas manqué de produire une profonde impression. Le parti libéral, qui comprend la plus grande partie des personnes honnêtes et éclairées des haute et moyenne classes, a été jeté dans la consternation par cette catastrophe inattendue. Elles semblent n’avoir plus tout l’appui, tout l’espoir qui les soutenaient encore pour prendre part à la conduite des affaires publiques.» Le pouvoir allait-il revenir à ceux qui l’avaient perdu depuis le commencement des événements? ou, passerait-il entre les mains des partis plus avancés, qui, se confiant aux moyens révolutionnaires, avaient toujours reproché aux ministères libéraux leur modération ou gourmandé leur défaut d’énergie?
A Rome, la tension qui existait entre la personne du pape et son gouvernement, depuis le commencement de la guerre, avait augmenté au fur et à mesure des événements. Déjà, après la reprise de Vicence par les Autrichiens, le pape Pie IX, en réponse à l’adresse de la chambre des députés, délibérant sur le discours de Mamiani, avait affirmé personnellement que «le moyen de réussir, malgré les désirs de guerre qui éclataient de toute part, ne pouvait être de sa part une déclaration de guerre». La nouvelle de la défaite de Custozza amena la démission de Mamiani (2 août), qui avait voulu entraîner le pape contre l’Autriche, et il fut remplacé par Fabri. Quand l’Autrichien Welden, sur l’ordre peut-être de Radetzki, malgré son désaveu ultérieur, se jeta sur Bologne dans les États de l’Église, le peuple romain; par des manifestations, chercha encore à entraîner le pape. Les autorités de Bologne, ne voulant pas exposer la ville aux horreurs de la guerre, avaient laissé entrer les bataillons autrichiens; mais le peuple s’était jeté au-devant d’eux, le 9 août, et les avait repoussés avec perte au-delà du Pô. Le pape se contenta de protester contre la violation de son territoire, et de faire une convention avec Welden . Satisfait de voir les Autrichiens partis, il refusa de ratifier les propositions énergiques faites par les députés romains, qui demandaient (25 août) la réunion à Rome d’un congrès national italien, et il profita de la prorogation du parlement pour constituer un nouveau ministère et attendre les événements.
On allait bientôt découvrir ce qui se cachait derrière cette proposition d’un congrès national italien. Dans la Toscane, le ministère constitutionnel de Ridolfi avait déjà été plusieurs fois ébranlé par les premiers échecs de la petite armée et des volontaires de la Toscane. Quand le général Welden, après Bologne, parut menacer aussi la frontière toscane, Ridolfi voulut se raffermir; il déploya quelque vigueur, ferma les clubs, emprisonna les agitateurs. Mais Livourne, peuplée d’ouvriers, et où les bourgeois faisaient monter la garde par les prolétaires, était un foyer difficile à éteindre. Déjà, plusieurs fois, le célèbre romancier Guerrazzi l’avait soulevée au cri d’une constituante italienne. Nommé récemment député, il parlait avec plus d’autorité ; selon lui, les princes étaient au moins convaincus d’impuissance; le soulèvement en masse de toute l’Italie réussirait seul à la délivrer. On voulut l’emprisonner. Il s’échappa. La ville de Livourne était en pleine insurrection; les soldats mettaient bas les armes et fraternisaient avec les ouvriers. Capponi, nommé à la place de Ridolfi, était déjà si débordé, qu’il voulait envoyer pour calmer Livourne Guerrazzi lui-même. C’était faire de l’ordre avec du désordre (20-30 août). Le grand-duc Léopold II ne savait quel parti prendre. A Naples, il trouvait d’autres exemples.
Là, le roi Ferdinand II tirait résolument parti de la défaite du Piémont. Depuis les derniers événements, le nouveau ministère (prince Cariati, Bozzeli) avait de la peine à s’entendre avec la nouvelle assemblée, réunie le 1er juillet. La Sicile, qui maintenait son indépendance, la Calabre soulevée, rendaient l’accord difficile. Mais on reprochait surtout au gouvernement le rappel de l’armée du Nord. Les nouvelles arrivées de la Lombardie lui donnèrent la force et l’audace qui lui manquaient. D’une part, Charles-Albert, après Custozza, n’osait plus accepter pour son fils la couronne que les Siciliens lui avaient offerte; d’autre part, Ferdinand pouvait agir à Naples et dans les Calabres, sans crainte de l’opinion découragée. Ferdinand II, le 3 septembre, fit donc partir huit bateaux à vapeur et six mille hommes pour la Sicile, et, le 5, il prorogea encore son parlement.
