Читать книгу Les Enfants de la ferme - Julie Gouraud - Страница 8

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CHAPITRE V.

Table des matières

LE MARCHÉ.

Cependant une question très-grave était agitée chaque jour: il fallait aller vendre les légumes et le beurre, et à qui confierait-on cette grande affaire? Si François s’absentait, non-seulement sa journée serait perdue, mais on pouvait craindre que les journaliers ne fissent que la moitié de leur besogne. Renotte pouvait bien sans doute aller au marché une fois par hasard. Elle avait accompagné sa mère. Elle connaissait les pratiques et ne manquait pas de prudence, de plus, elle savait compter. L’été de la Saint-Martin ne pouvait toutefois faire oublier la rigueur de l’hiver; la neige et la glace viendraient en leur temps.

La mère Bolève avait des craintes d’une autre nature: le froid ne l’effrayait pas plus que la chaleur pour une fille courageuse comme sa Renotte; mais la laisser courir les chemins n’était-ce pas une grande imprudence?

RENOTTE.

N’est-ce que cela, mère? Je ferai la route avec notre voisine Gotton. Je vais la prévenir, et, dès demain cinq heures, nous partirons ensemble. J’ai déjà prévenu Trottin qui en a dressé les oreilles de plaisir. La bonne bête! Il lui tarde de prendre sa charge. Tout est prêt: j’ai des œufs pour M. le greffier, une paire de dindons pour le gros chef de la Boule-d’Or, et des pruneaux pour la pharmacienne. Allons, allons; faut pas se laisser abattre!

Le lendemain, bien avant l’heure du lever, toute la famille fut réveillée en sursaut par le chant d’un coq que maîtresse Renotte avait caché sous son lit. La fermière n’avait pas eu confiance en François pour l’éveiller: aller au marché, montée sur Trottin, était une si grande affaire!

On rit beaucoup de l’expédient. Toutefois, il fut convenu que désormais le coq chanterait chez lui.

Manette aida sa maîtresse à charger Trottin. Renotte était proprement vêtue. Un capot couvrait sa tête, sans rien cacher de sa mine fraîche. Le mannequin était rempli de légumes et la selle de l’âne était garnie de dindons, de canards, d’un lapin et d’oisillons que Martin avait pris la veille.

A l’heure dite, la jeune fille était devant la porte de Gotton. La paysanne fit compliment à sa petite voisine de son exactitude, tout en jetant, à la dérobée un coup d’œil sur les richesses dont Trottin était porteur.

Notre fermière éprouvait un serrement de cœur d’arriver seule au marché. Cette route qu’elle avait faite tant de fois à côté de sa mère, lui semblait bien longue! Tout ce qui avait passé sous ses yeux, depuis des années, lui paraissait nouveau! Heureusement que Trottin ne se laissait pas impressionner par les circonstances; il avançait d’un pas ferme et régulier.

Il n’y a, dit-on, ni femme ni petite fille capables de faire une lieue sans parler. D’ailleurs, Gotton se croyait obligée, en conscience, de donner des conseils à Renotte: «Ah! çà, mignonne, informe-toi bien du prix du beurre; tâche de bien engeôler ton monde; n’aie pas honte de surfaire un peu. Les gens sont si peu raisonnables! Il faudrait leur donner tout pour rien! Vante ta marchandise; je ne serai pas à côté de toi; tu peux donc dire qu’il n’y en a pas de pareille.

RENOTTE.

On sait bien, Gotton, que tous les marchands vantent leur marchandise.

GOTTON.

Es-tu bonne! Ça ne fait rien; il en reste toujours quelque chose. L’essentiel, vois-tu c’est de parler; si tes dindons sont maigres, dis que ce sont les meilleurs.

RENOTTE.

Mais, si une autre fois ils sont gras, Gotton?

GOTTON.

Tu diras le contraire. Par exemple, je ne leur dirai pas que les noix sont creuses c’t’année; c’est à eux de le savoir, et, si j’en ouvre une, celle-là sera pleine.

RENOTTE.

Je ferai comme faisait ma mère, Gotton.

GOTTON.

Tu as raison dans un sens; mais Jacquine était comme on dit, Saint-Jean-Bouche-d’Or, et ça ne vaut rien pour le commerce.»

A l’approche de la barrière, la conversation cessa. Les charrettes, les chevaux et les ânes se disputaient le passage, et, si Trottin n’eût pas été d’humeur tant soit peu belliqueuse, Renotte serait passée après tout le monde.

Notre gentille enfant se rendit droit au marché, elle se mit à la place qu’occupait sa mère dont les anciennes pratiques l’accueillirent avec intérêt. Suivant le conseil de Gotton, elle s’informa du prix des denrées, ne chercha pas à gagner davantage, mais ne consentit à aucune diminution.

Cette méthode vraie et simple d’agir n’attire pas tout le monde; aussi notre pauvre Renotte resta longtemps accroupie près de sa marchandise, pendant que Trottin, les épaules légères, déjeunait tranquillement à la porte du boucher, se disant peut-être que, grâce à son humble condition, il ne courait point risque d’être accroché un jour en compagnie des tendres agneaux.

Les fidèles pratiques de Jacquine vinrent enfin; elles marchandèrent à outrance et comprirent bientôt que la jeune paysanne était fidèle aux honnêtes traditions de sa famille.

L’air était piquant; Renotte avait de belles couleurs que relevait encore le fichu noir qui encadrait son visage; ses doigts étaient engourdis non pas toutefois au point de l’empêcher de compter son argent et de le mettre dans un bon sac de toile neuve.

