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Table des matières

Cependant, de si peu de conséquence que parût à Jean l’escapade de mademoiselle Jeanne Runières, ou si indifférent qu’il lui fût d’y apporter son concours, il n’était point homme à se dissimuler les quelques inconvénients qui pouvaient résulter pour lui de cette affaire. Tout cela, en somme, ne le regardait pas, et, bien que le rôle de redresseur de torts ait toujours quelque attrait, il était trop dégagé des choses du romanesque pour s’éprendre tout à coup d’un accès de don quichottisme, à seule fin de protéger les amours du jeune Mauvert. Le lendemain, à son réveil, sa première pensée fut qu’il se trôuvait avec la nièce de son parrain sur les bras, . ce qui déjà allait déranger sa journée avec lady O’Donor. Pourtant, comme une fois en croupe sur un dessein il ne permettait plus au souci de l’atteindre, il en eut bientôt pris son parti. Selon sa coutume, il fit seller son cheval pour aller faire un tour de bois; en route, il poussa jusqu’à Meudon, se disant que, après tout, il se pourrait fort bien que, à cette heure, la fugitive eût des regrets. Miss Clifford était là pour couvrir au besoin son incartade d’un jour. Elle rentrait au bercail, et tout était dit.

Mademoiselle Jeanne l’attendait avec une anxiété vive. Il la trouva nerveuse, agitée, consternée de sa fugue, d’une humeur d’enfant gâtée; tourmentée de réflexions tardives, et presque prête à lui reprocher de ne point l’avoir détournée de sa résolution folle. Enchanté d’une telle disposition d’esprit, Jean ne sourcilla pas plus que s’il eût écouté curieusement le carillon d’une horloge à musique. Comme, de son naturel, en aucune circonstance, il ne prenait jamais par quatre chemins, lorsqu’elle eut épanché ses émois, il lui proposa aimablement de la reconduire lui-même à sa famine.

–Mais ne suis-je pas déjà perdue? dit-elle avec amertume.

–Non, en aucune façon, mademoiselle, sachez-le! répondit-il. Pour tout le monde, vous avez eu un accès de fièvre hier soir. Nul n’a pu soupçonner votre absence de l’hôtel. Madame votre mère vous attend et vous espère. Et ce n’est point monsieur Verdier, je vous le jure, qui sera le dernier à vous ouvrir ses bras.

–Mais je ne veux pas épouser cet homme, s’écria-t-elle.

–Ni moi non plus, mademoiselle! ajouta Jean, imperturbable. Aussi vous laisserai-je le soin de résoudre ce que vous me faites l’honneur de réclamer de moi. Quel que soit votre vœu, croyez à mon dévouement sincère.

Jean d’Erneau était terrible quand il se mettait à être logique. Il possédait surtout un art de réduire si bien les choses à leur expression la plus simple qu’une fois cantonné dans un argument, il n’était plus possible de l’en faire déloger. Mademoiselle Jeanne le comprit d’instinct, et, baissant la tête comme une écolière prise en faute, elle garda un moment le silence.

–Pardonnez-moi, dit-elle enfin; j’ai peur de ce que j’ai fait, vous devez le comprendre; j’ai peur de retourner chez ma mère, parce que, je le sens, je serais vaincue dans cette lutte. Eh bien, vous, je vous en supplie, ayez de la raison pour moi. Je vous jure de suivre vos conseils.

–Mais, pour que j’osasse vous donner un conseil, mademoiselle, il me faudrait tout savoir de vos sentiments, de vos secrets, de vos pensées intimes. Or, nous nous sommes si peu rencontrés!

–Interrogez-moi, et je vous répondrai comme à un ami.

Jean, surpris, la regarda dans les yeux.

–Oh! comme à un ami, reprit-il, résolu à se tenir ferme, ce n’est pas assez. Il faudrait me répondre. comme à un frère.

–Eh bien! oui, comme à un frère, dit-elle en lui tendant franchement la main. Et je vous remercie de ce mot. Maintenant parlez.