Le gouvernement de la Sicile, déjà fort divisé avant l’élection du duc de Gênes, l’était encore plus après le refus de celui-ci. Il n’était pas encore parvenu à mettre une armée raisonnable sur pied; la garde nationale seule était organisée, et on s’était résigné à accepter le service des forçats, que le gouvernement napolitain avait lâchés pour compromettre la révolution sicilienne. Le marquis de Torearsa et Joseph Lafarina formèrent un nouveau gouvernement; ils firent leur possible, mais il était trop tard. La ville de Messine, toujours surveillée par les quatre mille Napolitains de Pronio, dans la citadelle, n’avait guère d’autres défenseurs que ses habitants, qui s’étaient courageusement armés et enrégimentés; et les feux de la citadelle, située sur une langue de terre qui commande le port, lui faisaient beaucoup de mal, quand Filangieri avec la flotte napolitaine parut. Une sortie de Pronio permit aux troupes napolitaines de s’établir et de commencer les opérations dès le 4. Messine envoya demander des secours au parlement sicilien; mais la ville républicaine fut peu secourue par la royaliste Palerme.
Pendant la lutte, les Suisses et les Napolitains de Ferdinand, au nombre de quinze mille hommes, furent soutenus et ravitaillés par le camp établi de l’autre côté du détroit; Messine ne reçut par terre que des renforts insignifiants et tardifs. Ce combat inégal dura cependant huit jours. La citadelle, la flotte et les batteries inondèrent la ville d’une pluie de bombes et de fusées, qui fit les plus grands ravages et alluma plusieurs incendies. Les forts restés encore au pouvoir des Messinois essayèrent quelque temps de répondre au feu, mais furent bientôt éteints. Après avoir perdu les fortifications et les barricades élevées hors de la ville, les Messinois se battirent encore avec acharnement dans les faubourgs, au milieu des décombres des maisons en feu; et le sac commença. Les rues se jonchaient de cadavres, quand les amiraux anglais et français, Parker et Baudin, intervinrent pour faire cesser la boucherie et sauver le reste de la ville, le 3 septembre au soir. Un armistice entre le roi Ferdinand et le parlement sicilien suspendit même la guerre, et établit une zone neutre entre l’armée napolitaine et celle de Sicile, venue trop tard au secours de Messine.
La liberté, dans les imaginations italiennes frappées par tant de coups divers, n’existait plus et ne se défendait plus qu’à Venise. Les Autrichiens étaient entrés à Modène, et ils y avaient ramené le duc François V; ils étaient rentrés à Parme et ils y gouvernaient en maîtres (26); Venise seule résistait, et elle résistait républicaine. En effet, le jour même où les commissaires de Charles-Albert devaient recevoir l’investiture de la cité et province de Venise (9 août), on avait appris la nouvelle de l’armistice de Milan et de l’abandon des troupes de terre et de mer que Charles-Albert avait envoyées dans la lagune. Le peuple était réuni sur la place Saint-Marc en tumulte, quand Manin, en paraissant à la fenêtre du palais du gouvernement, s’écria: «Après-demain, les députés de la ville et du territoire de Venise seront assemblés; jusque-là je gouverne.» Le même jour, il avait envoyé au gouvernement français une demande de secours; le surlendemain, la république avait été de nouveau proclamée, le pouvoir confié à un triumvirat avec Manin pour président, la défense militaire à Guillaume Pepe, ce vétéran du libéralisme, dont le patriotisme classique ne s’était jamais démenti; et, favorisée par sa position même, la république vénitienne se défendait.
La Lagune ou l’Estuario est, comme on le sait, une sorte de lac oblong, formé par les cours d’eau qui se jettent au fond de l’Adriatique, et séparé seulement de cette mer par des îles longues et étroites, coupées de canaux où les gros vaisseaux ne peuvent pénétrer. Elle couvre un arc de cercle de près de quarante lieues, et renferme deux cent mille habitants. Vers le sommet de l’arc s’élève Venise, et çà et là de gros bourgs tels que Chioggia et Mestre, autrefois bien plus considérables; du côté de la terre et de la mer, quarante forts, avantageusement situés, et dont les principaux sont ceux de Lido, de Malghera, de Brondolo et Treporti, protégent cette situation admirable pour la défense. Manin, pour les frais de défense, avait fait un emprunt de 100,000 livres, et fait apporter toute la vaisselle d’or et d’argent contre des billets de remboursement à 5 pour 100 de bénéfice. Pepe, depuis son arrivée, avait augmenté les fortifications des points principaux, organisé en légions et discipliné, autant qu’il était en lui, les milices dont il pouvait disposer. Selon la volonté de son gouvernement, ballotté sans cesse entre la crainte et l’espoir, il restait tantôt sur la défensive, et tantôt prenait l’offensive contre les corps autrichiens qui commençaient à pénétrer dans la lagune et à s’y fortifier. Là, cependant, le drapeau italien était encore debout.
