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V—CHIGNOLE FAIT DE LA PHOTO.

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Depuis notre arrivée en escadrille, la chance ne nous a pas favorisés. Une pluie continue retient les appareils aux hangars strictement clos. Le vent d'est, déjà rude, arrache violemment leurs dernières feuilles aux arbres en bordure du plateau, et les collines environnantes portent sur leurs croupes le lourd manteau brun de l'automne.

Cette inaction forcée rend Chignole nerveux, car il attend impatiemment son premier raid. Un temps, il put tromper son attente par une série de courses organisées avec le gracieux concours des escargots rapportés de Champagne, mais ses pensionnaires, engourdis par le froid, restent désormais cloîtrés dans leurs coquilles; il a beau leur présenter des feuilles de salade, d'une fraîcheur incontestable, ils ne veulent plus rien savoir.

Chignole, en combinaison fourrée depuis le réveil, étudie sur la carte pour la vingtième fois peut-être le trajet à effectuer.

Mon ancien mécanicien en second, le doux Racine, nommé premier depuis que Chignole fait partie du personnel navigant, est complètement submergé sous le flux d'ordres et de contre-ordres que son patron lui jette avec forces gestes.

—Allons Racine ... grouille-toi!... Non mais, tu prends racine!... Je t'ai dit de mettre un peu de glycérine dans les radiateurs. Et ma pince?... Où est ma pince coupante?... Alors avec quoi est-ce que je couperai les freins de mes bombes?... Avec mes dents!...

Et se tournant vers moi, il ajoute avec pitié:

—Ces gens de la campagne ... c'est pas de la mauvaise volonté, mais pas d'idées ... pas d'idées ... voilà le malheur.... Ah! je me fais un sang de navet avec toutes ces histoires-là....

Racine reçoit la douche stoïquement, en homme de la terre, en paysan qui ne craint pas les averses.

————

Le rassemblement a été commandé pour deux heures; en tenue de vol, nous sommes au pied des coucous.

—J'ai pris un appareil photo.... Si on voit quelque chose d'intéressant.... Clac.... Ça y est!...

Et Chignole fixe son casque par-dessus le passe-montagne.

Attente.... Les nuages sont toujours bas, mais, par une large déchirure, on aperçoit un coin du ciel bleu.

... Arrivée du capitaine.

—Temps trop incertain.... Le raid est remis.... Messieurs vous êtes libres!...

—Ah! c'est la barbe! ne peut s'empêcher de s'exclamer mon camarade.

—C'est également mon avis ... mon brave Chignole ... je sais que vous avez hâte d'aller là-bas.... Résignez-vous ... il faut attendre.... Pour vous distraire, faites un vol d'essai ... j'autorise votre pilote....

... Nous partons, un peu remués.

—Tu aurais pu enlever les bombes ... le zinc serait plus maniable....

—Je n'y ai pas pensé.... T'en fais pas ... ça gazera!...

... Vent debout, nous montons rapidement vers le trou bleu qui dans le bandeau noir du plafond nous hypnotise.

—C'est idiot d'avoir contremandé le bombardement ... on y voit très bien!...

... En effet, le soleil luit chez les Boches et les nuages sont là-bas beaucoup moins épais.

—Oui ... on aurait pu le faire....

—Il ne tient qu'à nous d'y aller!... Les dragées sont là ... et il me désigne les bombes avec leurs percuteurs soigneusement vissés.

—Je comprends maintenant que tu ne les aies pas fait décharger.... Monsieur avait son idée....

—Ce que tu es malin tout de même!...

—Y aller seuls ... qu'est-ce que les Boches vont nous envoyer. D'autant qu'au retour, le capitaine pourra bien nous ramasser pour avoir enfreint ses ordres.

—Il nous dira quelque chose pour le principe ... au fond il sera très heureux.... D'ailleurs il n'est pas prouvé qu'on en revienne....

—Evidemment....

—Alors, si on n'en revient pas ... on ne sera pas ramassé.... On aura tout de même fait quelque chose de chic!... Qu'est-ce que tu décides mon gros?

... 1.400 tours ... plein régime ... nous passons les lignes.... Broum!... Trois boules blanches....

—Je crois qu'ils nous ont vus!...

... Broum!... Nous sommes environnés d'éclatements.

—On dirait qu'ils installent un peu!...

... Nous montons et disparaissons ainsi dans la brume.

—On est juste dans la bonne direction et vent debout ... aucune dérive.... Ça va gazer!...

... Dans les nuages, la sensation est identique à celle éprouvée en bateau par gros temps; roulis, tangage et paquets de mer....

—Oh! cette brume!

—C'est une brume qui m'a charmé!... chantonne Chignole....

... Les minutes passent ... longues ... longues. Je ne vois même pas l'extrémité des ailes, et la position de notre biplan doit être plutôt baroque.

—On n'est pas loin de l'objectif....

... Descente rapide.... Eclaircie ... la terre se dessine comme un visage derrière une voilette....

—Tu te repères?

—Oui ... un peu sur la gauche ... la gare ...

... Nous sommes bien sur le point à bombarder; de nouveaux éclatements nous le confirment.

—Descendez ... on vous demande!

... Chignole déclenche les bombes qui en dessous de nous décrivent de grandes circonférences avant de trouver leur perpendiculaire. Demi-tour et vent dans le dos, nous fuyons vers la France. Les nuages se sont élevés, et voilà bien notre guigne, nous allons revenir dans un ciel d'une limpidité parfaite.

—Ne t'endors pas!

—J'ouvre l'œil, Vieux Charles....

—En voilà un....

... A travers la glace du plancher, j'observe un fokker qui monte vers nous....

—Heureusement on a le vent!...

... Leurs canons se sont tus; l'oiseau aux croix noires se rapproche ... et nos lignes sont encore à dix kilomètres.... Nous sommes obligés d'accepter le combat, dans des conditions défavorables, puisque c'est un avion de chasse.

Je pense à mon compagnon dont ce sont les débuts. Comment va-t-il affronter le Boche? Comment va-t-il nous défendre? Une main à la bande, l'autre à la crosse de la mitrailleuse, les yeux fixés sur l'agresseur, Chignole me paraît faire bonne figure. L'ennemi est à notre hauteur; il vire brusquement et pique pour nous prendre en dessous; je fais la même manœuvre en sens inverse et nous nous trouvons nez à nez pendant quelques secondes. Sa mitrailleuse crépite.... Tac ... tac ... tac ... tac ... je n'entends pas la nôtre....

—Tire ... tire....

—Enrayage!...

—Ta carabine!...

—On a oublié les chargeurs!...

... Un cri de rage.... Je plonge pour donner au Boche l'impression qu'il nous a descendus; mais c'est un vieux du métier, il connaît le truc, car il nous accompagne dans la chute.

Son appareil colle littéralement au nôtre, tout en continuant son implacable tir.

—Chignole!!... Chignole!!!...

— ...

— ...

—Es-tu blessé? Réponds-moi?...

Il a dû être touché ... et gît sans doute écroulé au fond de la carlingue. Cramponné au manche, poussé à fond, je me retourne: Chignole debout, le sourire aux lèvres, la poitrine offerte aux balles et le Kodak au poing, photographie le Boche à bout portant.

Chignole (la guerre aérienne)

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