Читать книгу La sagesse et la destinée - Maurice Maeterlinck - Страница 24
XX
ОглавлениеToutefois, n'allons pas juger Louis XVI du point de vue où nous sommes. Mettons-nous à sa place, au milieu de ses incertitudes, de son étonnement, de ses difficultés, de ses obscurités. Il est trop facile de prévoir ce qu'il eût fallu faire après que l'on sait tout ce qui a été fait. Nous aussi, dans nos troubles, dans nos hésitations, dans notre ignorance du devoir, on devra nous juger en cherchant à retrouver la trace de nos derniers pas sur le sable de la petite éminence d'où nous nous efforcions de découvrir l'avenir. Savons-nous mieux que Louis XVI ce qu'il convient de faire en ce moment? Ce qu'il faut abandonner et ce qu'il faut défendre? Flotterons-nous plus sagement que lui entre les droits de la raison humaine et ceux des circonstances? L'hésitation consciencieuse n'a-t-elle pas souvent tous les caractères d'un devoir? L'exemple du malheureux roi peut cependant nous enseigner une chose importante: c'est que dans un grand et noble doute, il faut toujours aller courageusement, directement et infiniment au delà de ce qui nous paraît raisonnable, réalisable et juste. L'idée que nous nous faisons du devoir, de la justice et de la vérité, si claire, si avancée, si indépendante qu'elle nous paraisse, ne l'est jamais autant qu'elle le sera tout naturellement quelques années, quelques siècles plus tard. Il est donc sage d'aller du moins aussi promptement que possible à la pointe extrême de ce que nous voyons, de ce que nous espérons. Si Louis XVI avait fait ce que nous aurions fait à sa place, maintenant que nous savons ce qu'il eût fallu faire, c'est-à-dire abdiquer franchement toutes les folies du préjugé royal, accepter loyalement la vérité nouvelle et la justice supérieure qu'on offrait à ses yeux, nous admirerions son génie. Or, il est probable que Louis XVI, qui n'était ni un méchant homme ni un imbécile, a pu voir, ne fût-ce qu'une minute, sa situation, du même oeil que l'eût vue un philosophe désintéressé. En tout cas, cela n'est pas, historiquement ou psychologiquement, impossible. Nous savons bien souvent, dans nos doutes solennels, où se trouve le point fixe, le sommet inaltérable du devoir, mais il nous semble qu'il y a, du devoir actuel à ce sommet trop solitaire et trop étincelant, une distance qu'il ne serait pas prudent de franchir tout de suite. Et pourtant, toute l'histoire de l'humanité, toute l'expérience de notre propre vie ne nous prouvent-elles pas que c'est toujours le plus haut sommet qui a raison, qu'il faut toujours finir par y monter de force, après avoir perdu un temps précieux sur la plupart des éminences intermédiaires? Qu'est-ce qu'un sage, un héros, un grand homme, sinon celui qui est allé tout seul, avant les autres, sur le plateau désert que tous apercevaient plus ou moins clairement?