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CHAPITRE VII

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Table des matières

Compétence littéraire nécessaire à un directeur de théâtre.—Établissement théorique des frais généraux de mise eu scène.—L'art dramatique exigerait des vues à longue portée.

Nous avons jusqu'à présent insisté sur ce fait que l'effet représentatif, obtenu par la mise en scène, devait être inversement proportionnel à la valeur intrinsèque de l'oeuvre dramatique. En un mot, il faut contre-balancer, par l'emploi des arts accessoires, ce que l'effet direct de la poésie sur l'esprit du spectateur serait impuissant à obtenir. Ainsi il arrive assez souvent que dans une pièce ayant une valeur intrinsèque incontestable, mais dont les différents actes ont une puissance dramatique inégale, on est obligé de masquer la langueur momentanée de l'action par un habile déploiement de mise en scène. Ce qui domine donc tout d'abord la mise en scène d'une oeuvre dramatique, c'est le jugement littéraire qu'en porte le directeur chargé des soins et de la responsabilité de la représentation. Un directeur incapable de formuler un jugement sur une pièce n'est qu'un entrepreneur de spectacles. En dehors de ce cas, il est clair que l'intérêt même de l'exploitation est lié à la sûreté de jugement du directeur; car, s'il parvient à tirer quelque profit d'une oeuvre faible au moyen de quelques dépenses de mise en scène, d'un autre côté, ce serait une dépense perdue et par là inintelligente que de se résoudre aux mêmes frais pour une pièce qui ne l'exigerait pas.

Chaque fois qu'on met un train de chemin de fer en marche, le nombre des wagons que la machine doit tirer est calculé sur le nombre présumé des voyageurs; et le poids du train détermine la force que doit produire la machine et par suite la dépense qu'occasionnera la traction. Que dirait-on du chef d'exploitation qui ferait une grande dépense de combustible pour mettre en marche un train toujours composé d'un même nombre de wagons, quel que soit le nombre des voyageurs? Que dirait-on d'un mécanicien qui ne saurait pas profiter de la déclivité du sol et de la vitesse déterminée par le seul poids du train pour diminuer la force de traction et par suite la dépense de combustible? On pourrait ainsi rassembler un grand nombre d'exemples ayant tous un rapport plus ou moins prochain avec les devoirs et les préoccupations d'un directeur de théâtre. Tous conduiraient à la même conclusion: à savoir que les frais de mise en scène doivent être en raison inverse de la valeur propre de l'oeuvre représentée. L'idéal pour un directeur, serait de n'avoir à monter que des pièces qu'on pût représenter dans un décor banal.

Ainsi donc, la direction d'un théâtre exige deux conditions de celui qui assume la responsabilité d'une pareille entreprise. La première est qu'il soit en état de porter un jugement sur la valeur intrinsèque des oeuvres dramatiques; la seconde, qu'il ait la sagesse de faire dépendre les frais de mise en scène du jugement qu'il a porté. Je ne sais si beaucoup de directeurs remplissent ces deux conditions. En tout cas, ce qu'on voit fréquemment, ce sont des pièces, que la critique qualifie d'ineptes, rapporter de grosses sommes d'argent à la faveur d'une éblouissante mise en scène. On peut donc croire que les directeurs remplissent la seconde condition, au moins chaque fois qu'il ne s'agit que d'exagérer la mise en scène. La première condition paraît beaucoup plus rare; elle exige non seulement une compétence spéciale, mais encore un labeur quotidien et persévérant, sans lequel la direction d'un théâtre n'est pas très différente d'une simple partie de baccarat. Les directeurs se plaignent de ne pas rencontrer de chefs-d'oeuvre; mais ont-ils la conscience de faire tout ce qu'il faut pour trouver, non des chefs-d'oeuvre qui sont toujours choses rares, mais seulement des pièces véritablement estimables? Malheureusement, la direction d'un théâtre n'est trop souvent qu'une entreprise financière dont les gains doivent être immédiats, ce qui ne se concilie pas avec des vues à longue portée. Un directeur avisé et prévoyant serait celui qui monterait une pièce, même médiocre, s'il devinait dans son auteur un sens dramatique capable de produire un chef-d'oeuvre dans dix ans. Faute de cette prévision d'avenir, que leur interdit la nécessité d'un gain immédiat, les directeurs forcent les auteurs à rester de jeunes auteurs jusqu'à soixante ans. C'est ainsi que les directeurs, qui se plaignent, contribuent plus que tout autre à la décadence de l'art dramatique et à la ruine de ceux qui leur succéderont.

L'art de la mise en scène: Essai d'esthétique théâtrale

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