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LE REPAIRE NOBLE

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Table des matières

Malgré de remarquables aptitudes et un amour profond des choses littéraires et artistiques, Jacques de Mérigue, trop rêveur et trop fantaisiste, n'avait jamais moissonné beaucoup de lauriers en papier vert aux distributions de prix; ses maîtres l'avaient cependant toujours considéré comme un sujet hors ligne tout en l'accablant de punitions et de remontrances en raison de son caractère indomptable. Il justifia pleinement leurs appréciations en enlevant dès sa quinzième année son baccalauréat ès-lettres, tandis que ses heureux émules de classe échouaient pitoyablement.

On le dirigea vers les mathématiques qu'il exécrait. Son amour-propre le fit triompher de ses répugnances, et, à dix-sept ans, il était bachelier ès-sciences avec la mention très bien.

Son père, ivre de joie, parla incontinent de l'école polytechnique. Jacques grogna longtemps, finit par se soumettre, et parvint à force d'énergie à posséder la triple x et les dérivés comme un vieux taupin des lycées de Paris. Arrivé à l'examen devant M. Toumard, le célèbre et grincheux interrogateur, il fut malmené avant d'avoir ouvert la bouche pour sa façon incorrecte de prendre la craie. Comme il s'excusait en maugréant déjà, son terrible juge lui dit: «Parlez plus haut, monsieur, pour que l'on entende vos sottises!» Mérigue se retourna, pâle comme un suaire, et riposta d'un voix retentissante: «Parlez plus bas pour que l'on n'entende pas les vôtres!»—Il fut exclu du concours et se mit à l'étude du droit. Mais sa famille était nombreuse et pauvre; impossible de pourvoir convenablement à son entretien dans la capitale. Jacques, qui adorait les siens, commença par employer toute son énergie à se priver de tout, à vivre de rien. Puis, un certain jour, la protection d'un ami puissant lui valut l'entrée au ministère des cultes en qualité d'expéditionnaire et aux appointements de 1200 francs. «Me voici en route pour la conquête des étoiles», écrivait-il à son père le soir de sa nomination. Et il se voyait déjà chef de service, sous-secrétaire d'État, ministre. Malheureusement pour lui, il avait la république en exécration, et arrivait tous les jours au bureau avec une énorme fleur de lys à sa cravate. Il battit des mains au 16 Mai, et se fit une réputation méritée d'enragé réactionnaire. Aussi ne tarda-t-il pas à être révoqué quelques mois après l'échec de la tentative conservatrice, et se trouva-t-il, à vingt-cinq ans, sans ressources et sans position sur le pavé inhospitalier de Paris.

Il se mit à faire des vers, probablement pour continuer sa marche vers les astres.

La famille de Mérigue fut atterrée à la nouvelle de la mesure qui frappait son représentant.

Le lendemain du jour fatal, nous trouvons le père, la mère et leurs trois filles, tristement assis dans la pièce délabrée qui servait de salon à la pauvre maison tout en ruines.

Le vieux Mérigue, vif et plein d'ardeur, prompt à toutes les illusions, faisait diversion à son chagrin par des interjections d'espérance: «Je n'ai aucune inquiétude pour l'avenir. Jacques est un garçon hors ligne, il arriva à tout, à tout, entendez-vous, mes enfants.

—Mon ami, soupira madame de Mérigue, un ange de piété et de douceur, il faut prier le bon Dieu et s'en rapporter à sa sainte volonté. Il n'abandonnera certainement pas notre pauvre enfant.

Marianne, la fille aînée, le type achevé du dévouement et de l'abnégation, hochait la tête tristement. Elle dirigeait le ménage depuis de longues années et, avec les ressources les plus exiguës, faisait face à toutes les nécessités à force de travail, d'esprit de suite et de privations personnelles. Sa vie pénible et terre à terre l'avait imprégnée de sens pratique.

—Notre cher frère, dit-elle après une pause, aurait peut-être mieux fait de se tenir tranquille, on n'abdique pas ses opinions parce qu'on les garde au fond de son coeur... Marianne, à ces mots, fut brusquement interrompue par sa cadette, Mathilde, souverainement exaltée en politique comme en religion.—Par exemple!... C'est son plus beau titre d'honneur... tu voudrais peut-être qu'il eût consenti à garder le silence devant les actes de ce gouvernement infâme... lui!... un Mérigue... un fils des Croisés!...

A ce moment, la plus jeune des soeurs de la victime, Jacqueline, qui avait toujours été sa préférée, ayant participé à tous les jeux et à tous les rêves de son enfance, embrassa le vieux Mérigue sur les deux joues en disant: «Papa a raison. Jacques parviendra... il ramènera le roi sur le trône. Il sera ministre d'Henri V, vous verrez!...

—A la bonne heure, s'écria le père. Voilà le cri de mon sang... bien parlé, fillette.

—Sans doute, observa Marianne, mais en attendant, comment vivra-t-il?... Nous ne pouvons rien lui envoyer... C'est le dénûment!