Cette résistance, on le comprend, était de nature à entretenir les espérances et à enflammer encore les passions italiennes. Les gouvernements d’Angleterre et de France, il est vrai, partageaient d’autant moins ces illusions que l’Autriche, après avoir obtenu qu’on revînt sur les bases de la médiation, s’efforçait de diviser les deux puissances médiatrices en flattant davantage tantôt les prédilections monarchiques et piémontaises de Palmerston, tantôt les tendances républicaines et vénitiennes de Bastide. Il semblait y avoir peu de chose à espérer même de l’Allemagne révolutionnaire et unitaire, alors représentée par le parlement démocratique de Francfort; en effet, celle-ci, prenant fait et cause sinon pour l’Autriche, au moins, disait-elle, pour la garantie de la nationalité allemande, déclarait que non-seulement l’Adige, mais le Mincio, étaient la ligne stratégique défensive de l’Allemagne à laquelle elle ne devait pas renoncer; et elle ne voulait agir qu’en ce sens. Si donc le général Cavaignac disait «que les traités de 1815 ne pouvaient servir de base à la paix» ; si son ministre des affaires étrangères, Bastide, devait écrire en novembre à Manin: «Tant que je dirigerai les affaires de France au dehors, la France n’abandonnera pas la cause de Venise,» tout en ajoutant, peu diplomatiquement d’ailleurs, «que la France touchait à une crise qui pouvait amener d’autres hommes et d’autres principes», lord Palmerston, plus net, faisait dire à Manin par le consul anglais: «Capitulez, car vous ne recevrez de secours de personne; le Piémont ne se relèvera pas.» Le ministre anglais, en effet, retirait sa flotte d’observation de l’Adriatique et obligeait par là la France à en faire autant. Que pouvait alors espérer la république de Venise?
Sans doute le roi Charles-Albert, en signant l’armistice, n’avait pas non plus renoncé à tout espoir. Il avait, de retour à Turin, désavoué le signataire de l’armistice et, à la place du ministère Casati-Gioberti, mis à la tête de l’administration, Sostegno et Pinelli qui paraissaient faire des préparatifs de défense. Tout en laissant l’Angleterre et la France négocier, il exprimait le désir de garder sa liberté d’action. Il observait avec intérêt le désespoir que causait dans la Lombardie les emprunts forcés de Radetzki et les exactions de l’armée d’occupation contre lesquels réclamaient les deux puissances occidentales. Il ne désespérait pas d’entraîner une lutte de principes entre la France républicaine et l’Autriche monarchique. Entouré de nombreux Lombards réfugiés, il laissait malgré l’armistice une partie de ses troupes dans les lagunes et retirait lentement ses vaisseaux de l’Adriatique; s’il avait écouté le parlement piémontais, assemblée patriotique dominée par le député Brofferio, mais qui ne se faisait pas une idée bien nette de la situation, il aurait repris la guerre. Mais la France, elle-même, l’en dissuadait par les conseils de M. Bastide: «Le roi de Piémont, disait-il, est en face d’une chambre qui veut faire la guerre et qui n’a pas le moyen de la faire. Si les Autrichiens passent le Tessin, nous le défendrons; s’il le repasse lui-même, nous ne le défendrons point.» C’était suffisamment clair.
Charles-Albert délibérait seul et caché au fond de son palais, quand l’effervescence accumulée principalement dans les États romains et dans la Toscane, où s’étaient réfugiés surtout ceux qui avaient dû quitter les champs de bataille de la Lombardie, le relança encore dans les périls qu’il avait déjà courus.
Là, les passions radicales, affranchies du frein des partis modérés, ne savaient plus ce que c’était que la prudence. On ne se proposait plus que Venise pour exemple; on ne pouvait rien faire, disait-on, avec les princes. Le roi de Naples était un parjure, qui ne voulait ni indépendance ni liberté ; pour le roi Charles-Albert, il était au moins un tiède ou un malhabile, sinon un traître; le pape Pie IX n’avait plus qu’une conscience timorée. Venise le montrait suffisamment: on ne réussissait qu’avec les mains et sous le drapeau des républicains. Il fallait faire une guerre de peuple, constituer l’Italie en une république unitaire ou fédérative, et se lever comme un seul homme contre l’Autriche. C’est ce que répétaient les clubs sur tous les tons, à Rome, à Florence, surtout à Bologne, à Livourne, à Gênes même, qui étaient au pouvoir des exaltés. Que Mazzini soufflât sur ces flammes, après avoir d’abord montré quelque modération, que lui et les agents des anciennes sociétés secrètes qui agissaient maintenant à ciel ouvert, «enrôlassent les mécontents, payassent les désespérés,» dit Farini, «pour faire jaillir la lumière et la liberté du chaos et du désordre», il n’y avait là rien d’étonnant. Mais des hommes auparavant plus modérés et maintenant enflammés comme les autres, Montanelli revenu blessé à Florence, le prince de Canino à Rome, le père Ventura, le poëte Giusti se faisaient les interprètes passionnés des mêmes idées. En attendant, on tentait des collectes patriotiques pour prolonger la résistance de Venise. L’idée d’un congrès, d’une diète, d’une constituante italienne, surgissait de tous les points de la terre italienne. C’était la passion de l’unité qui, après celle des réformes, après celle des constitutions, après celle de l’indépendance, saisissait et emportait encore l’Italie.
