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III. Suite du précédent.

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Tatigué, ma bell’demoiselle ! Si vous êtes pressé, moi, j’n’y suis pas : Ah ! laissez-moi ramer mes pois.

(Refrain d’une ronde bretonne.)

Fanfan arpentait le chemin, sans s’inquiéter s’il bousculait tout le monde pour aller plus vite ; mais il se trouva fort embarrassé quand il se vit rue d’Amsterdam. 11 n’avait mis qu’un quart d’heure à faire le trajet, et l’horloge du chemin de fer lui annonça qu’il avait encore trois quarts d’heure à passer avant de se présenter au n* 43. Que faire pendant ce temps-là ?

— Prenons un verre d’absinthe, se dit Fanfan, ça me donnera du toupet !

Il entra dans un café, regarda les images de XIllustration, du Charivari, du Journal pour rire, et fit semblant de lire le Constitutionnel ; mais la pendule ne marchait pas. Il avait bu deux absinthes, examiné toutes les gravures et compté dix fois les colonnes du Constitutionnel, et cependant il avait encore une demi heure devant lui.

Il sortit pour se faire décrotter, quoiqu’il, n’eût pas une tache, et après s’être fait de nouveau arranger la coiffure, il eut enfin le bonheur d’entendre sonner cinq heures.

O bonheur ! il allait voir Titi ! Titi, qu’il avait aimée, qu’il aimait encore, Titi, la sœur de Pierre, son meilleur camarade, la sœur de la Bise, cette courageuse enfant qui travaillait double, depuis que la petite part de Titi manquait à la maison. Il allait la revoir, dîner avec elle, avec elle seule !...

Il demanda au concierge, d’une voix qu’il s’efforçait de rendre indifférente : mademoiselle Sirène de Saint-Gratien, Le concierge sourit d’un air malin, et alla à un grand tableau où étaient quatre trous ressemblant à quatre grandes bouches ouvertes. Au-dessus de chacune de ces ouvertures, on voyait un timbre et un bouton. Fanfan regardait le portier curieusement. Il n’avait jamais vu ce système, et se demandait ce que faisaient là ces bouches de cuivre, ces boutons et ces timbres. Il en eut bien vile l’explication. Un bouton abaissé prévint qu’on avait quelque chose à communiquer au premier étage ; le timbre sonna un coup, ce qui voulait dire : nous y sommes ! Le portier marmotta quelque chose dans une des bouches et y appliqua son oreille un instant après, puis, se retournant, il dit à Fanfan, en ôtant sa casquette :

— : Madame de Saint-Gratien attend monsieur... Je vais avoir l’honneur de conduire monsieur !

Et toujours sa casquette à la main, il précéda Fanfan, qui, l’absinthe aidant, se sentait très-troublé. Tous ces préliminaires l’intimidaient. Après lui avoir fait gravir vingt-deux marches, recouvertes d’un fin tapis d’Aubusson, le portier sonna à une porte, salua profondément en disant à Fanfan :

— C’est ici, monsieur !

La porte s’ouvrit, et une petite bonne alerte, à l’œil mutin et fripon, véritable soubrette de vaudeville, qui vivait de l’antichambre en attendant qu’elle vécût du boudoir, lui dit d’une voix mielleuse :

— Si monsieur Fanfan veut se donner la peine de me suivre, madame attend monsieur !

Elle ouvrit alors une petite porte perdue dans la tapisserie et introduisit, ou plutôt poussa Fanfan dans le boudoir où Titi l’attendait, paresseusement étendue sur une causeuse.

Le forgeron fut un moment ébloui. La porte s’était refermée derrière lui, et il demeurait en place, son chapeau à la main, les yeux fixes, la bouche ouverte, se demandant in petto s’il rêvait tout éveillé !

Il se trouvait dans un merveilleux petit salon rose et blanc, éclairé par un lustre de bougies roses, quoiqu’il ne fût que cinq heures. Un tapis épais et moelleux cédait sous ses pieds. Comme il le dit plus tard à Quoniam, il croyait marcher dans de la crème ! Une table toute couverte d’argenterie, de fleurs et de mets mystérieusement assis sur des réchauds étincelants, se dressait au milieu du salon. Tout autour, sur des étagères de laque, on apercevait des poteries, des bronzes. Une chaleur douce, et l’odeur appétissante du dîner, qui attendait en se mitonnant, flattait délicieusement l’odorat. Mais, par-dessus tout, il admirait Titi, ravissante dans un déshabillé rose et blanc comme la chambre. Elle lui souriait de son plus joli sourire, et semblait heureuse de sa surprise.

