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IV. Histoire d’une grue. — Mademoiselle Hélène.
ОглавлениеOn n’a peut-être pas oublié que, lors de la première entrevue de Dumont-Baratte avec les dames Houlot, Mathilde avait manifesté une grande sympathie pour le caractère et la personne d’une certaine madame dé Winzelles, qu’elle avait entrevue à sa pension. Or, le commis élégant de la maison Anderson, lequel, entre parenthèse, n’avait, dans les allures, rien de commun avec la Ce Baratte, venait, par une sorte de coïncidence bizarre, proposer à la fille de madame Houlot d’entrer, comme demoiselle de compagnie, chez la sœur de la comtesse de Winzelles, madame Hélène Legendre ! On conçoit avec quel plaisir les dames Houlot acceptèrent cette place. Une sœur de madame de Winzelles ne pouvait être qu’une gracieuse personne. Si le lecteur veut bien nous suivre, nous lui ferons connaître cet ange nommé terrestrement Hélène Legendre, et que madame de Winzelles, sa sœur, ne voyait presque plus depuis longtemps, et pour cause. Donc, il y avait une fois, mademoiselle Hélène, sœur ou plutôt demi-sœur de madame de Winzelles, car elles n’étaient pas du même lit. Nous la prendrons à dix-huit ans, pour mieux l’apprécier dans la suite. A dix-huit ans, mademoiselle Hélène avait une taille charmante, des formes admirables d’élégance et de fraîcheur, une peau éclatante, malgré de nombreuses taches de rousseur. C’était une belle fille, dans toute l’acception du terme ; mais ce n’était pas une jolie femme. Quelque chose de disgracieux, d’antipathique dominait en elle. Hélène avait de grands traits irréguliers. Son nez était un de ces nez qui déplaisent aux hommes en général et aux artistes en particulier, surtout chez une femme. Il était busqué, et notre ami Quoniam n’aurait pas manqué de dire qu’il y avait promesse de mariage entre le nez et le menton de mademoiselle Hélène. Ses yeux de lapin aux paupières rouges étaient petits, ses cils et ses sourcils d’un blond blanc. Une bouche pour ainsi dire sans lèvres, tant elles étaient pincées, des dents écartées, un front bas et étroit, des cheveux magnifiques par exemple, d’assez jolis pieds, quand elle était chaussée ; de vilaines mains, larges et épaisses, quoique blanches et soignées, des extrémités sans finesse ; en dix lignes, voilà sa photographie. — Hélène ne supportait pas l’analyse ; mais l’ensemble était gracieux en somme, et, certainement, elle était, dans un bal, une des dix femmes les plus remarquées, en l’absence de madame de C…, ou de madame de K…, ou de madame ***, en l’absence, en un mot, des deux ou trois beautés de premier ordre, beautés incontestées de tous, qui ne manquent pas de se trouver dans toute ville de province ou dans tout salon parisien.
Mais son père lui nuisait beaucoup, sans le savoir, le cher homme ! Ce n’était pas de l’admiration qu’il avait pour sa fille, c’était du fétichisme. Incapable de dissimuler son enthousiasme, il abordait chacun avec des phrases dans le genre de celles-ci : « De l’avis de tous les sculpteurs, ma fille est la plus grande beauté des temps modernes ! » Ou bien : « Quoi, vous admirez le bras de madame A…, mais vous n’avez donc pas vu celui d’Hélène ? Je ne comprends pas comment la justice qu’on lui rend et les éloges qu’on lui adresse ne lui ont pas encore tourné la tête ; A Londres, où j’ai passé la dernière saison, elle a été proclamée la reine des salons, etc., etc.