Pie IX, le grand-duc de Toscane, avaient grand’peine à résister à ces entraînements de l’opinion aigrie par les revers, exaltée par les rêves. Le pape, avec un ministère provisoire depuis la retraite de Mamiani, voyait avec désespoir le gouvernement glisser de ses mains. Bologne était en proie aux plus violents désordres. A Rome, l’arrivée de prétendus volontaires débandés, de brigands des Apennins, de proscrits de tous les pays et d’échappés de prison, augmentait la population sans feu ni lieu. Le 24 août, Pie IX faisait demander par le nonce au général Cavaignac une petite division française de quatre mille hommes pour protéger son pouvoir aussi bien au dedans qu’au dehors, et celui-ci refusait pour ne point prendre parti entre les souverains et les factions . A Florence, après la chute de Ridolfi, le ministère Capponi n’était déjà guère mieux vu que son prédécesseur. Pour apaiser Livourne, il envoyait, comme gouverneur, Montanelli, qui était accueilli avec les cris de: A bas le ministère! et il avait peine à empêcher la proclamation de la république. Le pape se décida le premier à sortir de ces tergiversations qui perdaient tout. Il appela (le 15 septembre) au ministère le seul homme, peut-être, qu’il eût parmi ses conseillers, l’ancien ambassadeur français, Rossi. A son exemple bientôt, le 12 octobre, le grand-duc de Toscane, Léopold II, remercia son ministre Capponi et chargea le promoteur de l’idée de la constituante italienne, Montanelli, de former un nouveau ministère. Enfin la chambre des députés de Turin, rouverte le 17 octobre, sans vouloir lui imposer la guerre, ni approuver les négociations entamées, rendit responsable, par un ordre du jour, de la défense de l’indépendance italienne, le ministère Sostegno Pinelli.
Rossi, à Rome, entreprenait une rude tâche dans un moment bien difficile; il venait ramener Rome et l’Italie aux points qu’on perdait de vue, aux réformes, aux constitutions et à la défense, seulement là où on était encore indépendant; il venait essayer de faire triompher la raison au milieu du règne des passions, et il comptait, pour y réussir, sur son habileté, son expérience et sur les leçons que les événements avaient déjà infligées à ses ardents compatriotes. Réorganiser civilement les États romains, pratiquer loyalement la constitution, rétablir les finances, la police, ramener le calme et l’ordre, raffermir le pouvoir aux mains du prince contre les tentatives des républicains et radicaux, telle était sa politique intérieure. Au dehors, il ne reniait pas la cause de l’indépendance; mais il ne pensait pas le moment venu d’y retravailler encore. En tous cas, il ne croyait pas que les passions radicales et les peuples y pussent suffire sans les souverains; il se rattachait plutôt aux tentatives d’arrangements que les deux puissances anglaise et française poursuivaient encore à cette époque, même sans espérer contenter l’Italie; il préparait seulement l’avenir, en ménageant une ligue des princes raffermis chez eux et des États indépendants italiens, en réorganisant l’armée, et en s’efforçant de rallier les peuples et les souverains.
L’Italie, croyait Rossi, en donnant ainsi des gages à l’Europe, ferait plus pour son indépendance que par la guerre qui lui avait déjà si mal réussi. Pendant son court ministère, il donna des gages à cet avenir; il appela Zucchi, de retour de la Vénétie, à la tête de l’armée, pour la réorganiser; il coupa court résolûment aux abus des prélatures, introduisit les laïques dans la plupart des places, obtint du pape d’engager quelques biens d’église pour garantie d’un emprunt. Au dehors, il commença des négociations avec les princes, pour aboutir à une confédération dés États indépendants italiens, et il encouragea l’abbé Rosmini, nommé alors de la Congrégation de l’Index, devant laquelle ses livres avaient paru, et fait cardinal par Pie IX, à rédiger pour l’Italie un projet de constitution fédérale qui devait investir une diète, résidant à Rome avec le pape pour président de la confédération, du pouvoir de régler les intérêts nationaux et généraux de la péninsule. C’était une idée qui sous différentes formes prenait possession déjà de l’Italie. Sur ce terrain même, il est vrai, Rossi se heurtait contre de réelles difficultés. Le Piémont, préoccupé surtout de sa situation, ne voulait qu’une ligue et une ligue militaire, et il proposait Charles-Albert comme chef de cette ligue en opposition au pape. De ce projet Rossi, au contraire, ne voulait exclure aucun État italien; par conséquent, il faisait place au roi Ferdinand qu’il prétendait vouloir ramener ainsi aux procédés constitutionnels. D’autre part, Montanelli opposait à une confédération d’États la formation d’une constituante italienne; et, un peu plus tard, Gioberti en Piémont, assez embarrassé entre son ancien attachement à Rome et ses nouvelles affections à Turin, convoquait un congrès dans cette ville, dans le but de faire prévaloir des idées d’union, sinon de fusion complète, qui différaient encore des autres.