Après l’avoir laissé quelques instants à son extase, elle se leva, alla à lui, le débarrassa de son chapeau, qu’elle posa sur un meuble, prit ses deux mains, durcies et hàlées par le feu delà forge, et qui étaient dégantées, quoique Fanfan eut acheté des gants noirs pour aller aux assises. On les lui avait mis, non sans beaucoup de peine, et aussitôt sorti du palais, il les avait glissés dans sa poche. Quant à y remettre ses doigts tout seul, il ne put jamais y parvenir.

— Arrivez donc, et mettons-nous à table... Je meurs de faim... Nous nous servirons nous mêmes... J’ai défendu à mes gens de nous déranger... Nous serons plus à notre aise pour causer, n’est-ce pas, Fanfan ?

Ce disant, elle le fit asseoir à table, prit place à ses côtés, et lui servit un délicieux potage à la bisque, qu’elle attaqua bravement la première. Fanfan, toujours fort ému, ne trouvait rien à dire. Il prit le parti d’imiter Titi et comme il avait très-faim aussi, il fit disparaître en un clin d’œil son assiettée de soupe.

— Je vous en demanderai encore un peu, dit-il en riant, c’est crânement bon !

La glace était rompue... Fanfan avait parlé, et pour une grosse nature comme la sienne, ce n’était pas maladroit du tout d’aborder la question comme il l’avait fait.

— Hein ! c’est meilleur que l’ordinaire de la crémerie, dit à son tour Titi, qui lui remplit son assiette,

Fanfan mangea de tout de fort bon appétit, et oubliant sa gêne primitive, il bavarda sur tout et sur tous ; mais sans faire aucune allusion à Titi il paraissait complètement ignorer sa position et ne pas désirer la connaître. Il raconta les amours de Pierre, les folies de madame Baldy, les jovialités de Quoniam ; au fromage, il était rouge comme un coq, et comme Titi lui versait un verre d’alicante en lui criant comme une folle :

— Tiens ferme !

Il s’enhardit jusqu’à lui dire :

— Et à votre santé, Titi !

Puis vint le café, qu’on prit encore tous deux, bien près l’un de l’autre, en fumant des cigarettes. Fanfan était dans le septième ciel, car Titi s’était trempée deux fois en allumant sa cigarette à la sienne, deux fois c’était celle de Fanfan qu’elle avait mise entre ses jolies dents en lui tendant l’autre à dessein. Tout d’un coup, et sans transition, elle lui dit :

— M’aimez-vous toujours, Fanfan ?

— Oui, toujours, et vous le savez bien.

— Eh bien ! moi aussi, je vous aime.

— Allons donc, dit Fanfan, j’attendais ce mot-là ! Vous êtes donc raisonnable, maintenant ! Et vous allez quitter cette vie-là... Vous me connaissez bien... Vous vous êtes dit : Fanfan est un bon garçon. Il me pardonnera, il m’aime tant ! Je redeviendrai une honnête fille, et il fera de moi une honnête femme... Et vous avez eu raison, Titi... Qu’on se moque de moi si on veut, mais je vous dis : Que le passé soit mort, à partir de ce soir ; vous avez voulu l’enterrer gaiement avec moi, et c’est gentil de votre part. Pierre ne saura pas les choses qu’il n’a pas besoin de savoir, Bise est une fille qui vous adore, j’entortillerai le père, et, dans un mois, vous serez madame Fanfan... J’ai quelques économies, je gagne huit francs par jour, et je ne fais pas le lundi... Vous serez heureuse, et je ne vous parlerai jamais de rien... ma parole d’honneur C’est dit, je vais annoncer ça à la maison... Demain, vous serez reçue à bras ouverts, et, dans un mois, la noce ! Tiens ferme !

Et il avala une gorgée de rhum !