Quelquefois, impatienté, on voulait couper court à ce panégyrique, aussi intempestif que paternel. Il n’y avait pas moyen. Vous hasardiez timidement que le nez de mademoiselle Hélène... « Je vous y prends, s’écriait le père incorrigible, ma fille a le plus beau nez du monde, et vous n’êtes qu’une bête ! Alors, (et voici où était l’écueil pour Hélène, et quand on songe à l’éducation qu’elle avait reçue, on la trouve vraiment plus à plaindre qu’à blâmer) ; on se prenait à la regarder attentivement, et l’on rabattait soudain de l’excellente impression première qui aurait pu durer, sans l’intervention du trop bon père de famille. On découvrait, un à un, les défauts saillants, et de la beauté merveilleuse qu’on était, prêt à acclamer tout à l’heure, il ne restait plus alors, pour l’observateur, devenu presque sévère en face de cette admiration systématique, qu’une jeune fille bien charpentée, à la peau blanche, aux cheveux abondants, mais, en définitive et au total fort insignifiante, sans grâce et sans beauté réelles, sans fraîcheur et presque laide même, le matin en déshabillé. Et puisque Quoniam doit endosser tous les termes marqués du cachet de la trivialité, attribuons-lui ce mot populaire :Pas mal aux quinquets ; mais faudrait voir au déballage ! »
Le père de mademoiselle Hélène ne lui faisait pas seulement un grand tort par ses louanges exagérées ; il avait un dada assez commun aux pères aveugles. — Il voulait absolument que tout le monde eût demandé sa fille en mariage ou fût prêt à la demander. Mais il voulait toujours et quand même que chacun en fût épris ! De sorte que, le lendemain d’une, soirée ou d’un bal, il n’était pas rare que le vicomte Z... abordât le baron Y…, par ces mots :
— Eh bien, cher ! mes compliments ! vous épousez donc mademoiselle Hélène !
— Moi, je l’ai vue hier pour la première fois !
— Allons donc, sournois que vous êtes... Pourquoi faire ainsi du mystère... c’est son père qui me l’a dit ce matin à déjeuner chez la marquise X... Heureux gaillard ! Une jeune fille qui a refusé le prince P... et le maréchal S…, que la reine d’Espagne a voulu marier avec un principicule allemand et que le roi de Prusse a fait demander pour son premier ministre, après l’avoir rencontrée à Nice
Le baron Y... restait abasourdi... il voulait répondre ; mais le vicomte Z... était déjà loin de lui, qui racontait à des amis, à grand renfort de gestes, la fameuse nouvelle. Il y avait de quoi donner la rage, et le baron, lorsque sa mère ou sa cousine donnaient un bal, se hâtait d’empêcher que mademoiselle Hélène ou son père-bavard y fussent invités. Heureusement que la colère du baron Y... ne durait que trois ou quatre jours ; car il ne tardait pas à entendre raconter la même histoire, seulement avec le nom d’un ou de plusieurs nouveaux futurs et, à son tour, il pouvait aborder le vicomte Z... et lui dire :
— Eh bien, cher ! mes compliments ! vous épousez donc mademoiselle Hélène ? etc. — Il en résultait vis-à-vis d’Hélène une certaine contrainte, une certaine gêne, qui finirent par ressembler à de l’isolement. Cependant, comme Hélène, à part ces petits ridicules, était doucereuse, souple, hypocrite et flatteuse surtout, quelques femmes, très-indulgentes, le nombre n’en est pas grand !
— laissaient volontiers approcher leurs maris de la belle Hélène !
— On ne dira pas, du moins, que ceux-là ont demandé en mariage la plus grande beauté des temps modernes !
L’affluence des hommes mariés auprès d’Hélène n’était pas une grande fiche de consolation pour celle-ci, qui ne répugnait pas au mariage, qui y aspirait même beaucoup. Le mariage était son rêve, son ambition ! le mariage ! le mariage quand même ! Mais son père, avec son bagout et ses caquets, ses mensonges éternels, cousus de fil blanc et qui ne trompaient personne, malgré la persistance bruyante et inconcevable qu’il mettait quelquefois à les soutenir, même en face de l’évidence, était cause qu’il y avait autour de la jeune fille comme un cordon sanitaire. Les mères qui avaient des fils, les jeunes femmes qui avaient un amant, les vieilles maîtresses de maison qui avaient un ami auquel elles tenaient, leur défendaient de mettre les pieds chez le père d’Hélène. Cette manie du pauvre homme était inguérissable ! Une seule chose m’étonne : c’est qu’il n’ait pas prétendu que les séraphins et les anges, munis d’autorisations spéciales, ne soient descendus du ciel pour lui demander sa fille en mariage ! l’élégant cavalier qui la saluait au bois... l’artiste qui la lorgnait au spectacle. Le général qui commandait une revue à laquelle elle assistait... le poète qui "lui faisait un quatrain inoffensif, et jusqu’à l’inconnu qui lui offrait la main pour monter en wagon... au tant de prétendants, autant d’amoureux, autant de victimes ! — Une grande dame qui occupe une haute position à la Cour impériale reçut la visite d’Hélène et de son père dans un petit château qu’elle habitait, en automne, aux environs de Calais... Le général H... ou K... comme il vous plaira, un de ses amis les plus dévoués et l’un de ses admirateurs les plus fervents, vint passer quelque temps auprès d’elle. Naturellement, la princesse présenta le célèbre guerrier au père et à la fille. Deux heures après, le père-marieur courait chez sa voisine, la vieille et spirituelle marquise de B…, si connue par ses jolis vers et une illustre amitié, et lui disait :
— Je vais vous confier un secret. Soyez discrète, le général K... vient d’arriver... il est éperdûment amoureux d’Hélène, il à fait le voyage exprès, dans le but de me demander sa main. Je ne sais pas trop si je dois y consentir... ma fille est si recherchée, et puis lé général K... est presque proscrit !