Le gouvernement de Rossi n’était donc point en opposition avec les tendances de la péninsule. Il cherchait à les rapprocher, à les diriger surtout. Mais son tempérament d’homme d’État n’allait point aux passions aventureuses qui s’agitaient. Il voulait marcher à son but avec mesure, par voie diplomatique; il entendait ménager la transition du passé à l’avenir. La papauté, il prétendait la maintenir dans toute son indépendance et sa dignité ; il l’accommodait et la réconciliait seulement avec les nécessités et les conditions du temps présent. Vainement les événements les plus graves, du 15 au 31 octobre, en rendant encore la révolution maîtresse à Vienne et en ébranlant l’Autriche, étaient-ils de nature à exalter l’Italie. Au risque d’exciter les plus grands mécontentements, il ne se laissa pas plus entraîner que ne le fit le roi de Piémont. La confédération italienne, il voulait la faire reconnaître par l’Europe, sans toucher momentanément la question pendante entre l’Autriche et le Piémont au sujet de Milan et de Venise; autant de principes de prudence, que les passions n’étaient point disposées à écouter!
Le 4 novembre, dans une note insérée dans la Gazzetta di Roma et restée célèbre, Rossi s’exprimait ainsi: «Pie IX n’abandonne pas son noble et généreux dessein, qui est, et qui fut toujours, de pourvoir par une ligue politique italienne à la sûreté, à la dignité, à la prospérité de l’Italie et des monarchies constitutionnelles de la péninsule. Pie IX n’est pas dirigé par des vues d’intérêt privé ni d’ambition; il ne recherche, il ne désire, il ne demande que le bonheur de l’Italie et le développement des institutions qu’il a données à son peuple; mais, en même temps, on ne saurait oublier ce qu’il doit à la dignité du Saint-Siège et à la gloire de Rome. Toute autre proposition incompatible avec ce devoir sacré ne pourrait être adressée qu’en vain au souverain de Rome et au chef de l’Église. Le suprême pontificat est la seule grandeur qui soit debout et qui, restant à l’Italie, lui attire le respect et les hommages de l’Europe et du monde catholique. Jamais Pie IX, comme pontife souverain et comme Italien, ne saurait l’oublier.» Malheureusement Rossi était, de sa personne, hautain, sûr de lui-même, entier dans ses idées, particulièrement antipathique à toutes les classes, à tous les partis dans la péninsule. Il eut beau tenir tête aux rétrogrades et aux radicaux, il n’eut pas même pour lui le parti modéré ; les premiers criaient au proscrit de 1815, au radical; les seconds à l’ami de Guizot, au réactionnaire; les libéraux n’osaient s’enrôler sous un chef aussi impopulaire. Les Piémontais ne voulaient pas avec lui s’allier aux Napolitains et réciproquement; le ministre de France lui-même, le républicain Bastide, le voyait avec déplaisir au ministère romain.
Rossi poursuivit sa marche avec courage, n’opposant aux injures que le dédain et la fermeté ; il fit emprisonner le moine Gavazzi qui agitait Rome, et Zucchi fit entrer quelques carabiniers pour faire le service avec la garde nationale. Il voulut réduire les tribunaux à deux instances pour réformer la justice. Mais aussitôt prêtres et radicaux, soldats pontificaux et volontaires dissous, juges et plaideurs, jusqu’aux cochers, se réunirent contre lui. Déjà Garibaldi, récemment arrivé à Bologne, après avoir commencé sa réputation dans les Alpes, agitait la ville. Rome se remplissait des pires gens qui criaient au coup d’État. La reprise de possession de Vienne, par la maison de Habsbourg, achevait d’exaspérer les esprits et de rendre la situation des plus critiques.
Au milieu de cette effervescence, un journaliste député, Sterbini, revenu récemment de Turin et de Livourne avec le prince de Canino, jeta sur ces charbons ardents une parole enflammée. «Rossi était venu,» dit-il, «apporter en Italie les procédés de Guizot et de Metternich, l’art de faire naître les occasions de mitrailler le peuple, de bombarder et d’incendier les capitales.» (Contemporaneo du 15 novembre.) C’était ce jour-là que Rossi devait donner connaissance de son programme. Il avait reçu la veille de Florence un avis de prendre garde. Un autre lui arriva le matin. Il n’en partit pas moins à midi avec son programme pour se rendre à la chancellerie d’État, où l’assemblée des députés tenait ses séances. Il avait dit qu’il pouvait être frappé également par les deux extrêmes. Un régiment devait faire la haie dans la cour; mais un groupe nombreux d’hommes en manteau, volontaires débandés et membres des sociétés secrètes, l’occupait déjà. Comme le ministre Rossi venait de descendre de voiture et traversait, d’un pas ferme et la tête haute, la foule fort animée et poussant des cris hostiles sur son passage, un misérable s’avança, lui porta à la gorge un coup de couteau et disparut. Rossi fit encore un pas et tomba. L’assemblée était en séance, occupée à se constituer sous la présidence de Sturbinetti; elle était peu nombreuse, à peine vingt-cinq membres, un jour d’ouverture La nouvelle s’y répandit, comme on lisait le procès-verbal de la dernière séance, en un clin d’œil; il s’y fit spontanément un profond silence d’anxiété et d’effroi. «Qu’est-ce?» dit un député tout bas. «Demandez à Sterbini,» reprit un autre. «Après tout,» dit un troisième, «était-ce le roi de Rome?» Puis le président ordonna la continuation de la lecture entamée, sans qu’un mot public témoignât des sentiments de l’assemblée. «Il faut connaître,» a dit à propos de ce lâche silence un des députés romains, «il faut connaître les mœurs de notre pays, pour juger une telle conduite, et savoir que l’homme qui dirait un mot pour dénoncer le coupable serait assassiné le lendemain.» Tristes mœurs que celles faites à l’Italie par plusieurs siècles de servitude et de juridiction arbitraire.