–D’abord, demanda-t-il, pourquoi m’avez-vous choisi, moi que vous connaissiez à peine, pour vous aider dans votre projet?

–Parce que vous ne ressemblez pas à d’autres, et que, le peu de fois que je vous ai vu, vous m’avez parlé un langage que je n’ai entendu qu’à vous, qui m’a donné une meilleure idée de moi-même, et dont le souvenir m’a souvent soutenue dans mes découragements; parce que je sais par mon oncle ce que vous avez su faire de votre vie; parce que j’ai compris enfin que, seul peut-être, vous aviez deviné que je cachais une douleur et que vous en aviez pitié. Vous voyez bien que je ne pouvais m’adresser qu’à vous.

–Et si je vous disais de rentrer chez vous?

–Je vous obéirais!.. Mais je sais que vous ne direz pas cela

–Pourquoi?

Mademoiselle Runières n’osa répondre.

–Vous le voyez bien, reprit Jean, j’avais raison, vous ne pouvez me parler comme à un frère.

–Vous me tourmentez! dit-elle. Eh bien! oui, c’est odieux, n’est-ce pas, étant ce que je suis, de fuir la maison de ma mère et de l’abandonner ainsi?–Ah! je vous le jure, j’ai tout fait pour l’aimer, comme j’aimais mon pauvre père. Hélas! à douze ans je la connaissais à peine, et, lorsque à cet âge je sortis pour quelques mois de mon couvent, je ne demandais qu’à lui ouvrir mon cœur plein de tendresse, à la chérir, à la consoler de la perte si cruelle dont j’avais peur de la voir trop souffrir.–Mais monsieur Verdier était là.–Et depuis lors, ajouta-t-elle tristement en détournant les yeux, il m’a bien fallu comprendre que j’étais seule à me souvenir.

Malgré lui, Jean se sentit glisser; à son tour il tendit sa main.

–Vous êtes une brave enfant, dit-il.– Voyons, essuyez vos yeux et causons, comme deux amis, de la résolution grave que vous prenez aujourd’hui.–Vous êtes cette fois bien décidée?

–Oui.

–Et vous avez réfléchi à l’éclat qui va forcément en résulter?–On vous calomniera, n’en doutez pas; car, comme il vous faut disparaître jusqu’au jour de votre majorité sans que l’on sache ce que vous êtes devenue, le monde aura le champ libre à toutes les suppositions. Or, vous avez à –peine vingt ans, et c’est plus d’une année de luttes contre l’autorité de votre mère, qui mettra certainement tout en œuvre pour découvrir votre retraite.

–Qu’importe! dit mademoiselle Runières; plutôt que la vie que je mène où que l’avenir que l’on me prépare, je subirai tout.

–Un dernier mot pourtant, ajouta-t-il. Votre mère sait-elle que vous aimez monsieur de Mauvert et que vous êtes engagée avec lui?

–Oui. Et je l’ai suppliée!

–Qu’a-t-elle dit?

–Oh! elle m’a démontré que je suis une folle et que monsieur Verdier seul peut faire mon bonheur.

–Elle est restée inflexible à toutes vos prières?..

–Oui. Et même… devant des raisons que je croyais les plus puissantes sur elle.

–Quelles raisons? demanda Jean.

Mademoiselle Jeanne ne répondit pas et détourna encore les yeux.

–Voyons, reprit-il, pour que je puisse vous protéger sûrement, il faut bien que je sache tout.

Elle hésita encore, il la pressa.

–Eh bien! murmura-t-elle enfin, rougissante comme à un humiliant aveu, je lui ai offert la moitié de cette fortune que mon pauvre père, hélas! m’a laissée tout entière.

–Innocente, dit Jean, vous êtes mineure. Elle savait bien qu’une telle offre ne signifiait rien.

A ce mot, qui résumait tout un drame étrange qu’il avait depuis longtemps deviné, Jean d’Erneau, malgré son flegme, ne put se défendre d’un léger sentiment d’estime pour ce coup de tête de fille qui attestait une énergie rare. Son goût pour l’excentric trouvait après tout dans une telle aventure une assez belle occasion de s’exercer.