— Vous m’étonnez ! Le général ! Mais je croyais qu’il aimait la princesse depuis vingt ans, qu’ils ont fait ensemble le fameux siège de *** et que cet amour, joint à de rudes soucis, ne lui laissait guère le loisir de songer au mariage.
— Ëh bien ! vous vous étiez trompée !
— Mais tout le monde le croit comme moi !
— Eh bien !... eh bien ! tout le monde se trompe !
Il faut pourtant avouer qu’Une fois un imprudent faillit se laisser prendre à la souricière paternelle. Assis un soir auprès de M. Combalet, l’économiste en renom, le père- fatal s’étendait avec complaisance sur son sujet favori.
— Ma fille, disait-il, est la plus jolie femme de notre époque, quelle beauté ! quelle taille ! et puis quel caractère ! quelle fierté ! c’est un ange. Aussi, me la demande-t-on tous les jours... le roi de Danemarck, la reine de Suède ont voulu la marier... mais je ne suis pas pressé. Elle est d’ailleurs si jeune encore !
Ébloui par ce flux de paroles, par cette "kyrielle de noms illustres,M. Combalet se laissa étourdiment engager pour le lendemain. Hélène avait, en ce temps-là, une conversation à l’usage des jeunes filles, telles que mademoiselle Dubois les a stéréotypées dans lady Tartuffe. C’était la même innocence, la même candeur, le même naturel... On eût dit qu’elle connaissait le faible de Combalet. L’innocence est un paravent à la fois commode et gracieux pour les filles à marier. Elle permet de dire à un homme tant de choses charmantes qu’on est censé n’avoir pas comprises. C’est une arme qui porte entre les mains des femmes de quinze à vingt-cinq ans. Hélène voulait être épousée à tout prix... Aussi, était-elle toujours gaie, insinuante, proprette et d’égale humeur : nous verrons plus tard si le mariage ne lui enleva rien de cette réunion de qualités aimables. Elle fut charmante pour le professeur Il avait bien les cheveux un peu gris et les genoux moins corrects que ceux de l’Apollon du Belvéder ; mais, malgré les 48 ou 50 refus d’Hélène, elle lui fit l’accueil le plus empressé. Elle avait tout bonnement entrepris de lui tourner la tête. Elle causa, servit le thé, puis s’assit au piano et enfin organisa des jeux innocents. M. Combalet ressentait déjà quelque émotion. Le contact d’une belle jeune fille est dangereux et une petite main blanche fait si bien, quand elle repose sur une manche d’habit noir. Après la pendule, la sellette, le chevalier de triste figure, on passa au secrétaire... on se mit à une table et l’on commença à écrire, sur des carrés de papier, des demandes et des réponses. Ce jeu est un moyen fort ingénieux de correspondre. Les jeux innocents ont été inventés pour l’usage des jeunes filles innocentes.
La naïve Hélène écrivit des phrases dans le genre de celles-ci.
