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III

Table des matières

Le lendemain de cette [soirée de madame Runières, vers quatre heures, la voiture de Jean s’arrêtait dans une avenue isolée du parc de Neuilly, devant une petite porte pleine, percée dans un mur de clôture, au-dessus duquel on apercevait le toit d’une jolie maison dont l’entrée devait donner sur une autre rue. Il prit une clef, ouvrit, et, traversant le jardin, se dirigea vers le perron. Dès qu’il parut, une mulâtresse, qui semblait le guetter, l’accueillit avec des cris de joie.

–Bonjour, ma vieille Lizzy, lui dit-il en anglais. Bonjour et bon retour!.. Maud est là?

–Ah! la chère enfant! depuis plus d’une heure!

Et, s’empressant devant lui, elle souleva la portière d’un petit salon d’une élégance rare, vrai nid d’amants épris de mystère.

Lady O’Donor avait entendu le bruit des pas. A peine la portière retombée, elle s’élança dans les bras de Jean.

–Enfin, s’écria-t-elle, ’vous voilà! Trois semaines, trois longues semaines de séparation!

–Méchant! pourquoi n’être pas venu au chemin de fer? Et hier, rien qu’un mot froid et sec chez moi.

–Folle, dit-il, ne faut-il pas que je vous garde de toute imprudence?

–Eh! que m’importe, répondit-elle, pourvu que je vive? Mais, venez là, tout près, comme à Côme, et redites un peu que vous m’aimez toujours… autant que vous le pouvez du moins, avec votre cœur barbare.

Elle l’entraîna vers le divan où elle le fit asseoir, tenant ses deux mains dans les siennes.

–Cette fois nous ne nous quitterons plus, reprit-elle. Cet éternel deuil est fini. Je suis libre, et je vous verrai sans crainte, tous les jours si je veux.–Oh!’ ne faites pas votre moue, je suis revenue avec de très sérieux projets;

Jean mit un baiser sur son front qu’elle lui tendit.

–Voyons, tout cela est fort bien, ma chère Maud, dit-il; mais encore faut-il que ces beaux projets s’accordent avec la réalité. Je vous aime trop pour permettre rien de ce qui pourrait vous nuire, et j’estime que nous sommes trop forts tous les deux pour gâter à plaisir une situation dont nous avons tous les profits, sans que vous y perdiez l’état que yous avez acquis dans le monde.

–Bon, reprit-elle avec un sourire, tout cela était merveilleusement raisonné l’an passé; et, si ma tête folle se révoltait parfois, mon obéissance, du moins, n’était pas en défaut. Mais, depuis votre dernière visite à Côme, j’ai fait de grandes réflexions.

–Si grandes? exclama Jean en portant la petite main qu’il tenait à ses lèvres.

–Grandes comme le monde! répéta-t-elle avec le même sourire.

–Mesurons-les!

–Eh bien, ajouta-t-elle en le regardant dans les yeux, mon deuil est fini; nous nous marions.

A ce mot, Jean laissa échapper un geste de profonde surprise.

–Nous marier, dit-il, comme si cette proposition fût tombée de la lune.–Quoi! c’est là votre grand projet?

Lady O’Donor eut un léger mouvement de stupeur, et, sans détourner les yeux, fronça ses beaux sourcils.

–Ah! prenez garde, Jean, reprit-elle la voix un peu altérée, votre étonnement n’est flatteur ni pour vous, ni pour moi, et je suis assez votre élève pour comprendre ce qu’il veut dire.

–Il veut dire, ma gentille Maud, que cette imagination romanesque que j’ai eu tant à combattre vous égare une fois de plus, et que votre idée d’un mariage entre nous n’a point le sens commun, voilà tout!

–Pourquoi?–Est-ce manque d’amour. ou manque d’estime?

–C’est parce que ce serait une faute qui nous ferait déchoir de cette supériorité, si chèrement conquise, de deux être affranchis des sottes entraves du monde; n’en prenant que les joies exemptes de soucis, unis par un lien que rien ne peut rompre, prêts à tout l’un pour l’autre, à toute heure, parce qu’ils ne font qu’un, et qu’ils le savent, même lorsque, comme hier soir, ils ont à peine l’air de se connaître. Tout cela n’est-il pas charmant? Vous êtes folle, ma jolie Maud, de vouloir changer notre belle liberté contre un ridicule esclavage qui nous serait une gêne et nous humilierait.

–Mais votre passion pour cette belle liberté, dont vous me vantez les avantages, mon cher Jean, ne viendrait-elle pas de ce que vous ne m’aimez plus?

–Sur mon honneur, Maud, je ne vous ai jamais mieux aimée, répondit Jean. Où trouverais-je d’ailleurs votre pareille?

–Et mademoiselle Runières? dit-elle.

–Encore! s’écria-t-il. Cette ingénue de couvent que j’ai à peine vue trois ou quatre fois?

–Ingrate! ajouta-t-il, quand. depuis plus d’une année, elle vous sert de paravent.

–Elle me fait peur, reprit-elle. Elle vous aime, ou elle vous aimera…. je le vois, je le sens.

–Grand Dieu! s’écria d’Erneau en riant. Vous parlez comme la sibylle!

–Cela tient à mes origines, voilà tout, répliqua-t-elle froidement.

–Mais Jeanne Runières se marie dans quinze jours.

–La belle raison! Ne savons-nous pas que ce n’est point là un obstacle?.. Elle a de qui tenir d’ailleurs, ajouta-t-elle avec un amer sourire

–Et c’est pour cette folle préoccupation que vous voulez nous mettre à la chaîne, ma pauvre Maud?

–Oui, Jean, parce que je [sais qu’une fois votre femme je n’aurais plus rien à craindre. Si sceptique que vous êtes, je vous connais, et je n’ignore pas que, votre foi donnée, vous ne la trahiriez plus.

Sans répondre, Jean la considéra un instant comme touché de ses alarmes, et, l’attirant à Tui, il la prit dans ses bras comme un enfant que l’on console:

–Allons, ma petite Maud, dit-il avec une tendre autorité qui révélait cette fois quelque émotion, il faut soigner cettee folie-là, car elle peut troubler ta vie… Comment! jalouse, toi? Mais c’est là un sentiment bête entre tous!

–Mais ce sentiment bête, si j’en souffre, Jean, comme d’une épine au cœur dont le tourment m’obsède?

–On l’extirpe, et l’on en guérit, voilà tout t! Allons, souriez, ma belle orgueilleuse, et chassez ces papillons noirs qui vous rendent maussade en un si joli jour.–Quand on est ce que vous êtes et ce que je suis, on n’a pas de ces puérilités-là…

–Tu me jures que tu m’aimes toujours? répéta-t-elle en le regardant dans les yeux.

–Je te jure par mon grand serment que tu es la seule femme que j’aie jamais aimée.

–Je veux plus que cette parole, dit-elle d’un ton grave.

–Quoi encore?.. la tête de cette pauvre Jeanne Runières?.. Parle, tu l’auras!

–Je veux que tu t’engages à me laisser libre d’agir contre elle, si jamais tu l’aimais.

–C’est dit, ma belle tigresse! répliqua Jean en riant.–Enfin la voilà sauvée!

L'étoile de Jean

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