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Prix de revient. — Influence de la nature de la semence sur les rendements.

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L’un des motifs les plus fréquemment invoqués, dans ces dernières années, en faveur de l’élévation du droit qui frappe aujourd’hui les blés à leur entrée en France, est tiré du prix de revient de cette céréale. Le langage des agriculteurs des diverses régions peut se résumer de la façon suivante: «Le prix de revient du blé est trop élevé pour qu’en vendant ce grain aux cours actuels nous ne soyons pas en perte; un droit à l’importation empêchera l’étranger de venir faire concurrence à nos produits et les prix de vente, se relevant d’autant, dépasseront notablement le prix de revient.» — La première condition pour s’entendre est de parler la même langue et de se servir des mêmes mots pour exprimer même idée ou même fait. Il nous faut donc examiner tout d’abord si les mots prix de revient appliqués d’une façon générale à un produit du sol d’un pays tout entier, voire d’une région, ont ou peuvent avoir une valeur absolue. Les agriculteurs du Nord, de la Lorraine, de la Corrèze, etc., énoncent-ils la résultante de facteurs identiques lorsqu’ils parlent du prix de revient du blé ? Lorsque ces divers cultivateurs vendent leur blé sensiblement le même prix, réalisent-ils le même bénéfice ou subissent-ils, suivant les cas, une perte égale? Telle est la première question qui se pose lorsqu’on entend des cultivateurs de régions si différentes parler du prix de revient de leur récolte: question capitale, car, faute de se mettre d’accord sur la valeur des termes qu’on emploie, on est conduit à des interprétations entièrement erronées des faits que ces mots sont censés représenter. Il importe donc de se faire une idée exacte de ce qu’on doit entendre par «prix de revient du blé ».

Tandis que d’un côté on parle sans cesse du prix de revient trop élevé du blé, d’autre part on dit et l’on écrit fréquemment que le prix de revient d’un produit agricole est insaisissable, qu’il ne peut se chiffrer même approximativement. Cela est absolument vrai si l’on veut parler d’un prix de revient universel en quelque sorte, c’est-à-dire s’appliquant, pour une denrée déterminée, à un pays tout entier. Il est impossible, évidemment, d’assigner un prix de revient unique au blé pour la France, pour l’Angleterre, etc. Bien plus, le prix de revient varie, non seulement de pays à pays, de région à région, mais encore de ferme à ferme et même de champ à champ, comme nous le verrons tout à l’heure. Mais il faudrait bien se garder de conclure de là que l’agriculteur est dans l’impossibilité d’établir, pour ses propres récoltes, un prix de revient au moins très approché sur lequel il pourra baser ses opérations culturales. Nous pensons, avec M. E. Lecouteux, que les éléments fondamentaux du prix de revient peuvent être ramenés à quatre: le prix de la terre ou son loyer, la dépense de main-d’œuvre, celle des engrais et enfin le rendement de la récolte sur laquelle se répartissent les frais de production. De ces quatre éléments, le facteur dominant se trouve, la plupart du temps, être le rendement. C’est, en tout cas, celui sur lequel le cultivateur peut exercer le plus directement son action.

La valeur foncière et locative du sol, le prix de la main-d’œuvre, celui des fumures et le rendement étant essentiellement variables d’un pays ou d’un lieu à un autre, on voit qu’il serait chimérique de vouloir établir un prix de revient unique du quintal de blé. Il ne serait pas moins faux, d’autre part, de prétendre que, dans des conditions déterminées, cette évaluation n’est pas possible. Je voudrais d’abord, par un exemple décisif, mettre en relief la prédominance du rendement, toutes choses égales d’ailleurs, sur le prix de revient du blé.

Les expériences que je vais rapporter devant nous fournir des éléments très utiles pour l’étude de l’accroissement de la production agricole, je crois devoir les exposer avec quelques détails. De concert avec le directeur de la station agronomique de l’Est, M. Thiry, directeur de l’école d’agriculture Mathieu de Dombasle, a institué en 1884, sur le domaine attenant à l’école, des expériences sur l’influence de la nature de la semence sur le rendement en blé : 13 parcelles d’un même champ, variant en superficie de 7 à 20 ares, ont été préparées avec soin et ensemencées, à l’automne de 1883, avec 13 variétés de blé. Le sol, argilo-siliceux, pauvre en éléments nutritifs, a été analysé et m’a donné les teneurs suivantes en principes fertilisants:


Nous avons donné au sol une fumure minérale présentant, au cas particulier, le double avantage d’une composition rigoureusement établie et d’une valeur argent indiscutable, celle du prix d’achat. Le champ d’expérience, très homogène dans ses diverses parties, avait été semé en avoine en 1882 et laissé en jachère en 1883, année pendant laquelle il reçut, avant, la semaille, quatre labours et deux hersages. Avant l’hiver, le sol reçut, au moment du dernier labour, 600 kilogr. (à l’hectare) de phosphate de chaux précipité, à 27 p. 100 d’acide phosphorique, coûtant 21 fr. les 100 kilogr., soit une dépense de 126 fr. à l’hectare. Au printemps de 1883, on sema, en couverture, 250 kilogr. de nitrate de soude (à l’hectare), au prix de 32 fr. les 100 kilogr., soit une dépense de 80 fr. La fumure à l’hectare s’éleva donc à la somme totale de 206 fr. La valeur locative moyenne des terres de cette qualité est d’environ 70 fr. à l’hectare; la main-d’œuvre (frais de culture et de récolte) est évaluée à 124 fr., soit, au total, 400 fr. à l’hectare. Dans cette culture, une seule condition a varié : la nature de la semence employée. Les rendements en grains ont été les suivants:


La nature de la variété de blé a donc, à elle seule, plus que doublé le rendement pour la parcelle 13, la récolte ayant passé de 14 q. m. 73 à 29 q. m. 70. Pour aller au-devant de l’objection qu’il s’agit ici de cultures expérimentales sur des surfaces relativement restreintes (7 à 20 ares par parcelle), je citerai les rendements obtenus cette année par MM. Tourtel à Tantonville et à Ormes (Meurthe-et-Moselle), avec des semences provenant des récoltes antérieures de M. Thiry à l’école Dombasle, semées dans un sol argilo-calcaire avec fumier de ferme:


L’écart maximum en grande culture, à Tantonville, a été de 10 q. m. 96 à l’hectare. Voilà donc, dans une année dont le rendement moyen, pour la France, a été seulement de 15 hect. 90, soit, au maximum, 12 q. m. 13 à l’hectare, des sols de moyenne qualité qui ont donné des excédents de récoltes, variant sur la moyenne de la France de 6 q. m. 82 à 17 q. m. 78, suivant la nature de la semence employée. Il saute aux yeux que parler du prix de revient du blé sans spécifier les lieux et les conditions de culture équivaut absolument à ne rien dire.

Mais revenons au champ d’expériences de Tomblaine et cherchons à établir le prix de revient du blé sur chacune de nos parcelles. Pour nous, le prix de revient sera le quotient de la dépense à l’hectare (diminué de la valeur de la paille correspondant au grain récolté) par le nombre de quintaux de blé obtenus. Nous négligeons les frais généraux et l’impôt pour simplifier nos calculs; cela est d’ailleurs sans importance pour le but que nous nous proposons, les comparaisons que nous allons faire ayant une base commune. Nous négligerons aussi, pour ne pas compliquer outre mesure le problème, les légères variations dans le poids de la paille, suivant les rendements en grains, et nous admettrons le chiffre moyen de 100 kilogr. de paille pour 58 kilogr. de grain vanné.

Enfin, nous prendrons pour bases des évaluations argent le prix de 20 fr. 50 c. par quintal de blé, et de 47 fr. par 1000 kilogr. de paille, prix minima du marché de la Lorraine, en novembre et décembre 1884.

Le tableau suivant nous fournit tous les éléments nécessaires pour établir le prix du blé récolté sur nos treize parcelles.


Nous sommes donc en présence d’un sol de qualité médiocre, mais convenablement fumé et bien cultivé dans lequel, la même année, les rendements à l’hectare présentent un écart de près de quinze quintaux, entraînant une différence, dans le prix de revient du blé, de 13 fr. 69 c. par quintal, suivant la nature de la semence employée.

La dépense pour chaque parcelle étant de 400 fr. à l’hectare, la parcelle n° 1 laisse un bénéfice de 21 fr. 29 c. seulement, c’est-à-dire tout à fait insignifiant et peut-être nul, puisque nous avons négligé de faire entrer en ligne de compte l’impôt et les frais autres que ceux de la culture, de la fumure et de la récolte. La parcelle 5 donne déjà un bénéfice de 141 fr. 66 c. à l’hectare et la parcelle 13 laisse à l’hectare au cultivateur un excédent de 449 fr. 49 c. du produit sur la dépense.

Quelle peut être, nous le demandons au protectionniste le plus convaincu, l’importance, pour le producteur, d’un droit de 3, 4 ou 5 fr. par quintal, à l’importation, sur une matière dont le prix de revient varie, dans un même sol, entre 5 fr. 36 c. et 19 fr. 05 c., c’est-à-dire du double au quintuple de ce droit? Encore faut-il tenir pour certain que jamais le prix vénal du blé ne s’accroîtra de la quotité du droit de douane.

