Читать книгу Les Enfants de la ferme - Julie Gouraud - Страница 6
ОглавлениеCE QUE LE LECTEUR AURAIT CONSEILLÉ DE FAIRE.
On s’entrenait au château de la Volière de la mort de Jacquine. M. de Saint-Cyr se déclarait le protecteur de Renotte et de ses frères. Il voulait imposer au nouveau fermier de garder à son service les deux garçons; et. quant à la fille et à la grand’mère, Mlle Ysabeau saurait bien en tirer parti. Assurément ce projet était bon, et M. de Saint-Cyr ne pouvait pas douter que sa femme ne l’accueillît avec empressement: sa surprise fut donc très-grande en le voyant repousser.
MADAME DE SAINT-CYR.
Mon ami, j’ai un autre plan, et j’espère que tu l’approuveras. La ferme de la Guiberdière a peu d’importance en comparaison de nos autres biens. Je l’ai toujours vue aux mains de cette famille. C’est là que ma mère a trouvé ma nourrice; j’ai pour ce coin de terre un attachement que tu respectes. Eh bien! laisse-moi l’administration de la Guiberdière, je t’en rendrai bon compte.
M. DE SAINT-CYR.
Volontiers, ma chère; amuse-toi. Nous pouvons sacrifier quelques milliers de francs à tes plaisirs champêtres. Seulement, j’entends que tu sois aussi exacte que Jacquine l’était. Je ne te ferai pas grâce d’un canard.
Habiteras-tu la ferme?
MADAME DE SAINT-CYR.
Trêve de plaisanteries, cher Louis; mon projet est sérieux. Écoute-moi. Je veux laisser les Goujon et la mère Bolève à la ferme. François est fort et courageux; Renotte aura bien vite gagné ses quinze ans. Elle s’annonce aussi capable que sa mère; je me ferais un scrupule de prendre cette enfant chez nous. Il y a déjà trop de paysannes qui délaissent les travaux des champs pour aller à la ville. Ces braves gens se tireront d’affaire. Je te conjure d’approuver mes projets: ils plaisent à mon cœur.
M. DE SAINT-CYR.
L’entreprise me paraît périlleuse: n’importe, je t’en laisse la responsabilité. Seulement, ma chère Renée, si dans un an la ferme est en souffrance, nous n’attendrons pas davantage pour la remettre en d’autres mains.
MADAME DE SAINT-CYR.
C’est convenu.
Le jour même, Mme de Saint-Cyr se rendit seule à la Guiberdière, au grand regret de sa fille Élisabeth qui avait beaucoup d’amitié pour Renotte.
Vous connaissez déjà, mes chers enfants, le plaisir de faire des heureux. Je suis sûre que vous aimez les orphelins de la Guiberdière et que vous bénissez Mme de Saint-Cyr, qui n’aurait pas mieux agi si elle vous eût consultés. Cette excellente femme n’avait jamais trouvé la route si longue! Quelle joie allait éprouver la vieille mère et ses enfants! «Ils réussiront, se disait-elle, ce sera d’un bon exemple dans le pays.... Après tout, si je me trompe, nous serons toujours à temps de suivre le plan de mon mari.»
Mme de Saint-Cyr ne voyait rien; elle était absorbée dans ses pensées, faisant projets sur projets pour assurer le succès de son entreprise.
Le bruit de la voiture attira l’attention des paysans qui travaillaient dehors. Les femmes accoururent pour voir les beaux chevaux gris-pommelé de Mme la baronne.
«Triste journée pour les Goujon,» disaient les bonnes gens.
Mme de Saint-Cyr descendit à sa maisonnette et se rendit aussitôt à la ferme. Renotte, la tète couverte d’un fichu noir, était montée dans un noyer qu’elle gaulait tant bien que mal, et Martin ramassait les noix.
Le deux enfants jetèrent un cri de surprise en voyant la dame du château; quoiqu’ils s’attendissent à une nouvelle grave, ils éprouvèrent un mouvement de joie qui émut Mme de Saint-Cyr.
La grand’mère pâlit en les voyant entrer: la vieillesse n’a plus d’espérance.
Mme de Saint-Cyr parla avec attendrissement de la mort de sa bonne Jacquine; et, quand on eut dit tout ce qui se dit en semblable circonstance, il se fit un silence que personne n’osait rompre. La baronne regardait sa filleule de la tête aux pieds, puis sa vieille nourrice et Martin. Elle loua l’ordre et l’arrangement de la maison et dit enfin: «Où est François? J’ai à vous entretenir d’une affaire, et il est indispensable que l’aîné de la famille assiste à notre conversation.»
François travaillait dehors, Martin cour est le chercher.
MADAME DE SAINT-CYR.
