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III – Promenade

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Malgré le ciel si pur et le soleil déjà chaud, le vent soufflait encore aussi froid, les arbres restaient aussi nus qu’en hiver. Il me fallut, pour faire du feu, couper une de ces branches que je croyais mortes et la sève en jaillit, mouillant mon bras jusqu’au coude et dénonçant, sous l’écorce glacée de l’arbre, un coeur tumultueux. Entre les troncs, le sol nu de l’hiver s’emplissait d’anémones, de coucous et de violettes, et les rivières, hier encore sombres et vides, de ciel tendre, bleu et vivant qui s’y prélassait jusqu’au fond. Non ce ciel pâle et lassé des beaux soirs d’octobre qui, étendu au fond des eaux, semble y mourir d’amour et de mélancolie, mais un ciel intense et ardent sur l’azur tendre et riant duquel passaient à tous moments, grises, bleues et roses, — non les ombres des nuées pensives, — mais les nageoires brillantes, et glissantes d’une perche, d’une anguille ou d’un éperlan. Ivres de joie, ils couraient entre le ciel et les herbes, dans leurs prairies et sous leurs futaies qu’avait brillamment enchantées comme les nôtres le resplendissant génie du printemps. Et glissant fraîchement sur leur tête, entre leurs ouïes, sous leur ventre, les eaux se pressaient aussi en chantant et en faisant courir gaiement devant elles du soleil. La basse-cour où il fallut aller chercher des oeufs n’était pas moins agréable à voir.

Le soleil comme un poète inspiré et fécond qui ne dédaigne pas de répandre de la beauté sur les lieux les plus humbles et qui jusque-là ne semblaient pas devoir faire partie du domaine de l’art, échauffait encore la bienfaisante énergie du fumier, de la cour inégalement pavée, et du poirier cassé comme une vieille servante. Mais quelle est cette personne royalement vêtue qui s’avance, parmi les choses rustiques et fermières, sur la pointe des pattes comme pour ne point se salir? C’est l’oiseau de Junon brillant non de mortes pierreries, mais des yeux mêmes d’Argus, le paon dont le luxe fabuleux étonne ici. Telle au jour d’une fête, quelques instants avant l’arrivée des premiers invités, dans sa robe à queue changeante, un gorgerin d’azur déjà attaché à son cou royal, ses aigrettes sur la tête, la maîtresse de maison, étincelante, traverse sa cour aux yeux émerveillés des badauds rassemblés devant la grille, pour aller donner un dernier ordre ou attendre le prince du sang qu’elle doit recevoir au seuil même. Mais non, c’est ici que le paon passe sa vie, véritable oiseau de paradis dans une basse-cour, entre les dindes et les poules, comme Andromaque captive filant la laine au milieu des esclaves, mais n’ayant point comme elle quitté la magnificence des insignes royaux et des joyaux héréditaires, Apollon qu’on reconnaît toujours, même quand il garde, rayonnant, les troupeaux d’Admète.

Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel

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