Titi l’avait écouté parler sans trop le comprendre, elle le regardait, et réellement sa figure si franche, si loyale, s’épanouissant à toutes les bonnes pensées qui s’échappaient de ce cœur d’or, devenait presque belle. Sa vulgarité disparaissait sous l’animation que lui donnait son enthousiasmés Fanfan était bien convaincu de ce qu’il disait : il croyait fermement que Titi l’aimait assez pour tout quitter, pour devenir la femme honorable d’un honnête ouvrier. Il croyait un retour possible Fanfan ne savait pas lire ; c’était un juste. Il croyait que rien n’est plus simple que de revenir au bien et que rien n’est plus facile que de le faire. Il croyait au repentir ! bref, il avait toutes les sublimes utopies des âmes naïves. Il ne connaissait pas les existences semblables à celle de Roger... on aurait perdu son temps à les lui expliquer, il n’aurait pas compris. Titi qui n’ignorait plus rien, elle, et qui, en peu de temps, était devenue maîtresse en toute rouerie, ne voulut pas le détromper.

— Oh ! vous êtes le meilleur des hommes, Fanfan, murmura-t-elle en se laissant glisser coquettement près de lui et en penchant câlinement sa tête vers la sienne... vous ferez un bon mari.

Fanfan fut surpris de cet abandon subit, il se sentit troublé :

— Après tout, se dit-il, puisque je vais être son mari ! et, s’approchant à son tour, il entoura la taille de la jeune fille d’un de ses bras. Tandis que Titi passait ses jolis doigts dans ses cheveux, Fanfan rêvait tout haut à son bonheur futur. Titi ne l’interrompait que par des caresses innocentes, mais où se manifestait quelque chose qui ressemblait à de la colère* Ses mains étaient nerveusement agitées et, tout en tortillant, les favoris de son amoureux, elle les tira si fortement que Fanfan sentit une larme dans ses yeux.

— Bah ! dit-il en riant, tirez, c’est à vous... Alors vous consentez à tout ?

— Oui, oui, atout, murmurait Titi frémissante.

— Et demain je viendrai vous chercher... nous laisserons tout ça ici.

— Oui... oui, demain.

— Alors, à demain ! Votre pendule dit une heure du matin... Je reviendrai demain !

Titi le regarda d’un air si étonné que Fanfan lui dit :

— Eh bien ! qu’avez-vous ? n’est-ce pas convenu ?

— Pourquoi revenir ? Reste, je t’aime.

Et lui saisissant la tête à deux mains, elle la serra passionnément sur son cœur qui battait à tout rompre.

Fanfan n’était pas un Joseph, mais le pauvre garçon venait de bâtir un avenir si doux, de rêver une réhabilitation si haute, que comprenant tout à coup que Titi s’était moquée de lui, qu’un caprice et non l’amour avait tout fait dans cette invitation à dîner, dans cette soirée d’intimité, il fut pris d’un sentiment de dégoût, presque d’aversion ! Il reposa donc Titi sur la causeuse ; celle-ci le regardait toujours amoureusement ; mais Fanfan prit son chapeau :

— La sœur de Pierre, dit-il, jamais ! Adieu, Titi.

Et il sortit sans se retourner. Titi était restée clouée sur son canapé. Elle avait envie de pleurer, et quand sa bonne ouvrit la porte, elle lui demanda eu riant si elle ne comptait pas se coucher bientôt.

— Ah ! l’animal ! s’écria-t-elle. Il n’est qu’une heure ; vite une capeline, un grand châle.

— Où allez-vous donc, madame ?

— Au bal masqué, donc... c’est aujourd’hui samedi. Je m’habillerai chez Arthur !

— Tiens ! tiens ! dit la soubrette, il paraît que madame n’a pas fait ses frais.

Bien des gens riront de Fanfan ; nous ne ferons pas comme eux. Il avait un ami, un véritable ami ; il pouvait bien rêver la réhabilitation de la sœur de cet ami, mais il lui était impossible de partager sa honte.

Le lendemain, en le voyant pâle et triste à son fourneau, Baldy et Quoniam lui serrèrent silencieusement la main sans lui faire une seule question.

Ils avaient tout deviné.

La mexicaine

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