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CANDIDAT

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Mérigue, la tête dans ses mains, avait laissé tomber son porte-plume sur une page de son grand poème la Rédemption des damnés. «Blanche de Vannes,» se disait-il en lui-même, «Hôtel Soubise... un million de dot... et moi, dans une mansarde, avec soixante-dix francs de fortune... Ah! si j'étais seulement célèbre dans les lettres, dans la politique... personne n'a voulu imprimer mon dernier manuscrit, ces pauvres Jacinthes et Pervenches. Ma Rédemption aura-t-elle plus de succès! si je pouvais me présenter à la Chambre ou même au Conseil municipal de Paris. Je percerais, bien sûr. Ah! oui, on parlerait de moi. Il y a précisément un siège vacant au Pavillon de Flore... Mais que faire avec soixante-dix francs, juste ce qu'il faudrait pour m'en retourner chez moi, en laissant ici deux cents francs de dettes. Partirai-je? Ah! dix ans de souffrances m'ont bien mérité quelque repos? mais mon pauvre père, ma mère, mes soeurs, qui ont placé en moi tout leur espoir; et le nom que je dois représenter et relever, et le vieil orgueil qui a été ma viande et mon vin quand je mangeais du pain sec en buvant de l'eau claire. Non, je ne capitulerai pas. Il y a quelque chose dans ma tête comme dans celle d'André Chénier. Si je dois succomber, je veux que ce soit ici, sur la brèche, glorieusement et non aux lieux où fut mon berceau. Blanche de Vannes... O rage!... Allons, descendons des hauteurs du rêve dans la fange de la réalité. Il me reste soixante-dix francs. Si je n'ai pas d'ici huit jours une position quelconque, il ne me reste plus que le dépôt de mendicité ou... oh! non, pas cela, j'aime trop ma mère. Allons voir ce P. Coupessay.

Et Jacques se dirigea vers le collège de la rue de Monceau. A peine eut-il franchi le seuil de l'établissement qu'il se rencontra nez à nez avec un religieux de haute taille, vêtu avec une certaine élégance et portant à ses chaussures des boucles d'argent.

—Vous désirez, monsieur?...

—Voir le R. P. Coupessay, mon père.

—Le connaissez-vous, monsieur?

—Non, mon père.

—Eh bien! c'est moi, monsieur.

—Enchanté, mon père.

—Je vous écoute, je n'ai qu'une seconde...

—Veuillez m'excuser, mon père...

—Allez, allez, monsieur, dépêchons-nous, il y a cinq dames qui m'attendent au parloir.

—Vous avez dû recevoir une lettre de recommandation, me concernant et émanant de M. l'abbé de la Gloire-Dieu?...

—Ah! Oui... La Gloire-Dieu... La Gloire-Dieu...

—Je désirerais donner des leçons dans votre établissement.

Le P. Coupessay qui jusqu'alors avait affecté de ne pas regarder le jeune homme, le toisa dédaigneusement de la tête aux pieds. Il ne prit point garde à l'expression énergiquement intelligente du postulant et remarqua seulement ses habits râpés et ses bottines éculées... Il répondit sèchement: «Impossible... impossible. Mes cadres sont complets... vous repasserez.» Et il tourna prestement les talons pour entrer au parloir où plusieurs dames se précipitèrent vers lui avec une série de frou-frous retentissants. Mérigue en sortant put entendre ces bouts de phrases: Mon Révérend Père...—Bien chère madame...—Cuistre! murmura-t-il en haussant les épaules, et il regagna la rue des Saints-Pères. Après avoir réintégré son domicile, il mangea un petit pain avec deux ronds de saucisson et avala une gorgée d'eau à son broc. Il appelait cela dîner. Comme il achevait son festin de Balthazar, un violent coup de sonnette retentit à sa porte! C'était son ami le baron de Sermèze.

—Bonne nouvelle! cria tout d'abord le baron en serrant vigoureusement la main de Jacques.

—Blanche?... fit celui-ci avec un tressaillement.

—Imbécile! reprit Sermèze, je vais m'en aller sans te rien dire, si au moment où je viens te faire les propositions les plus importantes et les plus sérieuses, tu me préviens en me jetant à la tête tes chimères stupides.

Tiens, tu me parles de Blanche; c'est le docteur du même nom qui devrait s'occuper de toi.

—Après?...

—Tu es un triple idiot.

—Nego, après?

—Veux-tu te présenter au conseil municipal?

Mérigue bondit en ouvrant de grands yeux.

—Réponds donc, grand nigaud.

—Eh bien, oui, pardié, mais comment?...

—Voici, et ne m'interromps pas, surtout; figure-toi pour un moment que tu es Cinna et que je suis Auguste. Tu sais qu'il y a un siège vacant au Conseil?

—Oui.

—Chut!... précisément dans le quartier Saint-Barthélémy.

—Oui.

—Chut!... tu sais qu'il y a un comité royaliste?

—Oui.

—Chut! te dis-je. Eh bien, ce comité est composé de très braves gens, d'une honorabilité parfaite et qui n'a d'égale que leur incapacité. Pour t'en donner une idée, ils ne songent point à présenter de candidat, bien qu'ils aient toutes les chances pour eux.

—Les crétins! fit Mérigue.

