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XVII

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Table des matières

Où se trouve la fatalité dans Hamlet, le Roi Lear et Macbeth? Son trône n'est-il pas assis au centre même de la déraison du vieux roi, sur les marches inférieures de l'imagination du jeune prince et sur la cime des désirs maladifs du thane de Cawdor? Ne parlons pas de celui-ci, ni du père de Cordélia, dont l'inconscience trop manifeste ne sera contestée par personne, mais Hamlet, le penseur, est-il sage? Voit-il les crimes d'Elseneur d'assez haut? Il les aperçoit, semble-t-il, des sommets de l'intelligence, mais les sommets de certains sentiments, les sommets de la bonté, de la confiance, de l'indulgence et de l'amour, dans la lumineuse chaîne de montagnes de la sagesse, ne dominent-ils pas ceux de l'intelligence? Que serait-il advenu s'il avait contemplé les forfaits d'Elseneur des hauteurs d'où Marc-Aurèle et Fénelon, par exemple, les eussent contemplés? Et d'abord, n'arrive-t-il pas souvent qu'un crime qui sent peser sur lui le regard d'une âme plus puissante, suspende sa marche dans les ténèbres, de même que les abeilles suspendent leur travail quand un rayon de jour pénètre dans la ruche?

En tout cas, le destin véritable auquel Claudius et Gertrude s'étaient abandonnés,—car on ne se livre au destin que lorsqu'on fait le mal,—le destin véritable, qui est le destin intérieur, aurait suivi sa voie dans l'âme des coupables, mais aurait-il pu en sortir, aurait-il osé franchir la barrière éclatante et accusatrice que la simple présence d'un de ces sages eût mise en permanence devant les portes du palais? Si les destinées de ceux qui sont moins sages participent malgré elles aux destinées du sage qu'elles rencontrent, les destinés du sage sont rarement atteintes par des destinées inférieures. Dans les domaines de la fatalité, non plus que sur la terre, les fleuves ne remontent vers leurs sources. Mais pour en revenir à la première idée, vous imaginez-vous une âme puissante et souveraine, comme celle de Jésus à la place d'Hamlet, dans Elseneur, et que la tragédie suive son cours jusqu'aux quatre morts de la fin? Cela vous paraît-il possible? Est-ce que le crime le plus habile, en présence d'une sagesse profonde, ne ressemble pas un peu à ces spectacles que l'on offre le soir aux tout petits enfants et dont un rayon de soleil révèlerait la pauvreté et le mensonge? Voyez-vous Jésus-Christ, ou simplement le sage que vous avez peut-être rencontré, au milieu des ténèbres volontaires d'Elseneur? Qu'est-ce qui mène Hamlet, sinon une pensée aveugle qui lui dit que la vengeance est l'unique devoir? Mais fallait-il vraiment un effort surhumain pour reconnaître que la vengeance n'est jamais un devoir? Je le répète, Hamlet pense beaucoup, mais il n'est guère sage. Il ne paraît pas soupçonner où se trouve le défaut de la cuirasse du destin. Il ne suffit pas toujours de s'armer de pensées hautes pour le vaincre, car le destin sait opposer aux pensées hautes des pensées plus hautes encore; mais quel destin a jamais résisté à des pensées douces, simples, bonnes et loyales? La seule manière d'asservir le destin, c'est de faire le contraire du mal qu'il voudrait nous faire faire. Il n'y a pas de drame inévitable. Les catastrophes d'Elseneur n'ont lieu que parce que toutes les âmes se refusent à voir; mais une âme vivante contraint toutes les autres à entr'ouvrir les yeux. Où était-il écrit que Laërte, Ophélie, Gertrude, Hamlet et Claudius dussent mourir, si ce n'est dans l'aveuglement misérable d'Hamlet? Mais qu'y avait-il donc d'inévitable en cet aveuglement? Ne faisons pas intervenir le destin là où une pensée peut désarmer encore les puissances meurtrières. Il lui reste une part assez belle. Le destin, je retrouve son empire dans un mur qui me tombe sur la tête, dans la tempête qui éventre un navire et dans l'épidémie qui atteint ceux que j'aime. Mais il n'entre jamais dans l'âme d'un homme qui ne l'appelle pas. Hamlet est malheureux parce qu'il marche dans des ténèbres inhumaines, et c'est son ignorance qui fixe son malheur. Il n'y a rien au monde qui obéisse plus longtemps que la fatalité à tous ceux qui osent lui donner des ordres. Horatio lui-même eût pu lui en donner jusqu'au dernier moment, mais il n'a pas eu l'énergie nécessaire pour sortir de l'ombre de son maître. Il eût suffi qu'une âme eût eu l'audace de crier la vérité dans Elseneur, pour que l'histoire d'Elseneur ne se fût pas écroulée tout entière dans des larmes de haine et d'horreur. Mais le mauvais hasard, aux doigts de la sagesse, est souple comme un jonc que l'on vient de couper et devient une barre d'airain meurtrièrement inflexible aux mains de l'inconscience. Une fois de plus, tout dépendait ici, non du destin, mais de la sagesse du plus sage, car Hamlet était le plus sage, et c'est pourquoi il devenait, par sa seule présence, le centre même du drame d'Elseneur—et la sagesse d'Hamlet ne dépendait que de lui-même.

La sagesse et la destinée

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