En 1882, bonne année où la France a récolté 122 millions d’hectolitres de blé, M. Thiry avait obtenu à l’école Mathieu de Dombasle, avec seize variétés de blé, des résultats tout aussi intéressants que ceux que nous venons de rapporter. Les conditions climatériques des années 1882 et 1884 n’ayant point été comparables, je crois utile de résumer ici les essais de culture de 1882, en indiquant d’après les chiffres que m’a remis M. le Directeur de l’école Dombasle, les frais de culture et le prix de revient du blé :


Les blés ont été semés en ligne, à raison de 200 litres à l’hectare, soit une moyenne de 152k,400. La semaille a eu lieu dans une pièce de deux hectares faisant partie de la ferme louée à M. Thiry au mois d’octobre 1881, à raison de 125 fr. l’hectare, prix de convenance, M. Thiry évaluant la valeur locative des terres de cette qualité à 70 fr. l’hectare. Le sol de cette pièce est le même que celui du champ d’expérience de 1884. Le terrain avait été cédé à M. Thiry fumé au fumier, labouré et prêt à être ensemencé, moyennant une indemnité de 175 fr. par hectare.

Les frais de la récolte de 1882 sont établis de la manière suivante, d’après la comptabilité de l’école Mathieu de Dombasle:


M. Thiry fait observer que les frais, aux conditions ordinaires de la culture, c’est-à-dire au prix de location du sol à sa valeur, indépendamment de la convenance, avec l’emploi des semences récoltées sur la ferme, se trouveraient réduits de la façon suivante:


chiffre voisin du nombre rond de 400 fr. que j’ai admis dans mes calculs précédents.

En 1882, l’écart des rendements a été à l’école Mathieu de Dombasle de 17qm, 70 (parcelle 1) à 35 quintaux métriques (parcelle 16), soit supérieur à 17 quintaux métriques. Je n’insiste pas sur les prix de revient résultant de cette culture pour chaque variété de blé, faciles à déduire des chiffres qui précèdent. Je me bornerai à constater que M. Thiry a réalisé un bénéfice moyen de 447 fr. 56 c. à l’hectare, en vendant 30 fr. le quintal la récolte comme blé de semence, et qu’il eût encore réalisé un bénéfice de 384 fr. 40 c. au cours de cette époque, 25 fr. le quintal, s’il eût vendu son blé à la meunerie.

Les cultivateurs de Meurthe-et-Moselle accusent un rendement moyen à l’hectare de 14 hectolitres pour l’année 1884, soit 11 quintaux; d’après ce chiffre, qui nous paraît au-dessous de la réalité, le prix de revient du quintal, pour une dépense de 400 fr., dont il faut déduire 89 fr. 11c. pour la valeur de la paille, ressortirait à 28 fr. 26 c. et constituerait le cultivateur en perte de 7 fr. 76 c. par quintal.

On voit par là, quelle que soit la part à faire à l’hypothèse dans les calculs qui précèdent, à quel droit excessif il faudrait recourir, non pas pour rémunérer largement le cultivateur qui accuse une récolte de 11 quintaux à l’hectare, mais seulement pour équilibrer chez lui la dépense et la recette! Ce n’est plus de 5 fr. par quintal qu’il faudrait grever le blé étranger, mais de 10 fr., de 15 fr., plus peut-être, en raison de l’application du droit à un faible quantum de la récolte, comme nous l’avons indiqué précédemment. On ne saurait trop le répéter, en effet, la quotité du droit de douane ne relèvera jamais que dans une limite faible le prix vénal du blé indigène. Quel est le législateur qui oserait voter 15 fr. à l’entrée sur le blé ? Je ne crois pas m’exposer à un démenti quelconque en affirmant qu’il ne s’en trouve pas un au Parlement. Les conclusions qui ressortent des expériences de culture que nous venons de rapporter et des rapprochements qu’ils permettent nous paraissent très nettes:

1° Le prix de revient du blé, qu’il est toujours possible d’établir très approximativement, lorsqu’on a en main les conditions de sa culture, a varié dans le même sol du simple au quadruple par suite des écarts de rendement.