–Alors, reprit-il cette fois décidé, il faudra donc, mademoiselle, que ce soit moi qui vous marie!

Cette conclusion formulée, il eut bientôt arrêté son plan. Il était évident que la dernière pensée de madame Runières serait de soupçonner sa fille aussi près de Paris. Il suffisait à cette heure de ne point commettre d’imprudence, en attendant qu’il eût pourvu à la sécurité d’une retraite qui pût offrir à la rigueur, aux yeux du monde, toutes les garanties de convenance que réclamaient l’état et le nom de mademoiselle Jeanne. L’asile d’un couvent écarté, comme prêtant trop de facilité aux recherches, et s’accommodant mal d’ailleurs à la petite tête indépendante de la jeune personne, il allait s’occuper de trouver tout simplement dans quelque coin isolé de la France une demeure où, très prudemment cachée, elle attendrait sous l’aile de miss Clifford le jour de sa majorité.

–Auriez-vous des objections contre la Normandie? demanda-t-il à tout hasard.

–Je me soumets d’avance à ce que vous déciderez.

Jean d’Erneau revint tranquillement par le bois, comme s’il eût employé sa matinée à cultiver son train hygiénique, et que l’enlèvement d’une fille en eût fait partie, fût-elle la nièce de son parrain. Sans plus se préoccuper des suites que pouvait amener cette affaire, tout en sifflotant faux le chant national américain, il eut bientôt combiné dans sa tête les menus arrangements que nécessitait pour lui ce nouvel incident imprévu de sa vie. Sérieux dans son emploi de ravisseur, il se mit à réfléchir que le climat de la Normandie était un peu bien froid pour la santé d’une fille élevée en serre chaude dans un hôtel parisien. Et cela le rendit d’autant plus songeur que, de trois années de guerre et de nuits passées au bivouac, il avait rapporté quelques rhumatismes qu’exaspérait parfois la fraîcheur du temps. Le midi d’ailleurs avait cet avantage d’une nature plus vivante et plus gaie, ce qui était d’un inexprimable attrait pour une imagination exaltée que la solitude allait replier sur elle-même. Un petit castel de Provence, qu’il pourrait surveiller de Nice et de Monaco, où lady O’Donor parlait d’aller passer le prochain hiver, plairait certainement beaucoup plus à mademoiselle Jeanne qu’une triste habitation perdue dans les grèves. Sur cette pente, il en vint à se rappeler que sa mère habitait le département du Var.–Parbleu! se dit-il, voilà mon affaire! Je la dépose dans le giron maternel comme une jeune Américaine dont la famille est absente pour quelques mois. Mon parrain, qui n’a jamais remis les pieds dans le pays depuis que ses électeurs ingrats l’ont dégommé, n’ira jamais la chercher là!– Ravi de son idée lumineuse, il résolut d’écrire le jour même pour avertir sa mère de son retour, dont il avait tout à fait oublié de lui faire part, depuis sa dernière missive qui datait de trois ou quatre ans.

Comme il arrivait chez lui, il trouva le baron Sauvageot qui l’attendait, en donnant un coup d’œil aux détails de l’écurie.

–Eh bien! avez-vous des nouvelles de votre nièce? lui demanda Jean lorsqu’ils furent entrés.

–Aucune. Je viens de chez ma sœur; elle est désolée. Les dépêches arrivées ce matin au préfet ne révèlent rien du passage de deux voyageuses ressemblant au signalement donné d’une jeune fille accompagnée d’une gouvernante anglaise. Donc, elles ne sont point parties!

–Comment? s’écria Jean, est-ce que les ordres ont été envoyés dans cette forme-là?

–Sans doute! N’avais-tu pas dit de les expédier ainsi?

–Jamais de la vie!–Mais, mon parrain, c’était élémentaire cela.–Quoi! vous avez tous supposé que mademoiselle Runières tentait pareille escapade sans y être aidée par quelqu’un d’intéressé à rompre son mariage?

