Читать книгу Les Enfants de la ferme - Julie Gouraud - Страница 4
ОглавлениеLA FOIRE DE LA SAINT-MARTIN.
C’est le onze novembre, jour de la Saint-Martin, qu’a lieu à Angers la plus grande foire de l’année. Seigneurs et paysans arrivent de toutes parts, les uns pour vendre, les autres pour acheter. Pendant huit jours que dure la foire, les rues sont encombrées par la foule. Lorsque le temps est beau, c’est une sorte de fête populaire, à laquelle prennent part les plus pauvres gens.
On voit des boutiques de toute espèce: épiceries, modes, jouets, porcelaines, nouveautés de Paris, etc., etc. Si les familles riches attendent cette époque de l’année pour faire des provisions, il n’est pas un petit ménage qui n’en fasse aussi: la foire de la Saint-Martin représente à elle seule la richesse de l’Anjou.
Quelle que soit l’importance des affaires, les plaisirs ne sont pas négligés: quinze jours à l’avance, des baraques ont été construites sur la place des Halles. La grosse caisse et la trompette résonnent du matin au soir. Polichinelle est infatigable, il a de l’esprit à toute heure; mais un rival invincible a campé près de lui: c’est l’homme au casque d’or, au manteau rouge parsemé d’étoiles, le charlatan: il ne cache pas son nom, il est monté sur un char attelé de beaux chevaux blancs. Cet homme est célèbre dans toute la contrée; à son apparition la foule accourt. Il distribue des crayons et des sucres d’orge à quiconque en demande; il vend des spécifiques merveilleux, arrache les dents sans douleur et les remplace à l’instant même.
Cette année-là, 1828, il y avait à la foire d’Angers bien d’autres merveilles encore. L’homme qui avale des épées, celui qui danse sur des œufs étaient totalement éclipsés par des personnages tels qu’on n’en avait jamais vu: un perroquet de New-York qui tirait le canon, un singe qui faisait la barbe à son maître, et une chatte blanche qui évidait un écheveau de fil. Ce serait une grande erreur de croire que les enfants étaient seuls à admirer le perroquet, le singe et la chatte. Les gens les plus graves allaient leur rendre visite et ne s’en cachaient pas.
Toutefois le marché n’était pas moins animé : les paysans ne sont pas aussi badauds que les messieurs, et pendant que les gens de la ville s’amusaient, eux faisaient leurs affaires.
Les charrettes arrivaient de toutes parts: c’était à qui passerait le premier; on disputait, on riait, on s’appelait: «Eh! Pierre! Eh! Gotte!» La fermière assise sur son cheval peste contre les piétons qui l’empêchent d’avancer. Un gros porc noir s’échappe et va se jeter dans les jambes d’une dame; elle se trouve mal; on la porte chez le pharmacien; la foule entoure la boutique. L’attention est aussitôt détournée par un événement plus grave: le porc, poursuivi par son maître, culbute une grande manne d’œufs. Ce sont alors des cris, des disputes, des rires à fendre la tête.
Le commissaire arrive; une heure se passe en explications, et l’on finit par régler le différend.
Il y a des amis qui ne se rencontrent que ce jour-là ; on donne beaucoup de temps à la conversation. Chacun raconte les nouvelles de son village avec des commentaires plus ou moins bienveillants.
Le fermier Mathurin n’avait pas paru à Angers l’année précédente; sa présence excita la curiosité générale. Mathurin s’était marié, il était allé à Paris. Aussitôt on l’entoure, et, après avoir pris le café avec lui, plusieurs de ses amis lui proposent de venir aux baraques voir les merveilles annoncées.
Mathurin refuse, il avait tout vu à Paris.
«Est-il fier! et qu’avez-vous donc vu à Paris? demanda une jeune paysanne.
MATHURIN.
Vous ne le croiriez pas, Jeannette.
JEANNETTE.
Essayez toujours.
MATHURIN.
J’ai vu un homme qui fait tout ce qu’il veut.
JEANNETTE.
Fait-il la pluie et le beau temps? Tout le reste m’est égal.
MATHURIN.
Eh bien! j’ai été dans une grande salle où nous étions peut-être trois cents. Ce monsieur, car c’est un monsieur, m’a dit de prendre quelque chose dans ma main, quand il aurait le dos tourné, et qu’un petit garçon me dirait ce que c’est.
Un singe qui faisait la barbe à son maître. (Page 3.)
Ah! bien, que je pense, nous verrons! j’avais justement un clou de charrue dans ma poche. Je le mets dans ma main bien fermée..... et l’enfant a deviné !
J’en étais saisi!
Il prend un chapeau. Moi, qui me méfiais, je le touche, je le retourne, je tape dessus. Bah! il en fait sortir des roses tant qu’on en veut. Et les dames acceptent ces bouquets. Je n’y aurais pas touché pour un quartaut de vin blanc!
JEANNETTE.
Est-ce tout?
MATHURIN.
J’ai gardé le plus fort pour la fin. Il me demande ma cravatte; justement j’en avais une blanche. Il la met dans l’encre, il en fait une boule, la passe dans l’autre main et me la rend blanche.
JEANNETTE.
J’aimerais bien que cet homme-là vienne faire la lessive chez nous.
MATHURIN.
Mais écoutez donc! On met devant lui une tige d’oranger dans un petit pot: les feuilles poussent, l’oranger grandit, et puis il vient des fleurs, puis dé petites oranges, et puis une grosse orange; il la cueille, l’ouvre, et en offre à plusieurs dames.
JEANNETTE.
En avez-vous mangé ?
MATHURIN.
Non, ça m’agace les dents. Mais, Jeannette, écoutez bien: ce monsieur avait à la main une grosse bouteille; il donnait un petit verre de la liqueur qu’on lui demandait. Bah! que je me dis, il n’aura pas du bon garus de notre pharmacien; je lui en demande, il m’en donne, et du bon. Cette bouteille a fourni trois cents petits verres de tout ce qu’on lui a demandé.
JEANNETTE.
On s’est moqué de vous à Paris, Mathurin; et vous voulez vous venger sur nous; mais nous ne sommes pas si faciles à attraper. Allons, venez voir la poule qui a des dents, et l’homme qui passe son épée au travers du corps d’un cheval, sans lui toucher la peau.
On disait des folies, on dépensait son argent.
Cependant une nouvelle importante circulait à la foire: la ferme de la Guiberdière, de la commune de Trelazé, à une lieue de la ville, était vacante par la mort de Jacquine Goujon qui l’avait gardée, quoique veuve, pendant quatre ans. Cette brave femme laissait trois enfants: François, l’aîné, avait quinze ans, Renotte en avait treize, et Martin huit.
La Guiberdière appartenait au baron de Saint-Cyr, propriétaire du beau château de la Volière, situé à deux lieues de là sur la rive droite de la Loire.
Plusieurs paysans s’étaient présentés chez maître Hébert, notaire à Angers, quoique la ferme ne fût point encore affichée, et ils n’avaient obtenu aucun renseignement. «Il y a du mystère là-dessous, disaient les plus fins; on sait bien que le froment ne pousse pas s’il n’est semé, et qu’on ne fait pas de beurre sans crème.»