Ce forfait fut le coup le plus funeste pour l’avenir de la péninsule; il mit entre l’Italie et la conscience de Pie IX une tache de sang; en faisant reculer le pape, il précipita une révolution à laquelle on pouvait reprocher d’avoir débuté par un crime. La fin de la journée qu’avait ouverte le meurtre de Rossi et la nuit avaient été fort tumultueuse. Une affreuse bande de séditieux, armés de poignards, avait parcouru la ville avec des bannières nationales et des flambeaux, et paradé devant la caserne des carabiniers, poussant des cris injurieux pour la victime. Le lendemain, le Quirinal était comme une maison en deuil; les courtisans étaient absents; les ambassadeurs essayaient de donner quelques conseils au pape atterré. On disait que le peuple s’apprêtait à apporter une formidable pétition. On ne pouvait compter sur la troupe, fort peu nombreuse; la garde civique et les libéraux laissaient faire. La manisfestation très-mêlée de civils et de militaires, quelques-uns avec des armes sous les habits, partit de la place du Peuple, portant sur les bannières la demande d’un ministère démocratique, de la constitution italienne et de la guerre à l’Autriche. Elle arriva au Monte Cavallo au pied des statues des Dioscures, et escalada les escaliers qui montent au Quirinal.
Ce palais, d’où le pape avait deux ans et demi auparavant plusieurs fois béni son peuple à genoux, était fermé ; douze Suisses, quelques gardes nobles et carabiniers, cent hommes, le gardaient. Le ministre de la police, Galetti, en tête de la manifestation, Sterbini, Mariant, veulent être admis. Le pape, encore tout frémissant d’indignation de la mort de son ministre, ne veut ni les entendre ni les voir. Il répond avec une colère froide qu’il ne cédera point à la force. La foule s’émeut et devient menaçante; elle approche des portes, des fenêtres; un coup part, de la foule, dit le prince de Canino (discours); une fusillade la disperse; mais bientôt elle revient armée; elle tire des maisons; deux canons sont braqués sur les portes du Quirinal. Des balles tombent dans la chambre occupée par le pape. On met le feu à la porte donnant sur la Via Pia. Les Suisses et les gardes nobles s’apprêtaient à mourir. Les ambassadeurs étrangers étaient autour du pontife, quand Pie IX, remarquant que les ambassadeurs italiens n’étaient pas là, se retourne vers les résidents étrangers: «Vous voyez, dit-il, je suis seul,» et il donne l’ordre d’appeler Galetti pour former un ministère. Le ministère fut composé, en effet, selon le vœu de la manifestation, de Galetti, ancien conspirateur gracié, qui faisait parti de la police sous Rossi, de Sterbini, l’orateur du cercle populaire ou du café des Beaux-Arts, d’où partaient tous les mots d’ordre des manifestations, et de Mamiani, l’ancien ministre. Le nouveau pouvoir promettait la guerre et une constituante italienne chargée de rédiger un traité d’union fédérale.
Mais le sang de Rossi et l’émeute de la veille avaient tout entaché aux yeux de la conscience de Pie IX. La révolution était maintenant sanglante devant lui; il n’écoutait plus que ceux qui, dès les premiers jours, entravant sa généreuse initiative, l’avaient peut-être mis dans la situation où il se trouvait. Il laissa libres dans leur action le nouveau ministère, avec lequel il vit, ainsi qu’il le dit à Mamiani, qu’il ne serait jamais d’accord, et le parlement que quelques membres accusaient de voter sous la pression des tribunes; il ne songea plus qu’à fuir. Avant de céder, Pie IX avait pris à témoin les ambassadeurs présents qu’il n’était plus libre et dès lors plus responsable des actes qu’on pouvait commettre en son nom. Les ambassadeurs des puissances catholiques l’engageaient donc à se soustraire à une situation désormais sans issue. L’ambassadeur de Bavière, le comte Spaur, qui agissait aussi pour le compte de l’Autriche, l’y poussait surtout. Le gouvernement républicain français, avisé par le marquis d’Harcourt, préparait déjà sous Cavaignac et Bastide (fin novembre) une petite escadre et trois mille hommes pour Civita-Vecchia, afin de veiller aux événements et au besoin de recevoir le pontife; il n’eût pas été fâché de soustraire le pape à la réaction , en lui offrant la France pour asile, comme l’ambassadeur d’Espagne lui offrait les Baléares. Mais, le 24 au soir, tandis que l’ambassadeur de Bavière se présentait au Quirinal pour parler à Sa Sainteté, la comtesse Spaur, sa femme, une Italienne de naissance, prit dans sa voiture, par une porte dérobée, le pontife habillé en simple prêtre, traversa la ville avec lui, et le mit sur la route de Gaëte. Pie IX demandait un asile pour la papauté fugitive à Ferdinand II, le plus dévoué des souverains de la péninsule à la politique autrichienne.
