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IV
AGIR MIEUX QU’ON NE PARLE.

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En revenant du lycée Raoul entra dans la chambre de sa sœur. Il éprouvait un vague malaise et aurait voulu réparer d’une manière quelconque son tort de la veille, mais il était si peu accoutumé à faire quelque chose pour les autres, qu’il ne savait comment s’y prendre. Hélène était encore au lit et le sourire avec lequel elle l’accueillit n’empêcha pas son frère de remarquer combien elle était pâle et abattue.

–Raoul, dit-elle en retenant sa main dans les siennes et en le regardait d’un air suppliant, veux-tu faire quelque chose pour moi?

–Quoi? dit le jeune garçon d’un ton peu encourageant.

–Si tu savais, poursuivit Hélène, ce que c’est que d’être dépendante pour tout, incapable de rien faire par soi-même, je suis sûre que tu ne me le refuserais pas.

–Enfin, dis ce que tu veux. Il faut que j’aille travailler.

–Auras-tu à travailler tout le jour?

–Oui. je n’en sais rien, mais qu’est-ce que cela te fait? Explique-toi donc.

–Eh bien, Raoul, si tu voulais, si tu pouvais me donner une demi-heure ou trois quarts d’heure de ton temps pour aller jusque chez Susanne lui parler pour moi. J’ai son adresse, ce n’est pas très-loin d’ici.

La figure de Raoul se rembrunit. Cette mission ne lui souriait nullement.

–Quelle idée! dit-il, et que veux-tu que j’aille lui dire? Ecris-lui. Moi, je ne peux pas perdre mon temps comme cela.

En achevant ces paroles Raoul se souvint tout à coup des longues heures qu’il passait à fumer son cigare à la fenêtre de sa chambre et il se sentit rougir malgré lui.

–J’écrirai, dit Hélène, mais si tu voulais lui porter la lettre, j’aurais au moins une réponse aujourd’hui; je ne puis me fier qu’à toi, car les domestiques sont tous contre elle.

–Cela ne parle pas en sa faveur, dit Raoul sèchement.

–Ah! si je te disais tout ce qu’elle a fait pour moi!

–Non, tout bien réfléchi, je ne puis le faire, cela m’ennuierait trop et d’ailleurs mon père n’en serait pas content.

Et Raoul tourna sur ses talons.

O Raoul, Raoul! disait la voix intérieure qu’il ne voulait pas entendre, es-tu toujours aussi scrupuleux quand il s’agit de satisfaire une de tes fantaisies?

Il quitta la chambre. Hélène retomba sur ses oreillers affaissée par le désappointement qu’elle venait d’éprouver, et pleura amèrement jusqu’au moment où elle entendit le pas de sa mère. Elle aurait pu s’épargner la hâte avec laquelle elle essuya ses larmes. Madame Landel n’était pas perspicace et ne soupçonnait même pas que l’éloignement d’une femme de chambre, si dévouée qu’elle fut, pût être pour sa fille une cause de chagrin profond.

–J’ai déjà écrit de plusieurs côtés pour te trouver une personne de confiance, dit-elle; j’espère que nous tomberons mieux cette fois. Vraiment, cette pauvre Susanne m’a bien trompée. Je la croyais scrupuleuse à l’excès, et incapable d’abuser ainsi de ma confiance.

–Maman, réfléchissez donc que son enfant était mourante et qu’elle avait fait demander la permission de sortir.

–Rien ne l’excuse, répondit Madame Landel d’un ton qui n’admettait pas de réplique.

Après ces deux visites, Hélène se sentit comme dans un désert. Personne ne pouvait donc la comprendre, personne ne voulait lui venir en aide. Oh! comme elle était seule, seule, entièrement seule dans cette maison où elle avait pourtant ses liens les plus intimes. Elle n’avait jamais jugé sévèrement personne, mais ce jour-là des pensées d’amertume lui vinrent au cœur, et elle fut d’autant plus malheureuse qu’elle se sentait coupable de les accueillir et que le courant de sa vie intérieure, si doux et si paisible, était troublé par ces impressions nouvelles. Elle ne s’étonnait pas de la détermination de son père, dont elle connaissait la sévérité qui ne s’adoucissait un peu que pour elle; mais que sa mère ne pût se mettre à sa place, que Raoul lui refusât un service demandé avec tant d’instance, voilà ce qui lui était dur et amer. Sa mère lui parlait comme d’une chose toute simple de l’arrivée d’une personne inconnue, et le cœur lui manquait à cette seule pensée. Son frère pouvait lui donner les moyens d’échapper à cette souffrance, et il ne le voulait pas, quand cela lui était si facile!.. Et le refrain de ces pensées était toujours: Je suis seule, seule..!

Raoul reparut après la classe du soir.

–As-tu écrit ton billet? dit-il d’un ton brusque.

–Quel billet? demanda Hélène étonnée.

–Quel billet? celui dont tu m’as scié les côtes ce matin, je pense. De quel billet est-ce que je pourrais vouloir parler?

–Comment veux-tu que je le devine puisque tu m’as refusé positivement de le porter?

–Bah! dit Raoul d’un air indifférent, tu ne m’as pas compris.

–Dis plutôt, reprit Hélène en essayant, mais en vain, de l’attirer vers elle pour lui donner un baiser, que tu as vaincu ta répugnance afin de faire plaisir à ta sœur qui t’en remercie.

–Ecris vite! je n’ai pas de temps à perdre.

Malgré la forme un peu rude que prenait le dévouement de Raoul, Hélène, peu accoutumée à de semblables procédés, en était vivement touchée. Elle écrivit promptement le billet, le tendit à son frère sans une parole de plus, et celui-ci partit comme un trait.

Arrivé à la rue indiquée, Raoul ralentit un peu sa marche. C’était la première fois qu’il entrait dans une maison de si pauvre apparence, et cela lui répugnait. Il franchit cependant le seuil sans hésiter, puis monta les escaliers, traversa le long corridor et s’arrêta enfin devant la petite porte. Il frappa, mais comme aucune voix ne répondait, il tourna la clef et entra. Personne ne parut d’abord s’apercevoir de sa présence.

Susanne était agenouillée près du petit lit et tournait le dos à la porte. Près d’elle était assise une dame dont le regard, comme celui de la pauvre mère, était attaché sur la petite figure immobile de l’enfant. Plus près de Raoul, dans un fauteuil, une vieille femme tricotait et grommelait en même temps. Elle devait être un peu sourde, car elle ne tourna pas la tête quand il ouvrit la porte. Se trouvant bien embarrassé pour se faire apercevoir, il toussa, fit un pas et, comme son ombre passa sur la vieille, ce fut elle qui le vit la première.

–Eh bien! qu’est-ce? dit-elle, que veut-on encore? il faut donc que ma chambre soit comme la rue où tout le monde passe. C’est bien agréable, ça, bien agréable pour une pauvre vieille comme moi qui ne demande qu’à être tranquille.

Tout cela fut dit à demi voix, mais après s’être ainsi déchargé le cœur elle adressa directement à Raoul un: Que voulez-vous? si retentissant, que les deux femmes penchées sur le petit lit tressaillirent et se retournèrent vivement. Susanne courut à Raoul.

–Oh! Monsieur Raoul! il n’y a pas de mauvaises nouvelles, dites?

–Non, répondit le jeune garçon, voici une lettre de ma sœur; j’ai promis de lui porter votre réponse.

Susanne la prit, tout étonnée d’une manière d’agir si nouvelle de la part de Raoul qui ne lui avait jamais adressé la parole que pour lui demander des services pour lesquels il ne croyait pas lui devoir le moindre remerciment.

Madame Sorbier avait compris que ce Raoul qu’elle avait sous les yeux était celui de qui son fils lui parlait chaque jour et qui était devenu pour elle un objet de préoccupation et d’inquiétude. Elle le regarda avec intérêt, et sa figure ouverte la prévint en sa faveur.

–Il peut être léger, élevé dans des idées fausses et des habitudes d’égoïsme, se dit-elle, mais en tout cas il doit avoir de la droiture et un fond de bonté.

Susanne lisait le billet et pleurait.

–Ah! dit-elle enfin, je savais bien que ma chère Mademoiselle Hélène ne m’accusait pas de l’avoir quittée sans m’inquiéter d’elle. Ecoutez, Monsieur Raoul, dites-lui, je vous en prie, que jamais je n’aurais agi de la sorte, non pas même pour venir auprès de ma pauvre petite fille. Vous lui aviez promis de venir passer votre soirée avec elle, Monsieur Raoul.

–Oui, dit Raoul, sans pouvoir s’empêcher de baisser les yeux.

Susanne lui dit alors en peu de mots ce qui s’était passé entre elle et la cuisinière, et Raoul promit de le redire à sa sœur.

–J’ai reçu mon congé, dit la pauvre Susanne en sanglotant, je ne reverrai plus Mademoiselle Hélène, mais au moins elle saura.

–Regardez! dit la voix douce de Madame Sorbier, qui l’attira vers le lit, essuyez vos larmes, il ne faut pas que votre petite fille voie en revenant à elle une figure bouleversée.

Les yeux de Lisa étaient grands ouverts, mais ils n’avaient encore rien vu; ils avaient l’expression vague et incertaine qui succède à une longue suspension de la vie. Susanne essuya ses larmes et, plus pâle encore qu’avant, s’agenouilla à la place qu’elle venait de quitter, et couvrit doucement de sa main tremblante la petite main de son enfant.

Un profond silence se fit dans la chambre. Raoul comprenait vaguement ce qui en était et restait immobile suivant des yeux cette scène. La vieille femme, seule étrangère à ce qui se passait, continuait à tricoter et laissait tomber quelques paroles indistinctes.

Tout à coup la petite Lisa tourna les yeux vers sa mère et dit d’une voix faible:

–Maman!

Madame Sorbier murmura:

–Soyez calme.

Mais Susanne était calme, elle avait de la présence d’esprit et cet oubli d’elle-même et de ses propres sentiments qui est le grand secret du savoir-faire dans tous les moments difficiles. Elle se pencha sur l’enfant en prononçant quelques paroles caressantes, puis elle lui donna à boire et bientôt Lisa se rendormit en tenant la main de sa mère dans les siennes.

–Elle est sauvée, dit Madame Sorbier.

Elle se leva sans bruit, prit son chapeau qu’elle avait déposé sur le lit, et fit signe à Raoul de sortir avec elle. En passant près de la vieille, elle laissa sur ses genoux une pièce de monnaie et lui montra sa tabatière. Celle ci qui n’avait rien vu ni rien entendu la prit d’un air de satisfaction et se remit à son travail sans plus manifester de mauvaise humeur.

Quand Madame Sorbier se trouva avec Raoul sur l’escalier, elle se tourna vers lui et lui dit avec un sourire:

–Je crois que nous ne sommes pas tout à fait étrangers l’un à l’autre; au moins j’entends parler de vous tous les jours. Je suis la mère de Gabriel Sorbier, et je vous remercie de lui avoir fait accueil et de lui avoir ainsi ôté le sentiment de complet isolement si pénible pour un étranger.

Raoul rougit en se rappelant sa première rencontre avec Gabriel. En la voyant, en subissant l’attrait de ce doux regard, de ce sourire gracieux, il comprenait mieux comment Gabriel pouvait trouver tant de plaisir dans la société de sa mère. Il balbutia quelques mots de réponse et descendit en silence derrière Madame Sorbier. Arrivée sur le pas de la porte, celle-ci lui adressa encore la parole.

–Je suis contente que vous ayez une bonne nouvelle à donner à votre sœur, dit-elle.

Cette phrase était tout juste le prétexte qu’il fallait à Raoul pour s’échapper. Il le saisit avec empressement en disant:

–Je vais vite la lui porter.

Et saluant poliment la mère de son ami, il tourna le premier coin de rue qu’il rencontra et disparut avec la prestesse de ses jambes de seize ans.

Madame Sorbier continua plus lentement son chemin qui était celui que Raoul aurait dû suivre pour retourner chez lui, mais que la terreur de marcher près d’elle lui avait fait quitter. Elle se sentait heureuse. La joie de la pauvre Susanne avait un écho profond dans son cœur, mais elle avait encore un autre motif de satisfaction; la physionomie de Raoul et l’acte de complaisance pour sa sœur qu’elle l’avait vu faire, lui donnaient bonne opinion de ce jeune garçon, dont elle redoutait l’influence sur son fils. Elle retourna chez elle d’un pas léger, et quand elle vint relever pour le baiser au front, la tête de Gabriel qui travaillait assidûment, celui-ci lui dit aussitôt après l’avoir regardée:

–Maman, quelque chose t’a fait plaisir, j’en suis sûr.

–Tu ne te trompes pas, dit-elle, la petite Lisa vivra et j’ai vu ton ami Raoul.

–Vrai?. où donc? comment l’as-tu reconnu?

–Je l’ai vu chez Rose, notre femme de ménage. Il y venait pour voir la pauvre femme de chambre qui a été renvoyée.

Gabriel parut étonné et ravi.

–Ah! dit-il, je suis sûr qu’il est bien meilleur qu’il ne veut en avoir l’air.

–Ou plutôt, je pense qu’il a en lui de quoi devenir bien meilleur qu’il n’est maintenant. Son regard a beaucoup de douceur et de franchise.

–Que je suis content que tu le juges ainsi! dit Gabriel, dont les yeux brillaient; j’avais une si grande peur qu’il ne te déplût.

–Je le craignais aussi. Nous voilà maintenant avec des connaissances dans ce Paris qui me semblait jusqu’à présent si vide. Tu verras que peu à peu le désert se peuplera. Ce que je désire, ce n’est certainement pas d’avoir beaucoup de relations, mais un ou deux amis et quelques objets d’intérêt. Dans notre village nous étions au milieu d’une grande famille; ici je me suis sentie bien seule jusqu’à aujourd’hui. Cela paraît si étrangement triste de n’aimer personne dans cette foule que l’on coudoie, de ne rencontrer que des regards indifférents, de ne pas échanger une parole avec qui que ce soit, mais je commence à ne plus me sentir étrangère.

Quand le soir fut venu et que la mère et le fils furent réunis pour finir leur journée ensemble, Madame Sorbier lut à haute voix ces paroles de saint Jean.

«Aimons-nous les uns les autres, car l’amour vient de Dieu. Quiconque aime les autres aime Dieu et connaît Dieu.»

«Celui qui ne les aime point, n’a point connu Dieu, car Dieu est amour.»

Puis d’une voix émue elle demanda pour elle et pour son enfant, qu’il leur fût donné d’aimer assez pour ne jamais se sentir seuls.

Deux ans au lycée

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