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I. Aventures grotesques et sentimentales (suite).

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Table des matières

Mademoiselle Cécile, première ingénuité au théâtre des Célestins, à Lyon, avait reçu la lettre de Gabriel et, en reconnaissant la signature de ami de Roger, elle avait senti son petit cour bondir dans sa poitrine.

La lettre était ainsi conçue :

Mademoiselle

J’ose penser que vous pardonnerez à ami « le plus intime de Roger, de vous adresser cette lettre, dictée par un sentiment de a véritable amitié. Les circonstances sont graves, et vous excuserez le laconisme de mes expressions. Roger est en train de se perdre... L’aimez-vous assez pour vouloir le sauver ? 11 est jeune, et n’est coupable que d’entraînement ; son caractère est faible ; mais je sais combien il vous a aimée et combien il vous aimera ! Ne vous effrayez pas enlisant ce passé et ce futur à côté l’un de l’autre, dans le trait d’union naturel qu’on appelle le présent... le présent n’est pas à vous, mademoiselle... et je vous demande de me répondre franchement. Aimez-vous assez Roger pour lui garder le secret sur ma lettre, et pour chercher avec nous, car je ne suis pas seul, le moyen de tirer ce pauvre ami d’un guêpier où il s’est laissé tomber par oisiveté ? — Votre silence est la seule réponse que nous vous demandons, si vous ne vous sentez pas le courage de nous aider dans l’œuvre de sa régénération. Il avait arrangé sa vie avec vous, pour toujours, dans son imagination, et, je crois, dans son cœur, car sa voix était bien sincère quand il nous racontait ses espérances, sa foi et son amour... Il disait que vous aussi vous lui aviez voué votre existence. Soyez franche avec nous, Ja franchise en amour, c’est tout. Pouvez-vous appeler Roger près de vous, ou pouvez-vous venir près de lui ? — Ma lettre vous paraîtra singulière, absurde, inouïe, et le nous qui s’y retrouve à chaque ligne aura bien le droit de vous Surprendre... Voici l’explication de Ce nous mystérieux. Au milieu du monde parisien, de ce mondé qui mène l’amour à grandes guides, il s’est rencontré un jour quatre jeunes gens dont une femme, une jeune fille spirituelle et bonne. Nous avons fait le serment de rester fidèles, chacun à son premier amour, de lutter contre les obstacles et de nous aider mutuellement pour cela. Roger a manqué à son serment et il y a Une place vide à nôtre cour d’amour : et de fidélité... Je suis chargé de vous l’offrir... Voulez-vous être des nôtres ?

Votre serviteur dévoué et respectueux,

GABRIEL DU GARRIL.

Le trio de la fidélité se prenait de plus en plus au sérieux ; Georges et Gabriel imaginaient toutes sortes de ruses destinées à dessiller les yeux de madame Baldy. Ils employaient tous les moyens pour ridiculiser les prétendants, mais ces chasseurs intrépides ne bougeaient pas plus que des termes, et, leurs inventions pour plaire à Antoinette étaient souvent amusantes, surtout quand elles étaient provoquées par Georges ou par Gabriel. Ainsi, madame Baldy, ayant organisé un bal masqué, Antoinette, conseillée par ses deux amis, annonça qu’elle choisissait le costume de Colombine, et elle eut la précaution de ne faire part de son projet qu’à ses araignées et encore sous le sceau du plus grand mystère. Le soir du bal en question, vingt araignées de la forge firent leur apparition en Arlequins. Rien n’y manquait ; ni le masque noir, ni le chapeau-claque en feutre, ni la batte ! — Antoinette avait, paraît-il, changé d’avis au dernier moment, car elle portait un délicieux costume de vivandière, le costume exact de l’adorable Patti dans la Fille du Régiment. Quant aux deux amis, ils avaient endossé deux coquets Mousquetaires... Qui fut penaud ? Les Arlequins, qui comprirent qu’ils avaient été joués et qui essayèrent d’en prendre gaiement leur parti. Personne, pas même madame Baldy, ne comprenait rien à cet uniforme adopté par vingt jeunes gens, pour un bal où le hasard n’amena pas une seule Colombine. Les mousquetaires riaient sous leurs perruques et Antoinette faisait les honneurs de son petit tonneau aux invités... Au lieu delà liqueur favorite des troupiers, le mignon baril, un petit chef-d’œuvre de Siraudin, contenait de délicieux bonbons.

Une autre fois, on joua la comédie... Roger s’arracha aux douceurs des tabagies pour prendre le rôle de Don César de Bazan, dans le drame de ce nom, choisi par les Mousquetaires. Georges jouait don José, — Gabriel, le roi, et Antoinette, la Mariquita... On avait obtenu une des salles de Herz pour cette petite fête dramatique. Tous les prétendants furent employés en courses, pour les costumes, pour l’orchestre, pour les invitations, etc. — Ils se disputaient le plaisir de figurer auprès de la belle forgeronne... Aussi, assistèrent-ils à toutes les répétitions, lesquelles se firent en costumes, et apprirent-ils les chœurs avec le plus grand soin. — Enfin, au bout de vingt et un jours de fatigues de tout genre, le fameux soir arriva ! Ils étaient tous en scène, attendant Mariquita ; mais, tout à coup, Georges fit faire place au théâtre et annonça gravement au public que, par suite d’une indisposition subite de mademoiselle Antoinette Baldy, son rôle serait rempli par madame Othon du Triquet qui l’avait appris en double. Les Araignées furent fort désappointées, car la reine de la fête ne fit même pas une apparition à la salle Herz. Quant à Othon, elle fut... je ne dirai pas sifflée... c’était une soirée d’invités, mais... écoutée... avec des marques peu dissimulées d’ennui. Roger était furieux, Othon lui faisait manquer tous ses effets. — Elle ne savait pas assez le rôle, hésitait à chaque instant fit passait d’une scène à l’autre sans cérémonie.