Il y avait de beaux rosiers dans le potager de la Guiberdière, et Renotte s’était dit qu’un bouquet de roses, le dernier de la saison peut-être, aurait son prix, et qu’elle s’achèterait une bonne paire de mitaines, sans prendre de l’argent du sac.

Notre gentille enfant se rendit au marché. (Page 36.)


Dix personnes avaient touché et admiré le bouquet sans même en demander le prix, lorsqu’une demoiselle, accompagnée d’une vieille servante, s’arrêta: «Combien vos roses, ma petite?

RENOTTE.

Quinze sous, mademoiselle.

— Oh! que c’est cher? sont-elles cueillies de ce matin?

RENOTTE.

D’hier soir, mademoiselle; mais elles ont passé la nuit au frais.

— Dix sous alors?

RENOTTE.

Le bouquet est gros, mademoiselle; voyez!

— Je n’en veux pas: des roses cueillies de la veille seraient fanées ce soir.»

La domestique leva les épaules et dit bas à Renotte: «Pourquoi lui avez-vous dit la vérité ?» Renotte remit tristement les roses dans le mannequin vide. «Mon Dieu! pensait-elle, s’il faut mentir pour réussir, je ne ferai jamais fortune: c’est singulier ça! cette demoiselle avait l’air si gentil!»

Renotte regardait ses mains rouges: l’heure s’avançait; il fallait partir. Gotton ne venait pas comme c’était convenu. La fermière remercia le boucher d’avoir supporté Trottin à sa porte, remit la bride à celui-ci et se dirigea vers une rue où se trouvait une mercière de sa connaissance; elle voulait acheter des boutons pour mettre à la veste du dimanche de Martin.

MADAME MOULINET.

Et bien! ma pauvre fille, te voilà seule! moi qui aimais tant ta mère! que veux-tu? la vie est comme le baromètre; ça monte et ça descend; mais, du beau fixe, il n’y en a pas dans ce bas monde. Ça viendra plus tard! faut encore remercier le bon Dieu de ce qui vous arrive, mes enfants. Mener une ferme à votre âge! C’est à croire qu’on rêve. Après tout, si j’étais une baronne, j’aimerais joliment à faire de ces tours-la aux braves gens. Et, dire qu’il y a des maîtres qui partageraient une noix avec leurs fermiers!

Tu as tout vendu, il me semble?

RENOTTE.

Oui, madame Moulinet; sauf un beau bouquet de roses, parce que j’ai dit la vérité.

MADAME MOULINET.

Explique-toi.

RENOTTE.

Une demoiselle m’a demandé si je l’avais cueilli ce matin, j’ai répondu non, mais hier au soir; et là-dessus, elle s’est en allée en méprisant mes fleurs. Sa vieille bonne a levé les épaules et a blâmé ma franchise. Voyez, madame Moulinet, si ces roses ne sont pas fraîches comme l’aurore.

MADAME MOULINET.

Je le prends ton bouquet; combien en veux-tu?

RENOTTE.

Quinze sous, juste de quoi avoir une paire de mitaines, car je n’ai pas chaud.

MADAME MOULINET.

Je vas te donner une paire de mitaines, ma fille, et les boutons par-dessus le marché, je n’en serai ni plus ni moins riche. Oh! le beau bouquet! Les fleurs! ça me rappelle ma jeunesse, la campagne, les oiseaux et le jardin de ma pauvre mère. Es-tu contente? On ne le dirait pas à ta mine.

RENOTTE.

Tenez, je vais vous dire, madame Moulinet; j’ai le cœur serré de voir qu’il faudrait tromper son monde pour réussir, et je ne le ferai jamais.

MADAME MOULINET.

Ne t’inquiète pas, mon enfant; la vérité triomphe toujours. On finira par te connaître et l’on viendra droit à toi. C’était le principe de Moulinet; je l’ai suivi, et, maintenant que je suis veuve, les affaires marchent comme si le pauvre cher homme était là. Je suis connue dans toute la ville d’Angers pour ne tromper personne, pas plus un enfant qu’un vieillard, et je ne craindrai pas de paraître devant le bon Dieu avec mon aune et mes balances. Maintenant donne-moi cette monnaie qui crève ta poche et prends ces écus.

Renotte remercia la marchande, laquelle lui souhaita un bon voyage, donna une tape sur la croupe de Trottin et rentra dans sa boutique recevoir les chalands.

Cette conversation n’eut pas seulement l’heureux effet de consoler Renotte, elle permit à Gotton de terminer ses affaires, et à peine Trottin avait-il pris son allure, que les deux voisines se rencontrèrent.

Nous sommes trop impatients de revoir la Guiberdière, pour perdre notre temps à écouter les nouvelles dont Gotton était fournie.

Il est aisé de croire que l’arrivée de la jeune fermière fut un véritable évènement. Sauter à terre, appeler Manette et lui confier le soin de Trottin, fut l’affaire d’un instant.

La grand’mère sourit en voyant entrer Renotte dont la mine réjouie était à elle seule un bon compte-rendu de la vente. La jeune fille se mit à genoux devant son aïeule et lui raconta comment elle s’était tirée d’affaire et, pour conclusion, elle lui remit quatre écus de six francs; elle n’eut garde d’oublier l’histoire du bouquet de roses et des mitaines.

La soirée fut gaie ce jour-là ; Renotte recommença le récit de son voyage pour François; et, tout en babillant, elle accomplissait ses devoirs de ménagère; le cotillon retroussé, elle fit l’omelette sur un beau feu de sarments qui éclairait mieux la chambre que la petite chandelle de résine, placée sous le manteau de la cheminée.

«Ils sont heureux! pensait la vieille mère; comme les larmes sèchent vite, quand on est jeune!»


Les Enfants de la ferme

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