Les termes prix de revient n’ont donc absolument pas de signification précise lorsqu’ils ne s’appliquent pas à une culture déterminée. Déclarer en bloc les prix de revient trop élevés dans un pays est se payer de mots, puisque, dans un même champ, le seul emploi de telle ou telle semence double la production, pour la même dépense, et fait osciller le prix de revient du quintal, entre 5 fr. et 19 fr., soit sensiblement de 1 à 4;

2° Un droit à l’entrée sur les blés étrangers ne saurait, sans compromettre sérieusement les conditions d’alimentation d’un pays, fournir au producteur une compensation aux trop faibles rendements obtenus; bien moins encore lui assurer un écart largement rémunérateur entre le prix de revient et le prix de vente;

3° Le seul remède à la situation déplorable de l’agriculture, et particulièrement de la culture du blé en France, est l’accroissement notable des rendements. Tous les efforts doivent converger vers ce but et nous examinerons plus loin les moyens de l’atteindre.

Ce que nous venons de dire du blé, nous pourrions, par des exemples analogues, l’établir pour les autres céréales. Nous y reviendrons un jour en abordant un autre point de vue, celui de l’influence de la fumure sur les rendements, toutes choses égales d’ailleurs.

La nature de la variété employée à la semence n’exerce pas une moindre influence sur les rendements du sol en pommes de terre et en betteraves. Les résultats obtenus, en 1884, à l’école Dombasle vont mettre le fait en évidence.

Parallèlement à la culture du blé, dans le sol dont j’ai fait connaître plus haut la composition, M. Thiry a institué des expériences sur le rendement de la pomme de terre, de la betterave fourragère et de la betterave à sucre.

Pommes de terre. — Le sol a reçu, avant la plantation, trois cultures à la charrue, et la fumure suivante à l’hectare:


Le champ d’expériences, divisé en quinze parcelles, a reçu quinze variétés de pommes de terre; le tableau ci-après indique le nom de la variété, la quantité de la semence employée à l’hectare, les rendements brut et net de chaque parcelle et le produit brut argent, à raison de 3 fr. 50 c. les 100 kilogr. de pommes de terre récoltées.


En grande culture, on a obtenu sur le domaine de l’école Dombasle les rendements suivants:


L’influence de la semence n’est guère moins sensible, on le voit, avec la pomme de terre qu’avec les céréales.

Les rendements obtenus varient du simple au triple et le produit, en argent, passe de 311 fr. 50 c. à 847 fr., par la seule différence de la semence employée, le sol et la fumure étant les mêmes pour toutes les parcelles.

Betteraves. — Le champ d’expériences consacré à la betterave, en 1884, a reçu quatre cultures à la charrue et autant de hersages. La semaille a été laite au semoir Smith, à raison de 20 kilogr. de graine à l’hectare. Comme complément d’une demi-fumure au fumier de ferme (200 quintaux à l’hectare), le champ d’expériences a reçu la fumure minérale suivante:


Les rendements obtenus ont été les suivants:

1° Betteraves fourragères


2° Betteraves à sucre:


Ici encore, des variations considérables dans les rendements, suivant la nature de la semence, sensibles surtout pour la récolte des betteraves à sucre, les quatre variétés de betteraves fourragères ayant été-choisies, en vue d’autres essais, parmi les meilleures variétés connues.

Les betteraves sucrières ont donné 28 tonnes et 44,9 tonnes à l’hectare, soit un écart de 17 tonnes environ et une différence en argent de 318 fr. à l’hectare.

Je ne l’ai point dit jusqu’ici, mais tout lecteur au courant de la culture l’a deviné, l’exploitation de l’école Dombasle est aux mains d’un praticien consommé. Son habile directeur, M. H. Thiry, sait que l’une des premières conditions des hauts rendements réside dans le travail du sol, son extrême propreté et sa mise en valeur, autant par les opérations de culture proprement dites, que par la fumure. Des exemples comme ceux que je viens de rapporter ne sauraient manquer de donner leurs fruits: les jeunes gens, au sortir de l’école Dombasle, porteront, dans les exploitations qu’ils sont appelés à diriger, l’expérience acquise de visu que la production du sol est loin d’atteindre, en moyenne, dans notre pays, ce qu’on en peut attendre.

Nous venons de voir l’influence décisive exercée sur le rendement de la terre par la qualité des semences qu’on lui confie. L’examen des résultats obtenus, avec la même semence, sous l’action des diverses fumures, va nous montrer combien, de ce côté aussi, l’agriculteur instruit peut accroître son rendement.

En attendant, il se dégage nettement, je le crois, de ce qui précède, une vérité importante, à savoir qu’aucun droit de douane ne peut entrer en ligne de compte avec les résultats à attendre d’un accroissement notable et très possible de la production agricole en France.

La production agricole en France : son présent et son avenir

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