Mes enfants, c’est aujourd’hui que vous allez comprendre tout ce que vous devez à vos parents; c’est aujourd’hui que vous allez recueillir leur héritage: vous êtes bien jeunes, et pourtant vous m’inspirez une grande confiance; le respect que vous avez toujours eu pour votre mère, l’ardeur que vous apportez au travail, nous déterminent, mon mari et moi, à vous laisser la ferme.
— Grand Dieu! s’écrièrent-ils tous ensemble, sans pouvoir ajouter un mot de plus.
MADAME DE SAINT-CYR.
Je vous crois capables de continuer les travaux que vous avez commencés sous la conduite de votre mère. François prendra des journaliers, Renotte s’occupera de l’intérieur et de l’étable; Martin sera soumis à son frère et à sa sœur, et, s’il le veut, il leur rendra beaucoup de services. A huit ans, un garçon peut déjà avoir sa tâche de chaque jour: garder les vaches et les dindons, cueillir de l’herbe pour les lapins, ramasser les fruits et ne pas les manger.
LA GRAND’MÈRE.
Ah! ma fille! je ne sais si je survivrai à un pareil coup de bonheur! La respiration me manque
Effectivement, la bonne vieille, affaissée sur son fauteuil, était défaillante. Mme de Saint-Cyr lui prit les mains; les enfants, agenouillés devant elle, l’appelaient des plus doux noms. Un torrent de larmes vint soulager son cœur oppressé et la rappela à elle-même.,
MADAME DE SAINT-CYR
Et toi, ma Renotte, tu seras une bonne et gentille fermière,
RENOTTE.
Ma marraine, je suis dans un rêve comme en pleine nuit noire. J’ai bien lu des histoires déjà, mais je n’en connais pas d’aussi jolies. Êtes-vous bonne! Seigneur! si c’est vrai que je suis éveillée! Je ne saurai ça au juste que demain.... ma petite taille n’y fera rien. J’en vaudrai bien une autre.... il me vient déjà des idées, ma marraine.
MADAME DE SAINT-CYR.
N’en aie qu’une à la fois, mon enfant; consulte ta grand’mère; grandis, et un jour tu seras digne de ma pauvre Jacquine.
RENOTTE.
Ma marraine, m’est avis qu’il n’est pas nécessaire d’être bien haute pour avoir des idées; vous ne l’êtes quasiment pas plus que moi, et....
MADAME DE SAINT-CYR.
C’est égal, crois-moi: grandis encore.
Après avoir dit des paroles d’encouragement à tous, après avoir embrassé la mine fraîche de Renotte, la bonne Mme de Saint-Cyr retourna radieuse chez elle.
Les nouveaux fermiers de la Guiberdière furent bientôt connus au château. Élisabeth pensait que son amitié pour Renotte y était pour quelque chose, et Mlle Ysabeau, qui avait été consultée, se félicitait d’avoir contribué à faire des heureux,
Faisons connaissance avec ce nouveau personnage:
Il y avait quarante-huit ans que Mlle Ysabeau était entrée dans la famille comme ouvrière. Les qualités de la jeune fille n’échappèrent pas à la mère de Mme de Saint-Cyr qui la prit à titre de femme de chambre quelques années plus tard. Cette nouvelle condition développa rapidement l’intelligence et les vertus d’Ysabeau. Son zèle et son dévouement dépassèrent tout ce que les maîtres peuvent attendre des meilleurs serviteurs: elle était à la fois femme de chambre, bonne d’enfant et garde-malade. De tous les présents que Mme de Saint-Cyr reçut de sa mère en se mariant, son Ysabeau était le plus précieux quoiqu’il tint fort peu de place. Quand elle entrait dans un intérieur de diligence, les voyageurs lui souriaient: c’était un petit paquet si facile à placer! le regard de la jeune fille était doux et ferme, on devinait aisément de quoi elle serait capable un jour.
A l’époque où nous trouvons Mlle Ysabeau à la Volière, elle est femme de charge. Elle a soixante-huit ans, veille à tout, transmet les ordres de sa maîtresse, et s’assure de la manière dont ils sont exécutés. La position est délicate: mais Ysabeau a de l’esprit et sait s’en servir. Les enfants aiment et respectent cette fidèle servante; son nom retentit sans cesse dans le château: on a besoin d’elle partout et à toute heure.
Par ses soins, le fruitier se remplit; des bataillons de pots de confitures témoignent de sa science; les noix, les châtaignes et jusqu’aux pièces de toile, font partie de son empire. Elle passe l’hiver au château, maintient le bon ordre et reçoit les comptes des fermiers. Lorsque les maraudeurs circulent dans le pays, Ysabeau laisse les volets entr’ouverts dans plusieurs pièces, des veilleuses y brûlent toute la nuit; car elle se rappelle qu’un misérable assassin avait dit lui-même en pleine cour d’assises: «Ce que nous redoutons le plus dans nos entreprises, ce sont les petits chiens et la lumière.»
L’excellente personne est tellement identifiée avec la famille qu’elle dit: «Notre château, nos enfants, nos fermiers.»