Читать книгу Les Enfants de la ferme - Julie Gouraud - Страница 5
ОглавлениеLA GUIBERDIÈRE.
Mme de Saint-Cyr à qui appartenait cette jolie propriété y avait passé son enfance. Elle avait eu pour nourrice la mère Bolève qu’elle aimait tendrement; Jacquine était donc sa sœur de lait, et avait pris la direction de la ferme lorsqu’elle eut épousé Goujon, un brave travailleur, et qu’elle eut perdu son père.
Chaque année la baronne quittait son château et venait habiter la Guiberdière pendant quelques semaines.
Jacquine étant devenue veuve, ses maîtres lui laissèrent la ferme; c’était une femme active, d’un rare bon sens, pleine de respect pour sa vieille mère; elle avait élevé ses enfants dans la crainte et l’amour de Dieu.
La vigueur de François et l’activité de Renotte lui donnaient confiance dans l’avenir. Martin était bien un enfant terrible, mais il avait huit ans: que ne pardonnait-elle pas à ce Benjamin?
Jamais la fermière n’avait été en retard d’un jour avec ses maîtres.
La Toussaint étant venue, elle partait pour le château et Mme de Saint-Cyr, voyant sortir de sa poche un sac d’argent, lui disait en souriant:
«Tu es trop exacte, ma pauvre Jacquine; tu fais honte à nos gros fermiers qui ont toujours des raisons pour nous faire attendre. Ne te gênes-tu pas pour m’apporter ces mille francs d’un coup?»
Pour toute réponse, Jacquine souriait, et, après avoir déjeuné avec M. et Mme de Saint-Cyr, elle s’en retournait fière et heureuse d’avoir réglé ses comptes avec sa sœur.
La mort de Jacquine fut un grand malheur pour ses enfants encore si jeunes. La grand’mère Bolève, âgée de soixante-six ans, restait l’unique soutien des orphelins; car, en pareille circonstance, il ne faut pas compter les parents éloignés et hors du pays.
La grand’mère espérait que les maîtres ne les abandonneraient pas; ils étaient parrain et marraine de Renotte, et même la petite avait reçu au baptême le nom de Renée que portait Mme de Saint-Cyr, et dont on avait fait Renotte; ils lui témoignaient un tendre intérêt. «Mais, la mort! pensait la pauvre femme, ça vous retourne tout!»
Les enfants aiment leur mère; ils pleurent, si elle vient à mourir; à chaque instant du jour, ils sentent combien cette mère leur manque. Ils comprennent tout seuls que personne ne peut égaler la patience et la bonté des mamans. C’est bien autre chose, mes enfants, lorsque la mère qui est morte assurait par son travail le pain quotidien!
«Hélas! disait la grand’mère, encore quelques années, et vous étiez d’âge à vous tirer d’affaire! Jacquine se serait reposée, et moi, j’aurais pris tranquillement ma place au cimetière! Quel embarras je vais être pour vous, mes pauvres petits!
RENOTTE.
Grand’mère, ne dites pas cela; sans vous nous serions mille fois plus à plaindre. Moi, d’abord, je suivrai tous vos conseils, et je deviendrai une bonne fermière. François nous protégera et il travaillera ferme.
FRANÇOIS.
Tu as raison, Renotte; Je ne serai pas embarrassé pour gagner votre vie et la mienne; mais, nous séparer! s’en aller l’un à droite, l’autre à gauche, ça crève le cœur! Nous étions si heureux! Espérons pourtant; notre mère nous le dit du haut du ciel. M’est avis que Mme de Saint-Cyr prendra grand’mère au château, que Martin sera placé dans une ferme, et que toi......
RENOTTE.
Moi!
FRANÇOIS.
Eh bien! Mlle Élisabeth t’aime, tu es adroite à tout; tu seras sa petite femme de chambre; elle qui ne peut passer huit jours sans te voir, quand elle est par ici.»
Renotte rougit jusqu’au front; ses yeux, si doux d’ordinaire, semblaient menacer François. Elle gardait le silence. François, ébahi d’avoir produit un pareil effet, en disant une chose toute simple, selon lui, ne savait plus quelle contenance tenir.
RENOTTE.
Y penses-tu, mon frère? moi, ne plus bêcher, ne plus sarcler le jardin, ne plus soigner nos vaches et nos couvées! Non, non; si je ne soigne plus nos bêtes, je soignerai celles des autres: ça me consolera. Il y a des filles de quinze ans qui ne sont pas plus habiles que moi, avec mes treize ans de l’autre jour.
«Enfants, dit la grand’mère qui écoutait Renotte avec admiration, abandonnons-nous à la Providence; toutes vos diries ne signifient rien. Faisons la prière comme de coutume, comme si elle était encore au milieu de nous.»
La grand’mère s’agenouilla, son maintien était ferme et sa voix aussi. Elle portait alternativement ses regards sur le crucifix et sur les orphelins,