Cette fuite était déjà de nature à exercer une grande influence sur les affaires italiennes. Des événements non moins importants pour elles s’accomplissaient en Europe le 2 décembre. En Autriche, l’empereur Ferdinand II abdiquait pour laisser libre carrière, sous son jeune successeur François-Joseph, à la politique plus résolue du prince de Schwarzenberg, qu’on avait surnommé par avance le feld-diplomate, et, en France, le suffrage universel appelait à la présidence de la république, à la place du général Cavaignac, le prince Louis-Napoléon Bonaparte. Si la fuite du pape sous la protection de l’Autriche livrait Rome à la révolution, les deux nouveaux personnages paraissaient plus disposés, quoique à des degrés différents, à incliner à la réaction. Les conséquences de la fuite du pape furent les premières sensibles.
De Gaëte, Pie IX avait écrit qu’il ne renonçait point à ses droits et nommé par deux fois une commission exécutive qui refusa de se charger du gouvernement. Le ministère romain, pénétré de la gravité de la situation, «et pour essayer tous les moyens de conciliation avec le souverain en rentrant dans la vérité du régime constitutionnel,» envoya une députation des chambres et de la commune à Gaëte. Elle était chargée de supplier le saint-père ou de rentrer dans ses États ou de nommer une régence qui choisirait un ministère; les députés ne furent pas admis sur le territoire napolitain. La nouvelle de l’injure faite à sa députation frappa le ministère d’impuissance. Le 8 décembre, une manifestation eut lieu pour demander la déchéance du pape et la formation d’un gouvernement provisoire. Les représentants nommèrent le prince Corsini, sénateur de Rome, Zucchini, sénateur de Bologne, et Camerata, gonfalonier d’Ancône; puis ils investirent du pouvoir exécutif une junte provisoire qui devait exercer son mandat «dans les termes des statuts». Cet évènement entraîna également le ministère du roi Charles-Albert qui, de retour en Piémont avec une armée découragée, des finances délabrées, avait eu déjà beaucoup de peine à soutenir le ministère Pinelli contre un parlement dominé par les exaltés. Le 15 décembre, Gioberti et Ratazzi prirent les portefeuilles les plus importants d’un nouveau cabinet en adoptant pour programme «l’absolue indépendance de la péninsule et la Constituante italienne,»
Comment un ministre du roi de Piémont pouvait-il cependant consentir à une Constituante italienne qui avait été inspirée dans la remuante Gênes par Mazzini, comme elle avait été inspirée en Toscane par Guerrazzi et à Rome par Sterbini? De Gaëte, le pape s’adressait déjà, pour se faire restaurer dans son pouvoir, aux puissances catholiques et posait devant elles, à côté de la question politique, une question religieuse. Gioberti, confiant néanmoins dans les idées que d’autres temps lui avaient inspirées, dépêcha deux envoyés, l’un au pape, l’autre au gouvernement provisoire romain. Il conjura le premier de se fier à l’intervention, aux armes des princes ou États italiens, pour retrouver encore à Rome une position digne de lui, et il lui offrit un refuge en Sardaigne; au second, comptant sur la communauté de conceptions qu’il avait eue jadis avec Mamiani, il conseilla de faire dans la Constituante italienne une place au représentant du Saint-Siège, pour l’indépendance et l’union communes; rêves d’autrefois, qui ne pouvaient plus tenir devant les faits!
Le pape déclina à Gaëte l’offre de Gioberti, le 28 décembre; il écrivit à l’empereur d’Autriche, au président de la République française, et il protesta, par l’intermédiaire d’Antonelli, cardinal, contre le Gouvernement provisoire romain et contre l’élection à une Constituante italienne.
A Rome, Mamiani n’était plus le maître. Le nombre des exilés et des fugitifs de la Lombardie et du reste de l’Italie y augmentait tous les jours. Le célèbre et audacieux partisan, Garibaldi, qui avait tenu quelque temps près du lac de Côme, après la défaite de Custozza, venait d’y arriver. Le parti modéré était débordé ; il ne pouvait plus tenir entre le pape fugitif et les radicaux maîtres du terrain. Radicaux toscans et radicaux romains s’entendaient contre une intervention de Charles-Albert. On demandait de toute part l’élection d’une Constituante. Mamiani essaya encore de résister, et d’obtenir l’éloignement des agitateurs étrangers; on l’accusa d’albertisme; il fut impuissant et donna sa démission, ainsi que Zucchini. Galetti, toujours prêt à tout faire, Sterbini, qui allait toujours de l’avant, Armellini, vieillard septuagénaire, prirent le Gouvernement le 20 décembre; le 26, le parlement convoqua les citoyens romains au suffrage universel pour élire une Constituante romaine, et il se déclara dissous.