—Chut, reprit le baron. Tu n'es pas respectueux, mais tu es véridique. Enfin, il se trouve parmi eux un petit vieux moins momifié que les autres et qui s'appelle le vicomte d'Escal. Il est affligé de cent mille francs de rente.

—Il ne doit pas invoquer de consolatrice, alors.

—Tais-toi, bavard. Ses collègues ne le prennent pas au sérieux, ce dont il rage considérablement. Pour leur faire pièce, il veut susciter à lui seul et, bien entendu, à ses frais, une candidature royaliste. Il m'a demandé si je connaissais quelqu'un, je lui ai répondu: «J'ai votre affaire.» Eh bien?

—C'est entendu.

—Mais tu sais, il faut se hâter, la proclamation doit être affichée cette nuit.

—Ah!

—Chut... Le vicomte a une petite imprimerie à ses ordres qu'on appelle: La Presse de Saint-Pierre. Il met tout sur l'heure à ta disposition; pas de maladresse au moins, si tu réussis, ta fortune est faite.

—N'aie pas peur, dit Jacques, en jetant à son horrible plafond un regard de défi; j'ai pu être impuissant et gauche, dans les circonstances banales de la vie terre à terre, mais qu'une occasion digne de moi se présente et tu verras que ton ami le rêveur était fondé à se croire quelqu'un et quelque chose. Quant à toi, mon cher, je t'aimais déjà bien, désormais, c'est entre nous à la vie et à la mort.

—A la vie, espérons-le, reprit Sermèze très ému.

Le lendemain, l'affiche suivante, imprimée sur papier vert, s'étalait sur tous les murs du quartier Saint-Barthélémy:

«Messieurs les électeurs,

«Je viens vous offrir de vous représenter au Conseil municipal de Paris;

«Je n'ai l'honneur d'être ni propriétaire, ni négociant dans votre quartier; j'en suis le plus simple électeur;

«J'ai pris mes grades dans trois facultés et je travaille pour gagner ma vie;

«J'étais expéditionnaire à l'administration des cultes; j'ai été révoqué pour avoir signé une pétition en faveur de la liberté;

«Si vous approuvez les basses oeuvres du Conseil qui gouverne actuellement la Commune de Paris, ne me donnez pas vos suffrages;

«Je défendrai dans tous mes votes:

«La liberté des pères de famille;

«L'égalité de tous les citoyens dans la protection qu'ils ont le droit de demander aux lois;

«La fraternité qui ne traite pas en suspects les frères des écoles et les soeurs des hôpitaux;

«La franchise m'ordonne de vous déclarer mes opinions politiques et religieuses:

«J'estime qu'un peuple sans religion est un peuple sauvage;

«Je crois que la France, privée de son roi légitime, est une nation décapitée et condamnée à devenir la proie de ses ennemis;

«Ainsi j'ai toujours cru, ainsi je croirai tant qu'une goutte de sang coulera dans mes veines.

«Jacques de Mérigue,

«93, rue des Saints-Pères.»

Cette ferme et fière proclamation produisit dans tout Paris l'effet d'une bombe d'énergie honnête, au milieu d'un camp de sceptiques et de ramollis. Toute la presse s'occupa de ces quelques lignes de prose claire, simple et vibrante, tracées par un inconnu qui, du matin au soir, était devenu célèbre. Les feuilles conservatrices exultaient de joie et s'écriaient qu'on avait enfin un homme. Les journaux républicains disaient aimer ce langage net et dépourvu d'obscurités. D'Escal et Sermèze étaient radieux. Mérigue trouvait tout cela très naturel et recevait comme lui étant parfaitement dus les compliments et les hommages. Une seule idée l'enthousiasmait: la pensée que toute cette renommée qui fondait sur lui allait le rapprocher de son idole.

Le soir, lorsqu'il rentra chez lui, son concierge, jadis rèche, maintenant souriant et obséquieux, lui remit un monceau de cartes de visite qu'il s'amusa à dépouiller sur sa table boiteuse.

En voici quelques-unes:

Le prince de La Roche-Bernard félicite M. de Mérigue de sa courageuse attitude.

Madame Salotru, blanchisseuse royaliste, envoie à M. de Mérigue tous ses compliments et l'assurance de sa parfaite considération.

Le général, comte de la Croisaie, grand officier de la Légion d'honneur: Bravo, jeune homme, vous êtes un brave.

L'abbé de la Gloire-Dieu, vicaire de Saint-Barthémy: sympathies bien cordiales.

Anselme Rotin, employé de commerce, a l'honneur d'informer le candidat qu'il votera vraisemblablement pour lui.

L'avant-dernière carte était insérée dans une enveloppe et ainsi conçue:

Gustave Coupessay, directeur des Oratoriens de la rue de Monceau, envoie à M. de Mérigue toutes ses congratulations et lui fait connaître qu'il sera trop heureux de l'attacher à son établissement dans les conditions qu'il voudra bien fixer lui-même.

—Tiens, dit Mérigue, il a fait une évolution, l'animal d'hier au soir.

Puis il lut la dernière carte:

Théodore de Vannes, élève externe au collège de la rue de Monceau, apprend que M. de Mérigue va donner des leçons à l'école et le prie de lui réserver quelques heures. Il saisit cette occasion pour serrer la main au vaillant candidat royaliste.

—Théodore de Vannes!!! Le frère de Blanche! s'écria Jacques. Ah! mon Dieu! je tiens les étoiles... enfin!...


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