Читать книгу Réflexions sur le meilleur gouvernement - L. de Zeller - Страница 3
PRÉFACE.
ОглавлениеL’étude de la politique dessèche l’âme, resserre, paralyse le cœur. La politique est pourtant l’art de rendre les hommes heureux; mais pour une si belle œuvre, pour en préparer le mécanisme, il faut considérer les hommes sous l’aspect le plus affligeant. Il faut les voir tous emportés par leurs passions, tous acharnés après le pouvoir, tous en abusant en raison des moyens qu’ils en ont. Il faut traiter les dépositaires du pouvoir en ennemis, se défendre contre eux par toutes sortes de remparts.
Ce ne sont pas là les seuls principes sévères qu’enseigne la politique; les riches dans une nation sont déjà assez favorisés, l’on souhaiterait que les citoyens moins heureux fussent dédommagés par les avantages du pouvoir, ou du moins que le pouvoir fût également partagé entre tous les citoyens. «Gardez-vous bien
» de telles mesures, s’écrie la politique; le pouvoir
» doit être donné aux moins nombreux, aux riches,
» pour défendre leurs personnes et leurs fortunes
» contre les pauvres, contre le plus grand nombre.»
En refusant au peuple l’exercice du pouvoir, il serait juste du moins de lui laisser le choix de ceux qui l’exercent, afin qu’il pût par son choix se prémunir contre les abus du pouvoir, et d’ailleurs se ménager une législation qui garantît sa liberté, son plus beau domaine. Mais la politique se présente encore armée de son veto: «Si le peuple dit-elle, parvient,
» de quelque manière que ce soit, à avoir le pas dans
» le gouvernement, il bouleversera l’état, le précipitera
» sous le régime révolutionnaire. Il est de rigueur
» de contenir le peuple, de dresser des digues contre
» sa puissance.»
Ainsi, il n’est pas possible en politique de s’abandonner à des sentiments généreux; c’est une nécessité de les comprimer sans cesse pour se livrer à une guerre défensive, s’enfermer au milieu de digues, de remparts, faire toujours sentinelle; observer les mouvements que la soif des richesses, du pouvoir, même de la liberté, peut faire naître dans l’un ou l’autre camp, s’armer de sévérité pour les punir, et se faire quelquefois violence pour réprimer des sentiments qu’au fond du cœur l’on admire.
Telles sont les impressions que j’ai ressenties dans mes courtes réflexions sur la politique.
N’ayant point d’opinion fixe, j’ai cherché à m’en former une. J’ai lu quelques auteurs, j’ai mis pour l’histoire ma mémoire à contribution et en méditant sur ce modeste fond, j’ai reconnu les nécessités dont je viens de parler; je suis arrivé à un résultat qui est bien l’expression de mon jugement, ou plutôt l’expression du jugement qu’a prononcé ma faible raison sur les documents que j’ai pu lui fournir, mais qui n’est pas la véritable expression des sentiments qu’un peu de philosophie inspire. Eh! qui pourrait, d’abandon de cœur professer les principes que je viens de rapporter? Mais, en politique comme dans toutes les circonstances de la vie, la raison impose continuellement des sacrifices, et c’est souvent avec peine qu’on suit la route qu’elle a tracée().
Bien que je ne sois lié pour l’opinion par aucun antécédent, que mes réflexions soient libres dans leur cours, et que j’aie apporté tous mes soins pour les soustraire à toute influence étrangère aux principes, je n’ose me flatter d’être impartial. La première pensée d’écrire m’est venue en relisant le Contrat social. L’auteur fait sortir, comme l’on sait, tout le système politique de la volonté des peuples. Au lieu de reconnaître dans cette volonté la cause créatrice de l’autorité et de la législation, il m’a semblé que la volonté des peuples était naturellement soumise à l’autorité et enchaînée à la législation qui satisfaisaient aux intérêts nationaux, et que, loin d’être principe, elle subissait la loi d’une sage politique qui prenait ailleurs ses titres et ses garanties. Mais du moment où l’on combat un système (autant cependant que l’incapacité peut combattre le génie) pour le remplacer par un autre il est bien difficile de se maintenir sur la ligne de l’impartialité. Toutes les idées se coordonnent avec la pensée principale qui a suggéré la discussion, sont pour ainsi dire l’œuvre de cette première pensée; et le jugement se laisse prévenir, parceque la mémoire et l’esprit lui fournissent plus d’arguments dans le sens du système que l’on soutient que dans le sens du système opposé. J’ai pu encore me laisser préoccuper par d’autres idées. Au reste, je développe ma pensée telle que je la trouve en moi, sans prétendre en expliquer l’origine. Ce sera au lecteur à juger si j’ai réussi dans mes efforts pour échapper à l’influence de la fausse position.
Sans talents et d’une instruction des plus ordinaires, mon travail présente nécessairement beaucoup d’incorrections, de lacunes et d’erreurs. Malgré son extrême imperfection qui tient aussi au peu de temps que j’ai pu y consacrer, je le publie dans l’espérance qu’il se rencontrera quelques écrivains qui prendront la peine de le lire, de mieux développer mes principes s’ils sont bons, ou de les réfuter dans le cas contraire, de manière que la publication me sera toujours utile.
Cherchant à me former une opinion, et par conséquent à savoir quel est le meilleur gouvernement, j’aurais dû donner à mon ouvrage le titre de Recherches au lieu de celui de Réflexions sur le meilleur gouvernement; mais j’ai préféré le titre Réflexions, parcequ’il ne m’engage à rien.