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III

Table des matières

Influence de la fumure sur les rendements. — Expériences de Rothamsted.

Il ne saurait être question, nous venons de le voir, d’un prix de revient universel pour un produit agricole, pas plus d’ailleurs que pour un produit manufacturé, les conditions de production variant d’un lieu à l’autre et dans le même lieu, de façon telle que des moyennes de quelque exactitude n’en peuvent être déduites.

Quelques exemples tirés de la récolte de cette année ont mis en relief les variations énormes du rendement et, partant, du prix de revient du blé, suivant la nature de la semence employée. La fumure, c’est-à-dire le complément que l’agriculteur est obligé d’apporter aux éléments nutritifs du sol, exerce une influence supérieure encore à celle que nous avons constatée pour la semence. L’importance, extrême pour notre pays, de l’accroissement des rendements en blé me fait espérer que mes lecteurs voudront bien me suivre dans l’exposé et la discussion des résultats numériques dont la comparaison peut seule servir de base à une étude de ce genre.

Les admirables progrès réalisés par les sciences physico-chimiques depuis le commencement du siècle, et le merveilleux parti que l’industrie a tiré des découvertes de la physique et de la chimie, sont les résultats de l’application rigoureuse de la méthode expérimentale à l’étude de la matière et de ses transformations. Les résultats acquis sont, pour ainsi dire, absolus, en ce sens qu’on peut les reproduire à volonté, identiques à eux-mêmes, si l’on se place, ce qui est toujours possible, dans les conditions réalisées par l’expérimentateur, dont on vérifie la découverte ou dont on répète l’expérience.

Malheureusement pour l’agriculture, le problème fondamental de la nutrition des êtres vivants, plantes ou animaux, l’étude du sol, de ses propriétés, de ses produits, ne peuvent aisément être abordés avec une rigueur comparable à celle des phénomènes chimiques et physiques que nous étudions dans nos laboratoires, sur des corps parfaitement définis, dans des conditions de changement d’état dont nous sommes maîtres. Les phénomènes atmosphériques, variables d’une année à l’autre, viennent encore compliquer la question. Une longue série d’années d’observation et d’expériences peut seule atténuer, dans une large limite, l’influence des conditions extérieures: température, pluie, etc.... Si l’on ajoute que, sur la quantité des habitants d’un pays adonnés à la culture, il en est un nombre excessivement restreint sachant expérimenter, dans le sens exact du terme, il n’y a pas lieu de s’étonner du peu de données certaines sur les conditions de production de la plupart des récoltes que nous demandons à la terre.

C’est cependant, pour l’agriculture comme pour l’industrie, de la science expérimentale seule, dans son acception la plus rigoureuse, que nous sont déjà venus et que nous viendront dans l’avenir tous les progrès dans l’art d’obtenir, avec la moindre dépense, la plus grande somme de produits, ce qui doit être le but final des efforts du cultivateur.

M. Boussingault, en France; J. de Liebig, en Allemagne; sir J. Bennet Lawes, en Angleterre, ont inauguré, de 1837 à 1840, l’ère féconde des applications des sciences physico-chimiques à l’agriculture.

M. Boussingault, en introduisant l’analyse chimique dans l’étude des phénomènes de la végétation et de l’alimentation des animaux, a posé, avec J. B. Dumas, les fondements de la statique des êtres vivants.

J. de Liebig, en mettant en lumière, d’une façon magistrale, le rôle de la matière inerte dans la nutrition des êtres, a institué la doctrine de la nutrition minérale des végétaux, seule base solide de nos connaissances et de nos études sur les exigences des végétaux, sur l’épuisement du sol par les cultures, sur la nature et la quantité d’éléments fertilisants à restituer à la terre pour maintenir et accroître sa fécondité.

Sir J. Bennet Lawes, en instituant, dès 1837, sur une échelle inconnue jusqu’à lui, les expériences sur les engrais et sur les animaux de ferme qui ont rendu célèbres, dans le monde entier, l’exploitation, les champs d’expériences et les laboratoires de Rothamsted, a fondé la statique chimique du sol et celle de la culture du blé, de l’avoine, de l’orge, des betteraves, etc. Depuis bientôt un demi-siècle, l’éminent agronome, seul d’abord, puis, dès 1843, avec la collaboration du docteur Gilbert, dont le nom est inséparable du sien, poursuit, tant dans les champs d’expériences que sur la ferme de la contenance de 130 hectares qui y confine, des essais méthodiques de la plus haute valeur sur les principaux produits du sol. Ces études expérimentales sont complétées par un ensemble d’observations météorologiques non interrompues depuis plus de quarante ans, qui permet de dégager l’influence des phénomènes atmosphériques de celle des fumures sur le rendement de la terre.