Quant à Antoinette qui n’était nullement malade... mais qui s’était fait faire des laits de poule, elle causait au coin du feu avec son père, car elle avait exigé que madame Baldy allât à la salle Herz. Le père et la fille passèrent une soirée charmante ; Antoinette fit beaucoup rire le maître forgeron, en lui racontant tous les tours qu’elle jouait à ses prétendants. :

— Alors, ça ne te va pas d’être grande dame ?

— Oh, non pas du tout ! J’ai obéi à maman mais je suis fatiguée de cette comédie et de ce monde que je n’aurai vu que six mois, mais qui, à la longue, doit être terriblement ennuyeux !

— C’est pourtant amusant, à ce qu’il paraît, de danser chaque soir, de mettre des gants tout le temps et de se coucher tous les lendemains ! Qu’est-ce que tu rêves donc de mieux ? ajoutait-il en riant.

— Moi, papa ! je désire un petit appartement comme celui où vous avez été heureux si longtemps, toi et maman. Nous danserons, si nous voulons, avec notre monde à nous, Pierre n’a pas besoin de gants pour diriger la forge, et il faudra que je me couche de bonne heure, pour surveiller les enfants ! D’abord, je ne veux pas dé nourrice ? Tu viendras, le soir, faire ta partie avec nous... maman tricottera et ne pensera plus à tout ce qui s’est passé. Elle s’est plus fatiguée en peu de mois, à s’amuser, que, toute sa vie durant, à travailler. — Pierre, — Fanfan, qui finira, bien par oublier Tili et par se marier, Georges qui est un bon garçon... Voilà assez d’amis pour nous... nous irons au spectacle, en famille... et le dimanche, encore souvent chez Tonnelier... Je suis née petite bourgeoise, je veux rester petite bourgeoise Je jouerai tout aussi bien du piano pour mes amis que pour des intrigants qui veulent nia dot et se soucient de moi comme d’une poupée. Je dessinerai tout aussi bien le profil de mes enfants que le nez de madame Othon du Triquet... une bien jolie connaissance que maman a faite là !

— Alors, elle raconta à son père ce que madame du Triquet était par le fait... Le père Baldy resta stupéfié.

— Est-ce possible, dit-il, et comment, toi, si naïve, sais-tu de pareilles choses ?

— Maman m’a rendu un grand service sans le savoir, papa. J’ai appris, dans ce monde où elle m’a lancée, quels ressorts bas et vils font mouvoir ce tableau à musique, dont les airs changent souvent, mais les accessoires jamais. C’est toujours la même chose, médisances, envie, bassesse, cupidité, inconduite et surtout égoïsme profond ! J’ai vu le mal, je saurai l’éviter. Je ne suis plus une petite fille, et j’ai le droit de dire à mon mari : Soyez tranquille sur la vertu de votre femme, Pierre... J’ai vu le vice, Dieu me préserve d’y jamais tomber ! S’ils étaient heureux ou gais, au moins, tous ces gens-là ? Mais, pas du tout... Les hommes pensent à l’argent... les femmes à la toilette... Ils ont tous, la plupart du temps, des serpents dans le cœur. Là où l’âme n’a rien à faire, peut-on être heureux ? Je ne le crois pas ! Je ne vois le bonheur que dans l’affection et dans la famille ! Je ne suis donc pas faite pour le monde.

— Sambleu ! dit Baldy, lu l’arranges bien ton monde ! Moi qui craignais l’entraînement...

— Il n’y a pas de danger... Pierre se bat là bas, et moi j’ai ma petite guerre ici... Quand notre temps sera, fini, nous prendrons nos invalides et nous raconterons nos batailles à nos enfants. Voilà toute mon ambition...

En ce moment, la mère Baldy, accompagnée de Georges, rentrait à la maison... On se tut et l’on reprit le train ordinaire des choses.

Ce soir-là, Roger refusa sa porte à Othon... il la détestait de tout son cœur ; au milieu de la scène la plus palpitante, elle avait fait éclater la salle de rire, en l’appelant César de Bazane.

Othon passa donc la nuit sur le paillasson de Roger, il fut inflexible... Don César n’avait plus envie de disputer Mariquita .. au roi d’Esgne, au contraire !

— Ah ! sans la dot, sans la dot ! murmurait le chœur des Araignées de la Forge, tout en essayant de décoller les énormes moustaches qu’ils avaient adoptées pour les exigences de leurs rôles !

La mexicaine

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