Rome avait suivi jusque ici l’initiative de la Toscane; elle la lui donna maintenant. En dépit de l’excommunication lancée d’avance par le pape contre les électeurs qui prendraient part à l’élection et contre les représentants élus, le ministère romain et la junte provisoire s’occupaient d’organiser le suffrage universel. Florence ne voulut point rester en arrière; le doux Montanelli s’était adjoint au ministère le fougueux Livournais Guerrazzi; tous deux croyaient encore défendre le grand-duc, même en voulant la Constituante et la guerre. Ils annoncèrent, le 8 janvier, la convocation d’une Constituante toscane, et proposèrent une loi pour l’élection des députés qui devaient être envoyés à la Constituante italienne. Une nouvelle idée cependant se faisait jour sous couleur de Constituante: c’était l’union des deux villes sœurs, Rome et Florence, au centre de l’Italie, contre les deux monarchies de Turin et de Naples. Florence dans l’entraînement général se sacrifiait à Rome. Montanelli était alors si peu maître de lui, qu’il refusait les avances de son ancien ami Gioberti pour l’entrée du Piémont dans l’union générale. Dans les États romains, trois cent quarante-trois mille votes, sur une population de deux millions huit cent mille âmes, répondirent à l’appel du Gouvernement provisoire romain; le parti populaire seul était descendu dans l’arène. Cent quarante-quatre députés se réunirent ainsi le 6 février 1849 à Rome; Galetti fut élu président de la nouvelle assemblée toute démocratique.
Déjà Garibaldi et le prince de Canino criaient: Vive la République! On délibéra cependant quinze heures durant, et on décréta, le 9, par cent quarante-trois voix contre onze, la déchéance temporelle du pape, avec garantie de son] indépendance spirituelle, et, comme forme du gouvernement romain, la République démocratique.
Il n’en fallait pas tant à Florence pour l’entraîner.
Déjà, le 26 janvier, Montanelli avait proposé aux chambres toscanes rouvertes l’envoi de trente-sept constituants à Rome. On vota, sous la pression des tribunes, dit l’attaché anglais; ce vote en tout cas inquiétait la conscience du grand-duc puisque la convocation de la Constituante intéressait la condition des États de l’Église et la couronne pontificale. Les yeux tournés vers Gaëte, celui-ci alla donc, 30 janvier, rejoindre sa famille qui était à Sienne. Montanelli voulut le conjurer de revenir. Mais il recevait des lettres de Radetzki qui promettait de le rétablir après avoir châtié Charles-Albert. Le 7 février au matin; lendemain du jour de la réunion de la Constituante romaine, le grand-duc quitta donc Sienne, et, le 8, s’embarqua sur un navire anglais pour San-Stefano, port près d’Orbitello.
Aussitôt la nouvelle reçue, Montanelli, Guerrazzi, parlementèrent avec des envoyés des clubs, prirent possession des postes militaires; ils voulaient temporiser encore. Mais, le lendemain, Mazzini, venant de Gênes, fit son entrée triomphale: il n’y avait plus d’ordre dans les rues; les soldats prenaient leur congé ; on coupait le chemin de fer de Livourne dans la campagne; l’arsenal, le garde-meuble à Florence étaient menacés. «Notre beau pays tombe en ruines, s’écriait Montanelli dans une proclamation (le 17), si tous ceux qui ont du cœur ne viennent à son secours.» Les résidents d’ambassade partaient en prévoyant une intervention. Le lendemain 18, Mazzini pénétra à la tète de clubistes dans le Palais-Vieux pour demander la République. Guerrazzi voulait une délibération des chambres. Mazzini aimait mieux une République imposée qu’une République votée. Sous cette pression, le Gouvernement provisoire toscan proclama donc la République, prononça la dissolution du parlement et convoqua une Constituante.
Ainsi, deux Républiques, produits d’une imitation de laquelle on espérait peut-être un secours de France, d’une effervescence générale et d’une situation désespérée, étaient nées soudainement au centre de l’Italie, entre l’armée autrichienne et l’armée napolitaine. Deux triumvirats: à Rome, Armellini, Salicetti, Montecchi; à Florence, Guerrazzi, Montanelli et Mazzini, étaient chargés de les constituer et de les défendre. Seraient-elles plus heureuses? «La guerre des princes est finie, celle des peuples commence,» écrivait d’Azeglio. «0 dérision! il ne. s’agit pas de changer les formes, mais de nous régénérer nous-mêmes, de cesser d’être des vantards et des incapables, d’être une nation, vive-Dieu! au lieu d’être une race abaissée, avilie, objet de la risée des forts!»