On a semé à l’automne de 1884, à Rothamsted, pour la quarante et unième fois consécutivement, blé sur blé dans les champs consacrés à l’étude de cette céréale. Au commencement du mois d’octobre dernier a paru, dans le Journal de la Société royale d’agriculture d’Angleterre, un long Mémoire de sir J. Lawes et du docteur Gilbert, exposant dans leurs détails les résultats de 1864 à 1883, dans la culture non interrompue du blé sur le même sol et dans différentes conditions de fumure. En 1864, sir Lawes et le docteur Gilbert avaient publié le résultat des vingt premières années de culture de blé sur blé, de 1844 à 1863 inclusivement.

Au mois d’août dernier, le Journal de la Société chimique de Londres a publié le complément de ces belles recherches sur la culture du blé : c’est un Mémoire sur la composition des cendres de blé (grain et paille), récolté à Rothamsted dans différentes années et dans des sols diversement fumés.

Nous sommes donc en possession, grâce au labeur infatigable des bénédictins de Rothamsted, d’un ensemble complet de documents de la plus grande valeur sur la culture, la production et la composition du froment (paille et grain) récolté pendant quarante années consécutives dans le même-sol, diversement fumé et dans des conditions climatologiques très diverses. On conçoit sans peine l’intérêt de l’œuvre de sir Lawes et de Gilbert pour le praticien; malheureusement l’Angleterre, pays aussi attaché à la tradition qu’à la liberté, n’a point encore consenti à accepter le système métrique, de sorte que les innombrables chiffres consignés dans ces quarante années d’expériences expriment tous des mesures et des poids anglais; les récoltes sont données en bushels, peks, quarters et livres-avoir-du-poids, rapportés à l’acre. Les hauteurs de pluie sont en pouces (inches), les quantités d’eau récoltées au sortir des drains en gallons, ainsi de suite.

La lecture de ces précieux Mémoires est donc impossible pour ceux qui ne sont pas familiarisés avec les mesures anglaises et j’ai dû, au préalable, convertir toutes les valeurs numériques dont j’aurai à me servir dans l’examen de cette étude, en nombres dérivés du système métrique.

Guidés par l’expérience demi-séculaire des agronomes de Rothamsted, nous allons établir, pour le blé, l’influence décisive des divers s fumures sur le rendement, sur la valeur nutritive du grain et sur le prix de revient. Des recherches expérimentales bien conduites, poursuivies sans interruption, pendant une longue période d’années, sur les mêmes plantes, fournissent des renseignements tellement précis que, chose aussi exacte que peu vraisemblable au premier abord, elles permettent à leurs auteurs de calculer à l’avance, d’après les résultats obtenus dans leurs essais, le rendement probable d’une plante, le blé, par exemple, pour tout un pays. C’est ainsi que, depuis 1862, sir Bennet Lawes et M. Gilbert, annoncent dès le mois de septembre, d’après la récolte de Rothamsted, le rendement moyen de l’Angleterre, le déficit probable de la récolte en blé, par rapport à la consommation, pour l’année suivante.

Quand, un an après cette pronostication, la statistique fait connaître les importations en blé et les rendements à l’hectare, les chiffres officiels et ceux qu’ont publiés, par anticipation, les savants agronomes de Rothamsted, présentent une concordance surprenante. On va en juger par quelques exemples: pour la période de 27 ans comprise de 1852 à 1878, les calculs de rendements à l’hectare pour tout le Royaume-Uni déduits des expériences de Rothamsted et ceux que fournit la statistique des importations et de la consommation ont été les suivants:


Moins de deux tiers d’hectolitre de différence dans l’évaluation du rendement moyen des 27 années!

D’après les récoltes de Rothamsted en 1883, l’importation de blé annoncée, en septembre de la même année, par sir J. B. Lawes, devait s’élever, pour 1884, à 45,859,000 hectolitres; elle a été de 45,989,000 hectolitres. Ces résultats vraiment remarquables sont de nature, on le voit, à inspirer la plus grande confiance, relativement aux déductions que nous allons tirer de l’examen critique de Quarante années de culture de blé à Rothamsted.

La production agricole en France : son présent et son avenir

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