–Tiens, en effet, reprit le baron en fronçant ses gros sourcils, ce que tu imagines là est assez probable.–Alors, que crois-tu?

–Je crois tout simplement qu’un amoureux couple a passé la frontière, tandis que miss Clifford, partie par le même train, les suivait à distance, sans avoir l’air de les connaître.

– C’est vrai! dit le parrain en se frappant le front. Que faire alors?

–Dame, si mademoiselle Jeanne a un penchant secret, il me semble que madame Runières n’est point sans avoir eu quelque soupçon.

–C’est cela, s’écria le baron: Mauvert!.… Il sera venu de Rome pour faire le coup!

–Eh bien, reprit Jean avec son flegme, puisqu’il est là-bas à l’ambassade, rien de plus facile que de le retrouver. Et, en organisant autour de lui une surveillance active.

–Tu as raison, tout devient clairr–Je cours chez ma sœur. Merci encore de ta conduite en toute cette triste affaire.

En prononçant ces mots, le baron Sauvageot se leva, et tendit avec effusion la main à son filleul.

–Du reste, ajouta Jean d’Erneau, vous savez, je ne hasarde là que des déductions logiques. Il-se peut fort bien aussi que mademoiselle Runières n’ait point quitté Paris.

–Allons donc! ce serait trop naïff

Jean le reconduisit jusqu’au perron. Au moment de le quitter:

–A propos de voyage, dit-il, d’ici trois ou quatre jours, j’irai faire un petit tour à Nice. Si vous veniez avec moi?

–Impossible, mon cher, avec. de telles complications sur les bras.

–En ce cas, adieu, si je ne vous vois qu’à mon retour.

Son parrain expédié, sans plus de remords. Jean d’Erneau rentra dans son cabinet, et s’assit devant son bureau pour dépouiller sa correspondance du matin. Parmi les lettres déposées sur un plateau d’argent, il en avisa une, cachetée d’un grand sceau, qui lui venait d’Amérique. Aux timbres de la poste, il vit qu’elle lui avait été adressée de France, il y avait deux mois, et qu’elle lui était retournée par un de ses correspondants. Il l’ouvrit la première; elle était ainsi conçue:

«Grasse, 5février.

Monsieur Jean Derneau

à l’Assomption (Paraguay).

Monsieur, c’est avec le plus profond regret que j’ai l’honneur de remplir auprès de vous une pénible mission en vous informant de la mort de madame Marie-Séverine Derneau, votre mère, décédée hier, 4février, en sa maison des Olivets. Par des circonstances toutes particulières, sa succession réclamant absolument votre présence, je viens vous prier de vouloir bien au plus tôt me faire part de vos intentions à ce sujet.

Agréez, monsieur…

EDME-ÉLOI CAVAILLON,

notaire à Grasse (Var)»

–Voilà mes projets renversés, sedit-il avec ennui.

Pourtant il réfléchit bientôt que, après tout, par cet héritage, l’habitation lui restait, ce qui simplifiait déjà beaucoup les arrangements. La maison des Olivets, autant qu’il la pouvait retrouver dans ses souvenirs, située dans un endroit charmant, avait une aimable apparence de villa qui réjouirait les yeux de mademoiselle– Jeanne. Le confort intérieur, y fût-il insuffisant, était chose facile à régler.

Jean avait pour habitude d’agir sans longs débats. La lettre du notaire exigeant une prompte réponse, après le retard qu’elle avait éprouvé, il résolut de partir le soir même. Mademoiselle Runières était à cette heure trop bien à l’abri de toute découverte pour qu’une absence de quelques jours pût être un péril.–Il retourna à Meudon porter à la fugitive les dernières nouvelles du baron Sauvageot, l’informa qu’il allait lui préparer une retraite assurée, et, pourvoyant d’ailleurs à toute éventualité imprévue, la laissa pour courir chez lady O’Donor qu’il convainquit sans peine de la nécessité d’une séparation, si pleinement justifiée par la lettre du notaire qu’il lui montra.

L'étoile de Jean

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