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XVII

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Lorsque Anna Mikhaïlovna et son fils avaient quitté la comtesse Rostow pour faire leur visite, ils l’avaient laissée seule, plongée dans ses réflexions et essuyant de temps en temps ses yeux pleins de larmes. Enfin elle sonna.

«Il me semble, ma bonne, dit-elle en s’adressant d’un ton sévère à la fille de chambre qui avait tardé à répondre à l’appel, que vous ne voulez pas faire votre service; c’est bien! Je vous chercherai une autre place!»

La comtesse avait les nerfs agacés; le chagrin et la pauvreté honteuse de son amie l’avaient mise de fort mauvaise humeur, ce qui se traduisait toujours dans son langage par le «vous» et «ma bonne».

«Pardon, madame, murmura la coupable.

— Priez le comte de passer chez moi.»

Le comte arriva bientôt en se dandinant et s’approcha timidement de sa femme:

«Oh! Ah! Ma petite comtesse, quel sauté de gelinottes au madère nous aurons! Je l’ai goûté, ma chère. Aussi ai-je payé Taraska mille roubles, et il les vaut.»

Il s’assit à côté de sa femme, passa une main dans ses cheveux et posa l’autre sur ses genoux d’un air vainqueur.

«Que désirez-vous, petite comtesse?

— Voilà ce que c’est, mon ami; mais quelle est cette tache? Lui dit-elle en posant le doigt sur son gilet. C’est sans doute le sauté de gelinottes? Ajouta-t-elle en souriant. Voyez-vous, cher comte, il me faut de l’argent.»

La figure du comte s’allongea.

«Ah! Dit-il, chère petite comtesse!»

Et il chercha son portefeuille avec agitation.

«Il m’en faut beaucoup… cinq cents roubles, reprit-elle, en frottant la tache avec son mouchoir de batiste.

— À l’instant, à l’instant! Hé, qui est là? Cria-t-il, avec l’assurance de l’homme qui sait qu’il sera obéi et qu’on s’élancera tête baissée à sa voix. Qu’on m’envoie Mitenka!»

Mitenka était le fils d’un noble et avait été élevé par le comte, qui lui avait confié le soin de toutes ses affaires; il fit son entrée à pas lents et mesurés, et s’arrêta respectueusement devant lui.

«Écoute, mon cher, apporte-moi, – et il hésita, – apporte-moi sept cents roubles, oui, sept cents roubles; mais fais attention de ne pas me donner des papiers sales et déchirés comme l’autre fois. J’en veux de neufs; c’est pour la comtesse.

— Oui, je t’en prie, Mitenka, qu’ils soient propres, dit la comtesse avec un soupir.

— Quand Votre Excellence désire-t-elle les avoir? Car vous savez que… du reste soyez sans inquiétude, se hâta de dire Mitenka, qui voyait poindre dans la respiration fréquente et pénible du comte le signe précurseur d’une colère inévitable… J’avais oublié… vous allez les recevoir.

— Très bien, très bien, donne-les à la comtesse. Quel trésor que ce garçon! Dit le comte en le suivant des yeux; rien ne lui est impossible et c’est là ce qui me plaît, car après tout c’est ainsi que cela doit être.

— Ah! L’argent, l’argent, que de maux l’argent cause dans ce monde, et celui-là me sera bien utile, cher comte.

— Chacun sait, petite comtesse, que vous êtes terriblement dépensière,» reprit le comte. Et, après avoir baisé la main de sa femme, il rentra chez lui.

La comtesse reçut ses assignats tout neufs, et elle venait de les recouvrir soigneusement de son mouchoir de poche, lorsque la princesse Droubetzkoï entra dans sa chambre.

«Eh bien, mon amie? Demanda la comtesse légèrement émue.

— Ah! Quelle terrible situation! Il est méconnaissable et si mal, si mal! Je ne suis restée qu’un instant, et je n’ai pas dit deux mots.

— Annette, au nom du ciel, ne me refuse pas,» dit tout à coup la comtesse en rougissant et avec un air de confusion qui contrastait singulièrement avec l’expression sévère de sa figure fatiguée.

Elle retira vivement son mouchoir et présenta le petit paquet à Anna Mikhaïlovna. Celle-ci devina tout de suite la vérité, et elle se pencha aussitôt, toute prête à serrer son amie dans ses bras.

«Voilà pour l’uniforme de Boris!»

Le moment était venu, et la princesse embrassa son amie en pleurant. Pourquoi pleuraient-elles toutes deux? Était-ce parce qu’elles se trouvaient forcées de penser à l’argent, cette question si secondaire quand on s’aime! Ou peut-être songeaient-elles au passé, à leur enfance, qui avait vu naître leur affection, et à leur jeunesse évanouie? Quoi qu’il en soit, leurs larmes coulaient, mais c’étaient de douces larmes.

Guerre et Paix (l'intégrale, Tome 1, 2 & 3)

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