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LA FAMILLE JOYEUSE

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—Papa! maman, Marianne, Mathilde, s'écriait Jacqueline toute haletante d'émotion et de bonheur, écoutez! écoutez! une lettre de mon cher petit frère. Ah! si vous saviez!... venez tout de suite. Marianne! dis à Jeannette de faire boire un coup au facteur, merci, mon Dieu! merci.

Toute la famille de Mérigue s'était précipitée aux appels triomphants de son plus jeune membre. Jeannette, la vieille et fidèle cuisinière, rappelait le facteur à grands cris et, sans savoir de quoi il pouvait bien s'agir, lui versait généreusement un grand verre du meilleur vin de la cave; le domestique lui-même, le brave et digne Pierrille, quoique non interpellé, avait abandonné ses boeufs à moitié liés au seuil de la grange et était accouru, son bonnet à la main, en entendant les exclamations de Mlle Jacqueline. Bientôt un groupe s'était formé dans la cour: la famille entière, Jeannette, Pierrille, le facteur, ces trois derniers à une distance respectueuse, faisaient un cercle autour de la jeune fille qui brandissait sa lettre en l'air comme un porte-drapeau arbore son étendard. A tout ce tumulte inusité dans l'habitation si paisible, la chienne du logis, la douce et gentille Éva, s'était avancée à son tour et regardait ses maîtres d'un air étonné, en remuant la queue. Jacqueline lut d'une voix tremblante la missive extraordinaire qu'elle avait fiévreusement parcourue:

«Ma chère petite Jacqueline,

«Papa, maman, mes grandes soeurs ne m'en voudront pas de t'avoir adressé l'importante correspondance d'aujourdhui. Je te devais bien cela, compagne aimée de mon enfance et de ma jeunesse; comme papa, tu n'as jamais désespéré de mon avenir. Vous aviez raison: Je suis candidat du comité royaliste aux élections parisiennes, j'ai toutes les chances possibles de succès. Je suis répétiteur au collège de la rue de Monceau, et tous les jeunes gens des plus grandes familles se disputent l'honneur de mes leçons. Le premier que j'ai eu est précisément le frère de ma belle demoiselle de Sainte-Radegonde qui s'appelle Blanche de Vannes et appartient à la première aristocratie du faubourg. Cet élève m'a voué une affection extraordinaire. Je vais pouvoir approcher l'idole de mes rêves! Mes chères âmes, que de bonheurs à la fois: l'honneur, l'argent! et peut-être l'amour. Je ne t'en écris pas plus long aujourd'hui, ma bonne Jacqueline, tu comprends aisément quelles doivent être mes occupations. Je joins à ma lettre un exemplaire de ma proclamation aux électeurs du quartier Saint-Barthélemy et divers extraits des journaux qui me portent aux nues. Dans tout cela, ma première pensée a été celle-ci: je vais donc pouvoir envoyer un peu de joie à ceux qui sont si tristes et que j'aime tant. Je vous embrasse de toutes mes forces.

«Jacques.»

—Louez Dieu et tirez le canon! exclama le vieux Mérigue en voulant saisir les extraits des journaux qu'il jeta à terre dans sa précipitation.

—Mon ami, interrompit la pieuse Caroline, d'une voix plus calme, mais toute vibrante de bonheur, mon ami, tu as bien dit. Il faut commencer par remercier la Providence divine qui vient à notre secours au moment où nous croyons tout désespéré.

La sage Marianne prit alors la parole.

—Je crois, dit-elle, que voilà un bon début. Il ne faut pas attendre monts et merveilles; nous pourrions nous ménager de pénibles déceptions, mais enfin on peut dire, d'ores et déjà, que Jacques a le pied à l'étrier, et la possibilité de parvenir à une situation honorable et avantageuse...

—Il marche à ses grandes destinées, affirma Jacqueline, il glorifiera notre nom.

—Il sert son Dieu et son roi, dit à son tour l'enthousiaste Mathilde. Que pouvons-nous désirer encore?...

—Que quelques émoluments solides viennent s'ajouter à toute cette fumée de gloire, reprit Marianne sérieuse et grave.

—Mais s'il y avait vraiment quelque chose derrière cette jolie amourette, dit Joseph de Mérigue, anxieux. Pourquoi pas, ma chère Marianne?

—Tout est possible, mon père, mais cela n'est pas probable, répondit la soeur aînée.

—Comment? pas probable, ma fille?... Mais au contraire, rien n'est plus vraisemblable. Quelle jeune fille ne serait jalouse d'unir son sort à celui d'un garçon aussi vaillant, aussi bien né, et je puis ajouter maintenant aussi célèbre que Jacques de Mérigue?...

—Papa a raison comme toujours, dit Jacqueline en sautant au cou du vieux comte...

Jeannette et Pierrille, les deux bons serviteurs, quoique placés à une certaine distance du groupe familial, avaient vaguement saisi le sens général de cette conversation. Ils comprenaient que Jacques allait devenir un grand personnage, lui qu'ils avaient vu au berceau, et auquel il ne cessaient de pronostiquer un avenir sidéral. Un bon sourire, moitié étonné, moitié joyeux, épanouissait leurs traits minés par le travail et la fatigue; Éva s'était approchée de Jacqueline et lui léchait doucement les mains. Un gai soleil de printemps éclairait cette petite scène, et mêlait au bonheur de ces pauvres êtres l'immense allégresse de la résurrection du ciel.

—Pierrille! dit tout à coup Joseph de Mérigue, en attendant l'artillerie qui nous manque, tu vas tirer deux coups de fusil. Pierrille obéit avec empressement et déchargea en l'air à deux reprises une vieille canardière informe qui, à la seconde détonation éclata, et fit au tireur une légère blessure.

Comme on s'empressait autour de lui et que Marianne blâmait l'ordre imprudent du comte, le domestique affirma, dans son patois pittoresque, qu'il était heureux d'arroser de son sang la première couronne de son jeune maître.

Tous les membres de la famille voulurent répondre incontinent à leur cher représentant qui leur envoyait de cent cinquante lieues un si brillant rayon d'honneur.

Le chef de la maison et Jacqueline furent dithyrambiques, les adjectifs hyperboliques et les adverbes sonores éclatèrent sous leur plume comme des gerbes d'étincelles sous le galop d'un cheval. Joseph déchira deux feuilles de papier dans son impatience nerveuse, et entra dans une grande colère accompagnée de gros mots, en prétendant que sa femme n'avait que de sale encre, de sacrées plumes, et de fichu papier! Caroline, tout en félicitant son cher fils, lui exprima que la première chose qu'il avait à faire, était de témoigner sa reconnaissance au bon Dieu en allant trouver au plus vite son confesseur qu'il négligeait depuis si longtemps.

Mathilde, en quelques pattes de mouche fiévreusement tracées, recommanda à son frère de toujours viser à l'honneur et de dédaigner les vils métaux si recherchés en ce siècle matérialiste.

Marianne au contraire avertit Jacques de ne pas trop songer à la vaine gloriole et à l'immortalité décernée par les journaux. Elle lui conseilla de profiter d'une popularité, peut-être éphémère, dans un milieu bien capricieux, pour s'efforcer d'acquérir honnêtement les moyens de vivre et d'aider les siens.

Au repas du soir, où fut invité le vieux curé Desmolard, on but une bouteille de vieux Mérigue soigneusement bouchée, cachetée et étiquetée cinq ans auparavant par la prévoyante Marianne. Les six convives absorbèrent à peine la moitié du précieux flacon qui fut renvoyé à la cuisine où le digne Pierrille se chargea de l'achever.

M. de Mérigue, selon sa coutume, se coucha en même temps que les poules, oubliant, à la grande indignation de sa sainte épouse, de réciter sa prière du soir.

Mme de Mérigue resta agenouillée jusqu'à une heure avancée de la nuit.


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