« J’aimerai qui m’aimera ! — Pour être mon mari, il faudra m’aimer beaucoup ! — il me semble qu’il y a un sentiment plus fort que celui que j’ai pour mon père ! — Ma perruche est venue m’embrasser ce matin ; mais, en lui rendant son baiser, — je ne pensais pas à elle ! ! »
O sainte innocence ! qu’as-tu à voir dans ces petits ballons d’essai lancés dans l’atmosphère de l’amour ! — Lorsqu’on lut tout haut les billets échangés... Hélène rougit jusqu’aux oreilles et se cacha la figure dans les mains.
Certains hommes font grand cas de l’ignorance chez une femme. M. Combalet avait ce travers plus que quiconque. On ne peut s’imaginer quels attraits a pour certains hommes une jeune personne, franchement, admirablement bête ! Il serait si doux de lui apprendre tout, de faire son éducation et surtout de pouvoir dire une balourdise ou commettre des erreurs, sans avoir à craindre d’être relevé du péché d’ignorance, sans redouter la discussion ou la polémique ! Ce sentiment se rencontre souvent chez les hommes de talent, chez des gens de génie même, qui ont dans le caractère un côté étroit, dont ils ne se rendent pas compte. La femme, en définitive, doit être une compagne, une amie. Mais il y a des hommes qui veulent tout ramener à eux, qui, obligés par leur position de subir souvent des contradictions, des démentis, de la part dé leurs adversaires politiques ou autres dans la vie publique ou littéraire, ne veulent trouver dans leur intérieur que l’admiration et l’adulation. Pour ces hommes, une femme intelligente ne saurait être leur affaire. S’ils prennent le Pirée pour un homme, ou s’ils parlent des chemins de fer du temps des Romains, comme certain député de ma connaissance le fit un jour, à la tribune ; s’ils débitent des absurdités au barreau, pour en finir, il leur déplaît souverainement que leurs femmes sourient ou plaisantent à propos dé leurs énormités. Heureuses les femmes qui savent se faire bêtes, plus heureuses peut-être celles qui le sont réellement ! Mais nous plaignons sincèrement les hommes qui placent leur amour-propre à posséder ces trésors de nullité. Je n’interdis pas le mariage aux femmes bêtes ou ignorantes ; seulement, je ne comprends pas les hommes qui les recherchent de préférence aux autres. Je me méfierai toujours |l’un homme qui a épousé une grue, comme on se méfie des gens qui sont couverts de parfums. Il y a toujours quelque chose là-dessous. M. Combalet, l’économiste en renom, était peut-être de cet acabit. Toujours est-il qu’il partit enthousiasmé, en promettant de revenir le jour suivant ; mais, je ne sais quelles réflexions prudentes l’assaillirent pendant la nuit ! — Peut-être trouva-t-il un peu trop virginales, un peu trop candides, les innocentes roueries et la tactique de la pure Hélène et de son père enthousiaste ; la vérité est qu’il trouva fort à propos une lettre qui l’appelait à Châlon-sur-Saône. Trois jours après, il n’y pensait plus et toute la ville était informée que l’infortuné professeur avait demandé la main de la reine des salons français et étrangers ! mais qu’il avait essuyé un refus et avait dû s’éloigner la mort dans le cœur. M. Combalet est un galant homme ; une fois sorti du piège, il n’a pas protesté.
Cependant, malgré tout cela, Hélène après avoir refusé sa main à tant de maréchaux ou de millionnaires, qui n’y avaient jamais songé et avaient même fini par rompre avec les maisons qui accueillaient ces méchants bruits, Hélène restait toujours fille, et le temps marchait. Elle comprit, et son père lui-même finit par comprendre, qu’il fallait un peu en rabattre, et la fiancée du ministre de Prusse, du roi de Danemarck et du grand Turc, finit par épouser un artiste de quelque talent, rendu presque célèbre par une esquisse de la mer Morte ! Cette spécialité de peindre les ruines, les déserts et les Mammouths le condamnait à une vie très-aventurée et très-aventureuse. Son mariage avec Hélène devait être pour lui un obstacle à ses projets d’excursions lointaines. Les artistes ne devraient jamais se marier sérieusement, surtout les peintres de la nature morte. Mais Hélène avait envie d’un époux ; pour en avoir un, elle eût pu se laisser aller aux actions les plus blâmables et dont elle était peut-être primitivement le plus incapable. Aussi le père fut-il lancé après l’heureux élu qui, pris entre deux feux, se rendit sans trop de résistance et se suspendit au cou une pierre d’achoppement.