—S'il pouvait songer à offrir ses souffrances au bon Dieu, hasarda la sainte mère...

—Mais enfin, dit Mathilde, le parti royaliste est riche, il ne laissera pas dans la misère un coreligionnaire aussi méritant... On va se disputer l'honneur de lui trouver une position.

—Il la conquerra, affirma le père.

—Comme les étoiles!... murmura Marianne pensive.

—Et puis, continua le chef de la famille, Jacques se mariera... brillamment... splendidement... il sera riche.

—Précisément, dit Jacqueline, il m'écrivait l'autre jour qu'il avait vu à l'église Sainte-Radegonde, une jeune fille admirablement jolie qui avait paru le considérer attentivement.

—Quand on est en présence de Dieu, observa Mme de Mérigue, on ne doit penser qu'à lui.

—Mais enfin, reprit l'aînée, comment voulez-vous qu'il se marie?—Quelle dot apportera-t-il à l'opulente héritière qu'il convoite? L'usufruit du quart de nos dettes...

—Que dis-tu, ma fille? exclama le vieux Mérigue, il apportera un nom sans tache, aussi vieux que la chevalerie française, une glorieuse suite d'aïeux illustres, un alliance avec les Montmorency pendant la guerre de Cent-Ans... une intelligence... un coeur... une grande destinée...

—Et pas d'argent, pas de situation...

—Et l'alliance avec les Montmorency pendant la guerre de Cent-Ans?...

—Mieux eût valu une alliance avec les Rothschild à l'époque de Waterloo...

—Quelle horreur! s'écria Mathilde en levant les bras. Avoir de l'or fluide au lieu de sang dans les veines, plutôt mendier... plutôt mourir!

—Mais, reprit Jacqueline, si cette jolie jeune fille faisait toujours attention à lui, il pourrait faire une visite à sa famille.

—J'aimerais bien mieux, dit Mme de Mérigue, qu'il allât voir ce bon abbé de la Gloire-Dieu qui le confessait autrefois quand il était sage!...

—Et la conclusion pratique de tout cela, dit Marianne, positive...

—D'abord, répliqua le vieux Mérigue, écrivons-lui, ça lui fera du bien au coeur.

—Mettons tous un petit mot, proposa Jacqueline, qu'il sache que nos pensées ne le quittent pas!

Si nous commencions tout de suite? A toi, papa.

M. de Mérigue trempa nerveusement sa plume dans un vieil encrier qui traînait sur la table, et traça ces mots:

«Mon cher enfant,

«Courage! courage! pas de défaillances. Tu as devant toi un magnifique avenir. L'accident que tu as éprouvé est sans portée... et n'infirme pas dans le coeur de ton père l'inébranlable foi qu'il a dans le travail et l'énergie de son fils, du représentant de son nom glorieux. Nous t'embrassons tous.

«Joseph, comte de Mérigue.»

Madame de Mérigue ajouta:

«Mon fils bien-aimé,

«Reconnais la main de Dieu dans le coup qui te frappe et reviens franchement à lui. Confie-toi à sa divine providence, et songe bien que rien n'arrive dans ce monde sans son ordre ou sa permission. Nous pouvons tout avec son secours. S'il nous abandonne, nous sommes impuissants. Prie-le avec ferveur et écoute les conseils de ta mère qui pense toujours à toi.

«Caroline de Mérigue, née de Barat.»

Marianne prit la plume.

«Mon cher frère,

«Il est temps que tu te mettes à réfléchir d'une façon pratique et sérieuse. Si le malheur qui t'arrive te faisait abandonner tes rêves de grandeur, je le bénirais mille fois. Tu es intelligent et bien portant, tu as tout ce qu'il faut pour acquérir une position solide et honorable. Fais des efforts dans ce but et renonce aux chimères qui ont obsédé ta jeunesse. Tu sais bien que ce langage m'est dicté par ma raison et ma fraternelle amitié.

«Marianne.»

Mathilde griffonna impétueusement:

«Mon bien cher Jacques,

«Je suis fière de ta disgrâce. Tu es tombé en combattant le bon combat, quand même tu ne te relèverais pas, ce serait un éternel honneur pour toi et pour nous. Restons ce que nous sommes, dussions-nous mourir de misère. Vive le roi!...

«Mathilde.»

Jacqueline clôtura ainsi la soirée des épîtres:

«Mon petit Jacques,

«Moi, je suis tout à fait de l'avis de papa qui n'a aucune crainte pour ta situation future. J'ai tressailli d'espérance quand j'ai lu dans ta dernière lettre, qu'une jeune fille du grand monde avait paru faire attention à toi... Comme je vais prier le bon Dieu pour que tu puisses conquérir cette étoile!... en attendant les autres... Je t'embrasse de tout mon coeur.

«Jacqueline.»

Maintenant, insinua Mme de Mérigue, si nous faisions notre prière du soir?...


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