Читать книгу Pensées d'une amazone - Natalie Clifford Barney - Страница 10
PETITES RÉPERCUSSIONS
ОглавлениеLittérature.—Si nous sommes anéantis, vous trouverez toutes mes lettres inédites dans l'armoire de mon grenier, la postérité ... etc. ...
Sport.—«Je n'ai plus un rond», me dit un petit jockey de quarante-cinq kilos, qui devait monter Radium aux courses de Deauville, hier.
Confiserie.—La vendeuse de «Topsy», exilée parmi ses bonbons, n'a pas pu s'acheter une côtelette, ni une boîte de sardines, faute de monnaie.
Milliardaire, sans bagages.—«Je me couche pendant qu'on me blanchit.»
Recherche d'emploi des immobilisées. Mendicités des oisifs.
Toute cette camelote des sentiments..
La «mouche du coche», qu'importe!... mais la mouche de l'ambulance!...
Elles réveillent leurs malades plusieurs fois dans a même nuit pour leur demander s'ils n'ont besoin de rien.
Quêteuses d'aventures, ou vampires sadiques, auprès des blessés!
On prépare des lits dans les salles de jeu...
"Tas de chiennes en rut, mangeant des cataplasmes."
ARTHUR RIMBAUD.
L'Hôtel, transformé en hôpital militaire, est prêt, avec ses quatre cents lits, pour l'énorme accouchement. Ces dames des plages, déguisées en sages-femmes, attendent là, impatientes et toutes blanches, avec leur croix rouge au front et leurs belles mains ignorantes et sublimées. Et voici l'arrivage des hommes de souffrance, couchés au fond des autos, étendus sur des brancards; camionnés sous la pluie, des Marocains grelottent et voilent leurs faces par pudeur. Un casque de Prussien est entre les bras d'un soldat qui n'a plus de jambes. Le petit caniveau qui sépare la rue de l'entrée de l'hôtel fait grimacer de douleur un officier. Proie étendue sur le large poitrail d'une dame âgée, un zouave, avec les trois quarts du visage qui lui restent, fume une cigarette pour se donner une contenance. Celles qui n'étaient pas de service à la gare s'abattent, du balcon, où elles guettaient, sur les moribonds de premier choix.
Les trois grands bateaux arrivent de Dunkerque avec leur cargaison de guerriers qui chantent. Ils font vibrer de leur poids les cordages et les mâts. Tout est cris et couleurs. Et les bateaux, grandissant, entrent dans le petit port avec leurs hommes rouges et bleus et bruns. Parmi eux un clair Anglais, vêtu de blond, répond en souverain courtois aux «Vive l'Angleterre» qui l'acclament de la jetée. Tandis que les soldats français jettent de petits drapeaux belges à la foule, qui offre en échange cigarettes, chocolat, biscuits, fromages, fleurs, des filles jolies arrachent et donnent leurs collets de dentelle et leurs mouchoirs et leurs gants en gage d'un amour anonyme et généreux. Et lorsque les soldats vident les ponts et descendent à terre, on dirait que les bateaux se déshabillent.
Leurs fusils croisés forment de petits squelettes de tentes sur la place de Honfleur. Les soldats tendent avidement leurs mains aux paysans, aux fillettes qui arrivent, leurs tabliers pleins d'un bon pain chaud, qu'un caporal couvre de confiture. Des femmes et des garçons apportent, en courant, des bouteilles de cidre, des hôteliers envoient les bonnes avec le café destiné à leur clientèle. «Même celui qui n'a rien, donne ce qu'il a», résume quelqu'un derrière moi. Après qu'ils ont rempli leur bouche, les soldats remplissent leurs sacs et la poche arrière de leur uniforme avec des provisions dont l'avarice normande a su les combler,—car l'avarice seule peut avoir la ressource de telles prodigalités. On apporte après, des cartes postales et les fleurs rondes des dahlias qui semblent des décorations militaires. Chacun s'en empare avec la même avidité. Un prêtre aux gestes grandiloquents, entouré de trois dévotes, attend, de toute sa patience ecclésiastique, son tour. Ayant épuisé les autres ressources et amusements, on commence à l'entourer. Il se rengorge de contentement, mais la foule est déjà distraite, et en se détournant le laisse cloué sur place, comme un pingouin.
L'Hôpital est près de la côte de Grâce. Des lits bien nets et des femmes de toutes espèces attendent les blessés qui leur sont promis et qui se font désirer. Je rentre au laboratoire où des sœurs et des jeunes filles, des hobereaux et des cuisinières se font vacciner par une étudiante en médecine, en prévision des fléaux anticipés. Je regarde dans un bocal un foetus de cinq mois; ses jambes croisées, sa grosse petite tête lui donnent l'air d'un sage en ivoire: malgré le grand tuyau qui le rattachait à la vie, il a su ne pas naître!
On parle tous les jours à table, de spicas, d'extractions déballés, de gangrène, de pus bleu, etc..., etc...
Nous apprenons également tout un vocabulaire militaire nouveau, survivant aux communiqués: