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DES HOMMES APPELÉS A DIRIGER LE GOUVERNEMENT.

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Tous les hommes sont à peu près faits de la même sorte, tous ont à peu près les mêmes facultés les mêmes passions, les mêmes besoins, les mêmes faiblesses. Il n’y a de différence entre eux que par la différence de leur éducation et de leurs positions sociales.

De l’Éducation.

L’éducation du peuple ( je parle seulement des premières classes; les dernières, qui ne reçoivent aucune éducation et n’ont d’ailleurs aucune importance dans la société, ne sont jamais comptées pour l’exercice du pouvoir politique), l’éducation du peuple, dis-je, est toute financière. Il faut exercer un état, augmenter sa fortune assurer un sort à ses enfants; et toutes les vues du peuple se portant de ce côté, il n’a ni la capacité ni le loisir nécessaires pour s’élever à la hauteur de la politique.

Le prince, au contraire, est instruit pour commander, pour tenir le gouvernail de l’état, et toutes ses études sont dirigées vers ce but; on l’habitue de bonne heure à voir les choses de haut, en grand, à embrasser, à traiter dans leur ensemble tous les intérêts, tous les besoins des peuples.

Si donc le peuple, la démocratie, est appelée à gouverner, comme elle n’est point assez éclairée, comme le plus souvent les affaires qu’il s’agira de traiter seront au-dessus de sa portée, comme elle aura d’ailleurs à prononcer sur des matières qu’elle n’aura pas eu le loisir de méditer, qui n’auront pu occuper la pensée que d’un petit nombre; comme enfin elle est de sa nature toujours fort irréfléchie; elle jugera avec précipitation, en aveugle: l’éloquence du premier orateur la fera donner tête baissée dans les affaires les plus épineuses, les plus graves, et le sort de l’état sera subordonné à la capacité plus ou moins grande de l’orateur, sera à la merci de sa probité ou de son infidélité.

Si c’est le prince qui tient les rênes de l’état, elles seront nécessairement en meilleures mains, puisque le prince, en les dirigeant, fera son métier, parcourra la carrière pour laquelle il se sera exercé dès son enfance. Il pourra d’ailleurs réfléchir à loisir aux affaires importantes, méditer avant d’agir; et, éclairé de son conseil, des hommes d’une capacité, d’une probité bien reconnues, il aura évidemment dans toutes les grandes affaires, les décisions importantes, un immense avantage sur cette turbulente démocratie gouvernée par les passions de ses orateurs.

Il n’est pas aussi facile de montrer que, sous le rapport des lumières, de la sagesse, le prince, soutenu de son conseil, l’emporte sur l’aristocratie, sur la réunion des personnages les plus distingués de l’empire.

Bien que les grands talents qui peuvent décorer l’aristocratie dans les sciences, les arts et les lettres, ne soient pas précisément des titres pour le gouvernement des affaires publiques;

Bien que dans l’aristocratie il soit difficile de trouver beaucoup de personnages dont toutes les études et toutes les méditations aient été, comme celles du prince, dirigées directement vers la politique;

Bien qu’un grand nombre de citoyens ne puissent connaître comme le prince et les affaires intérieures de l’empire, et celles du dehors, le caractère des princes et ministres étrangers, leur politique, leurs forces, leurs ressources, etc., el par conséquent être aussi à portée que le prince de bien peser toutes choses et de bien asseoir leurs délibérations;

Je n’ose avancer que les délibérations du prince avec son conseil seront plus éclairées et mériteront plus de confiance que celles d’une assemblée aristocratique d’un sénat.

Si le gouvernement du prince est préférable à celui de l’aristocratie c’est par d’autres côtés, que nous allons tout à l’heure envisager et apprécier.

Des positions sociales.

La différence des positions sociales fait que tous les hommes, avec les mêmes passions, le même entraînement vers leur bien-être, se portent cependant sur des objets différents. Le citoyen pauvre cherche à amasser des richesses; le riche vise aux honneurs; et le prince qui, par son rang, jouit des plus grandes richesses, des plus grands honneurs possibles, cherche à acquérir de la gloire.

La même différence des positions sociales en produit une fort grande quant aux barrières qui peuvent contenir l’exercice du pouvoir dans de certaines bornes en prévenir les excès.

De là vient que, toutes choses fussent-elles égales d’ailleurs, le pouvoir sera mieux placé dans telles mains que dans telles autres.

SI C’EST LA DÉMOCRATIE qui exerce le pouvoir, dans le civil comme dans l’armée, elle envahira tous les emplois,

D’abord parceque chacun de ces modestes citoyens ayant peu de fortune, ayant pour ainsi dire son sort à faire, aura besoin de fonctions lucratives pour se créer une existence; ensuite parceque les grands qui jouissent toujours, par leurs richesses et leurs positions, dans l’état d’une grande influence, étant toujours prêts à se saisir du pouvoir, la, démocratie, pour le conserver, sentira la nécessité d’en exclure l’aristocratie, comme cela est arrivé dans notre révolution, dans plusieurs républiques d’Italie, particulièrement à Florence, où les noms de tous les nobles étaient consignés dans un registre d’exclusion().

Il arrivera de là :

Que les choses ne seront point à leurs places que les premiers citoyens de la nation, ceux qui, par leurs fortunes, ont le plus d’intérêt à la conservation de l’état, au maintien de l’ordre ne prendront aucune part dans les affaires publiques et que la patrie privée de leur appui, sera aussi privée de leurs talents, de leurs lumières;

Que les emplois publics, étant envisagés principalement sous le rapport financier, seront remplis moins honorablement, moins avantageusement pour l’état, que s’ils avaient été brigués pour l’honneur et la considération qui y sont attachés.

Enfin que le fisc et tous les deniers publics cette partie si délicate de l’administration, qui valut à Caton de si grands éloges, étant dans les mains des citoyens qui en ont le plus besoin seront susceptibles d’être moins respectés.

«Il faut dans le gouvernement, dit Aristote, des gens

» libres et qui aient de la fortune pour bien soutenir les

» charges; il n’est pas possible qu’un état subsiste tout

» composé de pauvres.»

Ainsi la démocratie, en suivant dans son règne le sentiment de son intérêt, la passion commune du bien-être se trouvera exercer cette passion au détriment de l’état.

D’un autre côté la position de la démocratie, qui la rend déjà envahissante, exclusive, lui ôte encore toute espèce de frein dans la conduite du gouvernement: elle n’a aucune mesure à garder, aucune responsabilité ; car, formant la majorité de la nation, elle n’est comptable qu’envers elle-même, elle ne rencontrera jamais aucune résistance effective qui puisse la contenir dans de justes bornes, puisqu’elle possède tout à la fois le pouvoir et la puissance réelle; avec cet excès de puissance, elle bouleversera l’état, l’exposera continuellement à des secousses, des guerres civiles; parceque capricieuse et légère comme elle l’est, elle ne saura se fixer à rien: elle détruira les lois les plus anciennes, les mieux éprouvées par le temps, pour y substituer l’œuvre de son inexpérience; elle détruira le lendemain son ouvrage de la veille; elle ira toujours d’inconséquence en inconséquence, sans jamais suivre d’autres plans, d’autres maximes que son impétueuse et aveugle volonté.

SI C’EST L’ARISTOCRATIE qui est investie du pouvoir, comme elle possède les plus grandes fortunes de l’état son ambition s’attachera principalement aux honneurs: elle abandonnera au peuple beaucoup d’emplois lucratifs, et se bornera dans l’armée aux grades supérieurs; elle laissera partout le peuple aborder. Son but sera de conserver la puissance; elle ne barrera le peuple que pour les emplois trop influents.

Les choses de cette sorte seront mieux dans leur ordre, puisque les citoyens les plus intéressés aux affaires de l’état et les plus éclairés y prendront la principale part, puisque le peuple, qui a pour son domaine le commerce et l’industrie pourra néanmoins voir un grand nombre de ses membres s’élever par leurs richesses ou se faire jour par leurs talents, et que chacun sera ainsi casé plus convenablement pour le maintien de la tranquillité publique, et par suite pour ses intérêts particuliers et ceux de la patrie.

D’ailleurs les emplois publics, étant envisagés par l’aristocratie principalement sous les rapports honorifiques, sous le rapport de la considération, de l’influence qu’ils procurent, devront être exercés avec plus de dignité et plus utilement pour l’état.

C’était par le besoin de considération, de ce sentiment si délicieux pour une ame bien née que nos anciens magistrats des cours souveraines non seulement se dévouaient gratuitement à l’exercice de fonctions laborieuses, mais encore payaient fort cher l’honneur de rendre la justice: l’on pense bien que pour aspirer à une pareille considération il fallait avoir table mise.

Enfin l’aristocratie, par ses richesses personnelles, n’aura point à songer à se faire une existence aux. dépens du fisc, et les deniers publics dans ses mains devront être mieux administrés.

«Les riches, dit encore Aristote, sont moins exposés à

» la tentation de mal faire, ayant par-devers eux ce qui

» tente les autres; de là vient qu’on les qualifie de gentilshommes

» de notables, d’honnêtes gens.»

Lorsque les généraux romains rentraient en triomphe dans Rome charges des dépouilles et des trésors des rois vaincus le sénat faisait toujours déposer scrupuleusement ces richesses dans le trésor public, pour être employées aux besoins du peuple, sans s’en approprier la moindre partie. Le sénat se contentait des honneurs dont il jouissait.

L’on voit que, par sa position, l’aristocratie, en obéissant comme la démocratie au sentiment de son intérêt, de son bien-être se trouvera pourtant mieux agir dans l’intérêt de la patrie.

Mais elle s’y trouvera particulièrement engagée par le seul aspect de la démocratie.

L’aristocratie, toujours en face de la puissance jalouse et observative du peuple, pour se maintenir, reconnaîtra qu’il ne faut pas qu’elle se livre à ses caprices, qu’elle fasse peser sur le peuple une puissance tyrannique, qu’elle rende sa condition si fâcheuse qu’elle puisse l’entraîner à la révolte à se saisir du pouvoir. Par cette perspective, l’aristocratie sera contenue; elle sera obligée dans son règne, de garder certaines mesures, de s’appuyer sur un tond de justice, de modération, qui pourra seul lui conserver l’empire.

ENFIN SI C’EST LE PRINCE qui dirige le gouvernement, jouissant par sa position de tous les avantages de la fortune et du pouvoir il n’aura pas besoin d’envahir, de faire des exclusions; et chaque membre, chaque classe de la nation pourra mieux jouir de ses droits arriver à son rang; toutes choses pourront mieux se mettre dans leur ordre naturel, sans qu’il puisse y avoir obstacle de la part du prince; ou plutôt le prince, le premier et le plus riche citoyen de l’état, le plus intéressé à sa conservation, sera aussi le plus intéressé à ce que dans l’état tout se coordonne, soit en harmonie, marche de concert; et de cette manière tous les intérêts se confondront.

D’une autre part, le prince, tourmenté ainsi que tous les autres hommes par le besoin de son bien-être, d’en agrandir la sphère, pourra exercer cette passion, non, comme la démocratie, au détriment de l’état, ou, comme l’aristocratie, en froissant certains intérêts du peuple, mais en faisant des heureux en gouvernant ses peuples par la justice, en faisant observer strictement les lois. en encourageant l’industrie en faisant fleurir les sciences et les arts; enfin, en faisant jouir ses peuples de beaucoup de prospérité, d’une grande gloire, gloire qui rejaillira nécessairement sur le prince, et le comblera des plus hautes faveurs qu’un simple mortel puisse obtenir sur cette terre.

Si le prince, au lieu d’être animé par ces nobles sentiments, venait à méconnaître ses devoirs de gouvernant, les véritables voies de son bien-être; s’il s’avisait de vouloir fouler aux pieds les intérêts de ses sujets, se jouer de leurs besoins, de leur détresse, le sentiment de sa sûreté, de sa propre conservation, le ramènerait bientôt à un gouvernement moins tyrannique, plus modéré, plus sage; car il aurait à craindre que poussés par ses excès, les peuples ne vinssent à se révolter, à lui arracher l’empire, à mettre le tyran dans de grands dangers; et comme sa puissance réelle est beaucoup moindre que celle de l’aristocratie, et qu’il a toujours en face et l’aristocratie et le peuple, c’est-à-dire toute la nation, il sera encore mieux contenu que l’aristocratie dans de justes bornes par la perspective des suites qu’auraient ses excès, de leur réaction sur lui-même.

EN RÉSUMÉ le.sentiment de notre bien-être que chacun porte dans le cœur, tournera dans la démocratie au détriment de l’état, fera mieux agir l’aristocratie dans l’intérêt national, et se développera dans le prince, s’exercera pour la prospérité, le bonheur de toute la nation.

D’un autre côté, la démocratie, si inconséquente et légère, et qui aurait tant besoin de frein dans l’exercice du pouvoir, par sa position sociale n’en aura aucun; l’aristocratie sera contenue dans de certaines bornes par la puissance du peuple, et le prince par la nation tout entière.

D’après ces considérations, et encore d’après ce que nous avons expliqué, au commencement de ce paragraphe, sur la supériorité de l’éducation et des lumières du prince, et dans le chapitre précédent sur la tendance du pouvoir vers le despotisme, l’on peut conclure, je crois, que le gouvernail de l’état sera mieux placé dans les mains de l’aristocratie que dans celles de la démocratie, et beaucoup mieux dans celles du prince que dans les mains de l’aristocratie.

L’on se convaincra de cette vérité en étudiant le règne de la démocratie en France, en Angleterre, en Italie, à Rome dans les derniers temps de la république et à Athènes après la mort de Périclès.

Le règne de l’aristocratie à Carthage, avant la deuxième guerre punique; à Rome, avant la chute de Carthage; à Venise, etc.; et le règne des princes par toute la terre.

Quant aux principales objections qui peuvent être faites sur ces divers points, elles seront produites et l’on y répondra dans le paragraphe suivant.

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