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Les paradoxes d’aujourd’hui sont les préjugés de demain, puisque les plus épais et les plus déplaisants préjugés d’aujourd’hui eurent un instant de nouveauté où la mode leur prêta sa grâce fragile. Beaucoup de femmes d’aujourd’hui veulent se délivrer de tous les préjugés et entendent par préjugés les principes. C’est là leur préjugé qui est lourd, bien qu’elles s’en parent comme d’une fleur délicate et un peu étrange.

Elles croient que rien n’a d’arrière-plan et mettent toutes choses sur le même plan. Elles goûtent un livre ou la vie elle-même comme une belle journée ou comme une orange. Elles disent l’«art» d’une couturière et la «philosophie» de la «vie parisienne». Elles rougiraient de rien classer, de rien juger, de dire: ceci est bien, ceci est mal. Autrefois, quand une femme agissait bien, c’était comme par une revanche de sa morale, c’est-à-dire de sa pensée, sur sa nature instinctive. Aujourd’hui quand une femme agit bien, c’est par une revanche de sa nature instinctive sur sa morale, c’est-à-dire sur son immoralité théorique (voyez le théâtre de MM. Halévy et Meilhac). En un relâchement extrême de tous les liens moraux et sociaux, les femmes flottent de cette immoralité théorique à cette bonté instinctive. Elles ne cherchent que la volupté et la trouvent seulement quand elles ne la cherchent pas, quand elles pâtissent volontairement. Ce scepticisme et ce dilettantisme choqueraient dans les livres comme une parure démodée. Mais les femmes, loin d’être les oracles des modes de l’esprit, en sont plutôt les perroquets attardés. Aujourd’hui encore, le dilettantisme leur plaît et leur sied. S’il fausse leur jugement et énerve leur conduite, on ne peut nier qu’il leur prête une grâce déjà flétrie mais encore aimable.

Elles nous font sentir, jusqu’aux délices, ce que l’existence peut avoir, dans des civilisations très raffinées, de facile et de doux. Leur perpétuel embarquement pour une Cythère spirituelle où la fête serait moins pour leurs sens émoussés que pour l’imagination, le coeur, l’esprit, les yeux, les narines, les oreilles, met quelques voluptés dans leurs attitudes. Les plus justes portraitistes de ce temps ne les montreront, je suppose, avec rien de bien tendu ni de bien raide. Leur vie répand le parfum doux des chevelures dénouées.

Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel

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