Читать книгу Excelsior: Roman parisien - Léonce de Larmandie - Страница 12
L'ABBÉ DE LA GLOIRE-DIEU
ОглавлениеL'abbé Christian de la Gloire-Dieu, premier vicaire à Saint-Barthélémy, était effectivement, et sous tout rapport, l'ecclésiastique le plus distingué et le plus justement apprécié des quatre paroisses aristocratiques du noble faubourg. C'était un prêtre dans toute la force auguste et grave de l'expression. Très sévère pour lui-même, son austérité à l'égard des autres était tempérée par un grand souffle de douceur et de compassion. Toutes ses ressources passaient aux malheureux, et il savait toujours découvrir les plus méritants, les plus timides, les plus dénués. Sa chambre ressemblait à la cellule d'un chartreux, sauf qu'elle était plus grande et plus froide. Un immense crucifix de bois noir en était le seul ornement. Sa vie était celle d'un solitaire de la Thébaïde. Donnant à peine cinq heures au sommeil, une demi-heure en tout à ses deux repas, il consacrait tout le reste de ses journées aux travaux et aux fatigues du saint ministère. Sa piété, sa charité et son zèle, le mettaient prodigieusement en vue et on parlait fort peu du curé l'abbé Vaublanc, excellent prêtre, un peu fatigué, et du deuxième vicaire, l'abbé Marquiset trop superficiel dans ses relations et trop recherché dans son élégance. L'abbé de la Gloire-Dieu avait failli être nommé curé de Sainte-Radegonde, mais comme le succès va plus souvent à l'intrigue qu'à la vertu, on lui avait préféré l'abbé Roubley, un bon prêtre, sans doute, mais un de ces ecclésiastiques trop ambitieux et trop habiles pour être entièrement sympathiques. L'abbé de la Gloire-Dieu, universellement connu dans le monde, y jouissait d'une autorité et influence considérables. L'immense majorité des dames et des jeunes filles du faubourg affluait à son confessionnal. Non que les défauts ou les légèretés de ces nobles pénitentes trouvassent en lui un censeur indulgent, mais il avait le secret de subjuguer ces âmes hautaines par la chaleur et l'entraînement de sa foi.
—Bonjour, monsieur l'abbé.
—Tiens! mon cher Jacques, c'est vous! D'honneur le plaisir de vous voir ne m'était pas échu depuis de long mois...
—Deux ans à peu près, monsieur l'abbé, mais j'ai pensé que vous ne m'en voudriez pas pour cela.
—Dieu m'en préserve, mon enfant, puis-je quelque chose pour vous être agréable?
—Oui, monsieur l'abbé. Vous savez ma révocation?
—Sans doute, Jacques. Elle vous honore.
—Mais elle me ruine... pour le moment, et je voudrais vous prier de m'aider à trouver quelque chose...
—Tout mon pouvoir, qui n'est pas bien grand, est à votre service, quel genre d'occupations désirez-vous?
—Mon Dieu! monsieur l'abbé, je serais volontiers professeur libre, mais j'ai en ce moment l'esprit occupé d'une autre idée; je voudrais me marier.
—Cette pensée est des plus louables.
—Le jour où vous avez remplacé M. le curé de Sainte-Radegonde pour le catéchisme de persévérance, j'étais dans cette église... une des jeunes filles qui suivaient l'instruction vous a remis à la sortie une aumône probablement considérable, dont vous l'avez beaucoup remerciée... je l'ai vue deux fois et je lui ai voué un amour immense, je crois qu'elle y répond... mais voyez la malechance, je ne sais pas seulement son nom... je voulais vous prier de me l'apprendre, excusez mon indiscrétion.
L'abbé de la Gloire-Dieu ouvrait la bouche pour demander à son interlocuteur s'il était fou, quand il sentit que cette prodigieuse naïveté était entièrement franche et convaincue. Il ne sourit même pas, son visage revêtit au contraire une expression de tristesse.
—Mais, mon bien cher Jacques, reprit-il, on me remet tous les jours des aumônes, il m'est impossible de savoir à qui vous faites allusion, de plus il s'agit certainement d'une personne fort riche, appartenant à une grande famille et fiancée à l'heure qu'il est, n'en doutez pas. Dans le monde les mariages se décident souvent fort longtemps d'avance. Je vous engage à ne plus penser à cela et à étouffer un sentiment qui ne peut que vous infliger des souffrances morales. Songez d'abord à une situation... Je m'offre à vous en faciliter la recherche. Revenons à cette idée de professorat dont vous me parliez tout à l'heure. Voulez-vous que je vous recommande au père Coupessay, directeur du collège Oratorien de la rue de Monceau?
Mérigue avait compris à l'accent du prêtre que le désir manifesté par lui était chimérique et même un peu ridicule. Il avait trop d'opiniâtreté pour y renoncer, mais il fut profondément humilié de l'accent de pitié qu'il avait découvert dans les paroles de l'abbé. Aussi se contenta-t-il de répondre à l'offre de celui-ci par un «oui, monsieur, je veux bien» un peu indifférent et assez dépité.
—J'écrirai ce soir même, répliqua le vicaire et vous irez voir le Révérend Père après demain. Adieu, mon enfant, et tout à votre service pour ce qui dépendra de mes faibles moyens.
Jacques s'éloigna la rage au coeur. Comme il remontait précipitamment la rue du Bac, il se sentit frapper amicalement sur l'épaule. Il se retournait plein d'humeur, quand il se trouva en face du seul ami intime qu'il possédât à Paris, le jeune baron de Sermèze, fort riche, fort lancé, dont il avait fait la connaissance par hasard dans un musée, et qui s'intéressait à ses productions littéraires.
—Eh bien! mon pauvre vieux, exclama le baron d'une voix bonne enfant, c'est comme cela que tu passes devant les amis sans crier gare?
—Tiens, dit Mérigue, je te rencontre à propos.
—Qu'y a-t-il pour ton service?...
—Une chose très simple; je voudrais savoir le nom d'une jeune fille ravissante qui va tous les soirs au salut à Sainte-Radegonde et qui se tient près du pilier gauche de la chapelle de la Vierge.
Sermèze partit d'un éclat de rire.
—Toujours tes ambitions impériales, pauvre fou!...
—J'ai lieu de croire qu'elle m'a remarqué, et, entre nous, si je pouvais un jour... arriver à en faire...
—Ta maîtresse?...
—Ma femme.
—Je croyais que ta folie était bénigne, elle est furieuse, mon cher...
—Tu ne veux pas me procurer ce renseignement?
—Oh! que si fait... si cela suffit à ton bonheur, donne-moi deux jours...
—Je t'en donne quatre.
—C'est trop de moitié.
—Va, cher, je te revaudrai cela. Adieu!...
—Tu me quittes ainsi?
—Oui, excuse-moi, je n'ai pas la tête bien libre.
—Je suis trop poli pour te contredire. Au revoir.
Deux jours après Jacques de Mérigue recevait l'épitre suivante:
«Mon cher aliéné,
«Tu as tout bonnement jeté ton dévolu sur Mlle Blanche de Vanves; charmante, spirituelle, un million de dot. Toutes mes félicitations pour ton bon goût. Renseignements complémentaires: vingt ans d'âge. Domicile: Hôtel Soubise, 85, rue Saint-Dominique (ne va pas y demander une chambre, entre parenthèse). Le jour de ton départ pour Charenton, fais-moi l'amitié de me prévenir.
«Tout à toi,
«Sermèze».
P. S.—Mlle de Vannes est fiancée depuis un mois au duc de Largeay.